Antoine KELBERT1925 - 2003
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 3893
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Identité
Naissance
Décès
Missions
- Pays :
- Birmanie
- Région missionnaire :
- 1951 - 1966 (Mandalay)
Biographie
[3893] KELBERT Antoine est né le 24 juillet 1925 à Tagsdorf (Haut-Rhin).
Ordonné prêtre le 28 mai 1950, il part le 4 décembre 1951 pour la mission de Mandalay (Birmanie).
Il commence l’étude du birman à Amarapura, puis il est envoyé à Tonzang (Chin-Hills) en 1952.
Expulsé de Birmanie en 1966, il part pour le Canada. Il est affecté au diocèse de Saint-Jérôme en 1969. Il revient dans le diocèse de Strasbourg (1970-1975) et regagne le diocèse de Saint-Jérôme, comme curé de Pointe-Calumet puis de Saint-Placide (1975-1988). De retour à Strasbourg, il est curé de Muespach et de Steinsoultz (1988-1990), puis il repart à Saint-Jérôme en 1990 comme curé de Lachute. Il revient dans le diocèse de Strasbourg en 1994, il est curé de Helfrantzkirch.
Il meurt le 24 mars 2003 à Saint-Louis (Haut-Rhin).
Nécrologie
[3893] KELBERT Antoine (1925-2003)
Notice nécrologique
Antoine Kelbert naquit le 24 juillet 1925 à Tagsdorf, dans la province du Sundgau en Haute-Alsace, premier enfant de Morand Kelbert et de Marie-Eugénie Clementz-Herr. Il y fut baptisé le 8 Août, et eut pour parrain August Specker, cousin du papa, et Léonie Clementz, sœur de la maman. Le père était déclaré comme aubergiste à Tagsdorf, mais la maman était de Hésingue, et c'est de ce côté que, les liens familiaux étant sans doute plus nombreux, la famille émigra bientôt. Mr Kelbert devint responsable d'une coopéraive agricole, et la famille alla à Saint-Louis. La maman était la nièce du Père Jean-Fridolin Herr, de la Mission de Mandalay en Birmanie, et fière de l'être. On avait gardé dans la famille un vivant souvenir de l'oncle missionnaire, barbu et imposant, qui avait passé quelques mois au pays en 1905 et qui était devenu célèbre dans la mission comme "patriarche de Shwebo" où il avait fondé plusieurs villages de chrétiens. En 1926, Mgr de Guébriant recevait une lettre d'Hésingue, de Mme Clementz-Herr, qui s'excusait de lui écrire en allemand, "sauf de bien savoir le français": elle était en relation avec son frère missionnaire à Shwebo, disait-elle: elle avait appris que la famine désolait son district et elle voudrait l'aider, mais elle ne savait comment envoyer l'argent. La famille Kelbert vivait donc dans une atmosphère où le service de la Mission était très vivant.
Les premières années d'Antoine furent marquées seulement par l'arrivée de deux autres frères et une sœur, famille très soudée par l'atmosphère de foi et de solidité familiale. Ses études primaires se firent sans histoire à Saint-Louis, où le système du Concordat laissait au curé de la paroisse une très grande influence sur l'éducation. En 1934, la nouvelle de la mort du grand-oncle, le Père Herr, marqua si bien son esprit que le 7 Septembre 1937 il se présenta pour prendre la suite comme postulant à l'Ecole apostolique de Ménil-Flin où il entra en sixième.
Mais la déclaration de guerre en 1939 obligea la famille Kelbert à quitter Saint-Louis pour aller se réfugier dans le Gers, et lorsque l'armistice fut signé en juin 1940, Antoine ne put aller continuer ses études à Beaupréau comme il l'espérait, la frontière étant fermée. Il alla donc chez une tante à Dannemarie jusqu'à ce que ses parents reviennent du Gers en Novembre 1940, et toute la famille se retrouva à Saint-Louis.
Antoine garda le lien avec les Missions Etrangères par l'intermédiaire du Père Prouvost à Paris. Il continua ses études au Lycée de St-Louis, avec naturellement l'allemand obligatoire, où il fit la troisième, la seconde mais seulement une partie de la première. En effet, en Février 1943, il fut appelé comme soldat dans l'armée allemande, et en juin il reçut l'Abitur, certificat de fin d'études secondaires. Comme tous les jeunes Alsaciens de son âge, il se trouva donc "malgré lui" au service de l'Allemagne, et affecté à la D.C.A. ; il eut du moins la chance de ne pas être envoyé sur le front russe, comme certains. Cette période difficile lui permit de se faire des amitiés parmi ses camarades alsaciens et aussi allemands, amitiés qui durèrent toute sa vie. C'est à cette période qu'il commença à souffrir d'une oreille, sans doute affectée par les brutales déflagrations des canons, et une otite se déclara. Il obtint une permission en Août 1944, alors que les troupes alliées étaient déjà à Paris et les Russes sur la Vistule. Sans avertir personne, lui et deux autres jeunes soldats alsaciens s'étaient mis d'accord pour déserter. Ils réussirent à s'esquiver dans une cachette souterraine à Hésingue, où ils purent attendre l'arrivée des troupes alliées en Alsace. Mais l'otite dont souffrait Antoine s'était infectée et lorsqu'il revint à la maison, les docteurs ne purent rien faire. Tout au long de sa vie il eut à souffrir de ce handicap; surdité, mais surtout une infection profonde qui réapparaissait malgré les soins.
Le 9 mars 1945 il écrit aux Missions Etrangères pour demander à reprendre ses études après les vacances de Pâques. Le Père Destombes suggère qu'il se perfectionne en Français-latin jusqu'à la rentrée d'octobre. Il va donc à Beaupréau pour se remettre au français qu'il n'a plus pratiqué pendant plus de deux ans et il est reçu comme aspirant à la rue du Bac à la rentrée de 1945.
La maison est remplie avec 145 aspirants qui s'empilent parfois à deux, même dans les mansardes du 5e étage. Antoine ne se trouve pas dépaysé: il retrouve des Alsaciens, anciens de la Wehrmacht, tout un groupe d'anciens prisonniers, d'autres qui ont fait la guerre du côté des Alliés, et toute cette jeunesse réunie sous l'étendard du Christ est pleine d'allant, même si pour beaucoup la reprise des études est difficile.
Antoine est à l'aise avec tous, mais on remarque qu'il préfère parfois utiliser un livre de méditation en allemand. Il a pris l'habitude de changer de langue, et il est l'un des rares qui n'ait pas d'accent. Il fait manifestement des efforts et parle très bien français et ses études ne semblent pas lui avoir causé de difficultés particulières, pas plus que la discipline du séminaire.
Le 17 décembre 1949 il est diacre et le 28 Mai 1950 il est prêtre.
Sa nomination le 29 juin à la Mission de Mandalay n'a pas surpris sa famille, et sa première messe à Saint-Louis est l'occasion pour toute la parenté et les amis de célébrer à la fois le départ du jeune missionnaire et la mémoire du Père Herr. La relève était assurée…
Ils sont 19 partants cette année-là, dont trois pour la Birmanie. Les nouvelles de ce pays ne sont pas rassurantes: la rébellion s'est étendue presque partout depuis l'indépendance: trois missionnaires ont été tués dans la région du delta. Le gouvernement ne refuse pas les visas, mais il tarde tellement à les délivrer qu'on envoie les trois "birmans" faire un stage en Angleterre. Antoine profite du délai pour passer à l'hôpital en décembre, sans doute pour un traitement de son oreille avant d'aller étudier l'anglais. Le 13 janvier 1951, le P. Destombes a averti le trio Kelbert-Loiseau-Cormerais : "Dès demain on arrangera pour vous un stage en Angleterre... En cas d'impossibilité d'entrer en Birmanie, le Conseil changera votre destination..." Le moins qu'on puisse dire, c'est une éventualité que personne ne souhaite.
Le 24 Juillet, Mgr Lemaire écrit à Kelbert: "Voilà plus d'un an que vous avez été destiné à Mandalay... Peu d'espoir, et le Conseil décide de vous envoyer vous à Mysore, Cormerais et Loiseau à Pondichéry. Nous allons commencer les démarches pour l'Inde..." Et le même jour, il avertit Mgr Falière: "Les confrères destinés en juin 50 à la Birmanie seront envoyés en Inde, sauf si les visas pour la Birmanie étaient donnés avant leur départ. Il était dangereux de laisser ces jeunes attendre plus longtemps..." Heureusement les visas sont accordés en Août et les trois se préparent enfin à embarquer.
Quand ils débarquent à Rangoon,le jeudi 3 janvier 1951 à 9 h du soir, l'atmosphère est surréaliste : la ville est cernée par les rebelles, encombrée de réfugiés sur tous les trottoirs ; le Clergy House sinistre et Riouffreyt, le procureur, n'ayant plus rien à cette heure, les a conduits au restaurant chinois.
À Mandalay, il semble que ce soit mieux qu'à Rangoon. Tous les Pères français sont là, réunis pour la retraite. Le jeune Kelbert a pu voir ses futurs compagnons des Chin Hills, car c'est bien sûr là qu'il ira, dans un an, après avoir étudié le birman. D'abord il devra faire un stage à Amarapura, à quelques milles au sud de Mandalay, où il aura des occasions d'apprendre et de se rendre utile aux Soeurs et à l'orphelinat, et c'est un secteur calme où on ne craint pas d'attaques de rebelles ou de bandits.
Antoine Kelbert est doué pour les langues; il parle anglais avec un accent tel qu'on lui demande de quelle région d'Angleterre il vient. Le birman, il le pratique avec les enfants de l'école, avec les Sœurs et le vieux Père Carolu qui vient chaque semaine écouter les confessions et raconter ses histoires de vieux missionnaire chez les Katchins où il a travaillé avec le Père Herr. Pour Antoine, malgré quelques indispositions dues au climat et à la nourriture, c'est un temps d'intense préparation à son travail. Il sait que bientôt un autre va venir le remplacer à Amarapura. En Septembre trois nouveaux sont arrivés en Birmanie dont Joseph Ruellen qui vient le remplacer à Amarapura. Tous deux se lient d'autant plus qu'après une très brève visite faite en stop à Saint-Louis par Ruellen, Gérard, frère d'Antoine, va à son tour visiter la famille Ruellen. Et cela finira par des mariages, deux frères Kelbert épouseront deux filles Ruellen…
Antoine Kelbert passe alors quelques mois dans le petit village de Mégong, fondé près de Shwebo par le Père Herr, où une vingtaine de familles chrétiennes se font un devoir de bien le soigner, car sa santé est fragile. Quand Ruellen va le visiter, chaque famille vient présenter un plat, et les deux compères se voient obligés de goûter à chaque spécialité, dont chaque dame explique la composition. Jamais ils n'ont oublié l'accueil de ces braves gens !
Aux Chin Hills.
Mgr Falière a été le premier visiteur des Chin Hills en 1939 et c'est à Noël 1940 que sont arrivés les premiers prêtres, le Père Pierre Blivet et le Père Moses U Ba Khin, un birman. En 1953, le Père Moses est fatigué et c'est le Père Kelbert qui va le remplacer au mois de janvier. Le poste dont il a la charge est Tonzang, gros village où réside le chef traditionnel de toute la région. C'est là qu'a commencé la Mission et qu'elle a rayonné, surtout après la fin de la guerre. Le chef traditionnel a perdu son pouvoir politique depuis l'indépendance, mais son influence demeure importante. C'est lui qui avait permis à Mgr Falière d'envoyer des prêtres malgré l'opposition des Baptistes américains. En 1948 des Sœurs Franciscaines de Marie étaient aussi arrivées et avaient ouvert un dispensaire.
Le travail du Père Kelbert était d'abord d'apprendre la langue. A Tonzang il eut la chance d'avoir un catéchiste d'origine Cariane, Saya Alphonse Aung Min, qui lui permit d'utiliser le birman pour se faire expliquer le dialecte local. Aux Chin Hills, pratiquement chaque vallée a son dialecte, mais dès le début les missionnaires avaient, en accord avec les autorités, utilisé le "Kamhau", le dialecte de Tonzang, la langue des chefs, enseignée dans toutes les écoles de la région. Le Père Kelbert se mit à la tâche avec ardeur et bientôt, avec l'aide du catéchiste, il se mit à préparer pour chaque soir un petit texte qu'il répétait avec la prononciation la plus précise, et le ton solennel qui était la marque de l'éloquence dans les discours des chefs.
À Tonzang, comme dans la plupart des villages où il y avait quelques familles chrétiennes, il y avait tous les soirs au moins une heure de réunion à la chapelle, avec prières, chants et catéchisme. Le Père Kelbert prenait donc la parole chaque soir et son aplomb et la précision de sa prononciation fit de lui un vrai "Tonzang mi", un digne représentant de l'éloquence dont ce village tirait gloire.
Malgré les soins des Sœurs, sa santé par contre donnait des soucis, et dès le mois d'Octobre il dut descendre à Mandalay pour consulter un docteur. Mgr Falière décida alors d'envoyer pour l'accompagner à son retour le Père Ruellen, destiné lui aussi aux Chin Hills du nord. Le pays était encore troublé: après un voyage en vapeur, puis en char à bœufs, ils atteignirent le village de vieux chrétiens de Chaung-U, puis en camion militaire Monywa, et enfin en avion Kalemyo au pied des montagnes.
Il n'y avait encore ni chapelle ni maison : un bon catholique qui tenait la station d'essence logea les deux prêtres et le lendemain ils partirent en camion : une pancarte au pied de la montagne interdisait de dépasser les 10 miles à l'heure. En fait on mettait 8 heures à faire les 75 Kms jusqu'à Tiddim, centre du gouvernement, où le Père Dixneuf venait heureusement de bâtir une vraie maison en planches. Passer le 3 novembre des chaleurs de la plaine à plus de 2.500 mètres d'altitude avait donné aux voyageurs mal équipés le sentiment qu'ils allaient mourir de froid !
À cette époque les catholiques de Tonzang n'étaient pas encore bien nombreux, mais ils étaient très fervents et peu à peu des villages alentour appelaient le prêtre. Les Sœurs faisaient merveille par leur dispensaire, mais elles étaient si occupées sur place que la plupart du temps seul le père allait en tournée. Les gens qui amenaient des malades au dispensaire venaient souvent lui rendre visite et c'est par ces conversations que beaucoup apprenaient peu à peu les premiers éléments de la doctrine. Tous appréciaient le sérieux du Père Kelbert, et son langage élégant et compréhensible par tous.
Le Père Ruellen resta avec lui à Tonzang pour étudier la langue, avant d'aller s'exercer dans le district voisin de Mualpi vers le nord, mais c'est à Tonzang qu'une fois tous les trois mois se réunissaient les pères : Pierre Blivet qui n'arrêtait pas de courir 20 jours par mois les pistes de son immense district, Dixneuf, supérieur du groupe, qui résidait près de Tiddim mais songeait déjà à ouvrir des postes loin au sud, et Louis Garrot qui était l'apôtre des Zos, au milieu des montagnes vers le nord-est.
L'année 1954 fut marquée par l'inauguration en Avril de la maison de Tiddim par Mgr Falière. Désormais ce fut là que se firent les réunions. Tous les catéchistes de la région devaient étudier un mois par an, à cette période de l'année où les travaux des champs marquaient une pause en attendant la mousson, et la maîtrise de la langue par le P. Kelbert était alors très appréciée. Le Père Dixneuf était un chef pour l'organisation, le Père Blivet un modèle d'ardeur apostolique, mais aucun n'avait eu l'occasion de pratiquer à fond la langue "Kamhau" que les gens de tous dialectes considéraient comme la plus belle.
Au cours de ces réunions, les catéchistes devaient à tour de rôle prêcher devant les autres dans la chapelle. Un jour le Père Ruellen arrivait avec un nouveau catéchiste de son district alors que dans la chapelle résonnait une voix sonore et bien rythmée : "Encore un "Tonzang mi" qui fait de l'éloquence !" dit le catéchiste. C'était le Père Kelbert, bien sûr !
Le handicap du Père Kelbert était sa santé. L'infection chronique de son oreille s'apaisait durant les mois de l'hiver froid et sec, et la sœur infirmière avait le coup de main pour atteindre le fond de l'oreille avec une longue aiguille. Mais le régime alimentaire lui était pénible, surtout le manque de verdure pendant plusieurs mois de l'année. Des crises de douleurs du foie l'épuisaient et plusieurs fois il dut descendre voir le docteur à Mandalay, ce qui représentait au moins deux jours de route pour aller prendre à Kalemyo l'avion de Mandalay.
En 1955, il dut aller jusqu'à Rangoon, où la faculté ne lui trouva rien de grave, mais son moral n'en restait pas moins affecté. Cela ne l'empêchait pas de faire des courses mémorables, comme celle qu'il dut faire avec le Père Blivet pour aller au secours du Père Louis Garrot. Des chrétiens étaient venus à Tonzang dire que leur père était mourant. Après deux jours de marche forcée, Kelbert et Blivet le trouvèrent de fait à peu près inconscient et l'accompagnèrent sur un brancard pendant deux autres jours jusqu'à la route de la plaine où un camion les amena enfin à l'avion à Kalemyo. Garrot se remit vite à Mandalay, tandis que Kelbert était à bout de forces. "Mais, disait Mgr Falière, pour un vieux briscard comme Pierre Blivet, de telles courses n'étaient que routine !"
Cette année-là les transports s'étaient nettement améliorés dans les Chin Hills et Mgr Falière en avait profité pour amener le Délégué apostolique, Mgr Lucas, en jeep jusqu'à Tonzang. Le visiteur put apprécier le travail des Pères et des Sœurs dans cette région et il promit d'aider pour y bâtir un hôpital. D'autres visiteurs vinrent aussi goûter l'air des montagnes: le Père Bürck, chargé de la formation des petits séminaristes à Maymyo, et le P. Loiseau de Rangoon furent bien accueillis. Les Chins catholiques appréciaient qu'on vienne les voir. Mais l'année suivante, ce fut bien mieux: le Délégué apostolique avait décidé qu'on fêterait en Février 1956 le centenaire de la prise en charge de la Birmanie par les Missions Etrangères par un Congrès Eucharistique.
Ce fut un énorme succès: 50.000 catholiques de toute la Birmanie se retrouvèrent pendant trois jours, avec réunions de prières et de chants séparées par langue, et grand rassemblement suivi d'une formidable procession dans les rues du centre de la capitale. Mgr Falière avait payé un billet de train pour une quarantaine de catéchistes des Chin Hills. Le Père Bürck dirigeait les chants en latin de la foule qui s'étonnait de n'avoir qu'une voix pour louer Dieu alors que la plupart, venant d'ethnies diverses, ne pouvaient même pas échanger la moindre conversation. Les catéchistes Chins revenus au pays racontèrent les merveilles qu'il avaient vues, et l'étonnante unité des catholiques. Un film avait été fait et on décida de le présenter dans tous les villages. Le Père Kelbert fit alors un miracle. Le générateur à essence qui alimentait l'appareil de projection était porté sur les pistes par un brancard et passablement secoué. Une fois, alors que la foule était rassemblée devant un drap où devait apparaître une image vivante comme jamais encore personne n'en avait vu dans le pays, l'engin refusa de démarrer. L'opérateur, et surtout le père Kelbert, et l'Eglise catholique avec lui, allait perdre la face : inspiré, le Père mit surplis et étole, chercha dans son Rituel la bénédiction ad omnia, y ajouta la mention "machina electrica" et dès l'aspersion d'eau bénite le moteur démarra. Une preuve de plus de la puissance de Dieu et de son serviteur !
Visite de Mgr Joseph U Win.
L'année 1956 fut marquée par un autre événement: l'évêque auxiliaire birman nouvellement nommé à Mandalay, Mgr Joseph, vint visiter les Chin Hills du Nord pour une tournée de confirmation. Le Père Jourdain l'accompagna à travers tout le district Zo qu'il avait hérité du Père Garrot, et l'évêque fut enfin bien content d'arriver à Tonzang où enfin il trouva des gens qui parlaient birman, le Père Kelbert, son catéchiste, deux sœurs, et aussi nombre d'anciens soldats. L'évêque put apprécier le progrès apporté dans ce grand village après son épuisante traversée des misérables hameaux du pays Zo, et l'accueil respectueux par la population. Le catéchiste fit un discours en birman et P. Kelbert eut ensuite l'occasion de faire l'interprète entre l'évêque et les gens. A l'école on commençait en effet à peine à enseigner le birman à cette époque, mais l'exemple des religieuses suscitait déjà des vocations religieuses. Le Père Kelbert accompagna l'évêque jusqu'au-delà du Manipur, chez le P. Blivet, et tout au long de ce périple Mgr U Win put constater combien ses prêtres des Chin Hills étaient débordés. Lorsqu’il redescendit dans la plaine, il était sans doute heureux d’avoir vu tant de chrétientés naissantes mais une chose l’inquiétait un peu : ces nouveaux chrétiens qui semblaient si bien s’organiser sans voir de prêtre étaient-ils de vrais catholiques ? Comme Mgr Falière l’avait demandé, il fallait préparer les jeunes prêtres birmans à aller missionner dans les Chin Hills.
Les sœurs avaient sans doute fait l'éloge de l'aptitude du Père Kelbert à prêcher aussi bien en birman qu'en chin ou en anglais et cette année-là il fut inviter à aller à Mandalay prêcher une retraite aux Franciscaines Missionnaires de Marie.
À la retraite de janvier 1957, on fait la fête car deux nouveaux sont arrivés, Roy et Lespade, et ils ont apporté des colis de France : chacun offre quelque chose : Kelbert du "Traminer" et Mgr Falière du rhum qu'une Sœur irlandaise sait obtenir d'amis militaires. On a bien travaillé aussi : on a mis au point le livre de prières et chants en "kamhau" et Kelbert va à Rangoon pour l’impression : il lui faudra un mois et même plus, mais enfin le district de Tiddim a un beau livre. Quand Mgr passa encore une fois visiter ses chères montagnes, 30 catéchistes étaient en réunion annuelle : Blivet et Kelbert enseignaient doctrine, liturgie, manière d'enseigner le caté... C'est une ambiance studieuse : tous prient, chantent et la journée se termine vers 10h par une séance de projection ou des joutes verbales entre catéchistes sur un thème donné : un vieux païen rencontre un jeune catéchiste et lui reproche de trahir ses ancêtres ; un nouveau catéchumène fait l'éloge de sa foi à son père hésitant; les sujets sont traités sur le mode le plus réaliste devant un public qui s'esclaffe, mais apprécie, surtout les allusions aux défauts des diverses ethnies.
Mgr tient beaucoup à ces réunions et voudrait même les multiplier, même si les Pères avaient moins de temps pour les tournées. On fait aussi des réunions pour les chefs de village, mais moins longues.
Les longues randonnées, et surtout la traversée répétée de la vallée du Manipour avec ses mille mètres de dénivellation finirent par avoir raison de la santé du P. Blivet: en octobre 1957 une typhoïde faillit l'emporter et, malgré les soins des Sœurs de Saizang où on l'avait amené, plusieurs fois son cœur flancha. Kelbert appelé d'urgence fit en une journée à pied la cinquantaine de Km de Tonzang à Saizang, car Ruellen était parti en tournée à la frontière de l'Inde où le P. Blivet avait promis d'aller. Puis Mgr Falière vint lui-même, mais il dut se rendre à l'évidence; tous ses missionnaires s'épuisaient. On décida de les envoyer en congé à tour de rôle: Blivet en 1958 puis Kelbert en 1959. Partout le nombre des appels augmentait. En 1958, une centaine de nouveaux catéchumènes s'étaient inscrits à Tonzang et encore plus ailleurs. De jeunes prêtres birmans étaient heureusement déjà prêts et prirent charge de districts.
À la demande du Père Dixneuf, il fallait un chef qui le remplace à la tête de la région de Tiddim, et c’est Antoine Kelbert qui fut nommé. Il avait d’ailleurs déjà divers projets d’apostolat, et avait obtenu des Américains de l’Information Service un appareil de projection. Fin Février, tous sont réunis à Tonzang autour d’Antoine Kelbert pour établir un programme de travail : chacun a son district à visiter, mais il faut prévoir la réunion des catéchistes le 10 avril, après Pâques, à Saizang, où chacun devra prendre part à l’enseignement. Il y a aussi à préciser la division du district du Père Blivet, et le travail confié au Père Augustine à Tiddim où il devra s’occuper des pensionnaires qui étudient au Collège du gouvernement. Mais toutes ces activités finissent par avoir raison de Père Kelbert. Dès que le Père Blivet est de retour en Octobre, c'est lui qui va en France pour un congé bien utile d'une année.
En Octobre 1959, on l'attendait à Tiddim pour la réunion des leaders de la région. Les pluies avaient fait ébouler les routes, mais on avait pu faire monter à temps deux camions de riz pour la mission. Le nombre des chrétiens avait bien augmenté et chaque famille de la région devait aider : de Saizang, deux citrouilles par maison ; Suangpi donnait des patates et Mualbeem des choux, Vangteh des feuilles diverses et Tiddim bois et thé... Les boutiquiers le sucre, « et nous la salive... » disait Ruellen. Les leaders étaient 74 cette année.
L’atmosphère avait été préparée par la réunion des Pères, les Mep et ceux du pays : Kelbert était arrivé le lundi, juste quand Jourdain débarquait avec toute une cavalerie après quatre jours de marche. On but une bouteille de “Fleur des Alpes” à la santé de la famille Kelbert. Ce fut une belle foire pendant deux jours mais le troisième le torchon menaçait de brûler, car chacun voyait les choses différemment...
L’ambiance avec les 74 leaders était à la fois très pieuse, avec oraison avant la messe le matin et chemin de croix à midi, très studieuse avec conférences et discussions. Il y eut un jour de récollection en silence relatif, mais aussi un autre où chacun peut tout dire : chaque Père en entendit de belles, mais eux aussi, car il y avait droit de réponse... On renouvela les consignes aux leaders et on leur donna une feuille de recensement: on avait dépassé les 10.000 entre baptisés et catéchumènes...
Puis Jourdain repartit avec sa cavalerie: un étalon, une jument et un poulain de 3 mois. Kelbert, parti la veille en jeep, eut des pannes et arriva à pied vers 3 h du matin à Tonzang. Comme reprise de contact avec la réalité des Chin Hills, c’était bien…Ses gens l’accueillirent comme le Père Noël, car on espérait qu’il apporte des tas de choses, et même un générateur électrique. Mais il trouva qu’on avait pillé sa bicoque encore plus qu’il ne l’imaginait. Il se faisait encore des illusions sur l’honnêteté de ses confrères.
En janvier 1960, Mgr Falière démissionna et laissa la place à Mgr Joseph U Win qui tint à venir lui-même ordonner le premier prêtre chin, Flavian, chez le Père Muffat. C'était une étape importante pour l'Eglise des Chin Hills et des délégations vinrent de toute la région. Kelbert amena ses catéchistes avec ceux de Blivet et Ruellen. Heureusement que le latin unissait les voix, car les dialectes étaient trop différents. Le P. Lespade rappela en quelques mots la grandeur du sacerdoce et Roy dirigea les cérémonies. Il y avait alors 12 prêtres aux Chin Hills avec chacun 15 à 20 villages, de belles communautés chrétiennes, et trois couvents de religieuses avec école et dispensaire.
Le Père Kelbert avait déjà envoyé deux filles se préparer dans la plaine pour devenir religieuses, et un séminariste de Tonzang, Timothy, allait bientôt revenir de Penang. L'hôpital promis par le Délégué apostolique lui avait donné bien du souci : les changements politiques avec la prise du pouvoir par l'armée, suivie d'un sursaut du bouddhisme, troublaient les esprits et les gens de Tonzang avaient mis du temps à faire leur part de travail. Enfin le chantier avançait et justement une doctoresse était arrivée chez les Sœurs Franciscaines et s'était déjà fait une grande réputation dans la région. On venait de très loin et c'était l'occasion de contacts avec des catholiques et le dévouement des Sœurs ouvrait bien des cœurs.
Le 18 juillet, les 4 pères Mep du nord se retrouvent entre eux à Tonzang. On parle de l’Algérie, du putsch des généraux, de la guerre des artichauts en Bretagne, etc… Chacun raconte ses heurs et malheurs : Kelbert essaie des cultures, artichauts, asperges, melons, mais surtout de la vigne qui donne des fruits qui « ont la couleur des raisins rouges bleuâtres des vignobles d’Alsace ». Mais il a des problèmes de chevaux :une jument tombée dans un précipice a été guérie par les Sœurs, mais elle est peureuse et refuse de passer les ponts, aussi il l’a remplacée par un mâle noir venu du Manipur. Pour son hôpital-maternité, ça avance bien depuis un mois, avec 7 charpentiers, et enfin le toit est mis !
Puis en septembre, le Père Kelbert est invité par Jourdain pour une réunion de catéchistes à Tuisa, chez le P. Alphonse au pied des montagnes, puis ils en ont fait une autre de 10 jours à Mualpi du 17 au 28 Octobre. La traversée d’est en ouest à cette époque de l’année avait été pénible : des centaines de sangsues attaquaient bêtes et gens, et au torrent le courant les entraîna sur plusieurs mètres. Le pays de Jourdain est encore une vraie jungle. En outre Mgr U Win, ne pouvant aller partout, avait délégué Kelbert pour aller donner la confirmation dans le district du Père Blivet du 17 au 24 Novembre. C'est au retour de cette tournée qu'enfin il put commencer les travaux de construction de la nouvelle église de Tonzang.
L’hôpital est terminé, mais non sans mal, comme il le raconte dans une lettre : «L’ex-maire de Tonzang m’avait mis les bâtons dans les roues, en envoyant une lettre calomnieuse à mon sujet à l’évêque à Mandalay. Cela a fait beaucoup de bruit dans tout le pays. Cela uniquement parce que j’ai été trop bon pour prêter une assez grosse somme d’argent à ce mécréant qui, ne pouvant le rendre la somme à la date fixée, et se trouvant humilié par ce que je lui disais, a essayé de m’intimider en demandant à l’évêque de me faire partir de Tonzang sans quoi il me traduirait devant le tribunal pour des histoires de terrain et de dispensaire qui naturellement n’ont aucun fondement. Cela aura été pour moi une leçon dont je me souviendrai. »
Les gens de Tonzang sont de beaux parleurs, mais pour encore beaucoup sont opposés au Père, aux Sœurs et à tous leurs projets. La communauté catholique est cependant solide et entreprenante : elle compte deux cents nouveaux catéchumènes et 130 d'entre eux vont être bientôt baptisés.
En 1961, le Père Joseph Alazard vint visiter la Birmanie. Pour monter aux Chin Hills il eut la chance de trouver un jeep et un chauffeur gurkha avec qui il put parler un peu. Le pays lui rappela le Sikkim où il avait travaillé. A Tonzang, l'eau manquait, surtout pour les besoins des Sœurs et de l'hôpital. Il promit au P. Kelbert d'intéresser un ami sourcier, capable d'indiquer même sur une carte, les points d'eau accessibles.
Cette année–là la réunion des catéchistes donna lieu à un incident: deux catéchistes qui avaient été se former pendant deux ans dans la plaine firent de la propagande pour plus d'indépendance des Chins. Kelbert l’expliqua au P. Alazard : « Les catéchistes viennent de faire de leur propre initiative une demande à Mgr U Win pour un supérieur majeur aux Chin Hills, même un évêque si possible. Nous les avions plus ou moins dissuadés, vu la situation actuelle. Mais nous ne pouvions les empêcher de faire savoir leur desiderata à leur évêque… » Mgr Joseph U Win avait parfois de la peine à comprendre les initiatives de certains aux Chin Hills, mais heureusement le P. Mainier, son vicaire général, était un ami qui savait calmer les aigreurs, et tout s'apaisa.
Ruellen étant parti en congé, Kelbert préféra attendre son retour pour avoir son aide, surtout pour son clocher : le terrain était fragile et il fallut creuser très profond pour planter des poteaux solides. Les gens avaient trouvé des pins de belle taille et le transport à dos d’hommes de pièces de 45 pieds étaient à la fois un défi et un exploit : l’atmosphère du chantier était cette fois excellente. Cette nouvelle église de Tonzang promettait d’être un chef d’œuvre avec grand vitrail et immense crucifix que réalisait un artisan local. Le Père Kelbert aurait bien voulu qu'en même temps que la bénédiction, l'évêque vienne pour l'ordination de Timothy, qui était revenu de Penang, mais ce n'était pas possible : l'évêque devait recevoir du gouvernement une distinction, et il fallait éviter toute friction avec les autorités.
Ce fut l'occasion de profiter pour une fois d'un temps libre et il partit avec le P. Pierre Blivet jusqu'à Mergui, à l'extrême sud de la Birmanie, heureux de voir un autre broussard, mais qui rayonnait en bateau, le P. Feuvrier.
En Février 1962 eut lieu la bénédiction solennelle de l'église de Tonzang et la première messe du Père Timothy. La maman du jeune prêtre était encore païenne, mais ce fut pour toute la communauté catholique de Tonzang une fête inoubliable: il y avait une vingtaine d'années seulement qu'avaient eu lieu les premiers baptêmes !
Cette année-là, Blivet et Kelbert allèrent aussi à la bénédiction de l'église de Haka en Avril avant de rentrer enseigner à la réunion des catéchistes à Saizang malgré la fatigue : le camion qui les ramenait les avait laissés sur la route et ils avaient dû faire 45 kms à pied par un orage terrible en passant au sommet à 2.500 mètres par une pluie glaciale. Bel exemple pour les 26 catéchistes…
Mais un autre orage avait passé sur la Birmanie: l'armée venait de reprendre le pouvoir et cette fois on savait que la situation des missionnaires allait changer.
Antoine Kelbert a toujours eu une santé fragile, et parfois le moral s’en ressent. Les missionnaires fatigués ont le droit d'aller prendre un temps de repos à Hongkong et il y songe, mais comment quitter la Birmanie en ces temps troublés ? Le P. Alazard lui a écrit et le 7 août il le remercie : « Merci de votre lettre du 4 juin ... Il est parfois très dur de surmonter le découragement... Peut-être irai-je à Hongkong quand même… Dommage qu'on ne puisse s'arrêter pour visiter les confrères et voir ce qu'ils font... Plutôt que de moisir enfermé quelques semaines à Hongkong, je préfère visiter quelques coins de Birmanie... »
Fin novembre, Blivet et lui descendent à Rangoon pour voir le docteur, mais ils sont à Mandalay pour la retraite, prêchée par le Père Harou et ce fut au dire de tous la meilleure qu'ils aient jamais faite. C'était ce dont ils avaient besoin, car l'avenir était sombre. Aucun nouveau missionnaire ne