Léon DUJON1919 - 1990
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 3795
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[3795] DUJON Léon, Henri, Marc, André, est né le 30 novembre à Sallanches, diocèse d'Annecy (Haute-Savoie), de parents restaurateurs savoyards, dans une famille de 5 enfants.
Léon fit ses études primaires à Sallanches et ses études secondaires à La Roche-sur-Foron où il obtint, de la part du Supérieur, une lettre testimoniale judicieusement élogieuse (1931-1938).
Il fut admis aux Missions Étrangères le 12 septembre 1938, au Séminaire de Bièvres, séjour qu'il interrompra au cours de l'occupation allemande, en 1943, pour franchir clandestinement la frontière espagnole et rejoindre en Afrique, puis en Angleterre, aux États-Unis et au Canada la R.A.F au titre d'officier navigateur-pilote; ceci lui valut la considération de ses confrères, à son retour à la Rue du Bac, après la guerre, en 1945. Il y fut ordonné sous-diacre le 21 décembre 1946, diacre le 22 mars 1947 et prêtre le 29 juin 1947.
Agrégé à la Société des M.E. le 14 novembre 1947, il partit pour la mission de Kontum où il avait été affecté le 24 décembre 1947, transporté sur le paquebot Chantilly avec le Père Beysselance et quelques religieuses de St Paul. Mgr. Sion, vicaire apostolique de Kontum, envoya le Père Dujon chez les Banhars, à Konsomluh, remplacer le Père Giffard, bien que Léon fût à peine remis d'une opération de l'appendicite subie à l'hôpital militaire de Pleiku, et que par ailleurs, la région fût soumise aux incursions continuelles des Viêt-minh qui pratiquaient le terrorisme vis-à-vis de la population montagnardes. Cela valut au Père Dujon d'avoir à décamper plusieurs fois, pour ne pas risquer d'être enlevé".
Le Père Dujon s'était déjà familiarisé avec la langue banhare, quand, au retour du Père Giffard, Mgr. Sion l'envoya à Phuong-Hòa, sur la rive gauche du fleuve Bia, pour y apprendre le vietnamien -ce qu'il fit très volontiers.
En 1951, le Père Giffard ayant été nommé procureur de la mission de Kontum, le Père Dujon reprit en mains le district de Konsomluh. Il se trouvait en plein élément Jolong, responsable de 15 villages d'inégale valeur chrétienne. Il était, au dire d'un jeune confrère venu le rejoindre plus tard, un missionnaire pieux et zélé, entièrement dévoué à ses ouailles, notamment aux malades. Vis-à-vis des secours octroyés par le Catholic Relief Service, le Père Dujon restait circonspect, évitant de faire de ses paroissiens des assistés.
Première captivité et reprise fructueuse de l'apostolat :
Le 28 janvier 1954, les Viêt-minh occupèrent le district du Père Dujon, ce qui obligea celui-ci à se replier sur Pleiku. Par ailleurs, le 5 février 1954, ce furent l'évêque et 7 Pères qui furent invités, par ordre militaire, à évacuer Kontum et à se réfugier à Pleiku. Au mois de mars suivant, le Père Dujon est désigné pour remplacer le curé d'An-Khê, communauté vietnamienne importante de 3.000 fidèles. Il aura le regret de ne pouvoir y rester longtemps, car An-Khê à son tour, sera évacué. C'est alors que, sur la piste qui relie An-Khê à Pleiku, le convoi civil et militaire, pourtant composé du prestigieux bataillon de l'U.N.U, le G.M.100 qui s'était illustré en Corée, a été anéanti par un commando Viêt-minh qui brûla les chars et emmena plus de 1.000 prisonniers, parmi lesquels se trouvait le Père Dujon. Celui-ci en reviendra seulement en juillet 1954, après les Accords de Genève, amaigri mais nullement démoralisé. Un repos de 15 jours, à Dalat, lui suffira pour remettre la main à la charrue. Il prêche des retraites de 4 jours à ses ouailles de Kon-Long-Buk et de Kon-Sobai, sans négliger d'encourager ses confrères par de fraternelles visites, nécessitant des heures de marche. Il aura la sagesse d'interrompre cette vie épuisante en prenant un congé en France, du 24 mai 1958 au 21 avril 1959.
À son retour, envoyé dans la région Nord de Dak-To, il y créa le centre de Dak-Chu, chez les montagnards Jeh, dont il apprit rapidement la langue.
Plus tard, en 1962, il est curé du district de Dak-Cho et fonde un nouveau district près de Dak-Sut où les demandes de baptême affluent de toutes parts.
En 1962, c'est à Dak-Kola qu'il est chef de district avec 8 villages dont 3 nouvellement convertis. Le nombre des chrétiens passera de 206 à 579. De même, en 1963, on comptera 63 baptêmes à Dak-Kola avec 648 catéchumènes.
Deuxième captivité et reprise du travail :
Cependant, en 1965, l'insécurité grandissante forçât plusieurs missionnaires à quitter provisoirement leurs postes; quant au Père Dujon, resté sur place, il fut enlevé par les Viêt-côngs du 23 au 24 février 1965, relâché le 25 et repris le 28, avant d'être libéré le 2 août 1965 (sa captivité a été décrite par Christian Simonnet, dans son livre "Les Tigres auront plus pitié" (pages 318-319). Quant à l'intéressé, il déclara au retour de cette sévère épreuve qu'"un truc comme ça vaut toutes les retraites !"
Quoiqu'il en soit, son retour auprès des chrétiens de Dak-Kola fut un réconfort pour tous. Le Père Dujon en profita pour regrouper les districts de Dak-Cho, de Kong-Honong et de Dak-Kola, autour de celui de Dak-To, ce qui contribua à redonner confiance aux populations malgré les ruines passées et les sombres perspectives d'avenir.
Le danger était omniprésent. C'est ainsi que le 16 avril 1947 le Père Dujon, un peu trop pressé de partir en Land-Rover, avant le déminage des pistes par les spécialistes, sur le chemin de Kontum à Dak-To, sauta sur une mine, avec son véhicule. Il fut projeté à 15 mètres de là, avec plusieurs côte enfoncées et son auto en pièces. Convoqué à Saigon (où il était allé chercher des matériaux de rechange) par le Délégué apostolique, il en aurait attendu autre chose de que belles paroles...
Troisième captivité et reprise des activités missionnaires :
En 1972, toute la région de Dak-To tomba aux mains des Viêt-côngs. Le Père Dujon et son compagnon, le Père Arnould, furent séparés de leurs chrétiens et emmenés dans la forêt, à l'Est, vers Ngoc-Linh, du côté de Kon-Pia et de Kon-Kola (où le Père Bonnet avait été tué en 1962). Dans le même temps, les Pères Carat et Brice étaient emmenés dans ce même secteur, mais séparément, jusqu'au mois de juillet 1972, au moment de leur libération. Celle-ci leur sera annoncée le 9 juillet, avant la mise en route du 17 juillet vers Dak-Tu où les Pères Dujon et Arnould les retrouvent, le 1er août, accompagnés de petites soeurs montagnardes de Dak-To. Le départ définitif se fera le 18 août et l'arrivée à Kontum le dimanche 27 août 1972, à la grande joie de l'évêque, Mgr. Seitz, et de toute la population chrétienne.
Une fois de plus, les Pères Dujon et Arnould se retrouvent à 170 km au Sud-est du Kontum, avec un groupe de réfugiés de la région de Dak-To, expédié dans la province de Cheo-Reo Phu-Bôn, un camp de 8.000 personnes, comprenant à la fois des Sedang et des Joraï, dans des conditions très pénibles. Les deux missionnaires partageaient avec les gens leur faibles ressources et leur insécurité.
L'expulsion :
Les événements vont se précipiter. Le 10 mars 1975, la ville de Kontum est occupée, sans combat, par les troupes de l'armée populaire. L'ordre est donné à toutes les personnes déplacées de regagner leurs villages d'origine. Aussi, dès le 1er avril, le Père Dujon accompagne-t-il le long cortège de ses paroissiens, réfugiés à 150 km au Sud de Kontum. Une marche pénible les amène à Kontum le 12 avril. Les missionnaires doivent résider à l'évêché -ce ne sera que le 12 août que viendra l'ordre de départ définitif pour les 7 prêtres M.E.P. Le voyage sous haute surveillance se fera en trois étapes pour franchir les 900 km de Kontum à Saigon... C'est le 15 août que se fera l'embarquement sur une caravelle d'Air-Laos, à destination de Bangkok. Aucune explication n'accompagnera cette expulsion.
Toutefois le comité révolutionnaire de Kontum publiera un communiqué accusant les missionnaires d'une série de crimes imaginaires, méritant chacun la mort "qui leur a été épargnée par l'"indulgence du Peuple""
À son retour en France, le Père Dujon passa quelque temps dans sa famille, éprouvée par plusieurs deuils.
Mais dès le mois de janvier 1976, Léon Dujon se portait volontaire, à 56 ans, pour l'Indonésie où il aurait rejoint plusieurs confrères du Viêt-nam -cependant, ce projet ne pouvant aboutir, il restera 2 ans au service du diocèse d'Annecy, comme curé de Lagiettaz, puis de Verchaix.
En 1978, il fut appelé à Paris, pour participer au service de l'Économat de la Rue du Bac.
Enfin, en novembre 1980, il obtint de partir pour l'île Maurice.
Missionnaire à l'île Maurice (1980-1989) :
Arrivé le 29 novembre 1980, Léon Dujon fut bientôt affecté à la cure de la paroisse de Chamarel, au Sud-ouest de l'île, véritable "poste de broussard" tombé en désuétude dans un paysage boisé accidenté au pied du Piton de la Rivière Noire (828 m). L'église dédiée à Ste Anne était surtout fréquentée le 26 juillet pour la fête patronale. Le presbytère, relativement confortable, fut bientôt cédé à trois religieuses dont le Père Dujon alla occuper le logement plus fruste. Cependant, cette paroisse de Chamarel avait deux annexes à desservir. L'une, Case Noyale, distante de 4 km, par une route en lacets, parcourue à toute vitesse par la camionnette Toyota. La chapelle sert de centre catéchistique où les religieuses réunissent les enfants. Le Père Dujon y lancera bientôt un groupe charismatique qui redonnera vie à la paroisse et facilitera bien des régularisations matrimoniales. L'autre annexe, située à 8 km de la première en longeant le littoral, comportait une ancienne église détruite par un cyclone. Léon Dujon s'employa à la reconstruire solidement et avec goût. Elle fut inaugurée par le pro-nonce Mgr. Marchetto, au milieu d'une nombreuse assistance de prêtres et de chrétiens.
Le Père Dujon ne négligea pas pour autant les relations avec le centre touristique situé au pied du promontoire de la Morne et de ses falaises de 500 m. Prise de contact et relations amicales récompensées par quelques dons généreux, pour la construction de l'église.
Cependant, cette activité tous azimuts, finit par éprouver sérieusement la santé de Léon : difficultés respiratoires, paralysie momentanée d'un bras. Tout présageait un coeur fatigué à l'extrême. Un retour en France s'avérait indispensable pour soins médicaux. Il eut lieu en septembre 1989.
Retour au pays (1989-1990) :
Dès son arrivée, Léon Dujon dut subir une opération importante, acceptée avec impatience, et complétée par une courte convalescence à Lauris. L'infatigable Père Dujon méditait déjà une dernière visite à l'île Maurice, quand son médecin le fit déchanter en le faisant de nouveau hospitaliser à Necker, pour insuffisance cardiaque.
Son intention était enfin de se retirer sagement à Lauris. Toutefois, auparavant, il voulut retourner une fois en Haute-Savoie, à St Gervais... C'est là, comme au terme d'un pèlerinage aux sources, que le Seigneur l'attendait, à Annemasse, pour le rappeler à Lui, le 17 décembre 1990.
Nécrologie
Le Père Léon DUJON (1919-1990)
Le 29 juin 1938, le Supérieur de l’école secondaire de La Roche-sur-Foron présentait Léon Dujon aux Missions Étrangères dans les termes suivants : « Léon qui s’adresse à vous est un jeune homme intelligent, ouvert et débrouillard. De tempérament assez léger dans ses cours de classe, avec une pointe d’indépendance frondeuse, mais dans la manière collégienne assez anodine. Ses études n’ont pas été poussées aussi sérieusement qu’on pouvait l’espérer, quoique sa culture soit largement suffisante et qu’il garde toutes les possibilités de la développer par ses bonnes aptitudes foncières. Cet enfant est moralement sain et de bonne piété. »
Cette présentation annonçait assez bien l’homme et le missionnaire qu’allait devenir Léon Dujon, jovial, espiègle, généreux, foncièrement sain, parfois provocateur et bruyant, toujours animé d’une sérieuse piété qu’il n’a cessé de nourrir en fidélité aux moyens classiques appris au séminaire : méditation, eucharistie, bréviaire, chapelet, visite au Saint Sacrement.
C’est avec ce mélange de panache et d’exigence que nous est décrit aussi Léon à son retour au séminaire à la fin de la guerre en 1945. Les souvenirs qui suivent viennent de l’un de ses confrères qui devait plus tard le rejoindre à la Mission de Kontum : « La première fois que je le vis, c’était à la fin 1945. La rentrée au séminaire de la rue du Bac était déjà faite. Mais les retardataires continuaient à affluer : anciens prisonniers d’Allemagne, anciens de la Campagne d’Afrique, etc. Un jour un fringant officier de la RAF se présenta : c’était Léon Dujon, impressionnant dans sa tenue militaire. Le nouvel arrivant avait passé la frontière espagnole en 1943. Accueilli par la police espagnole, il avait connu le camp de Mirandas. Comme il avait fait connaître sa qualité de séminariste, l’évêque du lieu en fut informé. « Je vous propose de vous faire libérer, dit l’évêque, mais à condition de venir poursuivre vos études de théologie dans mon séminaire... – Pas question, Monseigneur, je ne suis pas venu ici pour faire des études mais pour rejoindre les Forces Françaises Libres. »
Un jour, je ne sais comment, il quitta le camp d’internement et rejoignit l’Angleterre via l’Afrique du Nord. Il s’engagea dans l’Armée de l’Air. Aux USA et au Canada, il suivit des stages pour devenir navigateur-pilote. Il regagna l’Angleterre... mais c’était en mai 1945 ! Le 8 mai l’armistice était signé. « Mon grand regret, disait Léon, c’est que je n’ai jamais eu l’occasion de faire un seul raid sur l’Allemagne nazie. »
Destination Kontum
Ordonné dans la chapelle des Missions Étrangères le 29 juin 1947, il reçut sa destination pour la Mission de Kontum, au Vietnam, comme le Père Paul Beysselance, ordonné le même jour que Léon. Il avait 28 ans, une santé de fer et beaucoup d’allant.
Les deux confrères arrivèrent à Saigon le 24 janvier 1948, en compagnie de plusieurs religieuses de Saint-Paul qui avaient voyagé avec eux sur le Chantilly. Déjà les routes n’étaient pas sûres, les Vietminh multipliaient leurs attaques, si bien que les jeunes arrivants durent se joindre à un convoi pour franchir les 900 kilomètres qui les séparaient de leur destination finale.
Mgr Sion, alors vicaire apostolique de Kontum, décida que le Père Dujon irait à Kon Xomluh, chez les Banhars Jolong où le Père Giffard attendait l’arrivée d’un jeune pour prendre son congé en France. Au bout d’un mois, le Père Giffard laissa seul le Père Dujon qui, entre temps, avait été opéré à l’hôpital militaire de Pleiku à la suite d’une crise d’appendicite. Remis de ses émotions, le Père « Nouveau », se mit à apprendre la langue sous la conduite d’un catéchiste, si bien qu’il se débrouillait à peu près lorsque le Père Giffard revint de France. Un compte rendu de 1948 rapporte que Léon Dujon réussissait magnifiquement malgré sa jeune expérience et la présence des Vietminh qui circulaient habituellement dans ces parages. La même année on signale que le Père Dujon a été obligé à deux reprises de décamper en vitesse de l’endroit où il se trouvait. Le chef de canton bahnar fut assassiné et les pauvres gens étaient terrorisés.
La situation de la Mission de Kontum était dès cette époque des plus délicates à cause du terrorisme exercé par les Vietminh et de la politique des gouverneurs français qui cherchaient des appuis du côté des catholiques. « Plusieurs villages, dit Mgr Sion, en fin 1948, ont connu l’oppression vietminh les forçant à établir des comités et à les ravitailler. Les catholiques, subissant alternativement la domination des Vietminh et des Français, ne savaient pas comment se comporter. La plupart d’entre eux voulaient rester neutres. Il y eut des arrestations et des emprisonnements. Comme en d’autres régions d’Indochine, nos gouvernants comprirent mal le rôle du missionnaire, qui n’est pas de faire de la politique, mais de se dévouer uniquement au salut des âmes dont il a la charge devant Dieu . »
Étude du vietnamien
À son retour de France le Père Giffard reprit son poste, libérant ainsi le Père Dujon qui fut envoyé à Phuong Hoa, sur la rive gauche du fleuve Bla pour y apprendre le vietnamien. Pas très doué pour les langues, il fut cependant vite adopté par la population vietnamienne qui appréciait sa jovialité. « Cha vui ve lam, le Père est très gai ! » Lui-même fut ravi de ce séjour à Phuong Hoa.
Il confiait plus tard à un confrère : « Tu sais, s’il me fallait faire 50 kilomètres à genoux pour être curé chez les Vietnamiens, je le ferais... » Mais son séjour dans la communauté des chrétiens vietnamiens ne devait pas durer bien longtemps, il serait dorénavant appelé à servir parmi les ethnies montagnardes.
Retour à Kon Xomluh
En 1951 le Père Giffard fut nommé procureur de la Mission et le Père Dujon invité à reprendre le district de Kon Xomluh. Un compte rendu de 1952 fait mention : « À Kon Xomluh, le Père Dujon est en plein élément golong ; son district comprend quinze villages, d’inégale valeur chrétienne : six ont la foi solide, les pratiques religieuses bien établies, et ont renoncé à toutes les superstitions païennes ; ils n’ont cependant pas encore abandonné la jarre! – les autres comptent de bons éléments, mais, soit que leur conversion soit encore trop récente, soit que leur éloignement du centre ne favorise pas la vie religieuse, bien des vestiges païens y subsistent encore. » Quelques années plus tard le Père Dujon allait recevoir chez lui un jeune missionnaire qui nous a laissé quelques impressions de cette période vécue avec Léon. Au risque de ne pas respecter l’ordre chronologique, nous pouvons placer ici ce témoignage qui nous permet de mieux saisir la personnalité du Père Dujon : « C’est à Kon Xomluh, où je fus envoyé pour apprendre le bahnar, que j’appris à connaître Léon. Je n’étais pas enthousiasmé par ma nomination à Kon Xomluh. Léon Dujon que l’on retrouvait aux réunions mensuelles à Kontum, me paraissait plus qu’original, fort en gueule, sûr de lui… ajoutez à cela un langage dont aurait rougi un caporal de la Légion étrangère.
Eh ! bien, je découvrais un tout autre personnage. Un missionnaire zélé, parcourant la brousse au service de ses 17 chrétientés, d’une délicatesse maternelle pour les malades. Il ne se serait jamais permis la moindre excentricité dans son district ! Par contre chez le voisin il se déchaînait.
Dès les premiers jours je m’aperçus que mon curé gardait un règlement de séminariste en ce qui concernait sa vie spirituelle : tous les matins oraison à 5 h 30 à l’église, avant la messe; bréviaire récité autant que possible devant le Saint Sacrement... Un modèle que je renonçais à suivre...
À l’époque, nous commencions à recevoir quelques secours du Catholic Relief Service : surtout du bulgur et des ballots de vêtements. Le Père Dujon n’aimait pas cela. Il ne voulait pas faire de ses paroissiens des assistés.
Une seule fois il consentit à distribuer des habits. Mais lorsque le dimanche suivant il vit son chef catéchiste s’approcher de la sainte table dans un pyjama rose tout fripé, quand il vit un autre paroissien serrant un soutien-gorge autour du ventre (poche de droite pour le tabac, poche de gauche pour la pipe !), ce fut terminé pour de longs mois. Il faudra attendre les terribles années de guerre pour recommencer les distributions. »
Première captivité
Il nous faut reprendre le fil des événements.
Ceux-ci vont se précipiter. Le 28 janvier 1954, les Vietminh occupent le district du Père Dujon qui doit se replier sur Pleiku. Le 5 février, en pleine nuit, l’ordre est donné d’évacuer Kontum. L’évêque et 7 Pères se replient sur Pleiku. Au mois de mars suivant, le Père Dujon est désigné pour remplacer le curé d’An-Khe, dans une importante communauté vietnamienne d’environ 3.000 fidèles. Malheureusement il n’y restera pas longtemps, car An-Khe à son tour doit être évacué.
Sur la piste qui relie la petite ville à Pleiku, le convoi civil et militaire déroule son long serpent. Il y a là le G.M.100, prestigieux bataillon de l’ONU en Corée, venu prêter main-forte aux armées franco-vietnamiennes. Le convoi sera anéanti, 232 véhicules brûlés, plus de 1.000 prisonniers emmenés. Parmi ceux-ci, Léon Dujon, qui va connaître sa première captivité. Conduit vers la côte, il soutenait le moral des autres prisonniers. Il n’y réussit pas toujours et eut le chagrin de voir mourir près de lui le directeur de la plantation de Dak-Doa, Monsieur Miliquet, ami de la Mission. Léon Dujon revint au mois de juillet, après les accords de Genève, amaigri mais toujours alerte.
Durant le court séjour qu’il fit à Lauris en 1991, plusieurs anciens de cette aventure retrouvèrent sa trace. Il y avait parmi eux l’auteur d’un livre quelque peu romancé : Babette s’en va-t-en guerre, où l’on retrouve le Père Dujon sous les traits du Père Dumoulin. « La réalité, c’était toute autre chose », disait Léon.
La mission continue
Après 15 jours à Dalat pour se remettre de ses émotions et des privations subies en captivité, le Père Dujon reprend sa place dans son district. Le compte rendu de 1955 parle d’une retraite de quatre jours qu’il vient de prêcher à ses ouailles de Kon-Long-Buk. « Avant d’en faire autant à Kon-Sobai, il va visiter son collègue, le chef de district de Kon-Mohar, un gros arrondissement hors d’atteinte des citadins motorisés. Les visites des confrères constituent un aspect du travail apostolique qui n’est pas négligé dans la mission de Kontum. Six heures de marche. On monte, on descend, on se courbe sous une voûte de bambous, on glisse sur l’argile savonneuse, on traverse sept fois le Dak Pokei... »
En 1957 : « Le Père Dujon se démène au milieu de ses nombreuses chrétientés, toujours par monts et par vaux, surchargé, souffrant de ne pouvoir, pour cette raison, planter la croix toujours plus loin. »
En 1959, le Père Dujon prend un congé bien mérité.
Nouvelle mission — fondations
Rentré de congé en juin 1959 le père Dujon est nommé dans la région nord de Dak-To qui réclamait un missionnaire. Il y créa le Centre de Dak-Chu (entre Dak-to et Dak-Pek) chez les montagnards Jeh. À 40 ans il devait se mettre à apprendre une nouvelle langue. Les comptes rendus successifs des années suivantes font état d’une intense activité missionnaire du Père Dujon dans ce district où les conversions furent nombreuses.
1961 : « Le Père Dujon actuellement à Dakcho vient de fonder un nouveau district situé près de Dak-Sut. De nombreux villages ont demandé le baptême, mais le P. Dujon, surchargé ne peut faire face à toutes ces demandes. »
1962 : « Le Père Dujon, curé du district de Dak-Kola, est le plus éloigné. Il a pris en charge 8 villages, dont 3 nouvellement convertis. En avril, 176 adultes ont reçu le baptême. Le nombre des chrétiens est passé de 266 à 579. De plus un certain nombre de villages Diès, tribu située au nord de Dak-Sut, demandent à se convertir. Le Père s’occupe de l’un de ces villages, mais un nouveau missionnaire serait nécessaire. »
1963 : « 63 baptêmes à Dak-Kola, chez le Père Dujon et 648 catéchumènes. »
Deuxième captivité
Le compte rendu de 1965 fait état de l’insécurité grandissante et de l’obligation dans laquelle se sont trouvés plusieurs missionnaires de quitter provisoirement leurs postes. « Quant au Père Dujon, dit le CR, tout le monde connaît l’histoire de son enlèvement par les Vietcongs et comment nous sommes restés sans nouvelles sûres ni précises de lui jusqu’à son retour, après six bons mois de captivité. »
Voici le récit de cette deuxième captivité, racontée dans les « Tigres auront plus pitié », par le Père Christian Simonnet (pp. 318-319).
« Séparé des chrétiens qui avaient été emmenés en même temps que lui, il fut isolé sous un épais couvert de forêt qui l’empêchait d’apercevoir même le soleil, et gardé nuit et jour par une sentinelle. Un jour, vaincu par cet isolement écrasant, ressentant jusqu’à en avoir mal le besoin d’une étincelle de sympathie humaine, il offrit une cigarette à la sentinelle. Qu’avait-il fait ! À point nommé, un commissaire politique surgit, qui le semonça sévèrement « pour avoir tenté de corrompre son gardien ». Même le soupçon de sourire qu’il avait espéré faire naître sur le visage de son cerbère, lui était refusé ! Il ne lui restait plus que la prière et sa bible, qu’on lui avait laissée tout de même. Et cela dura huit mois ! ... Un jour, sans rime ni raison, on l’emmena par une suite de sentiers. Et soudain, on lui dit de continuer tout droit. Il commença à marcher, serrant contre lui sa vieille bible défraîchie, attendant à chaque instant la rafale de mitraillette qui lui crierait : «. Délivrance aux âmes captives ! » Et il mettait un pied devant l’autre, et encore, et encore... et rien ne se produisait, sinon qu’il était sorti du couvert de la forêt, et que ses yeux étaient blessés par la lumière du jour retrouvée.
Et c’est ainsi qu’on le vit arriver un peu plus tard à Kontum, vanné, la peau du visage livide après huit mois passés dans la quasi-obscurité de sa caverne végétale, avec une barbe et des cheveux qui avaient poussé d’une façon invraisemblable, et tout blêmes eux aussi. Eh quoi ? C’était là D., le fameux D. plein de santé, remuant, D. à la gaieté fusante et toujours la blague à la bouche ? Oui, c’était bien lui, puisqu’il déclarait d’une voix blanche, elle aussi, et en parlant sérieusement – ce qui lui arrivait rarement : « Un truc comme ça, ça vaut toutes les retraites ! »
Sitôt retapé, il devait rejoindre son district. À la messe du dimanche, selon la coutume des montagnards, hommes et femmes occupaient séparément chacun un côté de l’église. Si le côté des femmes était bien garni, celui des hommes était aux trois quarts vide, tous les manquants ayant été tués ou requis par les Viêtcongs. Et les gens appelaient ce district la paroisse des veuves. »
La vie continue
« Le travail, difficile, continue cependant, dit le compte rendu de l’année 1965. Le moral de tous nos confrères est toujours très élevé. Une réalisation trop longtemps attendue et qui contribue pour une grande part au maintien de ce moral, vient enfin de voir le jour, la construction d’une maison de communauté à Kontum même. Les missionnaires sont heureux de pouvoir se détendre et se reposer dans cette maison, surtout dans les temps actuels où leurs conditions de vie et d’apostolat sont particulièrement difficiles.
Le retour du Père Dujon auprès de ses chrétiens de Dak-Kola, après les épreuves qu’il a traversées, est un réconfort sans prix pour le Père Arnould et tous les confrères. En effet, durement secoués et éprouvés sont certains des nôtres, tous sont minés par une tension nerveuse provenant de l’incertitude de l’avenir, d’une menace plus ou moins permanente, de dangers de tous genres suspendus sur eux et sur leurs ouailles, et aussi des suspicions capables d’entraver ou même d’arrêter leur apostolat. Que ceux qui nous connaissent, qui s’intéressent à nous, prient pour nous le Seigneur de miséricorde et la Reine des affligés. »
C’est aussi le temps des regroupements. C’est dans la région de Dak-To que sont regroupés les districts de Dak-Cho, Kong-Honong et les restes de ce que fut l’ancien district du Père Dujon, Dak-Kola : « Le tout regroupé en 6 villages du plus gracieux effet... et chacun sait que la tôle est le matériel idéal en pays tropical au double point de vue climatisation et insonorisation. Mais avoir un toit sur la tête est déjà quelque chose et l’espoir, peut-être chimérique, de pouvoir un jour retourner à l’emplacement abandonné, fait vivre... Malgré toutes les épreuves, c’est quand même par une action de grâces que l’on peut clore ce bilan. Humainement on aurait pu s’attendre à trouver du découragement chez ces vrais pauvres que sont devenus nos chrétiens, ils ont tout perdu : maisons, biens, cheptel... Ce n’est pas l’aide matérielle qu’ont reçue ces réfugiés ou le peu que nous avons pu faire pour leurs corps, avec nos moyens ridicules, qui leur ont évité ce désespoir que d’autres ont connu. Sans phrase et sans publicité, nos chrétiens ont vécu le “ Bienheureux les pauvres ”. Malgré les sombres perspectives d’avenir, nous gardons confiance » ( CR 1967 ).
Danger des mines
Le Père Dujon n’a pas échappé non plus au danger des mines qui avait déjà coûté la vie à au moins deux de nos confrères.
Un jour qu’il revenait de Kontum à Dak-To, en arrivant tout près de chez lui, il sauta sur une mine avec sa jeep Land-Rover. Il y eut deux morts et un blessé grave.
Lui-même est projeté à 15 mètres de sa voiture, sur le bord de la route dans la terre glaise. Il s’en sort sans trop de mal, quelques côtes un peu enfoncées, c’est tout.
Bricoleur, mécanicien, il entreprend de réparer lui-même sa voiture. Il la démonte entièrement et se rend à Saïgon pour essayer d’y acheter un châssis d’occasion et toutes les pièces qui lui manquent. Entre-temps l’écho de ses aventures est parvenu jusqu’aux oreilles du Délégué apostolique qui demande à le rencontrer. Pour l’occasion Léon met sa plus belle soutane, et se rend à l’invitation, confiant que les épreuves endurées par un bon missionnaire ne sauraient laisser indifférent le représentant du Saint-Père. Effectivement le Délégué apostolique se montre attentif et ne cache pas son émotion à mesure que Léon raconte ses odyssées en un langage parfaitement contrôlé et adapté à son interlocuteur. Léon a l’habitude du don désintéressé, dans ses paroles comme dans ses actes, mais là, pour une fois, il se met à espérer un geste qui pourrait lui rendre service pour réparer sa voiture, soit encore mieux, pour en acheter une autre. Mais tout espoir s’envole quand à la fin de la conversation, le Délégué apostolique se contente de lui donner sa bénédiction et de lui remettre une médaille en fer blanc... Au retour à la Maison régionale, c’est l’explosion, tous les noms d’oiseaux y passent, la bénédiction en retour n’a rien d’apostolique !
Troisième captivité
En 1972, la Semaine sainte sera marquée par de nouveaux événements sanglants pour beaucoup et, pour le Père Dujon, une nouvelle captivité.
Toute la région de Dak-To tombe aux mains des Vietcongs. Le Père Arnould et le Père Dujon sont immédiatement séparés de leurs chrétiens et emmenés dans la forêt, à l’est, vers le Ngoc Linh, du côté de Kon Pia et de Kon Kela où le Père Théophile Bonnet avait été tué en 1962. Quelques semaines après, les Pères Carat et Brice furent emmenés dans le même secteur, mais ils ne rencontrèrent les deux premiers qu’à la fin du mois de juillet, au moment de leur libération.
Le Père Dujon n’a pas laissé de récit écrit de cette troisième captivité. Nous pouvons en imaginer les conditions d’après une lettre à ses amis du Père Carat qui vécut cette captivité dans des conditions semblables et dans la même région :
« Après deux journées de marche forcée, nous nous sommes trouvés dans la région de Kak-Sang, sur une des crêtes de la chaîne annamitique, à plus de mille mètres d’altitude, complètement isolés... Avec nous, seulement deux cadres administratifs, chargés de nous nourrir et de s’occuper de nous. Nous logeons dans de petites cabanes en bambous à côté d’une source, sous d’immenses arbres au feuillage très serré. Pas de ciel, pas de soleil, une nourriture peu abondante : riz, sel et quelques feuilles des arbres de la forêt. On se repose sur des grabats de bambou tressé, on sort un petit peu... Heureusement que nous avons nos livres de prières et nos missels. Nous pouvons lire et méditer longuement sur les textes bibliques sans pouvoir célébrer la messe...
Le 9 juillet nous apprenons par un commissaire politique que nous serons bientôt libérés. Nous n’y croyons pas trop. Le 17 juillet nous sommes dirigés vers Dak-Tu où quelques cabanes de bambou nous attendent. Un nouveau commissaire politique est chargé de nous. Le 1er août nous arrivent les Pères Dujon et Arnould bien amaigris et fatigués, ainsi que deux petites Sœurs montagnardes de Dak-To. C’est une très grande joie pour nous tous de nous revoir après de si durs moments.
Le 18 août c’est le départ pour Kontum. Il nous faudra une dizaine de jours de marche lente par les crêtes avant de rejoindre la route de Kontum. Le dimanche 27 août vers midi nous arrivons à Kontum où nous sommes accueillis à bras ouverts par notre évêque, Mgr Seitz, nos confrères français et vietnamiens et beaucoup de catholiques, heureux de retrouver notre liberté, mais honteux et soucieux pour tous nos chrétiens restés en grande partie en zone vietcong, sans aucun secours spirituel, dispersés dans ces immenses régions montagneuses. »
Jusqu’au bout
Le compte rendu de 1974 nous décrit la Mission de Kontum à nouveau éclatée et dispersée, mais le moral des confrères MEP demeure intact et ils sont déterminés à rester jusqu’au bout.
« Les Pères Arnould et Dujon se retrouvent à 170 km au sud-est de Kontum, avec un groupe de réfugiés de la région de Dak-To, expédié on ne sait pourquoi dans la province de Cheo Reo Phu Bôn : un camp des 8.000 âmes, comprenant outre des Sedang, deux groupes de Jorai... Inondé à la saison des pluies, sans eau à la saison sèche, ce coin est un vrai “paradis”où rien ne pousse. Ils sont affrontés aux problèmes des réfugiés : ravitaillement, aide médicale, relogement, etc. L’avenir est très sombre. Une seule consolation, la foi de leurs chrétiens, qui les soutient dans leurs misères matérielles et morales. » Le Père Dujon conclut son rapport de l’année en disant : « On parle beaucoup à l’heure actuelle de partage : nous partageons avec les gens nos faibles ressources et leur insécurité. Nous espérons ainsi être dans la ligne ; du moins, nous prions Dieu de nous y mettre. »
La ligne à suivre sera bientôt celle imposée par la force. Laissons la parole au P. Dujon pour nous parler de ses derniers jours au Vietnam :
« Le 19 mars 1975, c’est l’occupation sans combat de la ville de Kontum par les troupes de l’armée populaire. Ordre est donné à toutes les personnes déplacées de regagner dans les plus brefs délais leur village d’origine.
Aussi, dès le 1er avril, ma paroisse de réfugiés, réinstallée depuis juillet 1973 à 150 kilomètres au sud de Kontum, prend la piste pour rejoindre Dak-Sut, son lieu d’origine, situé à 100 kilomètres au nord de Kontum. Chacun emporte ce qu’il peut emporter, le reste doit être abandonné sur place. Une marche longue et pénible pour tous et nous arrivons le 12 avril à Kontum. Ordre m’est donné de rester à l’évêché de la ville : c’est la séparation définitive d’avec mes paroissiens, un moment particulièrement douloureux.” Commence alors une longue résidence surveillée en compagnie de 6 autres confrères MEP. Enfin le 12 août au matin c’est le départ. « Deux voitures se présentent à l’évêché et nous sommes invités à rendre visite au chef de province qui a une communication importante à nous faire. En fait, ce sera la première étape de notre expulsion. Première surprise : nous sortons de la ville et à 12 km, nous nous arrêtons pour prendre avec nous trois religieuses qui ont reçu la même invitation. Une demi-heure d’attente et deuxième surprise : un cadre subalterne se présente, fait l’appel et nous lit une décision du comité de la province de Kontum, spécifiant que nous devions avoir quitté le Vietnam dans les 74 heures, le dit comité se chargeant de notre transport de Kontum à Saigon (900 km). Exécution immédiate. Avec une escorte de trois cadres et six soldats en armes, nous sommes montés dans deux voitures et avons pris la route.
En trois étapes nous rejoignons l’aéroport de Saïgon, où notre escorte ne nous a quittés qu’à la fermeture de la porte de la Caravelle Air-Laos qui nous a transportés de Saïgon à Bangkok en début d’après-midi du 15 août.
Aucune raison ne nous a été donnée pour notre expulsion, mais nous avons su qu’après notre départ, le comité révolutionnaire de Kontum avait publié un communiqué nous accusant de sept crimes méritant la mort mais que l’indulgence du peuple avait commué cette peine en expulsion. »
Ce communiqué n’aura sans doute pas occupé beaucoup de place dans la mémoire du peuple alors que, n’en doutons pas, le souvenir de tant de vaillants missionnaires continuera longtemps encore à y poser beaucoup de questions et à ouvrir sur ces montagnes des pistes sûres conduisant au Christ Sauveur.
À son retour du Vietnam en France, le Père Dujon tint à rester quelque temps auprès de sa famille durement éprouvée par des deuils successifs. Il faut dire que jusque-là il n’avait guère gâté les siens de sa présence.
Dès le début de janvier 1976, il se portait cependant volontaire pour un nouveau départ, de préférence pour l’Indonésie, pays pour lequel avaient déjà opté plusieurs de ses confrères du Vietnam. « Si du moins, disait-il, je suis encore capable d’apprendre une nouvelle langue. » Il avait alors 56 ans.
En fait ce projet n’aboutit pas. Il resta durant deux ans au service du diocèse d’Annecy, comme curé de Lagiettaz d’abord puis de Verchaix.
En 1976, il fut appelé à Paris pour participer au service de l’économat à la rue du Bac.
Enfin, en novembre 1980, il partit pour l’Ile Maurice.
Nous empruntons au Père Henri Petitjean les notes suivantes sur le ministère accompli par le Père Dujon durant ses 9 années de mission à l’Ile Maurice.
Léon DUJON à l’Ile Maurice (nov. 1980 – sept. 1989)
Arrivé à l’Ile Maurice le 29.11.1980, le Père Léon Dujon est affecté quelques jours plus tard à la paroisse de Chamarel, au sud-ouest de l’île. Le poste est vacant depuis quelque temps et personne ne s’y précipite ; c’est sans doute la paroisse la plus « crottée » du diocèse : pas d’électricité, sinon celle fournie par un petit groupe électrogène ; pas de téléphone, hormis l’unique appareil dont dispose le bureau de Poste, éloigné du presbytère ; et des liaisons difficiles avec le reste du pays, assurées par un seul autobus quotidien qui s’arrête à 4 km de l’église.
Le paysage boisé, très accidenté, est dominé par le Piton de la Rivière Noire, point culminant de l’île (828 m). La petite église, consacrée à sainte Anne, attire annuellement., le 26 juillet, une foule nombreuse de pèlerins. Mais, sauf le dimanche, on y voit rarement les paroissiens. A 100 m de là, on accède, par un long escalier, au presbytère, construit sur une petite éminence : maison « en dur », relativement confortable. Mais le nouveau curé va bientôt l’abandonner aux trois religieuses qui travaillent dans la paroisse, pour s’installer dans leur maison en bois qui a besoin d’urgentes réparations.
Les maisons du village sont dispersées dans la verdure sur les pentes environnantes. Les créoles qui les habitent travaillent, pour la plupart, dans les plantations de canne à sucre où ils ne se font pas faute de dissimuler des plants de « gandia » (chanvre indien) dont le commerce prohibé arrondit substantiellement leur salaire... jusqu’à ce que la brigade antidrogue » vienne les arracher sans pour autant parvenir à découvrir ni décourager les coupables.
Le curé va aborder ces braves gens assez frustes dans le langage direct hérité de son passé militaire et avec la tendresse bourrue qu’il témoignait aux montagnards du Vietnam. Beaucoup sont « en ménage » depuis des années et leur pasteur n’aura de cesse qu’ils ne se soient mis en règle, par dizaines de couples, avec la loi de l’Église, pour qu’ils puissent enfin participer à l’Eucharistie.
La paroisse de Chamarel a deux annexes. On atteint la première, Case Noyale, par une route en lacet de 4 km d’où l’on découvre le paysage de rêve de la mer bordée de lagons émeraude. Léon parcourt cette route au volant de sa camionnette Toyota. avec une dextérité et à une vitesse qui donnent des frissons à ses passagers ; ce sont d’ordinaire les religieuses qu’il conduit à la chapelle de Case Noyale où elles font le catéchisme aux enfants. Là, il va lancer un groupe charismatique dont il entretiendra avec soin la ferveur, tout en veillant à son orthodoxie.
De Case Noyale, en longeant le littoral sur 8 km, on arrive à la deuxième annexe, le village du Morne : chapelet de maisons de pêcheurs qui s’égrènent au bord de la mer. L’ancienne église du lieu a été détruite par un cyclone. Léon la reconstruit, plus belle et plus solide, non sans peine : le terrain en pente tend à glisser vers la mer ; l’architecte a du mal à faire cadrer ses plans avec les idées du curé ; il faut lutter contre l’indolence des ouvriers et surveiller de près les travaux. Finalement – jour de gloire – c’est le prononce, Mgr Marchetto, qui vient lui-même, au milieu d’un grand concours de peuple, procéder à la bénédiction de l’église terminée.., mais sans son campanile : la cloche est là, venue d’une fonderie savoyarde ; mais l’architecte aurait voulu la suspendre dans une tour de bois (pour l’esthétique), tandis que le curé maintient que seuls des piliers de béton armé éviteraient à la cloche de s’envoler au premier cyclone. En attendant, la cloche reste à terre...
Entre les deux annexes, la côte pousse dans la mer un promontoire dominé par la masse importante du rocher du Morne, aux falaises verticales de quelque 500 mètres ! À leur pied, des hôtels de luxe dissimulent leurs bungalows sous les filaos, à quelques pas d’une plage au sable étincelant. Léon pénètre de temps en temps dans ce « paradis » pour touristes fortunés. Il y noue amitié avec le personnel et les patrons qui sauront, à l’occasion de la kermesse paroissiale annuelle, mettre leurs services à la disposition du curé. Certains clients généreux se souviendront aussi, de retour dans leur pays, de la paroisse perdue de Chamarel.
Mais les courses incessantes d’une paroisse à l’autre ont finalement raison de la santé de Léon. Il a du mal à respirer, surtout quand il est couché. Il passe des nuits entières assis dans un fauteuil, la tête posée sur ses bras croisés sur une table. Un beau jour, au volant de sa voiture, un de ses bras est paralysé, ce qui ne l’empêche pas, en conduisant de l’autre, de faire encore une trentaine de kilomètres sur une route difficile pour atteindre la maison MEP. Mais « frère l’âne », mené avec une énergie sans concession, est à bout de souffle. Et Léon doit se résigner à regagner la France pour s’y faire soigner (sept. 89).
Ainsi se terminent neuf années de dur travail : une persévérance à toute épreuve, une générosité aussi grande que discrète envers les pauvres, une fidélité quotidienne à la prière silencieuse dans l’église de Chamarel ont redonné vie à une paroisse qui allait sombrer dans l’indifférence.
Retour au pays
Rentré en France, Léon Dujon dut se résigner à s’occuper de lui même et à se laisser soigner. Ce ne fut pas toujours de gaieté de cœur. Il dut subir une importante intervention chirurgicale qui le condamna à un long séjour à l’hôpital. Sa nature vive et superactive avait du mal à supporter cette inaction prolongée. Par ailleurs, l’envie était parfois trop forte d’enfreindre les règles de diététique imposées par son état.
Après un temps de convalescence à Lauris il voulut effectuer un dernier voyage à l’Ile Maurice. Mais son médecin, consulté avant le départ, le fit à nouveau hospitaliser d’urgence à l’hôpital Necker, pour insuffisance cardiaque. Après quoi, une sage retraite à Lauris demeurait la seule perspective d’avenir.
Avant de s’y rendre, il voulut retourner en Haute-Savoie, à Saint-Gervais. Était-ce un ultime appel de son pays natal ? C’est là que le Seigneur était venu le saisir pour la Mission, c’est là que le Seigneur vint encore l’appeler pour lui faire connaître la récompense finale..., mieux qu’une médaille cette fois !
Références
[3795] DUJON Léon (1919-1990)
Références biographiques
CR 1947 p. 128. 1948 p. 103. 104. 1949 p. 110. 1952 p. 45. 1955 p. 43. 1957 p. 49. 1960 p. 53. 1961 p. 50. 1962 p. 61. 1963 p. 75. 1965 p. 71. 72. 1966 p. 82. 85. 1967 p. 65. 67. 1968 p. 58. 1969 p. 71. 72. AG80-82 p. 31. 80-83 p. 88. AG82 p. 250. 251. AG85 p. 234. BME 1948 p. 110. 1949 p. 55. 1951 p. 700. 1954 p. 791-793. 944. 1053. 1955 p. 49. 50. 901. 1957 p. 634. 1958 p. 658. 1959 p. 79. 552. EPI 1962 p. 401. 402. 1965 p. 568. 1966 p. 132. 271. Enc. PdM. 2P2. 8P2. R.MEP 1965 n°140 p. 47. 1966 n°143 p. 56. 1961 n°118 p. 28. Hir. n° 126. 154/2. 171/1. 172/1. 262. 266/2. EC1 N° 383. 455. 459. 562. 564. 642. 660. 751. 752. 757. 768. 775. NS. 2P47. 4P117. 118. 16P55. 23P270. 271. 26P21. 28P82. 29P116. 34P237. 43P196. 44P232. 45P265. 50P74. 53P177. 54P196. 207. 55P249. 56P266. 278. 57P303. 60/C2 p. 52. 56. 61P85. 66/C2. 67P266. 275. 278. 68P307. 70P26. 74P153. 79P307. 83P78. 79. 84P113. 85P131. 133. 86P180. 87P219. 89/C2 p. 276. 277. 90P305. 98/C2 p. 209. 113P347. 119P182. 188. 120P215. 124P343. 187/252. 199/C2. 203/C2. 243/C2.