Christian GRISON1929 - 2007
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 4050
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Identité
Naissance
Décès
Charges
Biographie
[4050] GRISON Christian est né le 22 septembre 1929 à Hasparren (Pyrénées-Atlantiques).
Ordonné prêtre le 30 juin 1957, il part le 1er octobre 1957 pour Saigon (Vietnam).
Après avoir étudié le vietnamien à Banam, au Cambodge, il est nommé vicaire à Xom-chieu, près de Saigon (1959). Envoyé à Diom, sur les Hauts-Plateaux, il y fonde un nouveau poste chez les Churu (1960). Il est ensuite affecté à l’école des catéchistes du Cam-ly, à Dalat (1961-1965), puis il est nommé curé de Djiring chez les Kohos (1965-1975).
Blessé en 1975 pendant l’offensive des Viêt-công, il est rapatrié en France. Il travaille alors au service de l'Information rue du Bac (1977-1980).
Affecté au diocèse de Bali, en Indonésie, il prend en charge le poste de Singaraja tout en se perfectionnant en indonésien, dont il a commencé l’étude à Paris. Il est ensuite nommé vicaire à la cathédrale de Denpasar (1983), avant de fonder la nouvelle paroisse d’Amlapura, à l’est de Bali (1984-1999).
Il revient en France en septembre 2000, et il exerce la charge de supérieur de la maison de retraite de Lauris. Il y meurt le 18 août 2007. Il est inhumé au cimetière des MEP de la commune.
Nécrologie
Christian GRISON
1929-2007
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Quelques textes
Reçus ou trouvés après le décès de notre Confrère Christian Grison :
1) De l’évêque de Dalat (Vietnam), après l’annonce de la mort de Christian Grison :
Le 22 août 2007, le P. Jean-Baptiste Etcharren, alors Supérieur des Missions Étrangères de Paris, recevait de l’évêché de Dalat (Vietnam) le message suivant :
"C’est avec grande tristesse que nous avons reçu la nouvelle du décès du Père Christian Grison, une figure rayonnante de charité apostolique et missionnaire parmi les minorités ethniques du diocèse de Dalat. Il a sacrifié sa vie pour aider et protéger ses fidèles à Djiring, là où, blessé et mal soigné, il a dû supporter courageusement les douleurs d’une jambe cassée. Nous gardons un très bon souvenir de ses activités missionnaires du temps de Mgr Simon-Hoa NGUYEN VAN HIEN et de Mgr Barthélemy NGUYEN SON LAM et nous continuons à compter sur son aide, une fois qu’il est appelé dans la Maison du Père. Comme nous sommes en pleine année sainte commémorant le 80ème anniversaire du baptême du premier membre d’une ethnie minoritaire, Marie K’TRUT, par Mgr Jean Cassaigne, alors prêtre-curé de Djiring, le diocèse de Dalat ne manquera pas de réserver à son bienfaiteur les prières d’intercession les plus éloquentes et sincères. Tous les prêtres et fidèles de la région de Djiring sont informés de la nouvelle de son décès et s’unissent d’un même cœur pour demander à Dieu le salut immédiat pour le P. C. Grison".
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2) "Homélie posthume de Christian GRISON – Prêtre des MEP" : peu de mois avant sa mort, le P. Grison chante sa reconnaissance à Dieu.
"Par ces quelques mots, je voudrais exprimer des souvenirs sans doute personnels, mais qui rendent également hommage à tous mes confrères prêtres qui ont vécu les mêmes épreuves, les mêmes joies et les mêmes cheminements spirituels sur les terres de mission où l’Église nous a donné l’occasion de poser quelques pierres dans la construction du Royaume de Dieu, particulièrement au Vietnam et en Indonésie. Je n’en oublie pas pour autant tous les autres confrères œuvrant ou ayant œuvré dans d’autres pays de mission.
a)- Souvenirs d’épreuves
Étant originaire du Sud-ouest de la France, je suis plutôt porté, comme beaucoup de mes compatriotes du coin, à ne pas exprimer publiquement mes sentiments personnels et à rire facilement de toutes situations cocasses ou parfois frisant le ridicule. Aussi ai-je tout de même réagi rapidement le jour où l’un de mes confrères m’a dit : ‘On voit que tu n‘as jamais pleuré de ta vie’ ! Ici, il me faut passer aux aveux. Car j’ai pleuré, et beaucoup pleuré. Pendant neuf mois continus, j’ai donc pleuré non pas sur mes misères, mais sur celles de tous les amis qu’il me fallait abandonner et qui, eux, souffraient plus que moi, blessés dans leurs chair, dans leur cœur, avec le souci d’un avenir plutôt sombre.
J’ai pleuré, bien sûr, toujours au Vietnam, chaque fois que j’apprenais le départ brutal de confrères tombés sur place, fidèles à leur devoir paroissial. Je n’en nomme que quelques-uns sans doute, mais tombés au hasard des balles ou des mines qui leur étaient destinés ou qui ne l’étaient pas : les Pères Théophile Bonnet, Louis Valour, Pierre Poncet, Pierre Rapin …
Quand je pus prendre un nouveau départ, cette fois en Indonésie, il me fallut un jour enterrer le chef du Conseil paroissial de l’église d’Amlapura, décédé d’hémorragie en moins de 24 heures. Comme il était lieutenant de Police et qu’à ses obsèques beaucoup de personnalités de la Police et du Gouvernement se devaient d’assister, chrétiens, musulmans et hindous confondus, je ne pus terminer mon homélie tant je pleurais. Je perdais en effet un ami et une personnalité de grande classe, musulman dans sa jeunesse, mais qui avait trouvé dans la religion catholique l’aide de principes de vie qu’il n’avait pas trouvés ailleurs.
b)- Souvenirs d’occasions de joie
Rien n’étant compartimenté ni étanche dans la vie, je mentionne ici des souvenirs où se trouvent mêlés à la fois des sentiments d’action de grâce et de chagrin. Si, au Vietnam, j’ai tissé des liens d’amitié en milieu bouddhiste et surtout animiste, en Indonésie, ce sont particulièrement des hindous, des bouddhistes et même des musulmans du peuple d’"en bas" avec qui j’ai lié une amitié parfois profonde. Je n’en veux pour preuve que la correspondance que plusieurs d’entre eux m’envoient encore, après plusieurs années.
Ayant opté pour la prise de contact de politesse et surtout d’amitié avec tous mes voisins quels qu’ils soient, comment oublier qu’après avoir prié dans la famille d’un Chinois dont la femme venait de mettre fin à ses jours, le dimanche suivant, toute une file de voitures vint à l’église paroissiale d’Amlapura. Ils venaient me remercier d’avoir compati à leur malheur et me demander d’assister à notre messe. Or ils étaient tous bouddhistes !
Lorsque la situation religieuse s’envenima en Indonésie à partir d’intégrismes alimentés par l’Université El-Azar du Caire, et qu’une menace d’incendie de l’église paroissiale d’Amlapura à Bali, prit forme, conduite par des fanatiques de l’île toute proche de Lombak, ce sont mes voisins hindous qui me prévinrent, me demandant de ne pas m’inquiéter, car c’est eux qui veilleraient et prendraient ma défense. Et je pouvais leur faire confiance ! L’auraient-ils fait si je n’avais pris part, tout au long des 19 ans que j’ai passés à Bali, à leurs peines et à leurs fêtes.
Quand, après 25 ans d’absence, j’ai pu retourner au Vietnam, comment oublier ces deux rencontres tant espérées, celle du jeune qui me sauva la vie en 1975, puis celle du catéchiste qui retourna sa veste pour sauver sa propre vie, mais qui aujourd’hui est revenu à la pratique religieuse : larmes et joies y furent mêlées sans aucune retenue.
c)- Cheminement spirituel
C’est un mot de mon évêque de Bali qui me fit prendre conscience de ce que je devais à une éducation chrétienne reçue en France : "Avez-vous réalisé tout ce dont vous êtes redevable à un passé chrétien alimenté par tant de saints, de théologiens, de philosophes, depuis Saint Augustin jusqu’à Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, tandis que nous, il y a seulement cent ans, nous étions encore des sauvages" ?
Je réalise aujourd’hui tout ce qui a alimenté ma vie spirituelle, particulièrement Saint Augustin, dont j’ai lu deux fois les "Confessions", Saint Jean de la Croix, Élisabeth de la Trinité et bien d’autres encore.
Une surprise de taille, un jour, fut de voir arriver chez moi un diacre de Flores ayant opté depuis longtemps de travailler dans le diocèse de Denpasar, à Bali. "J’aimerais que vous me prêchiez ma retraite d’ordination". Je lui répondis spontanément que je ne me sentais pas qualifié, n’ayant pas de diplôme requis. "Mais justement, c’est pour cela que je vous préfère à d’autres. A un cours magistral sur le sacerdoce, je préfère que vous me disiez comment est née votre vocation de prêtre et de missionnaire. Comment organisez-vous votre travail ? Comment vivez-vous la pauvreté ? On vous voit investir énormément d’argent dans la création d’une paroisse, alors que vous-même, on sait que vous mangez comme tout le monde. Nous savons même que le soir, quand vous êtes seul, vous mangez les restes réchauffés du midi. Comment vivez-vous le célibat consacré ? Comment accueillez-vous les femmes chez vous ? Quels sont vos contacts et la manière d’accueillir l’évêque et les prêtres du diocèse ? …"
Il me laissait un mois pour m’y préparer. J’étayai mes instructions de versets bibliques et d’exemples adéquats de Saints et de Saintes. Cette retraite fut d’une telle intensité, d’une telle ferveur et d’une telle sincérité que je fus conscient que c’était autant lui qui me prêchait ma retraite que moi la sienne. Et du jour où il fut ordonné prêtre, c’est lui que je pris comme confesseur habituel.
Ma plus belle messe ? C’était au Vietnam, le dimanche de Pâques, 30 mars 1975, non pas dans une église, mais à même le sol, à mi-chemin de mon presbytère et de l’église, à l’endroit même où un obus m’avait couché sur le sol. Je me trouvais absolument seul, puisque le jeune qui m’accompagnait était allé demander du secours à deux kilomètres, à la léproserie de Djiring et que tous les gens valides s’étaient enfuis. Ma vie partait goutte à goutte. J’offrais alors au Seigneur la plus belle action de grâce qu’il ne me fut jamais donné de lui présenter.
(Lauris, le 14 mars 2007)
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Christian, Marie, Georges GRISON, Fils de André GRISON et de Julie GUSTE, est né le 22 septembre 1929 à Hasparren, diocèse de Bayonne. La famille comprenait 4 filles et 2 garçons. M. Grison était secrétaire d’entreprise.
Baptisé le lendemain de sa naissance à Hasparren, il fut confirmé le 7 mai 1949, dans sa paroisse.
Entré aux MEP en septembre 1949, il devait faire son service militaire dans la marine, de décembre 1950 à avril 1951.
Le 15 juin 1957, Christian était agrégé définitif à la Société des Missions Etrangères de Paris et ordonné diacre le lendemain. Il fut ordonné prêtre le 30 juin dans sa paroisse natale par Mgr Larrart, archevêque de Kweiyang, en Chine, qui avait été expulsé par les communistes en 1950 et s’était retiré au Pays Basque. La veille de son ordination au diaconat, il avait reçu sa première destination pour Saigon.
Le 1er octobre 1957, il embarquait à destination du Vietnam.
Christian Grison a beaucoup écrit : toute sa vie. Le chroniqueur n’a que l’embarras du choix… En plus de plusieurs fascicules dactylographiés, il était extrêmement fidèle, à chaque Noël, à sa "Lettre aux parents et amis". Ces lettres – en général une feuille recto-verso – nous disent, ou nous laissent deviner, ce qu’à été l’année écoulée. A fil des pages, nous l’entendons nous dire ses joies, ses peines, ses difficultés. Elles nous font, avec beaucoup d’humour aussi, participer à son travail de missionnaire. Merci, Christian, pour tes souvenirs et pour tes vœux de Noël…
Au Vietnam
Postes occupés :
- 1960-61 : DIOM sur les Hauts-Plateaux du Centre-Vietnam.
- 1961-65 : Dalat, École des catéchistes.
- 1965-75 : Djiring
- 1975-76 : Hospitalisé un an et demi pour blessure (éclats d’obus) à la jambe.
Rapatrié à Saigon le 13/08/75 et en France le lendemain.
Les années après la défaite française de 1954 à Dien-Bien-Phu, au Nord-Vietnam, ont vu la division du pays et le départ vers le Sud de centaines de milliers de chrétiens - et aussi de non-chrétiens - originaires des provinces "libérées" par les Vietminh. Sur place, si l’on en croit le rapport annuel écrit pour l’année 1957 par le P. Guy Audigou, alors supérieur régional (il sera tué en 1972 par une grenade jetée dans sa voiture), Mgr Caprio, Régent de la Délégation apostolique pour le Sud-Vietnam, essaie, à la suite de ces transferts de population, de "débrouiller l’écheveau complexe des juridictions" causé par l’arrivée de nombreuses communautés "avec leur clergé, leurs fidèles, leurs séminaires, leurs religieuses". "Les réfugiés, des ruraux pour la plupart, sont courageux, entreprenants, économes … Le Gouvernement (du Sud-Vietnam : ndlr) poursuit une énergique politique de ‘colonisation’ soit des terres deltaïques, soit des hauts-plateaux". Certaines communautés voient leur nombre s’accroître dans des proportions importantes. Ainsi "à Quang-Tri, avant la guerre, une chapelle suffisait pour les 30 chrétiens de la ville ; actuellement, leur nombre a plus que décuplé et une nouvelle église, vaste et aérée, édifiée grâce surtout aux efforts des chrétiens eux-mêmes, vient d’être bâtie". Le compte-rendu pour l’année 1957 mentionne encore, cette fois au sujet de la mission de Kontum, sur les Hauts-Plateaux, "l’afflux massif de nombreux réfugiés vietnamiens, de 30.000 à 50.000, catholiques pour la plupart. Ce nouvel apport a modifié considérablement la physionomie de la Mission".
Le 15 juin 1957, Christian Grison a donc reçu sa destination pour le Vietnam. Il part le 1er octobre de la même année. Comme tout missionnaire, en arrivant, il se met à l’étude de la langue : à Banam, au "sur les bords du Mékong", à l’école des Frères de la Sainte Famille. Son tout premier ministère (1959-60) s’exerce à la paroisse de Xom-Chieu, dans la banlieue de Saigon, où il a été nommé vicaire. Dans son petit fascicule "Et si c’était à refaire ?", il raconte : "Comment oublier ma première homélie ? Au pied de la chaire, une sœur Amante de la Croix éclata de rire dès mon signe de croix. Ce n’était pas très encourageant. M’étais-je trompé d’accent ? Je l’ignore. Ce qui est sûr, c’est que je continuai imperturbablement jusqu’au bout, sans oser porter mon regard sur la perfide sœur en question"…
Le 22 janvier 1961, quatre nouveaux évêques vietnamiens sont ordonnés à la cathédrale de Saigon. L’archidiocèse de Saigon est divisé en quatre. Les prêtres des Missions Étrangères travaillent maintenant dans six diocèses, dont quatre sont dirigés par des évêques vietnamiens. Christian a été affecté au nouveau diocèse de Dalat. Il écrit : "Là allait être pour de longues années mon vrai champ d’apostolat où œuvraient déjà plusieurs confrères MEP ou Rédemptoristes, auprès des oubliés de l’histoire".
Le travail ne manque pas. Il travaille d’abord avec le P. Darricau, à M’lon, où l’on parle "Koho" une langue proche du Cambodgien. Mais, de l’autre côté de la rivière Da-Nhim, on parle "Churu". C’est sur cette rive gauche de la rivière que nombre de membres de l’ethnie "Churu" demandent à entrer dans l’Église. Les prêtres des Missions Étrangères ne suffisent pas à la tâche : "Au bout d’un an et demi, devant l’évidence que le nombre des catéchumènes augmentait et que de longtemps nous ne pourrions avoir de secours en personnel, les postes "Churu" furent proposés aux Lazaristes". Le P. Grison, quant à lui, rejoint son confrère le P. Boutary, directeur du Centre montagnard de Camly à Dalat. Les Pères Kermarec, Delplanque et sont déjà là. Il faut apprendre une nouvelle langue, "bien difficile, mais totalement différente de la langue vietnamienne" !
"En 1963, le président catholique du Sud-Vietnam, Ngo Dinh Diem, fut tué au cours d’un putsch". … "Dès 1965, les forces US d’assistance au régime en place à Saigon atteignirent le nombre de 500.000 hommes, disposant d’un armement ultrasophistiqué. Ainsi se mettaient en place les pions de la phase finale d’une guerre dont on ne voyait pas clairement à l’époque qui en sortirait vainqueur, mais dont on sait aujourd’hui que paradoxalement ce fut la force psychologique, celle des hommes de la brousse pratiquement démunis de tout, qui l’emporta sur la force des armes".
Cette année-là, Christian a été nommé responsable de la paroisse de Djiring, à 80 kms au sud de Dalat. La population locale appartient à la tribu "Koho", localement appelée "Sré". Le nouveau curé écrit : "Djiring était une petite ville située à un croisement de deux routes stratégiques, la route sud-nord de Saigon à Dalat utilisée par l’armée nationale du Sud et la transversale indispensable aux combattants de la nuit pour leur alimentation en sel récolté dans les salines du bord de mer. Je me trouvais ainsi aux premières loges de bien des événements qui survinrent à cette époque". Dans cette situation périlleuse, comment le P. Grison considère-t-il son apostolat ? Il le dit lui-même : "Jusqu’en 1975, date finale de la chute du Sud-Vietnam, mon rôle, comme celui de tous mes confrères responsables de centres missionnaires aux avant-postes du danger, fut toujours de parer au plus pressé, de visiter, d’enseigner, de consoler, de soigner et de prier pour tous ceux qui disparaissaient, fauchés aveuglément".
La vie est pleine d’incidents souvent étonnants, parfois dangereux. Il assiste à la décomposition de l’armée du Sud. Les Vietminh s’installent de plus en plus solidement. Impossible de les arrêter. Djiring est un lieu stratégique. Le Vendredi-Saint, 28 mars 1975, alors que la population fuit en direction de la mer, les chars russes font leur apparition. Le Samedi-Saint, dans la nuit, on tire tout près de la mission. Le jour de Pâques, 30 mars 1975, Christian, sortant de l’abri où il s’est réfugié avec quelques paroissiens qui n’ont pas pu fuir, se trouve dans la ligne de tir : "Le souffle de l’obus me souleva du sol, je me sentis tournoyer et retomber lourdement sur le dos. Sous le choc, je ne souffrais pas encore, mais j’étais incapable de bouger".
La vie du missionnaire vient de changer du tout au tout. A quelques kilomètres de là, se trouve la léproserie fondée plusieurs années plus tôt par l’ancien évêque de Saigon, Mgr Cassaigne. Les Filles de la Charité de Saint Vincent de Paul dirigent l’institution. Elles organisent, au péril de leur vie, l’opération de sauvetage et ramènent Christian chez elles. Celui-ci passera quarante jours chez les Sœurs. De là, il sera transporté à l’Hôpital Grall à Saigon. Finalement, le 13 août 1975 au matin, il arrive à Roissy : "Je fus immédiatement conduit à l’hôpital Foch de Suresnes".
La vie continue, différente. Après les mois d’hôpital, suivra une longue convalescence. Puis Christian passera trois ans au Service de l’Information, aux Missions Étrangères. Finalement, après un an d’étude de la langue indonésienne à l’université Dauphine, il s’envolera pour une nouvelle destination : Bali.
"Ainsi finit mon aventure missionnaire au Vietnam. Au fond, le terme de fin est inexact. Car dix-huit ans de présence en Asie, au nom du Seigneur, ne peuvent tomber dans l’oubli".
Quelque deux mois après son arrivée en France, Le P. Grison recevait du Vietnam une lettre qui avait dû passer par un certain nombre de mains. Elle venait de l’un de ses anciens élèves à Dalat. Elle disait : "Nous voilà séparés, Père, vous et moi votre fils. Vous le savez, mon cœur de croyant est comme le grain de riz qui germe sur la pierre : pas assez d’humus, pas assez de pluie. Tout autour, la mauvaise herbe l’étouffe. Quoi qu’il en soit, jamais je n’abandonnerai les voies du Seigneur, car je sais que Dieu seul peut réaliser ce qui m’est impossible… En vous écrivant cette lettre, je vis dans la terreur, car ‘ils’ sont tout autour de chez moi. Si cette lettre parvient jusqu’à vous, ce sera un signe du ciel nous accordant la paix pour un dernier entretien"…
En Indonésie
- 2ème destination pour : l’Indonésie.
- Départ le : 09/09/1981
- 1981-82 : Curé de Singaraja, à Bali.
- 1983 … : Vicaire à la cathédrale de Denpassar/Bali.
- 1984 … : Premier curé d’un nouveau poste à l’Est de Bali : Amlapura.
Décembre 1993 – Lettre commune. D’Amlapura – Bali – Indonésie.
• Admiration devant la beauté de Bali :
"Pourquoi ne pas décerner à Bali le titre de 9ème merveille du monde ? 13.600 îles dans le sud-est asiatique, éparpillées sur 5000 kms d’est en ouest … Elles sont admirables ces rizières en étages bordant le lit des rivières ou se noyant à la limite des plages … Partout, dans le lointain, se dressent des volcans, éteints ou prétendus tels, surplombant de nombreux lacs … Ce que l’on ne trouve nulle part ailleurs qu’à Bali, dans le monde du tourisme, c’est un peuple que l’on voit vivre au quotidien sa religion ancestrale, l’Hindouisme, et cela dans un contexte de cérémonies uniques, colorées et variées".
• Sur l’Église à Bali.
" … L’aventure missionnaire est inséparable de l’aventure de la foi … l’annonce de l’évangile n’est pas le problème du seul missionnaire que je suis, mais celui d’un peuple en marche. Or l’Église d’Indonésie est un peuple en marche et même en pleine expansion aujourd’hui. Elle n’aurait pas, en 1993, cinq millions de catholiques, 2000 prêtres, 5000 religieuses et des séminaires pleins, si la Parole de Dieu ne trouvait pas un écho favorable dans le cœur des Indonésiens. Je n’en veux pour preuve que le résultat d’une enquête effectuée au printemps 1993 auprès de 600 catéchumènes, reçus à la première étape du baptême à la cathédrale de Tanjung-Karang. Nous aurions pensé trouver parmi les motivations de conversion citées : l’impact d’une prédication, le contact d’un prêtre ou d’un catéchiste ou encore l’attrait d’une lecture chrétienne. Or la raison première avancée par tous sans exception, pour expliquer leur désir de conversion, ils l’expriment à leur manière, avec des mots tout simples, comme étant la découverte d’une amitié vraie : ‘C’est un camarade de classe qui fut le premier à me parler de Jésus’, ‘c’est un ami de chantier qui m’a aidé à sortir d’une impasse’, ‘J’avais un deuil chez moi et c’est une famille chrétienne qui m’a tendu la main’. Amitié, solidarité dans le monde du travail, soutien aux plus démunis : c’est la manière de vivre au quotidien sa foi chrétienne en Indonésie. Et ce sont ces gestes de solidarité qui deviennent motifs de conversion des non-chrétiens à la religion catholique, des musulmans surtout, mais également des bouddhistes et des hindous".
• Un besoin soumis aux supérieurs….
"… J’aimerais bien que vous décidiez un jour ou l’autre de faire la visite officielle des MEP d’Indonésie. J’ai besoin d’une église/lieu de culte et on n’improvise pas le lancement d’un tel projet … surtout lorsqu’on manque de graisse pour les roulements à billes".
Décembre 1994 – Lettre commune. D’Amlapura.
• Sur l’Église à Bali :
Projet de construction. "Après 14 ans de présence à Bali, mon évêque vient de me confier un don allemand qui me permettra de réaliser la première étape d’un plan de structuration de la paroisse d’Amlapura, plan prévu en trois phases.
"La 1ère étape est déjà en voie d’achèvement : il s’agit d’un Centre Pastoral fonctionnel, qui nous évitera la dispersion des forces paroissiales dans des locaux de fortune et en mauvais état.
"La 2ème phase est déjà en gestation, grâce à une aide providentielle venue de France et me permettant de commencer des plans pour le début de la saison sèche à venir, après Pâques 1995. Il s’agit curieusement d’édifier un lieu de culte qui ne soit surtout pas une église. Les conditions de construction d’églises sont si difficiles à remplir aujourd’hui à Bali, qu’il est impossible d’envisager officiellement l’édification d’un lieu de culte. Reste la solution de construire une ‘Maison de rencontre’ pour la formation spirituelle des chrétiens.
"Quant à la 3ème phase, elle s’impose à l’évidence. Nous ne disposons jusqu’ici d’aucune salle polyvalente, préau semi-ouvert, pour accueillir les rencontres avec les parents d’élèves du Jardin d’enfants (plus de 140 enfants), organiser des fêtes d’enfants et doter le Centre d’un lieu où chacun puisse entrer librement pour lire journaux et magazines, se reposer des ardeurs du soleil et éventuellement participer aux jeux d’intérieur. Il serait dommage que nous laissions passer cette occasion de contact avec le monde hindou, qui, par ailleurs, nous fait largement confiance pour la formation de leurs tout-petits".
• La vie de chaque jour… "Le missionnaire en général n’a pas intérêt à trop se faire remarquer, du moins par des conflits avec les autorités. Or j’ai bien dû en passer là, il y a six mois de çà, lorsqu’à un carrefour dangereux situé à 300m de chez moi, j’ai vu débouler sur le capot de ma voiture un malheureux cyclomotoriste, au demeurant directeur de banque. Les policiers, que l’on ne voit jamais là où ils devraient se trouver, n’attendaient que l’accident pour apparaître soudain, s’intéresser de très près aux papiers de voiture, heureusement en règle, des partis en présence. Alors que nous étions d’accord pour régler l’affaire à l’amiable, les policiers ne l’entendirent pas de cette oreille : nos papiers furent saisis. Trois mois plus tard, nous n’étions toujours pas rentrés en possession de nos papiers. Après moult discussions, il nous fut répondu qu’il suffisait pour les récupérer de payer chacun 25.000 roupies (tiers du salaire mensuel de base) de dessous de table, avec précision qu’il n’y aurait pas de reçu. C’est alors que les choses se gâtèrent, car j’exigeai aussitôt de rencontrer le commandant de police. Étonnement (!) du commandant devant une telle malversation chez un de ses subordonnés, par ailleurs lieutenant de Police. L’affaire en reste là, et, papiers récupérés, je redouble désormais d’attention en traversant le carrefour en question".
• L’Église à Bali. "Dans la mouvance des préoccupations postconciliaires, l‘Église de Bali n’est pas la dernière à se remettre en question. Un mini-synode, peut-être pas suffisamment préparé à la base, a néanmoins paré au plus pressé en admettant le principe d’une Commission des Finances, qui faisait cruellement défaut et en se dotant d’un Conseil presbytéral où j’apporterai dorénavant ma voix. La position de notre diocèse est complexe, car il est composé de trois îles aux ethnies bien différentes : l’un à majorité hindoue : Bali ; la seconde à majorité musulmane, Lombok ; et la troisième à forte dominante animiste : Sumbawa. 600 km d’une extrémité du diocèse à l’autre. Cela veut dire des journées de ferry-boat, de voiture, ou bien des frais considérables de voyage par avion, avec des problèmes pastoraux bien spécifiques à chacune de ces îles".
• L’apostolat du curé : "Nos cours de catéchèse et de formation catéchuménale continuent régulièrement. Pour Noël, nous aurons la joie d’accueillir cinq nouveaux baptisés, dont 3 adultes, un venant de l’Islam et deux de l’Hindouisme. C’est surtout le monde de l’hôtellerie qui nous amène de nouveaux chrétiens. Le 1er de l’an, je baptiserai également toute une famille chinoise venant du Confucianisme : un manager d’hôtel, sa femme et ses deux enfants. C’est ainsi que s’étoffe petit à petit notre communauté bien disparate. Heureusement que je suis secondé par des catéchistes bénévoles et compétents".
Décembre 1995 – Lettre commune. La communauté d’Amlapuram
• Le curé dans sa paroisse.
"Si l’impact de l’évangile de vérité n’est pas toujours perceptible, il n’en est pas moins réel... Je n’en veux pour preuve que le souci des chrétiens de venir en aide aux plus pauvres parmi les non-chrétiens. L’action de Carême, sous sa forme la plus concrète de dons en riz, sucre ou café, va intégralement au secours des misères les plus criantes du monde hindou.
"Mais finalement, c’est l’action ‘à chacun sa tuile’ qui aura marqué pour longtemps la paroisse d’Amlapuram et prouvé que vivre de l’Évangile n’est pas un vain mot pour beaucoup de chrétiens. Depuis cinq mois déjà, nous construisons en toute légalité un bâtiment plurifonctionnel, autrement dit, ici à Bali, un lieu de culte. Avec le Conseil paroissial, nous n’avons de cesse que chacun participe effectivement à sa construction, non pas seulement par une participation financière, les paroissiens étant pour la plupart des gens peu aisés, employés de restauration, étudiants ou jeunes en formation hôtelière. Un dimanche sur deux, la messe étant achevée, toute l’assistance est mise à contribution pour le déplacement de briques et moellons jusque sur le chantier. L’opération ‘briques’ étant arrivée à son terme, nous sommes passés à l’étape suivante ‘A chacun sa tuile’ : toutes les professions, tous les âges de la paroisse, à tour de rôle, ont leurs heures de présence sur le chantier, en l’occurrence leurs heures de tuile : enfants du primaire, secondaire, fonctionnaires et commerçants. Les papas et les mamans ont tous des pinceaux qui les attendent. Il s’agit d’‘étanchéiser’ les tuiles en les recouvrant d’une peinture spéciale. Et ça marche ! Chacun est fier d’apporter son concours. Pas besoin de diplôme pour peindre. L’opération ‘à chacun sa tuile’ est un plein succès et est entrain de créer dans la paroisse des liens qui sont le ciment le plus sûr d’une édification spirituelle durable"
• La ‘tuile’ du curé !
Il n’est pas jusqu’au curé de la paroisse qui n’ait eu droit lui aussi à sa tuile, une vraie celle-là ! Me sentant anormalement fatigué, j’ai dû aller voir la faculté. Un examen médical d’hématologie découvrait que je traînais une hépatite à soigner d’urgence. Pas besoin d’hospitalisation, mais un traitement de cheval. Des piqûres tous les deux jours, avec pour conséquence de me retrouver à plat pour 24 heures et dans l’incapacité de travailler à quoi que ce soit. ‘Savoir prendre son temps’, ‘ne pas se presser’, ce pourrait être le principe de sagesse éternelle de l’Asie. J’ai l’impression, depuis quelques temps, de devenir de plus en plus asiatique …"
Décembre 1996 – Lettre commune. Amlapaura.
• Difficultés
"L’Indonésie ressemble étrangement à une de ces marmites modernes, qui, posées sur le feu, se mettent à siffler quand la pression se fait trop forte" : Sukarno (1901-1970), père de l’Indonésie moderne, avait proclamé l'indépendance de son pays en 1945 et en fut le premier président de 1945 à 1968. Au milieu de l’année 1996, son parti, le "Parti Démocratique Indonésien" est déchiré par des querelles internes. Suivront plusieurs mois de désordres.
"Une émeute sanglante s’est déclarée à Jakarta, le 27 juillet 1996, dont le nombre des victimes disparues est toujours tenu secret. … Au mois de novembre 1996, 28 lieux de culte ou collèges chrétiens, catholiques et protestants, sont incendiés, puis couverts de graffiti, dans la sous-préfecture de Situbondo, à Java-Est.
"Tout au cours des années 1995-1996, des incidents dramatiques se sont déroulés selon un scénario presque toujours le même dans les îles chrétiennes de Florès et Timor : profanation de l’Eucharistie après réception de la communion par quelque non chrétien, piétinement de l’hostie en public, entraînant sur le champ une émeute générale où le coupable est lynché et sommairement exécuté … Les chrétiens en effet sont excédés par leur mise à l’écart du jeu politique et l’implantation chez eux d’autres ethnies de religion différente. Ce déplacement de population n’est pas dénué d’intentions politiques.
"Le conflit apparemment insoluble entre le gouvernement central et la partie orientale de l’île de Timor (catholique à 90%) a fait naître une figure charismatique en la personne de Mgr Belo, évêque du Timor oriental". Ce dernier "sera toujours sur la brèche pour apaiser les passions, mais aussi pour défendre les droits des Timorais contre les exactions militaires.
• On garde tout de même espoir.
"Mon naturel me porte néanmoins à constater que tout n’est pas sombre et que, finalement, elle tourne, la planète Indonésie !
"Mes lunettes de presbyte me ramènent naturellement à Amlapura et me font constater qu’il y a des raisons d’espérer et de se réjouir. En déclarant notre église non pas ‘église’, mais ‘salle polyvalente’, nous n’avons eu aucune difficulté à obtenir l’autorisation de sa construction et même une subvention des autorités en place. Le concours de tous les paroissiens (transport de parpaings, peinture d’étanchéité des tuiles) nous permet de disposer d’un magnifique lieu de culte de style balinais, fruit des efforts de chacun. Sur la lancée, nous avons entrepris la destruction de tous les baraquements anciens. Pour la première fois, nous allons disposer d’une salle de rencontre parents-enfants, qui pourra éventuellement être utilisée comme salle de théâtre.
• "Encore une bonne nouvelle : nous avons eu tout dernièrement l’heureuse surprise d’être sollicités par le Département de l’Enseignement pour construire une école primaire.
• "En me relisant, je m’aperçois que j’ai omis de vous parler du saint Protecteur de notre église. Qui choisir pour nous tenir dans le vent et esquiver les méfaits d’une tempête possible ? Je n’avais guère le choix. Un donateur m’imposait soit Sainte Cunégonde, soit Saint François d’Assise. Étonnez-vous que désormais nous soyons devenus des fervents de Saint François".
Décembre 1997 – Lettre commune. Amlapura
• On parle beaucoup de la grande calamité qui affecte certaines îles indonésiennes : "La forêt brûle. L’intérêt de grosses sociétés proches du pouvoir, désireuses d’ouvrir de nouveaux espaces à la culture de l’hévéa et du palmier à huile a détruit pour longtemps l’équilibre écologique de Sumatra, Kalimantan et bien d’autres îles. Aujourd’hui, on meurt de faim en Irian Jaya" (partie indonésienne de la Papouasie : ndlr). Bali fut épargnée. Nous avons échappé au port de masques, aux crises d’asthme et à la paralysie des transports aériens. Néanmoins, Bali a perdu sa clientèle habituelle de touristes qui se désistèrent les uns après les autres. … Pour couronner le tout, vint la crise monétaire". On assiste à l’effondrement de la Bourse. Dans le but d’assainir le système monétaire, le Gouvernement ferme une quinzaine de banques … dans un premier temps ! Les prix s’envolent. "Je n’ai guère été inspiré de commencer la construction d’une école primaire en cette période d’inflation galopante. Mais avais-je le choix ? Il est impératif que nous ayons des locaux appropriés à l’enseignement dès la fin du printemps 1998. Or le fer a augmenté de 120%, le bois de 25% et