Georges MOREAU1918 - 1992
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 4036
Identité
Naissance
Décès
Missions
- Pays :
- Malaisie - Singapour
- Région missionnaire :
- 1957 - 1963 (Malacca)
- 1970 - 1977 (Malacca)
Biographie
[4036] MOREAU Georges Albert est né le 25 août 1918 à Châtillon-sur-Sèvre (aujourd’hui Mauléon), dans le département des Deux-Sèvres.
Ordonné prêtre le 24 juin 1947 dans son diocèse, il entre aux MEP le 16 septembre 1955 et part le 5 juin 1957 pour la mission de Malacca (Malaisie).
Il étudie d’abord le tamoul à Attur (Inde), puis il est nommé vicaire à la paroisse indienne de Kuala Lumpur (1959) et curé de la paroisse indienne de Seremban (1962).
Revenu en France pour une intervention chirurgicale en 1963, il est chargé de cours à Ménilflin.
Il repart en Malaisie en 1970. Il est économe au Collège général de Penang, puis chargé de la maison de Cameron Highlands.
En 1977, il rentre en France. Il est nommé économe de la maison de Lauris.
Il meurt le 24 février 1992. Il est inhumé dans le cimetière de Lauris.
Nécrologie
Georges MOREAU (1918-1992)
Moreau, Georges, Albert
Né le 25 août 1918 à Châtillon-sur-Sèvre (Deux-Sèvres), au diocèse de Poitiers ; ordonné prêtre dans son diocèse le 24 juin 1947 ; entré au séminaire des Missions Étrangères le 16 septembre 1955 – agrégé à la Société le 31 mai 1956 – destiné à la communauté missionnaire de Malacca le 17 juin 1956, parti pour le diocèse de Kuala Lumpur le 5 juin 1957 ; revenu pour une intervention chirurgicale en France le 2 mars 1963 ; chargé de cours d’anglais à Ménil-Flin le 15 septembre 1963 – rejoint la Malaisie le 2 janvier 1970 ; rentré en France le 30 avril 1977 – nommé économe à Lauris le 1er juillet 1977 – retiré sur place le 15 mars 1991, décédé à Lauris le 24 février 1992.
« Le P. Moreau ?, un gentleman ! » - Georges, le plus britannique des pères français ! » C’est par ces réactions à brûle-pourpoint que deux prêtres chinois, qui avaient enseigné avec lui au collège de Penang, accueillirent la nouvelle de son décès.
De fait, avec son beau port de tête, ses yeux qui vous regardaient bien en face, sa tenue vestimentaire toujours impeccable, son flegme, son humour, il avait beaucoup en commun avec nos voisins d’outre-Manche. Dans les situations difficiles, il semblait toujours à l’aise, et c’est alors qu’imperturbable il donnait le meilleur de lui-même.
Les années d’enfance
Georges Moreau naît le 25 août 1918 au cœur du bocage vendéen à Châtillon-sur-Sèvre, une petite ville, riche de traditions chrétiennes,jqui connut son heure de gloire sous la Révolution comme capitale politique de la Vendée militaire, et reprendra en 1965 son nom originel de Mauléon. Deux Mauléonnaises, tuées sous la Terreur en haine de la foi, seront canonisées par Jean-Paul II, apportant ainsi la reconnaissance officielle de l’Église à la fidélité à Dieu de tout un peuple. Le petit Georges en sera nourri dès son jeune âge. Il est le benjamin d’une famille qui compte déjà un garçon et trois filles. Son frère Albert et sa sœur Marie sont ses parrain et marraine. Son père Abel, grièvement blessé durant la guerre 1914, est cordonnier de profession et travaille comme contremaître dans une entreprise de chaussures. À son exemple et celui de sa femme, Marie Talon, toute la famille est profondément croyante et pratique sa foi sans complexe.
C’est à l’école dite « cléricale », créée par Mgr Pie en 1850, et installée dans les dépendances du presbytère, que Georges commence son éducation. Il ne tarde pas à exprimer le souhait de devenir prêtre : « Je serai Monsieur le curé », disait-il. Son entourage le confirme dans sa résolution et note l’émergence chez le jeune enfant d’un caractère espiègle et gai. Il continue ses études aux petits séminaires de Châtillon et de Montmorillon et entre, en 1937, au grand séminaire de Poitiers. Les années passent, son engagement au service des autres se confirme ; c’est un brillant élève ; il deviendra un sujet d’élite.
La guerre et ses suites
À la déclaration de guerre, en 1939, il est mobilisé dans un régiment d’infanterie et manque de perdre la vie lors de l’attaque de son ouvrage défensif. Il en réchappera avec un de ses camarades de combat, tous les autres occupants étant tués. Fait prisonnier, frappé, humilié, l’adversaire lui imposera « la cigarette du condamné », pour finalement l’envoyer, après ce terrible simulacre d’exécution, dans un stalag où il est affecté au service sanitaire du camp. Là, tout au long de sa détention, il n’a de cesse de présenter aux yeux des Allemands un grand nombre de prisonniers comme étant contagieux, pour ainsi leur permettre d’être évacués vers la France. Un colonel allemand, en raison des nombreuses évasions constatées au camp, et des soupçons qui pèsent sur lui viendra un jour lui proposer son propre rapatriement ; ce qui fait que nous retrouvons Georges à Châlons-sur-Marne en fin d’année 1942. C’est là qu’en collaboration avec la Croix-Rouge et en liaison avec sa sœur Marie, il recueille des évadés des camps, malades ou blessés, les cache, leur fournit des tickets d’alimentation et les dirige vers la zone libre.
Aussi, la Gestapo est sur ses traces. On lui conseille de regagner sa famille. À Nantes, sa sœur Germaine l’héberge, non sans danger ; lors des bombardements de la ville, il se dévoue auprès des blessés et à la Libération il est pressenti pour recevoir la Légion d’honneur. Égal à lui-même, il décline en disant : « Je n’ai fait que mon devoir au service des autres ».
Encore une année, au val de Grâce à Paris, au service des blessés, et en 1945 il regagne le grand séminaire de Poitiers.
Professeur et vicaire (1947-1955)
Ordonné prêtre en 1947, il est nommé professeur à l'école cléricale où lui-même a été élevé ; sa personnalité y sera appréciée et il y laissera le souvenir d’un éducateur très aimé. C’est à cette époque qu’il vient à perdre son père, lequel meurt en 1949. Quelque temps plus tard, en 1950, tout en poursuivant sa carrière d’enseignant, il devient vicaire dans sa paroisse natale. Fait exceptionnel, qui en embarrasserait plus d’un ; mais Georges est à l’aise dans un monde qu’il connaît bien. Son curé dira de lui, au moment où il s’en sépare » : « Il a toujours montré les belles qualités de droiture, de zèle, de charité inlassable, d’ esprit surnaturel et d’entregent ». Et certes, c’est là l’ami Georges tel qu’en lui-même ! S’il fallait résumer son apostolat à Mauléon, il faudrait le mettre sous le signe de la continuité et de l’audace. Enfant de la paroisse, il connaît bien la valeur des institutions qui l’ont formé. Il n’est pas question pour lui de les renier ou de les supprimer. Il s’agit de leur faire rendre un maximum en leur insufflant un esprit nouveau. Son sens de l’humour et des contacts, joint à ses dons de cœur et d’organisation va faire le reste.
Il est plus spécialement responsable de l’apostolat masculin, et dans le cadre du cercle Saint-Joseph, à la fois relais spirituel et centre d’attractions sportives et culturelles, qui regroupe beaucoup de jeunes, il se lance dans la réalisation de projets qui ne manquent pas de hardiesse, vu le milieu et l’époque. Sous son impulsion, plusieurs années de suite, les jeunes Mauléonnais présenteront en spectacle la Passion du Christ qui connaît un franc succès dans les environs ; avec les ouvriers de la chaussure et des tissages, des camps s’organisent qui leur permettent de franchir les limites du Bocage, de la Bretagne et même de la France.
Il reste toujours attentif à ceux qui souffrent, et il n’hésite pas à voler au secours d’un jeune paroissien, rescapé de Dien Bien Phu, qui se meurt à Bordeaux. Faisant jouer ses relations, il le fait admettre au Val de Grâce et personnellement l’y conduit. Combien d’autres cas semblables sont à mettre à son actif !
Bref, l’abbé Moreau est un prêtre heureux, estimé tant par ses élèves et ses paroissiens que par son doyen, le chanoine Parnaudeau, pour qui il a une admiration filiale. Il se donne à Mauléon ; Mauléon le lui rend bien et lui voue une reconnaissance qui ne se démentira pas au fil du temps. Aussi la foule sera-t-elle nombreuse à participer à la messe qui y sera célébrée à ses intentions après son décès. Mais pour lors, rien ne laisse prévoir une prochaine séparation.
Aspirant missionnaire à 37 ans
Les vocations sacerdotales étaient nombreuses dans cette paroisse fervente. Du temps où Georges y était vicaire, on y comptera jusqu’à dix-sept séminaristes, soit plus d’un pour cent habitants. Dans l’ensemble, les vocations missionnaires sont bien représentées. Il y avait entre autres un jeune, Claude Roy, futur missionnaire de Haute-Birmanie et de Taîwan, qui était en formation à la rue du Bac. Et puis, le P. Alfred Jarreau, expulsé de Canton, vit là dans sa famille : le vicaire écoute volontiers les récits hauts en couleurs du vétéran, et est frappé par son allant et sa jeunesse de cœur. Par ailleurs, un membre de sa famille, prêtre dominicain, sert alors en Egypte.
Georges, qui parlait facilement de ce qu’il faisait, mais restait plus que discret sur ce qu’on appellerait aujourd’hui « ses états d’âme », n’a jamais dit clairement ce qui l’avait amené vers les Missions Étrangères. Le P. Claude Roy nous éclaire : « C’est le 30 mai 1954 que Georges eut le coup de foudre pour les Missions Étrangères ». Venu présenter le curé-doyen à l’ordination de l’enfant du pays, et l’assister durant sa première messe, il rencontre rue du Bac des missionnaires récemment expulsés de Chine ; plusieurs d’entre eux sont originaires du Bocage. Un horizon insoupçonné se dévoile à ses yeux : « C’est à la rue du Bac que j’ai trouvé l’Église », dira-t-il plus tard.
Il restera encore un an à Mauléon – mille pardons ! Châtillon-sur-Sèvre -, mais son cœur commence à être ailleurs. Il fait sa demande d‘admission aux Missions Étrangères, sollicitant en même temps l’autorisation de son évêque, qui n’envisage ce départ qu’avec regret. Georges est un prêtre de valeur, mais Mgr Edouard Mesguen ne peut rien refuser à la société de Mgr de Guébriant, auquel il avait été très lié.
Adieu Mauléon ! Le 16 septembre 1955, l’abbé Moreau commence son année de probation à la rue du Bac. Le supérieur du séminaire, le P. François Haller, notera avec plaisir, quelques mois plus tard, que ce nouvel élément « prêtre très sérieux et surnaturel, malgré son âge et son expérience du ministère, s’est parfaitement soumis au règlement du séminaire et s’est trouvé à l’aise avec tous dans la communauté, où il a eu une excellente influence sur ses jeunes confrères ». Une caricature de l’époque le représente poussant dans les allées du parc le landau où sourit le benjamin d’alors … Avec son expérience, il sait relativiser les tensions du séminaire et aide à voir plus loin que les études et les professeurs. Non sans humour, il apporte la joie, et continue d’une nouvelle manière son métier d’éducateur.
Ayant reçu sa destination pour le nouveau diocèse de Kuala Lumpur, en Malaisie, en juin 1956, il lui faudra, à 38 ans, commencer l’étude de nouvelles langues. Il passe dix mois à Londres, comme aumônier d’une communauté religieuse, et y acquiert une bonne connaissance de l’anglais qu’il parle déjà avec aisance et élégance, et plus tard enseignera avec compétence et brio.
Le 7 juin 1957, il s’embarque avec le P. Michel Arro sur le Laos, et les suites de la guerre israélo-égyptienne leur valent de faire le tour de l’Afrique : vingt-neuf jours sur un bateau où il n’y a guère qu’une centaine de passagers. Et Georges de répéter : « Nous avons de la chance ! Nous suivons la route de Pallu et des autres, mais nous allons plus vite »
Arrivé à Singapour le 3 juin, il gagne la capitale de la Malaisie juste avant la proclamation de l’indépendance. Après quelques semaines à la cathédrale, il fait une première immersion dans la communauté catholique indienne à la paroisse de Sentul. C’est la banlieue pauvre de Kuala Lumpur, où il commencera son initiation à la langue tamoule. Son évêque, en effet, le destine à l’apostolat parmi les chrétiens originaires de cet État de l’Inde du Sud, le Tamil Nadu. Il y passe six mois, d’abord auprès du P. Ernest Bélet, confrère chevronné et original, puis du P. Swaminathan qui l’initie à une manière de vivre toute nouvelle. Malgré ses efforts, il a bien du mal à digérer le curry .. mais il se trouve à l’aise dans ce milieu fervent et bruyant, souvent divisé par un arrière-fond de lutte des castes. En février 1958, il est en route pour l’Inde : nouvelle expérience.
Dix-huit mois en Inde
C’est à Attur, dans le diocèse de Salem, en compagnie des PP. Pierre Bretaudeau, Michel Ladougne et Pierre Gauthier, qu’il va passer ce temps d’apprentissage de la culture et de la langue tamoule. Leur maître à tous, un maître dont ils apprécient le zèle missionnaire, la simplicité de vie, la manière d’être présent aux gens, c’est le P. Jean-Louis Gourmant. Il a alors dépassé la soixantaine, et durant ses quarante ans d’Inde, s’est trouvé chez lui tant parmi les paysans des villages les plus reculés que comme curé de la cathédrale, ou encore supérieur local. Georges gardera de lui un souvenir émerveillé. Il apprendra à travers lui les complexités de la société tamoule, et jusqu’aux tenants et aboutissants du système des castes. Lui-même est pleinement à l’aise dans ce district rural où le gîte et le couvert sont des plus simples et où l’eau est la seule boisson. Car c’est le pays du régime sec, dont tout alcool est banni de par la loi d’abord, et ensuite par ce que ça coûterait trop cher !
« Gradué d’Attur », il est de retour à Kuala Lumpur en septembre 1959, et peut maintenant s’exprimer en anglais et en tamoul qui sont venus ses langues ; aboutissement de la nouvelle naissance qui est au cœur de toute vie missionnaire !
les années en paroisse (1959-1963)
Dans la vieille paroisse indienne de la capitale, Saint-Antoine, il est nommé vicaire ; s’y trouvent déjà deux prêtres tamouls, les PP. Clément et Edmund, tous deux dans la cinquantaine, et avec lesquels, grâce à son flegme et à son humour, il vivra en bonne intelligence. Mais ce n’est pas facile. Car la communauté paroissiale, particulièrement la communauté indienne, mange le temps de ses prêtres et les use en exigeant beaucoup d’eux, revenant à la charge sans se lasser jusqu’à l’obtention de ce qu’elle veut. À cette époque, la paroisse regroupe tous les Indiens catholiques dispersés dans la ville entière. Le dimanche, il faut prêcher en tamoul et en anglais ; les familles insistent pour qu’on les visite à domicile ; les malades et les vieillards sont nombreux ; il faut beaucoup de patience pour préparer un mariage, car il s’agit d’unions arrangées par les parents et il n’est pas facile de démêler ce qui peut se cacher derrière les apparences : les promis sont-ils vraiment libres de s’engager, quel rôle la caste joue-t-elle dans leurs fiançailles, ne serait-ils pas cousins germains, ou nièce et oncle ? Georges est un vieux routier : il écoute, il sourit, il pose la question pertinente qui ne laisse place à aucune échappatoire. D’abord surpris, les gens néanmoins se sentent aimés, ils vont à lui. Avec comme conséquence que ses deux collègues se reposent de plus en plus sur le jeune Français et son savoir-faire, lui déclarant à la manière orientale qu’il est bien mieux accepté qu’eux. Souriant, et sachant envisager la situation avec humour, il se donne à plein, allant même jusqu’à n’hésiter qu’à peine pour animer les cérémonies de dévotion en l’honneur de saint Antoine, dont ce milieu est si friand.
En janvier 1962, le voici à Seremban, coquette ville à 75 km au sud de la capitale, où la paroisse rassemble les deux communautés tamoule et chinoise. Selon le système en cours alors, il est « cocuré » des Indiens, tandis que le P. Antoine Pallier est curé des Chinois et responsable de l’ensemble. Avec eux vivent un prêtre chinois originaire du Yunnan, et le P. Bernard Blais, venant comme Georges du diocèse de Poitiers, et faisant actuellement une année d’insertion en paroisse avant de regagner le collège de Penang où il est professeur. Une équipe qui sait travailler de concert dans la diversité des charismes, et qui accueille avec enthousiasme les premières décisions de Vatican II. Pour Georges, c’est un autre type d’apostolat auquel il se voit confronté : ses Indiens sont éparpillés dans les plantations d’hévéas, dix familles par–ci, vingt familles par là , séparées par des dizaines de kilomètres. Ce n’est pas sans lui rappeler un peu l’Inde : un monde de pauvres, où le niveau d’éducation ne dépasse guère le primaire ; lui-même ne peut les visiter que de temps à autre. Pour les grandes fêtes, ils font l’effort de venir jusqu’à l’église paroissiale, et ce sont alors des retrouvailles familiales tout autant que des célébrations religieuses.
Tout va bien pour Georges. Mais c’est alors qu’il commence à souffrir de vertiges qui vont s’accentuant. Après Noël 1962 on décèle la présence d’une tumeur dans la région de l’oreille : il lui faut d’urgence rentrer en France. L’opération réussit, une longue convalescence s’impose ; une fois de plus sa vie prend une nouvelle orientation.
Professeur d’anglais (1963-1969)
À cette époque, la Société dispose d’un petit séminaire préparatoire à Ménil-Flin. Il y faut un professeur d’anglais. Les supérieurs pensent rappeler un confrère de Malaisie, mais n’en reçoivent pas d'écho favorable, sinon celui-ci : « N’y a-t-il vraiment personne de disponible en France, et à tout prendre, pourquoi pas le P. Moreau ? » Face à la question, l’intéressé, sans histoire, accepte. Il fera équipe mémorable avec les PP. Alphonse Desroches, Henri Massiot, Victor Thiry, Jean-Baptiste Delaby, Bernard Wiiwer. Comme des regroupements d’élèves deviennent nécessaires à ce moment, le nouveau professeur devra enseigner non seulement à Ménil-Flin, mais aussi à Autrey et Martigny-les-Bains, dans le diocèse de Saint-Dié, et plus tard au petit séminaire de Renémont, dans le diocèse de Nancy.
Chargé des classes de seconde et de terminale, il a devant lui des jeunes qui, au début, essaient de prendre la mesure de ce nouveau venu, arrivé de bien loin. Ils lui posent des questions qui sont de pièges, espérant de désarçonner. Cependant, Georges a du métier : en un rien de temps, il s’affirme, et d’enseignant qu’il est officiellement, il devient le confident. Et quant aux résultats d’anglais lors du baccalauréat, ils n’ont jamais été aussi brillants. Le supérieur d’Autrey, à l’époque, n’est autre le P. Louis Kuehn, futur évêque de Meaux ; il décrit Georges Moreau comme s’étant « parfaitement intégré à notre équipe de professeurs. Nous nous réjouissions vraiment de le voir venir chaque semaine parmi nous. En conseil, nous aimions beaucoup écouter ses appréciations. Son expérience de l’Asie et d’autres Églises l’aidaient à relativiser nos problèmes « hexagonaux ». c’était l’époque du Concile, qu’il suivait avec beaucoup d’attention et de joie. Il avait son cœur là-bas, en Inde et en Malaisie ». Ce même supérieur n ‘hésite pas, lorsqu’il est trop pris, à faire appel à lui pour les conférences spirituelles, souvent au pied levé. « Vous saurez les intéresser », lui disait-il ; et les élèves voient arriver le P. Moreau avec joie, prêts à savourer des histoires tirées de son expérience.
Durant ces années de professorat, un accident d’auto par temps de verglas l’envoie à l’hôpital pour quelques mois, souffrant de multiples fractures. Avec courage, il reprend la route dès qu’il est rétabli, ce qui n’est pas sans risques dans une région de neige et de gel. Fidèle à ses habitudes, il fait du ministère dans les campagnes environnantes, en particulier à Azerailles, près de Baccarat. Il donne de son temps aux confrères et sans se faire prier fait une partie de tarot avec le P. Jules Peignont, curé de Ménil-Flin, et ses collègues enseignants. L’un d’eux dira : « Je l’appréciais beaucoup personnellement : égalité d’humeur, flegme ; il prenait la vie du bon côté ». l’été, il se replonge dans le milieu anglo-saxon, faisant des remplacements dans le clergé anglais, où il se fait des amis. Cependant, malgré tout, « il avait son cœur là-bas », et dès la fermeture de Ménil-Flin il demande à repartir en Malaisie.
Penang et Cameron Highlands (1970-1977)
Il s’attend à reprendre du ministère au diocèse de Kuala Lumpur ; les évêques intéressés en décident autrement. Il sera professeur, et même pour un temps économe au collège général, alors en pleine mutation après Vatican OII. Il y côtoie des confrères des Missions Étrangères, et aussi des prêtres du clergé local, dont le nombre va en augmentant. L’anglais est désormais la seule langue d’enseignement, et bientôt, avec l’ouverture d’un grand séminaire en Thaïlande, Penang ne sera plus qu’un séminaire régional pour la Malaisie et Singapour. De nouvelles orientations sont à prendre. Cela ne se fait pas sans difficultés ni conflits. Le P. Jean-Marie Bosc, le recteur, est malade et rentre a u pays ; il est remplacé dans sa charge par un membre du clergé local. D’autres professeurs expérimentés partent aussi, pensant le moment venu de laisser la place aux jeunes prêtres malaisiens pourvus maintenant de diplômes théologiques adéquats. Les évêques s’inquiètent : ils trouvent que cela va parfois trop vite. Georges aide au discernement bien nécessaire alors. Épaulé par son ami le P. Antoine Pallier, lui aussi au collège, il sait désamorcer les conflits et faire voir les situations avec plus de recul et de sérénité ?. À tel point que, lorsque tous les pères français ont quitté le séminaire, les évêques veulent qu’il y reste encore un certain temps ; son expérience et sa sagesse seront précieuses pour un groupe de professeurs jugé fort jeune et sans grand métier. Fermement il refuse, faisant comprendre que sa présence, toute appréciée qu’elle soit, pourrait être signe d’un manque de confiance vis-à-vis du nouveau corps professoral.
Quant aux élèves, le fait que certains d’entre eux iront plus tard le voir, à Lauris, en dit long sur la place qu’il tient dans leur formation et dans leur vie. Il n’est pas jusqu’aux paroissiens de Pulau Tikus, la vieille paroisse eurasienne proche du collège, qui ne déplorent son départ ; il en est le vicaire compréhensif et fidèle, qui sait rester libre au milieu des factions. Si bien qu’à la mort du titulaire, l’unanimité se fait autour de son nom pour le présenter comme futur curé du lieu. Là encore, il décline : il faut un pasteur du cru.
Voilà donc Georges libre pour un autre ministère, en décembre 1975. Le supérieur régional lui propose de prendre la responsabilité de la maison régionale de Cameron Highlands, tout en étaht l’animateur de la communauté catholique du secteur. Il se retrouve ainsi dans le diocèse de Kuala Lumpur, et remplit, à la faveur générale, le rôle d’accueil des clercs et des laïcs qui viennent à la montagne pour des retraites, des sessions, ou simplement des vacances.
Chacun se sent bien en sa compagnie, et le soir, les confrères ne manquent pas de lui faire égrener ses souvenirs de guerre, de captivité, d’Inde, de France. C’est un conteur-né : on ne se lasse pas d’entendre à nouveau des épisodes déjà connus. De l’avis de tous, « par les histoires dont il nous régalait, il savait nous amuser sans jamais manquer à la charité ». Le tout se terminait par un whisky, qu’il servait non sans faire référence à une boisson maltée très populaire chez les Chinois, en disant chaque fois : « Car le « milo », vous savez, c’est bien triste ! » Et dans la joie chacun allait alors prendre du repos.
Gentil pour tous, il sait par ailleurs s’affirmer à l’égard de ceux qui auraient tendance à exagérer. Plus d’une fois, les ténors des droits de l’homme et de l’Église des pauvres, arrivant trop tard aux repas, ou même sans prévenir, ont été reçus en s’entendant dire que les premiers pauvres à respecter sont les employés de la maison ! Il aurait certes pu rester, à la satisfaction de tous, de longues années à la maison de la Société ; mais les services de l’Immigration qui ne permettent pas aux étrangers de séjourner en Malaisie plus de neuf ou dix ans, se font déjà tracassiers. Ses renouvellements de permis de séjour sont à tout bout de champ un problème. Parfois ils ne sont accordés que pour un mois, et il lui faut multiplier les allées et venues entre sa résidence et Kuala Lumpur. Il sait ses jours comptés. « Il me faudra bien traverser la rivière, disait-il, mieux vaut ne pas attendre que je sois trop vieux ». Il désire reprendre du travail en France tant qu’il en est capable, et rentre définitivement en avril 1977.
Lauris (1977-1992)
Ce retour est un nouveau départ ; c’est le début de la période la plus longue qu’il ait jamais passé au même endroit : quinze ans pratiquement au service des confrères âgés, comme économe de la maison de Lauris. Il y seconde pas moins de quatre supérieurs successifs ! Il est, en même temps, le pasteur bien adapté à la paroisse provençale de Mérindol, car il veut toujours être un homme de terrain au service de la communauté chrétienne. Les habitués de la maison vont volontiers se confier à Georges. Il devine leurs besoins, souvent exprimés à mots couverts. « Cet après-midi, je vais à Cavaillon avec le P. Untel, explique-t-il. Il veut faire réparer sa montre. En fait la montre pourrait être confiée à un autre horloger, mais c’est lui qui a besoin de sortir. Alors, n’hésitons pas ! »
Aller chercher les visiteurs ou les ramener à Avignon, ou à Tarascon ; offrir des excursions à Senanque, Gordes, Roussillon, Fontaine-de-Vaucluse. Il le fait avec le sourire, année après année, sachant toutefois se faire aider par ceux qui sont plus valides dans la maison. Et les visites à l’hôpital : Cavaillon, Pertuis, Aix, Marseille même, il en est coutumier. C’est lui qui fait le lien avec les docteurs. Il sait redonner l’espoir ; il est bon, tout en restant luciide sur l’état des confrères. C’est lui qui insiste pour garder à Lauris les plus handicapés que l’on envoyait d’habitude à Montbeton, mieux équipé pour les soigner. Il s’est rendu compte que ce déracinement de dernière heure les affecte trop. Mais pareille décision veut dire davantage de soucis pour lui : il le sait, il se donne.
À Mérindol, haut lieu de l’hérésie vaudoise, il sait être le pasteur d’une communauté bien différente de celles dont il avait eu connaissance auparavant. Le doyen du secteur, le P. Vicart, comme s’adressant à lui lors de ses obsèques, s’exprimera en ces termes : « Merci d’avoir essayé de comprendre notre village, nouveau pays de mission, avec votre esprit d’ouverture, votre courtoise ;, votre tolérance, votre antiformalisme et votre humour ; car vous aimiez rire ! Nous nous souvenons des anecdotes malaises ou chinoises qui éclairaient certaines de vos homélies. Merci d’avoir reconnu avec sérénité la fracture religieuse historique, et d’avoir contribué de façon positive à l’effacement des rancœurs ancestrales, classiques, entre catholiques et protestants : vous avez recherché ce qui unit, et fui l’esprit de division ».
Le pasteur protestant, M. Missemer, écrivait de son côté : « Veuillez transmettre nos messages de sympathie à la famille, à toutes les paroisses où le P. Moreau a témoigné de l’espérance du Chriist ressuscité, en particulier à Mérindol, sans oublier les compagnons d’existence de la maison de Lauris ». Lui-même dépeignait dans sa pastorale bien appropriée : « Pour les obsèques, tout le village est là, mas les hommes n’entrent pas à l’église. Alors, l’homélie je la donne « au trou », c’est-à-dire au cimetière, juste avant l’inhumation. Tout le monde est là, et on m’écoute ! » Et un confrère de compléter : « Avec ses paroissiens, il savait naviguer de façon à être suivi de bon cœur. Tous sentaient sa foi et son amour de Dieu. Les jeunes l’adoraient. »
Les années passent, sa santé reste bonne, mais jl sent ses limites et désire qu’un autre le remplace. Sans imposer une décision immédiate, il en parle aux supérieurs. Vers le printemps 1991, à 73 ans, il est heureux d’apprendre la nomination de son successeur. Il prendra sa retraite sur place, aidant pour un moment le nouvel économe, et continuant le service à Mérindol, ce qui lui donnera assez d’occupations, compte tenu de la réorganisation des catéchismes qu’il envisage d’entreprendre, et de la restauration de l’intérieur de l’église, à laquelle l s’apprête à faire face. .Il accepte la transition avec son calme habituel, écrivant : « s’il est agréable de ne plus avoir de responsabilités, il n‘est pas évident que je sache gérer tout le temps libre que j’ai .. Patience, ça viendra ! ».
De temps libre , il n’en aura guère. Après quelques mois, sa santé se détériore rapidement. On doit l’hospitaliser. Étant lui-même jusqu’au bout, il porte son mal avec élégance, au point qu’on se demande s’il se rend compte de son état ! Pourtant, il écrit à un prêtre de Thaïlande, qui lui était proche, à l’occasion de Noël : « Il ne me reste plus que trois mois à vivre ! » Et en effet, le Seigneur le rappelle à lui le 24 février 1992.
Ses obsèques sont présidées par le supérieur général de la Société, le P. Jean-Paul Bayzelon, entouré de vingt-huit prêtres, dont deux vicaires généraux d’Avignon. Le frère aîné de Georges, ainsi que six membres de sa famille, sont venus de Mauléon et de la région de Nantes. Il était resté présent aux siens et à son pays d’origine.
L’ami Georges
C’est ainsi qu’on aimait l’appeler, et tout particulièrement moi-même qui écris ces lignes. Je me sentais si proche de lui, depuis le temps de la rue du Bac et de notre voyage de départ. Il était fidèle dans ses amitiés. Il savait recevoir et écouter. En quelques mots bien choisis, avec toujours un brin d’humour, il donnait son opinion qui manifestait toujours une grande largeur de vue. Contrairement à beaucoup qui savent critiquer les autres, ou bien se culpabiliser eux-mêmes, il était l’homme de l’affirmation. En toute personne, en toute situation, il découvrait ce qu’il y avait de bon, de beau, et il le disait. D’autres seraient passés à côté ; lui discernait les raisons d’espérer.
Conscient de ses limites, il vivait avec elles, y puisant patience et tolérance. Il savait excuser les faiblesses. « C’était un prêtre de grande valeur intellectuelle et humaine, qui a toujours su rester très simple avec chacun et en toutes circonstances. On lui pardonnait tout, à cause de son dévouement et de sa bonté ! », écrit un ancien supérieur de Lauris.
Merci, Georges, pour ton amitié, ton sens de Dieu et des autres, le rire que tu as fait naître en nous si souvent. Reste l’ami vers lequel nous pouvons nous tourner. D’auprès du Père, donne-nous, non plus tes conseils, mais la force de la prière. Garde-nous dans la confiance et la joie !
Michel Arro