François MUFFAT1915 - 1992
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 3679
Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Birmanie
- Région missionnaire :
- 1946 - 1992 (Mandalay)
Biographie
François, Louis, Joseph MUFFAT, fils de François-Joseph et de Marie Victoire Menoud, naquit le 28 septembre 1915, à la Baume, diocèse d'Annecy, département de la Haute-Savoie. Ses parents, cultivateurs, élevèrent une famille de quinze enfants : neuf garçons et six filles. Après ses études primaires à l'école du village natal, François partit en 1927 à Thonon-les-Bains où il fit son cycle secondaire, au petit séminaire Saint-François de Sales.
Le 15 juin 1934, il demanda à entrer au séminaire des Missions Etrangères. Admis le 26 juin 1934, il rejoignit le séminaire le 15 septembre 1934. En 1937, il fit son service militaire au 47ème Zouaves en Tunisie. Maintenu sous les drapeaux en 1939, fait prisonnier en 1940, il parvint à s'évader. Drôlement éconduit à la rue du Bac, il traversa en vélo, la zône occupée, passa la ligne de démarcation à travers des marécages, arriva en zône libre et reprit ses études théologiques au grand séminaire d'Annecy. Sous-diacre le 29 juin 1942, diacre en décembre 1942, ordonné prêtre à Paris, le 20 mars 1943, il reçut sa destination, le 19 juin 1943, pour le vicariat apostolique de Mandalay. En attendant de pouvoir s'y rendre, il prit du ministère dans le diocèse d'Auxerre et fut agrégé à la Société des Missions Etrangères le 15 septembre 1943. A la libération, il s'engagea dans l'armée du général Leclerc, et fut affecté comme sous-lieutenant aumônier militaire, au 35ème régiment d'infanterie. Cité à l'ordre de l'Armée, en 1944, la croix de guerre avec palme lui fut décernée, en raison de sa conduite héroïque au combat . Pour le même motif, en 1947, il reçut la croix d'officier de la Légion d'Honneur.
Le 26 septembre 1946, MM. Muffat et Michel Blivet se rendirent à Glasgow; le 4 octobre 1946, ils s'embarquèrent pour la Birmanie, sur le Monarch of Bermuda". Après l'étude de l'anglais et du birman à Mandalay, M. Muffat fut envoyé, en février 1948, dans les montagnes Chins du Nord, chez les "Zaniats", à Lumbang, gros bourg d'un millier d'habitants, à 1200 mètres d'altitude, et à 300 kms à l'ouest de Mandalay. Il fit trois jours de marche pour parcourir les 80 derniers kms, avec une caravane de chevaux et de boeufs. Il trouva sur place un catéchiste indien, marié à "une zaniate", Saya Robin, ancien séminariste goanais, peintre, qui évangélisait cette ethnie par la parole et par l'image. Il entreprit la construction de sa maison, et prépara un emplacement pour l'église. Il passera quarante cinq ans de sa vie missionnaire à Lumbang.
M. Muffat se mit à l'étude de la langue "zaniate" dès son arrivée et il gagna vite la confiance des Chins en les visitant et en les soignant. Mais il rencontra surtout l'opposition des protestants baptistes implantés avant lui dans la région. L'ambiance n'était pas encore à l'cuménisme.
En 1951, il enregistra 200 baptêmes d'adultes; Mgr.Falière lui envoya un prêtre birman et M. Louis Garrot, pour le seconder. Sept prêtres dont les résidences étaient échelonnées à quelques cinquante kms les unes des autres, évangélisaient les Chins du Nord; trois mille catéchumènes environ vivaient dispersés sur une distance de cent trente milles, le long des deux rives du Manipur. En 1955, après avoir par deux fois agrandi son église, il entreprit la construction d'un couvent, école, dispensaire pour les Surs de Saint Joseph de l'Apparition qui s'y installèrent au début de 1956. Avec quelques catéchistes, il se rendit à Rangoon du 2 au 5 février 1956, où se tint un Congrés Eucharistique National.
Le 18 mai 1957, M. Muffat arriva en France pour un congé régulier; par avion, le 4 novembre 1957, il regagna sa mission, et retrouva sa communauté de Lumbang. Le 19 décembre 1959, Rome ratifia l'acte de démission de Mgr. Falière, et lui donna comme successeur Mgr. Joseph U Win. Ce dernier conféra l'ordination sacerdotale au Père Flavien Hrang Hluan premier prêtre chin, à Lumbang, sa paroisse d'origine, le 31 janvier 1960. En 1961, son district ayant été divisé, M. Muffat doubla son école primaire, puis bâtit un nouveau presbytère; mais cette année là, les récoltes ayant été mauvaises, il éprouva quelques difficultés pour alimenter les 52 filles et 61 garçons de son internat de Lumbang. En janvier 1961, il reçut la visite de M. Joseph Alazard, assistant du Supérieur Général, après celle de M. Prouvost quelques années auparavant.
En 1962, la situation politique s'étant aggravée, l'armée prit le pouvoir, le régime politique devint policier, tout déplacement devant être justifié par un sauf-conduit. En mai 1964, les billets de banque furent changés. Au printemps de 1965, un décret gouvernemental nationalisa toutes les institutions scolaires privées. M.Muffat essaya de garder ouvertes écoles et internat; mais l'année suivante, il signala que plusieurs bâtiments de la mission de Lumbang avaient été spoliés. En fait, cela intensifia les demandes d'entrée en catéchuménat et des sessions de trois semaines furent organisées pour la formation des catéchistes.
En 1966, le "Conseil Révolutionnaire" du général Ne-Win ayant ouvert la "Voie birmane vers le socialisme", les missionnaires arrivés après l'indépendance durent quitter la Birmanie, leur visa de séjour n'étant plus renouvelé. M.Muffat ne fut pas touché par cette mesure, mais une grosseur au cou, en 1968, l'obligea à se rendre à Rangoon pour trois mois. A son retour, il fêta avec éclat, à Lambung, ses vingt-cinq ans de sacerdoce. Ne pouvant plus se déplacer sans papiers administratifs, il plaça des catéchistes dans chacune de ses chrétientés, envoya des jeunes au petit séminaire de Maymyo, des jeunes filles aux noviciat des religieuses.
En 1983, M. Muffat restait le seul missionnaire Mep présent dans l'archidiocèse de Mandalay. Mais huit prêtres chins, aidés d'une dizaine de religieuses, et de plus de cent catéchistes travaillaient chez les Chins. En 1984, écrivait il, "... L'an prochain, 6 Chins seront ordonnés prêtres.. plus de cinquante sont au séminaire des jeunes, et trente au grand séminaire." En mars 1985, ces ordinations sacerdotales donnèrent lieu à un rassemblement festif important à Hakka, à une rencontre cuménique avec les baptistes, et à la bénédiction par l'Archevêque, de la première pierre d'une vaste église en dur, et à une grande procession eucharistique en cette ville.
Puis, passant par Hong-Kong et Taïwan, M. Muffat rentra en congé en France où il arriva le 28 juillet 1985; reparti le 13 décembre 1985, il regagna Lambung. Il prépara la reconstruction de son église, et apprit avec joie, la nomination, le 15 janvier 1989, de Mgr.Nicolas Mang Thang évêque auxilaire chargé des communautés Chins. Sa santé se dégradant, M. Muffat revint en France où il arriva le 12 juin 1990. A son retour, il assista à la pose de la première pierre de l'église de Kalemyo, le 20 décembre 1990, puis retrouva Lambung et les travaux de construction de son église terminée au début de 1992. Il prépara le jeune prêtre chin, Peter Ki Se à lui succéder.
En 1992, M.Muffat tombé malade, se fit soigner à Falam, à Mandalay, puis à Bangkok. Atteint d'un cancer du foie, rapatrié en France, le 31 août 1992, il fut hospitalisé à Paris, durant une semaine; puis il gagna Montbeton où il décéda à l'aube du dimanche 20 septembre 1992, et où ses obsèques furent célébrées le mardi suivant.
A Rangoon, le 9 octobre 1992, tous les évêques réunis en conférence épiscopale concélébrèrent pour le repos de son âme; Patrick, un de ses anciens catéchistes témoigna : "... C'était un homme tout prétri d'humilité, et d'obéissance, un modèle, un saint prêtre. Je suis heureux d'avoir au ciel un ami tel que lui, un saint qui prie pour moi."
Nécrologie
Joseph MUFFAT
1915 - 1992
MUPFAT François, Louis, Joseph
Né le 28 septembre 1915 à La Baume (Haute-Savoie), au diocèse d’Annecy
Entré au séminaire des Missions Étrangères le 15 septembre 1934
Ordonné prêtre le 20 mars 1943
Destiné à la mission de Mandalay le 19 juin 1943
Agrégé à la Société le 15 septembre 1943
Parti pour sa mission le 26 septembre 1946
Rentré malade en France le 31 août 1992
Décédé à Montbeton le 20 septembre 1992
Son premier prénom était François, tout comme son père, et tout comme lui on l’appela toujours par son dernier prénom, Joseph. Il naquit le 28 septembre 1915, à La Baume, au diocèse d’Annecy, le 28 septembre 1915, de parents – François-Joseph et Marie-Victoire Menoud –, mariés religieusement le 20 mai 1897, et qui tenaient, comme cultivateurs, une ferme savoyarde merveilleusement plantée dans un paysage de rêve, où quinze enfants, neuf garçons et six filles, virent le jour. Il fut baptisé en l’église de l’Immaculée Conception de La Baume le surlendemain de sa naissance.
Enfance simple et heureuse, partagée entre la garde des chèvres au pied du mont Billat, et l’école primaire du village même de La Baume, qui fait aujourd’hui partie de la municipalité de Saint-Jean-d’Aulps. Il part ensuite à Thonon-les-Bains, au petit séminaire Saint-François de Sales, où il est confirmé le 22 avril 1929 par Mgr Michel du Bois de la Villerabel, évêque d’Annecy ; il y accomplira, jusqu’à l’âge de dix-neuf ans, ses études secondaires. Au terme de celles-ci, il envoie à Mgr de Guébriant, le 15 juin 1934, une demande d’admission « dans votre société si attirante par le nombre des martyrs, et au caractère essentiellement missionnaire », à laquelle il joint un certificat élogieux du supérieur. Cependant, il confesse humblement : « Je dois dire à Votre Excellence que j’achève péniblement ma classe de rhétorique. Je suis faible en plusieurs matières, les mathématiques en particulier », ce que confirme l’attestation supériorale, laquelle explique : « Ayant débuté avec une déplorable formation primaire, il est resté en retard pour ses études scientifiques » ; néanmoins, elle estime cette carence largement compensée par l’ensemble de vertus qu’elle reconnaît au candidat : « De famille très chrétienne, ce jeune homme a bon caractère et bonne santé. Il a fait preuve d’une piété solide et de jugement depuis son entrée au petit séminaire en 1927. Sa conduite a toujours été édifiante et son application au travail constante. » En somme, malgré le handicap qu’elle n’a garde de celer, la note se termine par une recommandation dénuée d’ambages : « Il fera, je l’espère, un excellent missionnaire par sa piété, ses qualités morales et sa volonté énergique. » De son côté, la requête du jeune Joseph ajoute : « Ma santé est assez forte. Je crois pouvoir affronter les pénibles travaux des missionnaires », et elle se clôt de la manière fleurie et un peu emphatique qui était de règle à l’époque : « Confiant dans la bonté de Dieu, confiant en votre indulgence, je vous prie d’agréer l’hommage du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être, Monseigneur, de Votre Excellence, le très humble et très obéissant serviteur. » Admis dès le 26 juin, il rejoignait le séminaire le 15 septembre.
Mais les événements ne lui permettront pas de le terminer aussi rapidement qu’il l’aurait voulu. En effet, durant son service militaire, qu’il entame en 1937 au 47e Zouaves en Tunisie, la seconde guerre mondiale est déclarée ; il est donc maintenu sous les drapeaux et, surpris par l’avance allemande de 1940, est fait prisonnier, mais parvient à s’évader, est repris et de nouveau joue la fille de l’air : drôlement éconduit et rembarré par le P. Henri Sy, franchissant à vélo la zone non occupée, il passe la « ligne de démarcation » à travers des marécages, et se réfugie en zone libre, où il reprend de suite ses études théologiques, au grand séminaire d’Annecy. C’est là qu’en 1942, il reçoit les premiers ordres majeurs. De l’enquête faite auprès de son curé lors des grandes vacances, il ressort que rien n’est à redire dans son comportement ; à la question : « Aux vacances, hors du séminaire, a-t-il porté et porte-t-il l’habit clérical ? », il est répondu : « Oui, excepté quand il se livre à des travaux agricoles », car, n’en déplaise à la cléricature, les temps sont durs, et ses parents, qui viennent au printemps de cette année-là de fêter leur quarante-cinquième anniversaire de mariage, ne sont plus de la toute première jeunesse ; tous les bras sont nécessaires pour faire marcher la ferme à l’époque des grands travaux. Il reçoit la prêtrise à Paris le 20 mars 1943, et sa destination pour Mandalay le 19 juin, mais sans possibilité de gagner sa mission. Temporairement agrégé à la Société le 15 septembre de la même année, il fait donc du ministère quelque part dans l’Yonne, mais quand arrive la fin de l’occupation, il s’engage dans l’armée de Libération et joue admirablement, sous le général Leclerc, son rôle d’aumônier militaire ; ses états de service lui valent la mention suivante : « 35e régiment d’infanterie, n0 337. Par décision n0 643 et sur la proposition du ministre de la Guerre, le président du Gouvernement provisoire de la République française, chef des Armées, cite à l’Ordre de l’Armée : Muffat Joseph-François-Louis, sous-lieutenant aumônier du 35e régiment d’infanterie. S’est conduit héroïquement au combat, tant à Frédéric-Fontaine, les 17 et 18 novembre 1944, que devant Michelbach, les 7 et 8 décembre 1944, en assurant les liaisons avec les postes de secours, portant un réconfort moral constant à tous les hommes, en assistant les blessés, dirigeant les brancardiers dont il a, à plusieurs reprises, assuré le travail, sous un feu intense des armes automatiques et de l’artillerie. Magnifique exemple d’abnégation. La présente citation comporte l’attribution de la Croix de guerre avec palme. Signé : de Gaulle. »
Enfin, la guerre est terminée, il peut partir pour sa mission, ce qu’il fait le 26 septembre 1946, avec un crochet par Glascow, d’où il fera voile le 4 octobre, à bord du « Monarch of Bermuda » vers la Birmanie, en compagnie du P. Michel Blivet. En tant que nouveaux arrivés, les « anciens» les appellent, non sans une pointe de gentille raillerie, « les jeunes d’après-guerre », bien qu’il soient âgés respectivement de 32 et 38 ans ! Le P. Muffat leur en bouchera quand même un coin, avec toute la déférence due à de respectables ancêtres, lorsqu’en 1947 la lointaine patrie lui décernera, eu égard à son noble passé guerrier, la croix d’officier de la Légion d’Honneur. Mais il est exact que ni l’un ni autre ne connaissait grand chose de leur pays d’accueil : la Birmanie, une terre de 39 millions d’habitants, entre la Chine, l’Inde et la Thaïlande, essentiellement agricole, se nourrissant de riz et de maïs. Très peu d’élevage : une vache arrive à produire un bol de lait par jour, le climat trop sec exigeant d’arroser les jardins deux fois quotidiennement pendant leur période de production entre décembre et mars. Et une population jeune, dont 40 % est au-dessous de quinze ans. Les nouveaux sont mis d’abord à l’étude de l’anglais et du birman à Mandalay même, pendant les premiers mois, s’habituant en même temps aux coutumes du pays ; puis, comme ils donnent les plus belles espérances pour l’avenir, on les place dans des postes, où ils pourront commencer à travailler sous l’œil vigilant d’un confrère ; le P. Muffat est ainsi envoyé dans les montagnes des Chins sur lesquels, de Tiddim, règne le P. Joseph Dixneuf. Le pays est encore, jusque-là, dominé par les Britanniques, et n’accédera à l’indépendance, sous le nom d’« Union of Burma », que le 4 janvier 1948. C’est le mois suivant que Joseph Muffat part, sans l’ombre d’une hésitation, à la demande de son évêque, pour prendre possession, près de la frontière indienne de l’Assam, du poste de Lumbang, en trois étapes d’un jour, avec une caravane de chevaux et de bœufs. Il est situé à l’altitude de 1.500 mètres, et 600 mètres plus bas, au fond d’une vallée en « V » très encaissée, roule le Manipour, affluent du Kyen-Douen, un des bras de l’Irrawady. Dans la journée, ce profond ravin est une étuve, et la nuit un réfrigérateur ! Falam, la sous-préfecture, est sur l’autre rive, à portée de main dirait-on, mais à 2.000 mètres sur la falaise d’en face ; y aller à pied est la meilleure des pénitences après confession...
Lumbang est le fief de la tribu des Zaniats : Chia est le nom générique d’une ethnie qui est elle-même morcelée en une quantité de clans se différenciant par les usages, mais surtout par les dialectes. On en a recensé jusqu’à 130 pour l’ensemble de la région occupée par les Chins. Les Zaniats eux-mêmes vivent dans la partie méridionale du territoire des Chins du nord, qui avait été ouvert à l’évangélisation en 1939, grâce aux catéchistes amenés alors par Mgr Albert Falière, et pris en main à Noël 1940 par le P. Pierre Blivet et un prêtre birman. Mais cette mission avait subi en 1944 les atteintes des hostilités, et ne commença à renaître qu’avec l’arrivée de nouveaux ouvriers apostoliques qui, accueillant des catéchumènes, lui donnèrent un nouvel élan. En y venant à la découverte, le P. Muffat trouve sur place un catéchiste indien, que l’on appelle Saya Robin – Robin l’instituteur –, ancien séminariste goanais, qui a épousé une fille zaniate. Un peu en intrus, le missionnaire commence à partager leur hutte, ce qui n’est pas très commode, vu l’étroitesse de l’espace disponible : une partie en est réservée à la maîtresse du logis et à ses devoirs ménagers, le reste en est encombré par l’atelier et la pinacothèque de son peintre de mari ; car celui-ci, en véritable artiste, évangélise à la fois par la parole et par l’image, illustrant lui-même ses prédications audiovisuelles. Comme c’est l’été, on se débrouille comme on peut, et c’est à l’ombre des frondaisons alpines que le Père se laisse initier aux façons de faire de ses chrétiens, et qu’il commence à nouer connaissance avec eux. Durant les années maigres, ils sont restés fidèles grâce à ce « Robin des Bois » et à son opiniâtreté : il s’en tint obstinément à entretenir leur foi, veillant plus à l’unité du troupeau qu’à sa taille. En cela, il se gardait comme de la peste des divisions protestantes : au début, les baptistes, seuls présents dans le secteur, ne formaient qu’une seule communauté ; mais à la longue, ils se sont répartis en une dizaine de sectes, à la différence des catholiques qui n’ont jamais formé qu’un seul bloc monolithique. Avec courage le curé, tout fraîchement installé sans autre cérémonial, fait face aux impératifs de son ministère, se mettant à enseigner, pérégriner et édifier… ceci dans tous les sens du terme. Un peu sur la hauteur, avec l’aide de quelques paysans plus hardis ou plus dégourdis que les autres, il arase un terrain rocheux pour le former en terrasse, de manière à y établir sa maison, et par la suite à y construire celle du Seigneur, l’église, qu’il entrevoit déjà comme une hymne humaine, s’élevant en pleine nature sauvage, et offerte au divin Créateur. Ce qu’il ne sait pas encore, c’est que de ces lieux, il restera le seul maître après Dieu pendant les quarante-cinq années de la vie missionnaire qu’il lui accordera.
Ses débuts en cette région austère ne furent guère marqués par la facilité, loin s’en faut ! Sans la moindre plainte, il eut beaucoup à souffrir, dans les premiers temps, non seulement du climat, mais surtout, d’avoir à s’exprimer dans un nouvel idiome : il n’avait pas l’oreille très musicale, et n’était pas spécialement doué pour ces langues à tons. Cependant, à force d’étude et de volonté, il arrivera à se faire comprendre très honorablement de ses Chins. Sa force d’âme de soldat fut sans doute ce qui déclencha une admiration, craintive parfois, de la part des gens de Lumbang d’abord, puis de tous les villages des alentours qu’habitait leur parenté clanique. Peu à peu, une confiance s’établit entre lui et cette tribu très militaire d’esprit, et il devint vraiment le maître spirituel des Zaniats. Son énergie, ses longues marches à travers leur pays pentu et aride, la clarté de son regard quand, sans le moindre trouble, il regardait ceux qui l’écoutaient, c’est ce qui frappait son auditoire. Rien qu’à l’observer, on sentait qu’il n’y avait pas chez lui de tromperie possible. Voici que déjà, pour étendre la vigne du Seigneur en terrain malaisé, il aurait bien besoin d’une aide, car les communications dans les Chin Hills sont singulièrement incommodes : autant les gorges y sont abruptes, autant les patois y sont divers ! Dans le seul secteur qu’il défriche, il s’en trouve une quarantaine... Une aide ? On la lui promet séance tenante, sous forme d’une équipe de cinq religieuses franciscaines missionnaires de Marie, qui, de fait, viennent un moment prospecter jusque-là en vue de fonder un dispensaire dans la région. Cc qui ne veut pas dire qu’il les aura sous la main, car si Lumbaag est situé à une centaine de kilomètres au sud de Tiddim, c’est à 40 km au nord de cette ville qu’elles trouvent finalement bon de prendre gîte.
Qu’à cela ne tienne, le zèle débordant du pasteur s’affirme, en même temps que le talent – qu’il s’est découvert récemment – d’arracheur de dents ambulant, et il n’hésite guère, toujours muni de sa trousse, à franchir journellement des distances allant de 20 à 30 km par monts et par vaux, pour aller dénicher des catéchumènes au loin, couchant sur la dure, bien souvent à la belle étoile, et ne se nourrissant la plupart du temps que d’un peu de riz cuit à l’eau et de sel. Cela ne semble guère l’incommoder, mais ce dont il ne s’accommode que malaisément, c’est l’opposition qu’il rencontre de la part des protestants baptistes, lesquels avaient devancé là-haut les catholiques, et voyaient d’un œil plutôt noir la calme assurance de celui qui venait dans ce coin briser leur monopole jusque-là incontesté. Ni l’heure, ni l’ambiance n’étaient du tout à l’œcuménisme : ce fut pendant des années, la plaie la plus térébrante qui tarauda l’âme du P. Muffat, que d’avoir à supporter non seulement leur déplaisir, mais aussi les calomnies et les diffamations qu’il engendra, dans le but de le décourager et de le forcer à déguerpir. C’était mal le connaître : cette intolérance était plutôt de nature à l’ancrer davantage dans sa résolution de tenir le coup, de continuer sa mission en restant sur place, quelles que soient les rebuffades et même les haines que l’on essayait d’accumuler autour de lui. Mgr Falière l’encourageait fortement en ce sens, car il était lui-même persuadé d’avoir là un terrain favorable qu’il convenait de cultiver ; encore fallait-il avoir le personnel suffisant pour mener à bien pareil projet.
Le diocèse, cependant, a reçu du renfort depuis la fin de la guerre ; l’évêque juge le moment venu d’appliquer son plan, qui consiste à briser la trop grande solitude des quelques Pères égarés sur les cimes, en tenant compte de ce que c’est là, autour de Tiddim, le district qui, de toute la mission, permet de concevoir les meilleurs espoirs. En 1951, le P. Muffat seul a enregistré 200 baptêmes d’adultes, aussi lui envoie-t-on, pour le seconder, un prêtre birman ainsi que le P. Louis Garrot, récemment venu de France. Bientôt, ils seront sept pasteurs à se partager le gâteau, et leurs résidences principales seront échelonnées à environ une cinquantaine de kilomètres les unes des autres, depuis l’extrême nord du pays chin jusqu’à Falam, d’où l’on projetait une extension du même genre au-delà vers le sud. Tout était en place dans la partie septentrionale, mais, dès 1952, il fallut déchanter : coup sur coup des accidents de santé atteignent le personnel missionnaire de ces régions très dures, et ceux qui en réchappent sont priés de se replier vers le centre pour remplacer ceux qui tombent ; le vaste district plus méridional du P. Muffat se voit agrandi du fait de l’indisponibilité d’un collègue voisin. On s’arrange pour boucher les trous, mais on en vient forcément à faire une double constatation. D’abord, que les prêtres d’origine birmane – ceux de l’ethnie bahma – ne sont pas faits pour la vie en ce secteur : venus de la plaine, ils sont d’un naturel plutôt timide et, surtout, ils supportent difficilement l’existence dans ces régions agrestes, aux populations plutôt frustes, auxquelles leurs manières délicates ont du mal à s’habituer. Ensuite, que ce sont ces peuplades animistes qui sont les plus réceptives à l’enseignement du Christ : elles sont prêtes à l’accepter, souvent même par simple ouï-dire, avant d’avoir eu le moindre contact avec un missionnaire, lequel, bien sûr, quand il les approchera, devra patiemment, au fil du temps, mener combat contre les esprits dont elles sont plutôt longues à vouloir se débarrasser !
Au prix de gros efforts, Mgr Falière a tenu à faire une tournée pastorale sur les monts des Chins, malgré l’incommodité du voyage qui ferait renoncer à plus d’un de s’y aventurer ; mal lui en a pris d’ailleurs, car pour se rendre chez le P. Muffat, et croyant lui faciliter le trajet, le curé du poste précédent le fit monter à cru sur sa haridelle, qui n’eut rien de plus pressé que de se débarrasser irrespectueusement de lui en l’étendant tout raide sur le sentier pierreux... Tout endolori, il poursuivit clopin-clopant sa visite épiscopale, et atteignit la station prochaine au bord de l’épuisement. Il trouva par contre son hôte en excellente forme, toujours plein d’entrain et d’ardeur, et la joie de l’évêque, en constatant sur place les progrès de l’évangélisation, le fit récupérer de ses fatigues cavalières.
L’année suivante, c’est le P. Henri Prouvost, assistant du supérieur général, qui vint de Paris porter la bonne parole de la rue du Bac aux confrères de Birmanie, et qui voulut à toutes forces se rendre sur les lieux les plus difficultueux, pour se rendre compte des heurs et malheurs de ceux qui travaillent comme pionniers aux avant-postes. Escaladant les crêtes et dévalant les ravins pour rejoindre Lumbang et les autres endroits où nichaient les confrères, il leur fit l’immense plaisir de les rencontrer chez eux, ce qui ne s’était jamais vu ; il est vrai que la dernière visite officielle remontait à 17 ans ! À son retour dans la plaine, heureux et recru, il confessa avoir trouvé ces montagnes bien plus escarpées et contraignantes qu’il ne se l’était figuré. Telles quelles, elles ne rebutent pas le P. Muffat, qui paraît s’y complaire comme s’y avait toujours vécu ; on oublie qu’il est savoyard ! En tout cas, il ne s’arrête pas de construire : déjà il a par deux fois agrandi son église et, maintenant, n’aménage-t-il pas un couvent, avec école et dispensaire, qui doivent s’ouvrir à la fin de cette année 1955 ? Non, ils ne s’ouvriront que plus tard, après la saison des pluies, mais ils sont pour ainsi dire prêts à recevoir les sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition, qui ont été désignées pour les occuper, et qui déjà font joyeusement leurs préparatifs pour s’installer à la montagne.
Diversion pour le P. Muffat : après la retraite diocésaine, qui se tient habituellement au début de l’année, et qui est pour lui bien souvent l’unique occasion de se rendre à Mandalay, il prolongea cette fois son absence et son voyage, pour se rendre à Rangoon. Il y allait, en compagnie de quelques-uns de ses catéchistes les plus méritants, qui jamais n’étaient sortis de leur trou, pour leur faire comprendre que l’Église était autre chose qu’un épiphénomène limité aux Chin Hills ou à leur ethnie. En effet, dans la capitale, se tenait du 2 au 5 février 1956 le Congrès eucharistique national, qui fut l’une des plus grandioses manifestations de ce genre dans tout l’Extrême-Orient depuis la fin de la guerre. C’était une gageure que d’avoir voulu l’organiser en plein pays bouddhiste, et ce fut une réussite que d’y avoir associé les plus hautes autorités de l’État. Pour les chrétien qui y assistèrent, ce fut un émerveillement, le sentiment qu’ils appartenaient, sans le savoir, à une structure reconnue dans le monde, et cela les remplissait à la fois de fierté personnelle et de révérence vis-à-vis de la religion ; pour les missionnaires qui y participèrent, ce fut une source de consolations et d’encouragements, un ressourcement de leur persévérance, une confirmation de ce que leurs peines n’étaient pas à jamais perdues. Plus qu’en aucun temps ragaillardi par ce qu’il venait de vivre, c’est avec un zèle décuplé que le P. Muffat regagna son ermitage, pour y accueillir les religieuses et veiller à ce que leur cloître, à l’instar des anciens moutiers d’Occident, soit pour ses Chins un foyer rayonnant de vie chrétienne.
Au bout de plus de dix années de Birmanie, le voilà qui part pour son premier congé en France, où il arrive le 18 mai 1957 ; il en repart le 4 novembre, et reprend dès son retour la direction des Chin Hills et de Lumbang, qui comptent près d’un millier de catholiques et quelque 500 catéchumènes dispersés en quatorze villages. C’est dire le développement qu’a pris cette station en quelques années. Plus d’une fois, l’église a dû en être agrandie, car intense est l’esprit pastoral qui y souffle : c’est vraiment devenu une communauté compacte, un grand nombre de fidèles se trouvant sur place, ou dans des hameaux relativement proches et pas trop difficiles d’accès. Elle a maintenant son école et son dispensaire, dirigés par les religieuses ; elle a également, au collège de Penang, en Malaisie, son grand séminariste qui sera, avec la grâce de Dieu, le premier prêtre chin ; elle a encore ses deux petits séminaristes qui étudient à Maymyo, tout comme sa future religieuse, actuellement postulante à Mandalay. Le curé en est au moins à son troisième presbytère ; le premier est devenu dispensaire, le second classe de catéchisme, le dernier comprend un foyer où se réunissent les catéchistes et une grande salle d’accueil pour les quidams ou les confrères de passage. Et Mgr Falière de commenter : « Lumbang n’est peut-être pas la “perle de l’Asie”; elle est assurément celle des montagnes chins ! » Et vraiment, c’est un plaisir de voir comment ces nouveaux chrétiens prennent tous part aux cérémonies en priant et chantant ensemble, car les Chins aiment beaucoup les relever de leurs mélodies, et ceux de Lumbang ont une certaine réputation de bons chanteurs. Le cœur du P. Muffat psalmodie aussi les merveilles du Seigneur, qui a solidement implanté le christianisme chez eux, alors qu’ils l’ignoraient totalement il n’y a pas vingt ans !
En 1958, éprouvé par la fatigue de trente années d’épiscopat, Mgr Falière était allé à Rome exposer les raisons qui l’obligeaient à donner sa démission, et sa démarche avait été entérinée; en fin d’année, on lui nommait un successeur. La nouvelle arriva à l’archevêché au début de janvier 1959, deux jours avant la retraite annuelle ; aussitôt Mgr Falière transmit la charge de son archidiocèse à l’élu de Rome, qui était aussi le sien : le proche collaborateur qu’il s’était donné depuis de longues années, Mgr Jean-Joseph U Win, évêque auxiliaire depuis cinq ans. Ce seul fait laissait prévoir que la transition se ferait sans difficulté. Et en effet, l’apostolat dans la mission ne change pas de cap, le nouvel évêque n’ayant d’autre ambition que de continuer l’œuvre de son prédécesseur, qui se retire pour sa part dans la paroisse de Chauk, dont il avait été le curé avant d’être appelé à l’épiscopat. Un léger regret pour Mgr Falière pourtant : c’est le dimanche 31 janvier que devait avoir lieu l’ordination du premier prêtre chin, le P. Flavien, rentré de Penang et classé brillant sujet, originaire de la paroisse de Lumbang ; le vieil évêque aurait aimé, sinon procéder lui-même à cette cérémonie, au moins y participer, et le nouveau était tout prêt à le laisser mettre à son apostolat cette touche finale, qui aurait été comme une apothéose. Ce ne fut pas possible, car son état de santé ne lui permit pas de faire ce voyage pénible vers le village du P. Muffat, où la célébration avait lieu. Ainsi donc son successeur se mit en route dès le vendredi, et dans la soirée arrivait à Lumbang, accueilli par toute la population en liesse. Ce n’était qu’un prélude : le jour de la fête, un concours énorme de peuple, venu de tous les coins de la montagne, conduit par les douze prêtres et les catéchistes de la région, affluait à Lumbang et investissait l’église, trop petite pour contenir une foule pareille qui, par ailleurs, fit montre d’une piété parfaite et d’un recueillement exemplaire. On releva la présence de païens attirés par la curiosité, et même celle, inattendue, de protestants : tous furent édifiés. Inutile de décrire l’état du curé du lieu ; partagé entre le souci que tout aille bien et que rien ne manque, et ses transports refrénés de gratitude extasiée, il vécut là certes un des moments les plus poignants de son existence.
Les jours reprennent le calme de la quotidienne routine, et le P. Muffat son ardeur sereine. La nouvelle situation du diocèse ne le trouble en tout cas pas le moins du monde : il poursuit sur sa lancée de bâtisseur et de convertisseur, double son école primaire, tout en rencontrant parfois telle chagrinante réalité qui, à tout prendre, loin de diminuer son dynamisme, est une occasion de le faire rebondir. Ainsi en est-il de la disette de l’année 1960, responsable d’un appauvrissement général des gens de la région. Les récoltes de l’an dernier ont été en partie détruites par de fortes pluies, et cette année, comme il a plu trop peu pour permettre la germination, il s’ensuit une pénurie telle que les montagnards sont acculés à manger des racines et à se rabattre sur les rats. Une véritable calamité, cause de bien des tracas pour les pasteurs alpestres empêchés, en raison de l’insuffisance des communications, de ravitailler leurs villages. Le P. Muffat doit notamment alimenter les 52 filles et les 61 gars des écoles, habitant trop loin du centre pour pouvoir rentrer à la maison, et qui sont, à titre de pensionnaires, les hôtes respectifs des sœurs et du curé. Celui-ci s’en tire tant bien que mal, on tire le diable par la queue, les religieuses font des prouesses, et l’on s’en sort finalement en réussissant plus ou moins bien à faire la soudure. C’est le lieu ici de dire non seulement les secours reçus des sœurs en ces circonstances, mais aussi de signifier l’aide précieuse qu’elles fournissent en tout temps à la mission : non seulement elles ont là, pour les filles, une école et un pensionnat, mais elles prennent charge de la sacristie et surtout de la cuisine – plus que maigre – du Père. Soit dit par parenthèse, il est assez curieux qu’il soit le seul prêtre de la région à s’occuper d’un pensionnat de garçons, mais n’y touchez pas !, c’est la prunelle de ses yeux ! N’est-ce pas la source des vocations futures ? Encore une fois, cette année 1961 est marquée dès son début par une visite, celle du P. Joseph Alazard, assistant du supérieur général, qui renouvelle l’exploit du P. Prouvost et commence sa tournée par les Chin Hills. À Lumbang, il s’éprend du site irénique de la résidence – un bien grand mot ! – accrochée à la montagne pour dominer le village gracieusement étendu en éventail en dessous du chemin ; et il est ravi par tout ce que lui fait voir le P. Muffat, qui cependant n’a fait que montrer sa paroisse telle qu’elle était. Car, malgré le terrible handicap d’un dénuement à peine surmonté, les statistiques ont progressé, au point que le district a pu être amputé de quatre villages situés en contrebas de la montagne, et qui ont été confiés à un prêtre autochtone. Après ce transfert, le P. Muffat dispose encore d’un troupeau de 1.330 baptisés. Ce chiffre va s’arrondir l’année suivante à 1.400, tandis que les catéchumènes se stabilisent autour des 500 : encore bien peu de chose si l’on considère que la population totale de son domaine s’élève à 13.000 Chins, répartis en une trentaine de villages, dont la moitié seulement possède un petit noyau de catholiques.
C’est en cette année 1962 que la situation politique, qui n’était déjà pas tellement florissante, s’aggrave : l’armée prend le pouvoir, et l’existence en ce pays n’en est pas facilitée, au contraire. On assiste à un enfermement général sur soi-même, la liberté individuelle est bafouée outrageusement, et le régime, qui n’était pas spécialement porté à la badinerie, se durcit plus encore et devient policier. Par exemple, il faut désormais un sauf-conduit pour tout déplacement : cela n’a l’air de rien, mais pour peu que l’on ait affaire à des fonctionnaires soupçonneux, et voilà perturbée toute une organisation, aussi anodine soit-elle. En mai 1964, le gouvernement annonce tout à coup l’échange des billets de banque de cent et de cinquante kyats : mesure qui affecte toutes les familles puisque leur maigre bas de laine, ou peu s’en faut, y passe ; ce qui est pire, c’est qu’on ignore quand, et combien sera rendu : en fait, 60 % des valeurs papiers seront confisqués, et tout le monde y laissera des plumes. En attendant, le P. Muffat ne sait sur quel pied danser : il a charge d’âmes et tente, par de savants subterfuges, de garder ouvertes écoles et pensions. Mais les nationalisations ont commencé et, au printemps 1965, survient le décret qui leur soumet toutes les institutions scolaires privées. Les plus petites y échappent, surtout en montagne, mais ce n’est que partie remise et, un an plus tard, c’est chose faite, et sans compensation aucune. Les Chins protestent contre cette injustice, mais ne peuvent l’empêcher. C’est un coup bas qui est ressenti profondément par le Père, pour qui elles sont par excellence le moyen grâce auquel se cultivent les promesses de vie religieuse et sacerdotale. Mais son tempérament volontaire et optimiste l’empêche de désespérer ; c’est là un incident, comme il en a vu tant d’autres. Vers la fin de l’année, il écrit : « Le royaume de Dieu avance malgré tout. J’espère pouvoir descendre pour la retraite avec le P. Lespade, nous attendons notre permis... Comme nous sommes devenus inamovibles, cela complique bien des choses ; les malades n’ont plus qu’à mourir sur place. »
Mais les années courent plus vite que les hommes et, en 1966, on assiste encore à un changement à la tête du diocèse : sa santé laissant beaucoup à désirer, Mgr U Win s’efface, pour laisser la place à son successeur, jusque-là curé de la cathédrale, Mgr Aloysius Moses U Ba Khin ; mais, pas plus qu’il y a sept ans, cette modification ne vient perturber le travail missionnaire. Au contraire, en accord avec le P. Muffat, ses confrères et voisins Auguste Lespade, Claude Roy et André Bareigts avaient décidé de s’entraider pour donner à leurs catéchistes un enseignement plus poussé. Des sessions de trois semaines avaient été prévues en principe, les Pères se relayant pour assurer les conférences. La première de ces sessions communes eut lieu en octobre et fut un succès, d’autant plus que, malgré le mauvais état des routes, Mgr U Ba Khin vint en personne la présider. Cette tentative de travail en équipe, qui s’annonçait si fructueuse, fut en fait la dernière de son espèce, étant donné les événements.
Car la situation du pays donne de plus en plus d’inquiétude. En effet, le « conseil révolutionnaire » du général Ne Win, qui tient lieu de gouvernement, ne parvient pas à trouver un chemin de paix entre les organismes clandestins, qui veulent soit lui ravir le pouvoir, tels les différents partis communistes, soit désintégrer l’Union, tels les groupes rebelles de plusieurs ethnies. Par contre, en nationalisant à outrance, il a ouvert la « voie birmane vers le socialisme », et ses tendances dictatoriales gauchistes ne laissent pas en repos les responsables religieux. Le couperet tombe finalement en 1966 : les plus récemment arrivés parmi les missionnaires, autrement dit les plus jeunes, ceux qui sont venus après l’indépendance, doivent quitter le pays les uns après les autres. On ne les met pas à la porte, tout simplement, on leur refuse le renouvellement de leur visa lorsqu’il vient à expiration. Une certaine angoisse règne chez ceux que n’atteint pas cette mesure, et qui craignent d’être expulsés à leur tour sans autre forme de procès. Il n’en est rien, heureusement ; au diocèse de Mandalay, ils sont cependant sept à partir pour neuf qui restent, et si le P. Muffat est du nombre de ceux-ci dans son secteur des Chins du centre, il y est désormais privé de la collaboration de ses trois collègues ; un de leurs postes a été repris par un prêtre birman, tandis que les deux autres ont été confiés au P. Flavien, le premier prêtre chin, originaire de Lumbang, et sur la vocation duquel a veillé le curé du lieu. Celui-ci, bien qu’il ait eu à regretter que plusieur
Références
[3679] MUFFAT François (1915-1992)
Références biographiques
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