Émilien MILCENT1919 - 2002
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 3809
- Bibliographie : Consulter le catalogue
Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Japon
- Région missionnaire :
- 1948 - 2002 (Tokyo)
Biographie
[3809] MILCENT Henri est né le 18 mai 1919 à Saint-Hilaire-de-Riez (Vendée),
Ordonné prêtre le 7 octobre 1947, il part le 30 avril 1948 pour la mission de Yokohama (Japon).
Après l’étude de la langue japonaise, il est nommé curé de Kiyose jusqu’en 1948, puis, de 1959 à 1993, il est directeur administratif de l’Œuvre d'assistance sociale du Jiseikai. De 1959 à 1999, il est en outre directeur administratif de l'Œuvre du Tosei Gakuen.
Il se retire sur place à partir de 1993, et meurt le 11 septembre 2002 à Tōkyō.
Nécrologie
ÉMILIEN MILCENT.
Le Bateau André Lebon, parti de Marseille le 30 avril 1948 avec 15 missionnaires des Missions étrangères à bord accoste à Yokohama le 18 juin.
Un aîné Clément Fonteneau que la guerre avait retenu en Indochine revient au Japon tandis que quatre jeunes, Henri Augmard, Henri Jachet, Lucien Meyer, Emilien Milcent y abordent pour la première fois.
Joseph Flaujac, soixante-deux ans à l’époque, fournit aux nouveaux venus les moyens de leur initiation à la langue, aux usages et à l’apostolat.
Au bout d’un an, cette équipe des jeunes recrues se débande : Jachet et Augmard sont affectés au district de Shizuoka. Meyer est expédié à Nasu. Quant à Emilien Milcent, il reste où il est, au service de l’œuvre du Père Flaujac. Cet ancien était arrivé au Japon en 1909. Il a fondé en 1930 l’œuvre de Béthanie. Le cœur de cette fondation est une petite congrégation féminine de droit diocésain –Jiseikai- qui anime toujours trois établissements, l’un à Tokyo où réside alors Flaujac, un autre à Nasu où maintenant se trouve Meyer. Le troisième, où se trouve Milcent, Kyosei, dans la banlieue ouest de Tokyo. L’Oeuvre prend en charge des tuberculeux et leurs proches, elle recueille les enfants de ces malades quand ils décèdent ; elle anime enfin une petite communauté chrétienne érigée en paroisse.
À Kyosei, c’est tout un village qui s’active dans de modestes bâtiments de bois sans étage, qui font office de dispensaire, d’orphelinat, d’école, de chapelle, de couvent, de logements pour les convalescents et le personnel. Un complexe qui évolue à la mesure des besoins et des moyens, un air de précarité et d’anarchie dans le bâti qui ne tranche pas sur les autres constructions de l’époque. L’ensemble, parmi les potagers, les cours et sous arbres, avec les petits chemins dessinés par des allées et venues ne manque pas de charme.
Toute la zone est alors abondamment boisée de pins et réputée pour convenir aux malades. Depuis les années trente, des hôpitaux publics et privés s’y sont établis : plusieurs organisations caritatives d’inspiration chrétienne et bouddhiste y sont implantées : le « Jardin de Bethléem » où réside Milcent ne fait donc pas figure d’initiative exceptionnelle puisqu’il s’inscrit dans un mouvement qui s’efforce de pallier les ravages de la maladie et les injustices qu’elle génère.
Dans la commune voisine de Higashi-Murayama, une léproserie est capable d’héberger un millier de malades. Rappelons que ces deux maladies, tuberculose et lèpre sont des fléaux qu’on maîtrisait alors assez mal ; ceux qui en étaient atteints étaient en outre frappés d’un ostracisme qui dans bien des cas était irréversible. Les malades et leur famille ainsi tenus à l’écart s’organisaient en marge de la vie des bien portants.
Le zèle de chrétiens laïcs, de religieux, de prêtres et de missionnaires mettait en relation ces différents lieux de soins. Et une petite communauté de chrétiens et de sympathisants, composée de malades, de leurs proches, de soignants aussi, s’était constituée autour d’un modeste clocher de bois. Augustin Mayrand, co-fondateur de l’Oeuvre, avec Flaujac est à la fois l’initiateur et curé de cette paroisse, le directeur spirituel des sœurs du Jiseikai ; il vit au Japon sans interruption depuis 1890 ; il a alors 82 ans quand Milcent devient son collaborateur. Parmi les paroissiens se trouvent des lépreux de l’hôpital voisin que le Père Mayrand visitait depuis longtemps. Voici donc dressé le décor et suggéré le milieu par lesquels le jeune missionnaire découvre le Japon et y prend goût. Et voici l’Oeuvre à laquelle il contribuera pendant toute sa vie et dont il accompagnera l’évolution : il leur aura donné son cœur et sa foi.
Les quatre arrivants de juin 1948 inauguraient la génération des missionnaires de l’après-guerre, beaucoup d’autres et un contingent de confrères expulsés de Chine devaient bientôt renforcer les effectifs. Pierre Laurendeau, frais émoulu du séminaire, accostant fin octobre 1951, se rappelle la tablée qui réunissait le soir même de son arrivée à Ueno, chez le Père Anouilh commis à l’accueil, les nouveaux venus et plusieurs « anciens » dont Emilien Milcent. À la fin du dîner, celui-ci offre de conduire chez lui, pour y passer la nuit deux des arrivants…Lesquels ? « Des gens sensibles, de préférence, dit-il, car ils célébreront demain la messe pour les lépreux. » C’était bien dans sa manière, cette gouaille ! Des dehors un peu rugueux pour le confrère, la distance de l’ironie et le refus apparent de toute sentimentalité ! En ce temps-là comme plus tard, Milcent, c’était Milcent : on aurait été mal inspiré de l’appeler Emilien ! Un grand gaillard osseux de 32 ans, un peu voûté, le béret sur la tempe, vêtu d’une vareuse sans doute héritée des stocks américains, on le voyait se déplacer à longues enjambées ou circuler à bicyclette entre les différents établissements hospitaliers de Kyosei et Higashi-Murayama. Il vivait à la façon très simple des deux pionniers, tirait comme eux sur sa bouffarde, son temps partagé entre l’office et les célébrations du culte, l’étude du japonais et des visites à recevoir et à rendre. À l’occasion, une partie de carte; le témoin du bateau de 1951 rappelle l’amitié de Milcent et de Jachet qui se revoyaient à la première occasion : je n’ai jamais été, dit-il, grand amateur de cartes et par ailleurs je redoutais un peu le tête-à-tête prolongé avec le caustique Milcent… Mais ces deux-là ensemble : leur connivence et leur conversation m’attiraient ; j’aimais les voir taper le carton, les entendre rire et discuter ferme !
Milcent est originaire de Vendée. Il y est né le I8 mai I9I9, cinquième d’une fratrie de sept enfants. Il a grandi dans une des fermes basses et blanches aux toits de tuiles rondes et aux volets bleus disséminées dans le marais, sur la commune de Saint-Hilaire-de-Riez. Ses Parents, Félix et Fanélie venaient de Saint-Jean-de-Monts. Enfance en sabot, l’école du bourg à une bonne heure de distance. On parlait maraichin sur ces chemins-là, et ni l’étude du français ni celle du japonais plus tard ne feront oublier à Emilien les expressions des premiers mots : il aimera toujours, à chaque retour, patoiser au pays. Selon son frère, il aimait assez faire le pitre. Mais c’était aussi un enfant dont on avait remarqué l’intelligence et constaté qu’il avait plus de goût pour la lecture que pour les travaux de la ferme : voilà pourquoi sans doute, on l’expédia chez ses grands-parents paternels à Saint-Jean de Monts : il pourra y fréquenter une école plus stimulante que celle du bourg de Saint-Hilaire. À quatorze ans, le certif. en poche, Emilien est saute-ruisseau chez un notaire. Comment se retrouve-t-il, trois ans plus tard à l’automne de 1936 pensionnaire au petit séminaire de Chavagne-en-Paillers ? Il y termine sa philo en 1939, deux mois avant la déclaration de guerre.
Il a vingt ans, il est mobilisé, il rejoint l’ école des cadres de Saint-Maixent.
En juin quarante, il est sur la rive Sud de la Loire, en même temps que les cadets de Saumur qui tentent d’empêcher les troupes allemandes de traverser le fleuve. Puis la débâcle, l’Armistice ; Emilien est à Fréjus, dans la coloniale qui compte dans ses rangs des soldats indochinois : le Père Jean Reynaud, Mep, est leur aumônier. Mais surtout Emilien Milcent se lie d’amitié avec Jean-Marie Mouysset, au Camp du Puget. Ce séminariste du diocèse d’Albi envisage depuis quatre ans déjà d’entrer aux Missions étrangères, il est en relation suivie avec plusieurs de ses membres et en septembre 1942, il entre au séminaire de la rue du Bac. Démobilisé dans le même temps, Milcent, lui, est accueilli au Grand Séminaire de Luçon. Deux ans plus tard, pour justifier sa demande d’admission au séminaire de la rue du Bac, voici ce qu’il écrit : « Depuis longtemps je songeais à faire cette démarche » quel chemin, quelles rencontres suggèrent cette expression d’un garçon de 25 ans ? Mouisset restera toujours l’un de ses amis ! C’est en septembre 1944 que, tonsuré, Milcent le rejoint à Paris. Mouysset passe ses derniers mois au séminaire, il sera ordonné prêtre en février 1945 ; mobilisé comme aumônier dans le Corps expéditionnaire il partira en mars pour l’Algérie puis en mai pour Saigon . Milcent est ordonné prêtre le 7 octobre 1947,
Dans les années 1970, celles où j’ai fait la connaissance d’Emilien Milcent, il partage sa vie entre ses responsabilités de Directeur d’œuvres sociales et depuis 1968, de supérieur de la Région du Japon. (En 1959 lors de la création du groupe de Tokyo-Urawa, il avait été supérieur local).
Dans la journée, le plus souvent, on le trouve à Tokuden. Chaque soir, il rejoint à la Maison régionale, parmi d’autres confrères, les benjamins.
Les jeunes missionnaires arrivés au Japon dans les années de l’après-concile et de mai 68 se rappellent sa verve, sa narquoiserie sagace, sa gouaille du moment qu’il trouve de la répartie ! Il ne manque pas de proposer à ces jeunes de l’accompagner dans ses visites là où travaillent les Sœurs de Béthanie et chez les confrères à travers le Japon. C’est maintenant un homme de plus de cinquante ans: l’œil noir profondément enfoncé sous les sourcils broussailleux peut être tour à tour froid, pétillant, affectueux ; le verbe est parfois coupant, ou bien la conversation s’agrémente d’anecdotes bien tournées, de saillies désopilantes, de réflexions sagaces. Il passe depuis longtemps pour manier la langue japonaise avec beaucoup d’habileté, d’aisance et un grand sens de l’à-propos. Je crois qu’il impressionne souvent son interlocuteur japonais.
Il occupe alors à Tokuden, dans un vieux bâtiment de bois, ses fenêtres donnant sur la rue à travers l’ombre de gros camphriers, le bureau du Père Flaujac décédé en 1959. Dans la bibliothèque, de vieilles reliures, comme celle des prédications à Notre-Dame ayant appartenu à son prédécesseur, voisinent avec des ouvrages très récents. Milcent, au séminaire de Luçon avait été initié à l’étude biblique par le Père Hauret qui faisait alors autorité, son goût de la lecture dans ce domaine restait vif.
Moi qui l’ai entendu ironiser sur le besoin de certains d’afficher autour d’eux des portraits de famille, je voyais en permanence sur son bureau, la photo d’un ami, Favreau, (et bien sûr, Milcent ne m’a jamais appris son prénom !) prêtre et docker au port de Bordeaux mort écrasé sous un faix mal arrimé.
Milcent dans ce bureau directorial et les dehors d’un paradoxe : cet ancien lecteur de Témoignage Chrétien était donc à la tête d’une œuvre ayant pignon sur rue, en pleine réorganisation et dont le souci absorbait une grande partie son temps : collecte d’argent, gestion du capital, constructions avec le corollaire, la fréquentation des banquiers, de donateurs prestigieux, d’architecte…Et là-dessus, en 1984, une décoration du gouvernement japonais. Certains de ses confrères le voyaient un peu comme un gros bonnet. Ils avaient parfois d’autant plus de peine à comprendre que Milcent ne s’expliquait guère, à la cantonade, autrement que par boutades et des traits ironiques. Il fallait sans doute une certaine forme d’humour et de complicité avec lui pour deviner le coeur et apprécier l’intelligence d’un homme chargé.
De l’époque du Père Flaujac ne reste guère aujourd’hui que le presbytère et l’église paroissiale de Tokuden dont la structure en bois affecte des formes « ogivales »assez exotiques. Peu à peu l’espace s’est redistribué sur le terrain et s’est dessiné un nouveau plan de circulation à l’intérieur du compound. Une maison de retraite pour des vieux grabataires, les bureaux, les maisons conventuelles rebâties, agrandissement de l’hôpital, maintenant un hôpital général de bonne tenue où parmi le personnel nombreux on croise des religieuses. L’orphelinat subsiste encore et l’on entend toujours piailler des enfants bien moins nombreux qu’autrefois mais les jardins potagers ont disparu. À la précarité, au foisonnement un peu hasardeux des entreprises du début, puis aux temps troublés de la guerre et de ses séquelles, succède la nécessité de s’adapter. En pleine expansion économique, les Sœurs de Béthanie gèrent une Oeuvre qui a dû s’aligner sur des exigences de qualification et sur celles de la concurrence. Les vocations religieuses se sont raréfiées. Émilien Milcent n’ignorait plus rien du rituel des bénédictions de la terre qui précèdent les fondations d’un bâtiment, ni de celui des inaugurations !
Les Religieuse de Béthanie après la mort de leur fondateur ont assumé l’héritage et pour le faire fructifier, elles ont largement fait appel à l’intelligence et à l’autorité d’Emilien Milcent. S’il est officiellement directeur d’œuvres sociales, il est également soucieux de promouvoir et faire fructifier l’héritage spirituel. Dans cette décade où je l’ai connu de plus près, il ne cache pas son intérêt pour les lectures spirituelles qu’il donne dans les différentes maisonnées du couvent, pour ses relations avec la communauté des Sœurs, avec les paroissiens de Tokuden, avec les enfants, les vieillards; il y révèle une simplicité cordiale ; humour, lucidité et bon sens terrien marquent sa conversation comme ses écrits. Dans le bulletin de l’œuvre, ses chroniques qu’il intitule Le vent souffle où il veut rendent compte de ce ton, de l’esprit de ces entretiens familiers, de son amour pour le petit monde de Béthanie dont il se sait faire partie. Signalons ici, outre une édition de ses lectures spirituelles en japonais collationnées par les religieuses, un petit ouvrage de vulgarisation en français intitulé « Le Christ au Japon’ . C’est une brève histoire de l’Eglise dans ce pays, suivie de la traduction qu’il fit de témoignages d’étudiants chrétiens qu’un professeur à l’université Sophia, le Père Nemeshegi, avait rassemblés. Ce livre est apprécié des visiteurs : il est bien fait pour éveiller leurs questions et leur intérêt.
Bien des visiteurs se sont entendu proposer une excursion à Nasu où Milcent aimait se rendre régulièrement pour visiter les religieuses qui s’y étaient établies. Après la seconde guerre mondiale, d’anciennes chasses impériales avaient été acquises par le Père Flaujac au nom de l’œuvre qu’il animait. La population de Tokyo souffrant alors de malnutrition, il s’était mis en tête de fonder une communauté d’ouvriers agricoles qui feraient du maraîchage et vendraient leurs denrées dans la capitale. Il avait déjà regroupé d’anciens soldats qui après la défaite avaient tout perdu et d’anciens prisonniers politiques en raison de leur opposition à la guerre. Le projet fonctionna brièvement et fit long feu… Ces terres vacantes à perte de vue pouvaient accueillir bien d’autres projets. C’est ainsi qu’y fut fondé un centre pour des handicapés mentaux, avec leurs éducateurs spécialisés et qu’un petit groupe des Sœurs de Béthanie s’y installa. Plus tard un couvent de Trappistines pu s’y établit à son tour. Une petite communauté chrétienne des gens du pays vit le jour, animée par Pierre Flamand. Et encore un foyer pour une année de propédeutique destinée aux candidats au sacerdoce. Enfin une maison d’accueil pour des retraitants. Émilien Milcent suivait de près cette évolution de la situation à Nasu et intervenait régulièrement dans les décisions à prendre.Ses visites mensuelles suivaient un rituel précis qui tôt le matin commençait avec la messe au couvent. Et si les chemins étaient mauvais, c’est chaussé de grandes bottes qu’il partait en tournée, visitant les établissements dispersés sur le plateau. Pour l’avoir accompagné en chemin, je sais qu’il repassait dans les traces d’un petit paysan d’autrefois. À longues enjambées, sa silhouette voûtée de loin reconnaissable.
Après sa démission de Régional du Japon il avait accepté, en 1983, après la mort du Père Anouilh, la responsabilité d’Econome régional. En 1999, il prit une retraite presque complète : tout en continuant de vivre à Tokuden, il rendait des petits services aux religieuses et à la paroisse. Au régional de l’époque, Michel Connan qui alors le voyait régulièrement, il tenait à préciser qu’ayant été démis de ses fonctions de Directeur de l’œuvre, il restait néanmoins responsable d’une école enfantine, Tosei Gakuen… En quoi consistait au juste cette responsabilité ? Il est clair que jusqu’au bout -et dans les dernières années, ne conduisant plus sa voiture, il se faisait conduire- il se plaisait dans la compagnie des enfants qui lui rendaient bien son affection.
Dans les dernières années de sa vie, comme beaucoup d’anciens, il se taisait longuement, semblait regarder ailleurs…Fidèle en amitié et aux réunions des confrères, il y apportait le même mélange dans les mêmes proportions, de connivence, et d’ironie, d’intelligence et de bonhomie.
En août 2002, quand Emilien Milcent apprit qu’il lui restait peu de temps à vivre, il se montra égal à lui-même, calme, ironique, bienveillant. Il est mort le 11 septembre ; ses funérailles, présidées par l’archevêque, furent célébrées à la cathédrale de Tokyo. Sa tombe est au cimetière de Fuchu avec celle d’autres confrères Mep.
B.Jacquel