Louis DANION1914 - 2010
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 3604
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Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Chine
- Région missionnaire :
- 1938 - 1952 (Chongqing [Chungking])
- Pays :
- Malaisie - Singapour
- Région missionnaire :
- 1953 - 1988 (Malacca)
Missionnaires de la même famille
Biographie
[3604] DANION Louis est né le 5 août 1914 à Kerfeunteun à Quimper (Finistère).
Ordonné prêtre le 29 juin 1938 et part le 13 septembre suivant pour la mission de Chung King (Chine).
Après l’étude du chinois à Nanchwan, il est chargé de la procure de la mission (1943-1946) puis du poste de Tatsu Ma Paotchang (1946-1952).
Expulsé de Chine en 1952, il est affecté à la mission de Malacca.
Il occupe alors les postes d’Ipoh en Malaisie (1953-1954), Tanjong Katong Sing à Singapour (1954-1956) et Kluang en Malaisie (1956-1962). Il regagne ensuite Singapour, chargé de la paroisse de la Sainte-Famille (1963-1968) et de la maison de Cameron Highlands (1968-1972), puis il administre la paroisse Sainte-Thérèse de Malacca en Malaisie (1972-1975), retourne à Cameron Highlands (1977-1982), avant d’être responsable du poste de Kluang (1984-1988).
De retour en France, il se retire au sanatorium de Montbeton.
Il meurt le 7 décembre 2010 à Lauris. Il est inhumé dans le cimetière de cette ville.
Nécrologie
Louis DANION
1914-2010
Louis Danion, missionnaire apostolique de Chungking – ainsi se présentait ce premier confrère que je rencontrais à l’archevêché, le matin même du jour où je débarquais à Singapour, le 3 juillet 1957. Selon lui le retour en Chine approchait.
Il était arrivé de bonne heure ce matin-là, ayant voyagé par le train de nuit depuis Kluang, petite ville à quelque 140 kilomètres au Nord de Singapour où il était le pasteur de la communauté chinoise. Une mallette à la main, il avait averti le procureur de son intention de s’installer à l’archevêché jusqu’à ce qu’il obtienne la dispense de mariage qu’il attendait depuis plus de trois semaines. « C’est comme ça qu’on fait en Chine » expliquait-il calmement. Mais ni le Père Girard ni Mgr Olçomendy ne l’entendaient de cette oreille. Aussi, après avoir retrouvé le document dans le fouillis de ses papiers, l’archevêque le lui donna-t-il signé et scellé, ajoutant avec un sourire : « Comme ça, vous pourrez retourner chez vous cet après-midi. Et le Père Danion de rire sous cape en constatant le succès de sa stratégie : un mélange d’entêtement breton et de diplomatie confucéenne…
De taille moyenne, un béret cachant en permanence sa noble calvitie, il mettait de suite les gens à l’aise. Il préfère se fondre dans la foule ou se faufiler au dernier rang. Les feux de la rampe ne sont pas pour lui. On a plaisir à se trouver dans sa compagnie, car il est observateur et plein d’humour. Une petite barbe bien coupée en pointe, vêtu toujours sobrement – plus d’une fois il a récupéré ce qu’on abandonnait aux pauvres – il va son chemin avec des habitudes bien établies. Lorsqu’on lui suggère des changements, il dit : « Plus tard, plus tard, lorsque je serai de retour en Chine … ou lorsque je prendrai ma retraite. J’aurai alors le temps de lire le catéchisme hollandais, ou de concélébrer… ». Après plusieurs essais infructueux, il obtient son permis de conduire, mais reste très ignorant en matière de mécanique automobile. Il n’hésite pas à se lancer même si des éléphants traversent la route lorsqu’il va dans ses chapelles éloignées sur la côte Est. Le Père Binet est son voisin et son conseiller technique. « En Chine on prenait la chaise, oui, oui, la chaise ». Il a cette habitude de répéter des mots ou des bouts de phrase de sa voix en stacatto …
Famille et jeunesse
Né à Kerfeunten, près de Quimper, il fait partie d’une fratrie de huit frères et sœurs – cinq garçons et trois filles. Ses parents sont maraîchers et la famille se spécialisera plus tard dans l’horticulture. Il étudie à l’école Saint-Yves à Quimper, où il est confirmé, puis au petit séminaire de Pont-Croix, l’institution Saint-Vincent, de 1926 à 1932. Il sera là en compagnie de Maurice Quéguiner, François Le Dû, Jean Tavennec, Jean Guennou, et de son propre frère André Danion.
Le supérieur écrira de lui lors de son entrée aux Missions Étrangères : « Louis Danion n’est pas un brillant sujet du point de vue intellectuel. Il est même faible en lettres. En mathématiques il est assez fort. Sa conduite et sa tenue sont toujours irréprochables. Toujours aussi, il a été parmi les plus pieux de nos élèves. S’il va chez vous, malgré sa timidité, c’est qu’il veut que son sacrifice soit plus complet du premier coup ».
Lui-même précise dans sa demande d’admission : « Je n’ai pas été certainement un très billant élève puisque j’ai échoué au baccalauréat, mais pour faire un bon missionnaire ce n’est pas la peine d’être un grand orateur, il suffit d’être un saint prêtre ». Et il le sera jusqu’à 96 ans soulignant avec fierté que sa langue maternelle est le breton, et qu’il appartient au groupe des Glazies…
Il joint le séminaire de Bièvres en septembre 1932 et calmement et sérieusement poursuit sa formation qui n’est interrompue que par trois semaines dans la marine à Brest, où il est réformé. Pourquoi ? On ne sait pas. Cela lui vaudra d’être ordonné prêtre le 29 juin 1938 et de partir pour la Chine avant que la guerre n’éclate.
Il fait partie d’un groupe de dix-neuf partants qui s’embarquent sur l’Athos II. Mais il lui faut du temps pour arriver : la Chine étant envahie par les Japonais il va en train de Hanoï à Kunming puis en autocar de la marine française – les frégates du Yantse – de Kunming à Chungking avec un arrêt à Kweiyang – une semaine de route.
La Chine : Chungking 1938-1952
Monseigneur Jantzen envoie le nouvel arrivé auprès du Père Xavier Prat, chargé du district de Nanchwan, à quelque 50 kilomètres au Sud de Chungking pour s’initier à la langue – ce mandarin du Setchoan aux tons inversés bien plus beau que le patois de Pékin nous dira-t-il – et aux usages chinois. Dès 1940, il devient responsable de Kan Kia Pa, district détaché de Nanchwan, puis de 1943 à 1946, il est à l’évêché, procureur des dépenses auprès du Père Gallice qui est procureur des recettes. De 1946 à son expulsion, en mai 1952, il prend en charge le plus gros district de la mission, Ma Pao Chang – le grand hippodrome –, la plus grande église avec dans les 2000 chrétiens, deux écoles catholiques, un orphelinat et de nombreuses rizières de rapport pour le diocèse. Il a pour l’aider des jeunes confrères comme les Pères Hoffman, Gonthier et autres.
Les situations où il se trouve ne sont pas faciles. Dès 1939, la région est ravagée par le brigandage et la guerre japonaise. En octobre des avions japonais bombardent Nanchwan, plus de 800 personnes sont tuées. Le Père Danion, qui prend sa leçon de langue dans sa chambre est blessé par un éclat d’obus qui lui traverse la cuisse : une plaie béante et deux mois d’hôpital. Mais pas de séquelles et il reste un bon marcheur ; cette blessure lui vaut d’être déclaré inapte à la guerre par le consulat.
En 1943 une bonne nouvelle : son frère André, qui vient d’être ordonné, le rejoindra à Chungking à la fin de la guerre.
Après quelques années de calme, fin 1949, c’est la prise de pouvoir par les communistes. Pour un temps, tout continue normalement, mais début 1951 on lit dans le bulletin de la Société : « Le Père Louis Danion eut le courage de tenir bon en face des exacteurs qui le menaçaient de la prison, ou de le laisser à genoux sur la grande route en plein soleil de juillet. Que voulez-vous qu’ils fissent contre l’invariable réponse : « Je ne puis donner ce que je n’ai pas ! La ténacité du Breton le sauva ; on lui laisse la paix, mais une paix bien relative ». Quelques mois après, on précise : « Les Pères Prat, Danion aîné et Hoffman sont répartis dans des maisons différentes et doivent pratiquement garder la chambre ». Les soviets paysans leur réclament des millions – ils sont propriétaires de rizières – et comme ils sont insolvables, on leur prend tous leurs biens sauf leurs vêtements « à titre d’acompte ». Les baptêmes publics d’enfants, les enterrements et les prières en commun sont interdits.
Deux jugements populaires début 1952 : les Pères Danion et Hoffman sont accusés d’avoir tué vingt personnes, mais l’accusation ne tient pas car une des supposées victimes était morte avant 1938. Pour la deuxième séance, une semaine après, personne ne vient les accuser. Les soldats demandent qu’on les expulse. Ils sont mis en prison pour deux semaines en attendant que l’évêque paie le voyage, ce qu’il refuse de faire. Amenés à Chungking, ils passent une semaine en prison en attendant un bateau. « Arthurine », ainsi nommée par les confrères expulsés, la jeune femme cadre communiste qui leur faisait passer des examens d’histoire de l’Église et de théologie, donne l’ordre que nos deux expulsés soient traités comme des officiers de prison. Finalement ils arrivent à Hongkong le 2 juin 1952, le lundi de Pentecôte. Louis après quelques semaines de repos part pour la France où il retrouve sa famille après quatorze ans d’absence. Il a trente-huit ans.
Dès janvier, on lui fait connaître sa nouvelle destination : la mission de Malacca où il y a de nombreux Chinois. Il répond aussitôt qu’en bonne santé et sans besoin de traitement à suivre, il sera prêt à partir après Pâques. « J’ai eu huit mois de vacances, ça me suffit ».
Malaisie et Singapour : 1953-1992
Accompagné du Père Cuzon, le Père Danion arrive à Singapour le 25 juin et est envoyé à Ipoh, à quelque 600 kms au Nord, pour y apprendre l’anglais, auprès des Pères François et Ciatti. En même temps, il fait des catéchismes en chinois dans les écoles de Sam Tet et Ave Maria.
De 1954 à 1956, il est vicaire du Père Dupoirieux à Singapour et en mai 1956 succède au Père Munier à Kluang, à 150 kilomètres au Nord, comme curé de la communauté chinoise. Il a pas mal de dessertes à desservir et ayant obtenu un terrain bien placé, en bord de mer, bâtit une jolie église à Mersing à quelque 80 kilomètres de Kluang.
En 1962-1963, il profite d’un bon congé en Bretagne.
À son retour de 1963 à 1968, il est vicaire du Père Munier, puis du Père Bourcart à la grosse paroisse de la Sainte Famille à Singapour. Autour de 3500 chrétiens, surtout eurasiens, qui fréquentent les sacrements et un bon nombre de Chinois à préparer au baptême.
Un Breton à l’encre de Chine
Le Père Danion a occupé bien des postes en Malaisie Singapour. Ce n’est pas qu’il ait la bougeotte, ou qu’il soit difficile à vivre. Bien au contraire. Homme de devoir et de bon sens, zélé, il fait bien partout où il se trouve et il est toujours prêt à rendre service. On peut compter sur lui.
Il sert pendant des années près de l’Équateur, mais son identité est claire. Comme le lui avait écrit Mgr Lemaire en 1953, « il n’est affecté à Malacca que pour aussi longtemps qu’il ne pourra pas retourner à Chungking », sa mission de base. Il fera un voyage au Setchoan en 1985 et trouvera les choses bien changées.
Les paroissiens de Malaisie Singapour, chinois, eurasiens, indiens se confient volontiers à lui, mais sa priorité est toujours avec les Chinois, leur langue et leur culture. Quand une jeune Chinoise se marie avec quelqu’un d’une autre race, il hoche la tête et dit « Il y a un microbe… » . Jusqu’à son dernier souffle, il est missionnaire de Chungking : il nous décrit le Yangtse et ses gorges, il a la nostalgie des oranges et des rizières fertiles du Setchoan, dont il était le propriétaire. Cela lui vaudra bien des accusations lors de son jugement populaire. Mais il ne nous dit pas que c’est là-bas qu’il a perdu ses beaux cheveux châtains bien visibles sur la photo des partants 1938.
Le terroir breton colle à ses souliers. Il reste très uni à sa famille. Lui et son frère André, devenu missionnaire au Japon, se rendent visite lors de leurs congés. Ils surprennent et amusent les paroissiens car ils se ressemblent beaucoup et surtout se parent de la même calvitie. Les gens ont l’impression de voir double. Il déplore qu’on n’emploie guère le breton pour la liturgie, même dans le Finistère, et manière de nous taquiner quand il célèbre la messe seul lors de ses voyages il dit la première eucharistique dans sa langue maternelle. Il est l’ami de l’évêque auxiliaire de Quimper qui lui envoie des honoraires de messe et il reste bien au courant de la vie du diocèse.
Lorsqu’il vient de Kluang à Singapour, une fois toutes les cinq ou six semaines, le lundi, de manière à rencontrer ses confrères, il part de chez lui en train à 3h30, arrive à destination à 6h30 ayant fait sa méditation, récité son chapelet et terminé son bréviaire pour le jour, y compris les complies. À la maison régionale, il se met au courant des nouvelles, célèbre sa messe en breton, prend son petit déjeuner avec le P. Dufay, va faire ses courses, revient pour l’apéritif et le repas, reprend le train à 14h30 et se retrouve chez lui à 17h30 ayant prié les matines et laudes du lendemain … Lorsqu’on lui fait remarquer que ce n’est guère liturgique, il réplique, heureux de nous contredire : « privilège des missionnaires, concédé in perpetuum, oui, oui, in perpetuum … ». « Allons, Danion, et le Concile ? » « Oh ! oh ! il a fait bien des erreurs ».
Vivant pauvrement et ne conduisant pas à Singapour, il porte la communion aux malades par l’autobus public. Le Père Bourcart, son curé, lui dit : « Père Danion, prenez un taxi, c’est plus respectueux, la paroisse paiera ». Et lui de répliquer : « Jésus aime se trouver avec les foules ». Et tous deux restent sur leurs positions.
À Cameron Highlands il met ses visiteurs à l’aise et accueille retraites et sessions malgré le travail supplémentaire que cela lui donne. Il cause volontiers de ses maraîchers chinois répartis en trois communautés, dont l’une à vingt kilomètres et l’autre à quarante et il n’hésite pas à parcourir ces routes de montagnes au volant de sa voiture. Ils apprécient son zèle pastoral et son mandarin du Setchoan, bien qu’il soit de dialecte Hakka.
Son voisin et condisciple le Père G. Belleville vient une fois par mois visiter ses chrétiens indiens qui travaillent dans les plantations de thé. Tous deux sont sur la même longueur d’onde pour la pastorale, et déplorent ensemble les dérives de l’aggiornamento, le manque d’adaptation de l’action catholique et la baisse des vocations, Georges assaisonnant le tout de quelques maximes en latin. Mais tout cela ne les empêche pas d’aller de l’avant.
Si vous voulez être dans les bons papiers du Père Danion, n’oubliez pas de mettre sur la table une bouteille de pinard ! Quant à la télévision il n’en voit pas le besoin et explique qu’à cause des montagnes la réception est mauvaise et l’on ne voit que des nuages. Et pourtant la cuisinière passe toutes les soirées devant son poste. Ah ! faire changer d’avis un Breton … on y arrive quand même, avec quelques grognements …
Il aime nous taquiner avec la légende de Sainte Anne, affirmant sans sourciller que l’enfant Jésus était allé en Bretagne visiter le pays de sa grand-mère : Sainte Anne la Palud, Saint Joseph, précise-t-il, tenait le gouvernail… Mais il fut bien attrapé le jour où un confrère futé lui dit : « Mais alors Jésus n’est qu’à moitié Juif… ».
C’est en breton, nous disait-il, qu’il a chassé un démon muet en Chine lequel manifestât sa présence en tirant sept fois la moustiquaire du lit où reposait la supposée possédée. Y croyait-il ou était-ce du folklore ? Bien difficile à dire, mais on s’amusait à lui faire répéter l’histoire. Bref un confrère que l’on appréciait beaucoup, avec lequel on se trouvait à l’aise, et avec qui on ne s’ennuyait pas.
Le grand âge : Lauris 1992-2010
L’âge, la fatigue, la surdité, tout cela après 54 ans au service de l’Église en Asie pousse le Père Danion à prendre sa retraite en France. En toute sérénité il prépare son départ et à l’automne 1992 il gagne notre maison de Lauris où il passera dix-huit ans.
Au début, encore en bonne santé, il s’occupe du jardin, aide dans la maison et va régulièrement en vacances à Kerfeunten. Une opération de la cataracte qui ne réussit pas l’affecte beaucoup. Il devient de plus en plus mal entendant et marche à petits pas. Il reste très attaché à la vie de l’Église en Malaisie Singapour et insiste pour recevoir personnellement le journal catholique et le directoire des diocèses. La conversation est difficile, il ne répond plus au téléphone.
Finalement, il s’éteint doucement le 7 décembre 2010 et est enterré dans le caveau des Missions Étrangères où se trouve déjà son frère André qui s’était retiré dans notre maison du Lubéron. Il est alors le vice-doyen d’âge de la Société, lui le réformé…
Louis Danion, l’homme du service dans l’humilité, qui a voulu vivre pauvrement, plein de patience et d’espérance.
Et Sainte Anne a certainement fêté celui qui fut son champion.
Michel Arro