Victor POISNEL1855 - 1925
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 1499
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Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Corée
- Région missionnaire :
- 1881 - 1925
Biographie
[1499] POISNEL Victor, Louis, est né à St Hilaire-du-Harcouët, au diocèse de Coutances (Manche) le 13 juillet 1855, fils de Victor-Honoré Poisnel et de Victoire Auvray.
Après ses études secondaires au Petit Séminaire de l'Abbaye Blanche à Mortain, il hésite sur la voie qu'il va suivre et prend du travail chez un pharmacien, puis au bout d'un an demande à être admis au Grand Séminaire de son diocèse. Au cours de ses études, il exprime son souhait de partir pour les missions, mais l'autorisation lui est refusée. Ordonné prêtre à Coutances le 29 juin 1879 après avoir été professeur dans un collège de son diocèse dès son diaconat, il est finalement autorisé à quitter le diocèse pour se faire missionnaire. Il commence par frapper à la porte des Spiritains (où se trouve un ancien condisciple du Petit Séminaire, un certain Le Roy, qui deviendra Supérieur Général de la Congrégation du Saint Esprit, et avec qui Victor Poisnel restera en correspondance toute sa vie), mais n'y reste pas longtemps. Il demande alors à entrer aux Missions Étrangères de Paris, où il est admis, non sans difficulté ni sans une puissante intervention, et il entre au Séminaire de la rue du Bac le 17 août 1880.
Un an plus tard, il est destiné à la mission de Corée et part de Paris le 3 août 1881. À son arrivée à Nagasaki, il trouve Mgr. Ridel, son vicaire apostolique, qui, expulsé de Corée en 1878, s'y occupe de travaux d'imprimerie pour la mission de Corée. Malade, Mgr. Ridel garde auprès de lui le jeune Père Poisnel pour le soigner; quand le mal s'aggrave et qu'il se décide à partir en France, Mgr. Ridel prend avec lui son infirmier", du moins jusqu'à Singapour. Là, il se laisse tout de même persuader d'accepter l'aide d'un autre confrère qui rentre également en France, et le Père Poisnel peut reprendre le chemin de la Corée qui, cette fois encore, passe par le Japon. Il y trouve le Père Deguette qui, entré en Corée en 1876, y avait été emprisonné en mai 1879, en avait été expulsé au mois de septembre suivant et était également venu à Nagasaki s'occuper de travaux d'imprimerie pour la mission de Corée. C'est le Père Deguette qui servira de "pilote" au Père Poisnel pour entrer en Corée. Arrivés devant le port d'Inchon, ils descendent dans de petites barques, mais se gardent bien d'aller à quai. Ils se font déposer en un lieu écarté et gagnent la terre ferme le 15 avril 1883, après avoir dû patauger dans une large étendue de vase, à l'heure de la marée basse.
Le Père Poisnel passe quelques mois à Séoul, puis Mgr. Blanc, coadjuteur du vicaire apostolique de Corée depuis juillet 1882, mais vicaire apostolique "de facto", le charge des chrétiens des provinces du Nord-ouest du pays, le Hoang-hai et le Pyong-an. Le Père Poisnel réside en principe dans la province du Hoang-hai, dans l'arrondissement de Su-an, canton de Tai-o, au village de Sa-chang, que d'autres appellent Tok-kol ou Tot-kol; mais en réalité il passe le plus clair de son temps à se rendre de chrétienté en chrétienté, portant le costume de deuil pour cacher son identité, faisant de longues marches à pied par des chemins qui ne sont convenables que quand ils sont bien gelés.
Mais le Père Poisnel ne reste pas longtemps dans cette région : en 1885, Mgr. Blanc l'appelle à Séoul pour devenir procureur de la mission, à la suite du Père Mutel qui a été rappelé au Séminaire de Paris. Comme la situation de la mission est encore bien précaire, il change de résidence à plusieurs reprises, puis en 1887 s'établit sur le terrain qu'il vient d'acquérir et qu'il agrandira peu à peu, profitant de toutes les occasions qui se présentent pour acheter des lopins de terre ou des maisons. C'est sur ce terrain, qui avec le temps prendra une valeur inestimable, que seront bâtis l'évêché de Séoul, la cathédrale, le couvent des religieuses de St Paul de Chartres, etc. Mais, pour commencer, le Père Poisnel fait construire une petite maison qui sert à la fois d'évêché et de procure, et, l'année suivante, une maison qui sert d'église paroissiale pour toute la ville de Séoul et dont le Père Doucet a la charge. Ceci se passe en 1888.
En 1892, le Père Doucet reçoit la charge d'une autre paroisse, la seconde de Séoul, située "hors-les-murs" de la ville, dans le quartier de Yak-hyon. En même temps, le Père Poisnel, toujours chargé de la procure, devient responsable de la paroisse "intra-muros" de Séoul, ou paroisse de la Cathédrale. Les travaux de construction de la cathédrale viennent justement de commencer sous la direction du Père Coste, avec le concours d'ouvriers chinois. Mais il faut interrompre les travaux durant les mois trop froids de l'hiver et, en 1894, en raison des troubles qui sévissent dans tout le pays. De plus, le Père Coste meurt le 28 février 1896. Du coup, le Père Poisnel abandonne complètement la charge de la procure qu'il laisse au Père Devise d'abord, au Père Villemot ensuite, pour s'occuper uniquement de la paroisse et de la construction de la cathédrale. Les travaux seront terminés en 1898 seulement et l'église consacrée le 29 mai de cette année.
En avril 1901, pendant la retraite annuelle des missionnaires, des troubles éclatent dans la grande île de Ché-ju, au sud-ouest du pays : la populace se révolte contre les exactions des autorités locales, notamment contre les agents des impôts. Or il se trouve que ceux-ci emploient un certain nombre de chrétiens ou de gens qui affirment leur intention de devenir chrétiens. La colère des foules se retourne peu à peu contre les chrétiens, puis contre l'Église en tant que telle et contre les deux missionnaires de l'île, le Père Lacrouts, qui y est depuis un an, et le Père Mousset, qui vient juste d'arriver. En 1901, l'île de Ché-ju comptait 242 chrétiens baptisés et 700 "catéchumènes", dont certains n'étaient vraisemblablement pas très sincères. Vers le 10 mai, à leur retour de la retraite annuelle, les missionnaires envoient des hommes de confiance sur le continent pour prévenir le vicaire apostolique par télégramme de la gravité de la situation et pour demander des secours, mais une forte tempête retarde de plusieurs jours leur arrivée sur le continent et l'expédition du télégramme. Après avoir mené divers combats dans le sud de l'île, les "rebelles" finissent par s'emparer de la ville principale, qui s'appelle aussi Ché-ju et qui est située au nord de l'île, où, entre le 15 et le 28 mai, ils massacrent de 6 à 7 centaines de chrétiens et de catéchumènes et saccagent la maison qui sert d'église. Les secours demandés arrivent d'abord sous la forme de deux ou trois bateaux de la Marine française, sur l'un desquels se trouve le Père Poisnel. Le 31 mai, celui-ci rencontre le Père Lacrouts sur l'un de ces bateaux, écoute sa relation des événements et lui reproche de n'avoir pas bien su guider les chrétiens et les faire aimer de la population. Le lendemain, escorté d'une cinquantaine de marins français, le Père Poisnel fait une tournée d'inspection des murailles de la ville et rencontre le gouverneur de l'île à qui il reproche de n'avoir pas su contenir la rébellion et d'avoir laissé celle-ci dégénérer en massacre. Ces bateaux français et le Père Poisnel repartent le 2 juin. Entre-temps, les secours demandés sont arrivés le 1er juin ou le 2 juin sous la forme de soldats envoyés par le gouvernement coréen pour restaurer l'ordre dans l'île. Ces soldats arrêtent rapidement les meneurs de la rébellion et ces meneurs sont jugés à Séoul en octobre et condamnés à diverses peines, tandis que l'Église recevra quelques compensations, en vertu du traité franco-coréen de 1886 et de l'accord passé en mars 1899 entre Mgr. Mutel, vicaire apostolique de Corée, et le ministère coréen de l'Intérieur et des Provinces.
Le temps passe. En fin avril 1917, le Père Poisnel, qui est curé de la cathédrale de Séoul depuis 1892, devient provicaire de la mission. En cela, il succède au Père Doucet, qui vient de décéder, et qui, autrefois, avait été son prédécesseur à la cathédrale.
Le Père Poisnel aime beaucoup "son" église, dont les travaux de construction ont été terminés sous sa direction en 1898, mais où bien des travaux de finition n'ont pas été accomplis. C'est ainsi qu'il dote le choeur de stalles, qu'il fait installer une chaire qui, dit-on, est une réplique de celle de l'église de sa bourgade natale, qu'il dote l'église d'un tableau représentant les 79 martyrs de Corée qui ont été béatifiés en 1925, qu'il fait décorer le mur derrière le maître-autel de peintures représentant les apôtres... Zélé pour la maison de Dieu, il l'est aussi pour le temple spirituel des âmes et se montre en toutes choses un exemple pour ses paroissiens. Le Père Poisnel a beau prendre de l'âge, il se soucie de la jeunesse, qui pourtant le déconcerte parfois, et continue d'agrandir et d'améliorer les installations des écoles de garçons et de filles de la paroisse; et il reste jeune de caractère, aimant les réunions joyeuses et émaillant la conversation de mots spirituels pleins de naturel et d'à-propos.
Au courant du printemps de 1925, le Père Poisnel tombe sérieusement malade, mais surmonte son épreuve. Le 2 octobre de cette année, il célèbre la messe pour la dernière fois, car son état a empiré depuis le début de l'automne, et il va maintenant subir diverses crises de plus en plus graves. Le 24 octobre, il reçoit les "derniers" sacrements, qui ne furent pas tout à fait les "derniers", car ils lui furent renouvelés, quelque amélioration importante s'étant produite entre-temps. À partir du 8 décembre, il ne reconnaît plus personne et répond à côté des questions qui lui sont posées. Le 20 décembre au soir, il tombe dans le coma pour s'éteindre tranquillement le 26 décembre à 7 heures du matin. Ses restes sont inhumés au cimetière de la mission de Séoul le 29 décembre 1925.
Nécrologie
M. POISNEL
PROVICAIRE DE SÉOUL (CORÉE)
M. POISNEL (Victor-Louis) né à Saint-Hilaire-du-Harcouet (Coutances, Manche) le 13 juillet 1855. Prêtre le 29 juin 1879. Entré au Séminaire des Missions-Étrangères le 18 août 1880. Parti pour la Corée (Séoul) le 3 août 1881. Mort à Séoul le 26 décembre 1925.
Victor Poisnel était Normand de naissance et du Normand il possédait les qualités de terroir. Il pensa toujours qu’on pouvait ne pas vouloir être dupe sans cesser d’être bon.
Il fit ses études au séminaire de l’Abbaye Blanche à Mortain. Son cours y est, paraît-il, resté quelque peu légendaire et le souvenir s’en perpétuerait encore. Parmi ses condisciples, citons le P. Mette, mort missionnaire de Pondichéry et Mgr Le Roy, Supérieur jusqu’à ces derniers temps de la Congrégation du Saint-Esprit. Avec ce vénéré prélat, notre confrère était resté en correspondance : Durant sa dernière maladie, il reçut de lui une lettre lui annonçant qu’il venait de recevoir l’Extrême-Onction et lui donnait rendez-vous au ciel. A ce rendez-vous, M. Poisnel devait partir le premier.
Ses études terminées au petit Séminaire, le jeune Victor hésita quelque temps pour trouver sa voie. Malgré les exhortations d’une très pieuse mère, il ne se décida pas à entrer au grand Séminaire et prit du service chez un pharmacien. Jamais on ne l’entendit parler de cette période de sa vie. Peut-être voulait-il modestement cacher la vraie cause de ces hésitations : la haute idée qu’il se faisait de l’état ecclésiastique et la crainte de s’y engager à la légère. Quoi qu’il en soit, après un an il dit adieu à ses bocaux et demanda son admission au grand Séminaire. Aucun détail ne nous est connu de ces années de séminaire ; jamais personne ne parla moins de soi. Nous savons seulement qu’avant la fin de ses cours il avait demandé à partir pour les Missions ; l’autorisation lui ayant été refusée, il n’aurait pas voulu recevoir la prêtrise ; il fut nommé professeur au collège ecclésiastique de Saint-Joseph de Villedieu, n’étant encore que diacre. Il reçut la prêtrise ensuite et en même temps sans doute l’autorisation de quitter le diocèse.
Il voulait être missionnaire. Il alla frapper à la porte qu’avait déjà franchie son condisciple, le futur archevêque de Carie, Mgr Le Roy. Il n’y resta que peu de temps et s’adressa au Séminaire des Missions-Étrangères. Ce ne fut pas sans difficulté ni sans une puissante intervention qu’il fut admis. Enfin, après tant de tâtonnements, de barrières, de bifurcations, M. Poisnel avait trouvé la voie unique qu’il voulait suivre, la voie des Missions.
Elle lui parut pleine d’attraits cette voie, quand il reçut sa destination pour la Corée (août 1881). A cette époque, la Mission de Corée était une des plus enviées parmi les aspirants du Séminaire : Le missionnaire devait s’y cacher encore et n’y voyager qu’avec mille précautions ; on y manquait de tout confort ; la besogne était immense et enfin — et surtout — peut-être y restait-il encore quelque chance d’y recevoir le « léger coup de sabre » qui avait fait le bonheur de tant d’autres, il y avait quinze ans à peine. Sans être exubérant l’enthousiasme du jeune partant ne devait pas manquer de s’allumer à ces considérations communes. Et faut-il s’en étonner ? L’enthousiasme n’est-il pas un don de Dieu pour faciliter les tâches héroïques ? La mère de M. Poisnel écrivait quelques années plus tard : « J’avais bien de la peine quand, ses études finies, Victor refusa d’entrer au grand séminaire ; puis il y entra et je fus heureuse ; maintenant le voilà missionnaire, je suis heureuse quand même. »
Son arrivée en Corée devait subir des contretemps et des retards comme son entrée au séminaire. A la veille de réaliser son désir opiniâtre d’être missionnaire, il se vit réduit pour un temps indéfini au simple rôle de garde-malade. En ce temps, Mgr Ridel, Vicaire Apos-tolique de Corée, après avoir été délivré de prison et renvoyé en Chine, avait établi sa résidence à Nagasaki, d’où il dirigeait de son mieux sa Mission, en attendant de pouvoir y rentrer. Mais les souffrances endurées dans les prisons de Séoul avaient ébranlé sa santé, et quand M. Poisnel arriva, au lieu de lui faire traverser le détroit, il le garda près de lui pour lui servir de compagnon et d’infirmier. Cela devait durer plus d’un an, et le mal s’aggravant, Monseigneur dut repartir pour France, emmenant avec lui son jeune missionnaire n’ayant de sa Corée qu’aperçu les rivages. Habitué à ses soins, l’auguste malade aurait bien voulu l’avoir près de lui jusqu’au terme du voyage ; mais à Singapore, on réussit à lui faire accepter les services d’un autre missionnaire rentrant également en France et M. Poisnel reprit le che¬min de sa Mission.
Pour pénétrer en Corée, notre missionnaire fut conduit par M. Deguette, un vétéran déjà, presque un confesseur de la foi. Il avait été arrêté comme Mgr Ridel, mis en prison et enfin jeté hors du pays. M. Poisnel a raconté souvent avec quelle prudence ils se décidèrent à descendre à terre. Le bateau n’allant pas à quai, des barques étaient venues à la rencontre des voyageurs, mais M. Deguette se garda bien de prendre la voie ordinaire pour atterrir ; à marée basse, ils se firent déposer en un lieu écarté et de là gagnèrent la côte après bien des efforts, en traversant une longue étendue de vase dans ce bourbier de Chemoulpo.
Après quelque temps de repos à Séoul, M. Poisnel fut envoyé à la bataille. Il visita pendant environ deux années les chrétientés du Nord, Hpyenganto et Hoanghai. Il accepta avec sa simplicité ordinaire les privations et les souffrances qu’exigeait alors plus qu’aujourd’hui la vie de missionnaire en province : coucher sur la dure, se nourrir de riz cuit à l’eau avec toute la théorie de condiments hétéroclites, faire de longues marches à pied par des chemins inimaginables, s’habituer à des usages si différents des siens, ne côtoyer que des gens indifférents quand ils n’étaient pas hostiles, tel était le lot abrégé des sacrifices quotidiens, et le missionnaire trouvait cela tout naturel ; jamais ne lui vint l’idée de se prendre pour un héros. C’est même de ces temps si durs que les anciens gardent le meilleur souvenir : les conditions de vie répondaient mieux sans doute à leur besoin d’abnégation.
Notre confrère dut quitter bientôt ce genre de vie errante. En 1885, M. Mutel, procureur de la Mission, ayant été rappelé en France comme Directeur du Séminaire, Mgr Blanc désigna M. Poisnel, pour le remplacer. Désormais, il ne quittera plus la capitale, mais il changera bien des fois de résidence. La procure se trouvait alors à Toloumoulkol. Le nouveau procureur acheta, dès cette première année, une maison à Saimounan et s’y transporta ; l’année d’après il y recevait M. Coste comme compagnon de travail. L’installation était loin de satisfaire les désirs de M. Poisnel surtout en prévision d’un avenir de jour en jour plus tranquille et plus sûr. Il commença, sitôt qu’il le put, à prendre pied en pleine ville, à Tjyonghyen, à l’endroit même où est actuellement la Mission Catholique, alla y habiter avec M. Coste dès 1887, et là, tout en s’occupant de la procure, il mit ses soins à agrandir le terrain déjà acquis, en achetant par petits lots dès qu’une occasion se présentait. On doit ainsi à son ingéniosité et à son esprit de prévoyance, l’acquisition de cette belle propriété si utile à la Mission et sur laquelle bien d’autres ont souvent porté un œil d’envie.
Les choses n’allèrent pas toujours sans de graves difficultés ; et sans le savoir-faire et la ténacité de notre confrère, disons le mot, sans sa finesse de Normand, la cathédrale de Séoul, par exemple, ne serait pas sur son emplacement actuel : La veine du dragon passait par là, objectait-on, et creuser en un pareil endroit, c’était la ruine de la capitale tout entière. M. Poisnel tint bon, obtint l’appui du Ministre de Russie et en définitive il resta possesseur légitime du terrain ; la cathédrale surgit de terre et le dragon se tint tranquille.
En même temps que la procure, une paroisse avait été inaugurée à Tjyonghyen, dont M. Doucet avait la charge. En 1892, ce Père fut envoyé à Yakhyen, hors les murs de la ville, et depuis ce moment, M. Poisnel joignit aux soucis de la procure le soin des chrétiens de l’intérieur. Enfin, en 1896, il laissa complètement la procure pour ne s’occuper que de la paroisse.
Ce ne fut pas une sinécure ; la cathédrale était en construction et M. Coste qui en avait été l’architecte venait de mourir ; personne ne possédait les talents nécessaires pour le remplacer. M. Poisnel, sans hésiter, se mit avec entrain à l’étude et il acquit dans l’art de la construction des connaissances plus qu’ordinaires. Pendant trente ans il sera l’architecte nécessaire et entendu de toutes les églises et autres constructions de la Mission. Pour le moment, il prit la succession de M. Coste, fit même, dit-on, quelques modifications au plan primitif et mena si bien l’œuvre à bonne fin qu’elle est aujourd’hui admirée de la plupart des connaisseurs.
Comme il l’aimait son église ! Jusqu’à la fin, autant que le lui permettaient ses ressources, il ne manqua pas une occasion de parfaire son embellissement : les stalles du chœur, la chaire, l’orgue furent établis tour à tour et il avait encore d’autres projets.
Avant de quitter l’architecte il faut noter la grande bienveillance avec laquelle il s’empressa toujours de rendre service aux confrères qui sollicitaient ses lumières. Il le faisait avec une bonhomie si joviale et si familière qu’il excitait parfois la verve un peu taquine de ses meilleurs amis. Père Poisnel, lui dit un jour un jeune confrère quelque peu... gascon. Je venais vous demander si vous n’auriez pas l’obligeance de me faire un plan. — Ah ! Et qu’est-ce que vous voulez cons¬truire ? Une église ? un presbytère ? — Ah ! je veux surtout que ce soit solide. — Sans doute. — Et tout rond. — Tout rond ! mais qu’est-ce que vous bâtissez donc ? — Un puits... » Et le bon Père riait alors de si bon cœur !
Zélé pour la maison de Dieu, M. Poisnel ne l’était pas moins pour le temple spirituel des âmes. Fidèle lui-même à tous ses devoirs, il était un exemple pour ses chrétiens ; sa constance et sa fermeté étaient connues et quelquefois lui étaient retournées en surnom. Certes ses directions étaient fermes et tous savaient inutile tout espoir de le faire changer d’avis quand il avait pris une décision ; aussi la paroisse avait pris un air d’exactitude peu familier au pays.
Dans les dernières années, il se plaignait souvent des changements trop rapides de l’esprit et des mœurs, et peut-être eût-il quelque peine à les suivre. L’esprit de la jeunesse surtout le déconcertait et faisait l’objet de ses soucis. De bonne heure il s’appliqua à ouvrir des écoles de garçons et de filles, leur construisant des locaux appropriés autant que ses moyens le lui permettaient. Sa dernière œuvre en faveur de son école de garçons fut la construction d’un joli presbytère où il n’est jamais entré. Pendant plusieurs années, il avait cédé progressivement sa maison par parties, au fur et à mesure que l’école se développait, se retirant « sur des positions préparées à l’avance » comme il disait ; mais le nombre des élèves augmentant toujours, il fallait tout céder et ces « fameuses positions » étaient épuisées : d’où le nouveau presbytère qu’il commence étant déjà souffrant et ne put voir terminé.
En 1917, à la mort de M. Doucet, Provicaire de la Mission, Mgr Mutel nomma M. Poisnel à cette charge, à la satisfaction de tous. Le nouveau provicaire avait alors soixante-deux ans, ses cheveux avaient blanchi depuis longtemps et il n’était plus compté parmi les jeunes, aussi il était très amusant de lui entendre dire après sa nomination, avec sa bonne humour ordinaire : « Je vous le dis, c’est le rajeunissement des cadres.
Il garda cette bonne gaîté jusqu’à la fin. C’était un plaisir de voir ce vieillard aimer les réunions joyeuses, même un peu bruyantes parfois : il était resté jeune de caractère et sa conversation était toujours agréable, émaillée de mots spirituels pleins de naturel et d’à-propos.
Sa plume était peut-être plus appréciée encore. Sa correspondance était charmante et tout ce qui nous reste de lui — bien peu hélas ! — en prose ou en vers est exquis, plein d’idées exprimées avec un goût parfait. Tant qu’il y aura des missionnaires en Corée on relira sa cantate à Mgr Mutel au moment de sa réception en Corée après son sacre. Certains passages durent revenir à la mémoire de notre confrère l’an dernier, au moment de la béatification des Martyrs de Corée :
Imbert, Maubant, Chastan, noms de vaillance
Au Ciel inscrits sur le Livre d’Honneur
…………………………………………………
Ah ! puissions-nous suivant leurs nobles traces
Entrer comme eux au banquet du Seigneur,
Au Ciel, un jour, en prenant notre place
De la Corée emporter une fleur.
Ce désir se réalisa pour notre confrère le 26 décembre au matin, après une longue attente. L’état de sa santé, mauvais depuis le prin¬temps, avait empiré dès le début de l’automne. Il avait célébré la sainte messe le 2 octobre pour la dernière fois et à partir de ce jour sa vie n’avait plus été qu’une succession de crises plus graves les unes que les autres. Plusieurs fois on crut la fin imminente et dès le 24 octobre, Mgr le Coadjuteur lui avait administré les derniers sacrements qu’on dut renouveler dans la suite, quelque amélioration importante s’étant produite.
Dès le 8 décembre, le cher malade ne reconnaissait plus ses visiteurs et répondait à côté des questions ; le 20 au soir, il tomba dans le coma pour s’éteindre le 26, après une agonie bien douce pour lui mais pénible pour les témoins.
A la veillée funèbre, les chrétiens ne cessèrent pas de se remplacer, jour et nuit ; les funérailles furent un triomphe. Le cortège se déroula nombreux et en bel ordre, au grand étonnement de la population païenne et malgré un froid très vif ; les enfants eux-mêmes voulurent accompagner leur Père jusqu’au cimetière de la Mission, à Ryongsan. Après les dernières prières, M. Gallois, Consul de France, voulut prononcer quelques mots d’adieu ; nous en détachons cette conclusion :
« Père Poisnel, nous n’en doutons pas, Celui que vous avez aimé par-dessus tout et si bien servi vous a déjà récompensé ; mais par votre vie, par votre œuvre, votre influence personnelle, vous avez aussi bien mérité de la patrie ; et c’est en son nom, comme au nom de tous ses enfants qui, vous ayant connu, vous aimèrent, que je viens vous dire le merci suprême et l’adieu. »
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Références
[1499] POISNEL Victor (1855-1925)
Références bio-bibliographiques
AME 1890 p. 267. 1906 p. 50. 1911 p. 211. 1924 p. 137. 1926-27 p. 53. 54. 79. 1930 p. 60. CR 1881 p. 103. 1884 p. 38. 39. 1885 p. 20. 24. 1886 p. 10. 1887 p. 19. 24. 26. 1888 p. 18. 1889 p. 22. 23. 24. 308. 1890 p. 24. 1892 p. 270. 1893 p. 35. 1894 p. 36. 380. 1895 p. 43. 1896 p. 37. 375. 1897 p. 40. 1899 p. 66. 1900 p. 61. 1902 p. 76. 431. 1905 p. 39. 40. 1911 p. 48. 1912 p. 52. 53. 1915 p. 242. 1920 p. 116. 1921 p. 28. 1922 p. 20. 216. 1924 p. 203. 1925 p. 198. 1926 p. 182. 186. 205. 1938 p. 250. BME 1923 photo p. 463. 1924 photo p. 481. 1925 p. 770. 1926 p. 44. 109. 134. 179. 726. 1931 p. 282. 655. 1937 p. 216. 1939 p. 37. 112. 847. EC1 N° 99. EC2 N° 171/442.