Sylvain PÉRÈS1877 - 1963
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 2580
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Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Chine
- Région missionnaire :
- 1901 - 1951 (Shenyang [Moukden])
Biographie
[2580] Sylvain PÉRÈS est né le 27 mars 1877 à Montesquiou (Gers), admis au Sé- minaire des M.-E. en 1896, ordonné prêtre le 8 mars 1901, partit le 31 juillet suivant pour la Mandchourie. Il étudia la langue à San Tai Tse, puis, il fut envoyé à Kai Yuen, et créa une nouvelle chrétienté à Tsao Lou. Il y fonda deux nouveaux postes, l’un à Si An et l’autre à Tung Fen. En 1909, il construisit une église à Si An. En 1915, il fut en-voyé à Pen Cheng, et en 1917, à New Chwang. Nommé curé de la cathédrale de Moukden en 1925, il vécut l’occupation de Moukden en 1931 et la naissance du Manchou-kuo en 1934. Il revint ensuite s’établir à Tsao Lou. Expulsé de Mandchourie en 1951, il rentra en France et prit une aumônerie à Vernon (Eure). En 1959, il se retira au sanatorium de Montbeton, où il mourut le 15 mars 1963.
Nécrologie
LE PÈRE SYLVAIN PÉRÈS
1877 - 1963
Missionnaire en Mandchourie
François, Sylvain Pérès est né le 27 mars 1877 à Montesquiou sur Losse, dans le diocèse d’Auch. Il fit ses études primaires à Saint-Arailles, et à Auch ses études secondaires de 1889 à 1895. Il entra alors au grand séminaire de son diocèse, où il fut tonsuré le 18 juin 1897. Admis aux Missions Etrangères de Paris en même temps que son compatriote de Montesquiou, François Campuzan, il arriva à la rue du Bac le 16 septembre 1897. Sous-diacre le 22 septembre 1900, il fut ordonné prêtre le 2 mars 1901. Et le 31 juillet il s’embarquait à Marseille à bord du paquebot « Natal » à destination de Shang Hai, d’où il devait, avec son confrère le P. Maillard, rejoindre la Mandchourie méridionale.
ETAT DE LA MISSION DE MANDCHOURIE
La mission de Mandchourie avait été confiée aux Missions Etrangères de Paris en 1838. En 1890, la population catholique s’élevait à une trentaine de mille, et en 1898 la Mission avait été divisée en deux vicariats apostoliques. Celui du Sud, resserré entre la Mongolie et la Corée formait la Mandchourie méridionale et avait Moukden pour siège épiscopal. L’avenir s’annonçait plein de promesses lorsque éclata la révolte des Boxers. En trois mois : juillet, août, septembre 1900, un souffle dévastateur, dû surtout à la haine de l’étranger, devait détruire l’œuvre patiemment édifiée durant soixante années d’efforts. La Mission perdit son évêque, six missionnaires, trois prêtres mandchous et plusieurs religieuses ; des milliers de chrétiens périrent de mort violente ou de privations. Les missionnaires traqués de toutes parts se tinrent cachés et plusieurs durent même se réfugier à Shang Hai ou à Séoul. Dans les districts toutes les églises et résidences furent rasées et les communautés chrétiennes dispersées. A l’intérieur, seule la paroisse modèle de San T’ai Tse, sous la conduite des PP. Corbel et A. Caubrière, réussit à tenir tête victorieusement à plus de deux mille assiégeants. Le port de Yingkow, grâce à la présence d’une canonnière russe, fut aussi épargné et les PP. Letort et Choulet purent sauver les derniers établissements de la Mission : les deux églises de la ville, la procure et l’orphelinat. Lorsque, à la suite de l’intervention des armées russes et du gouvernement impérial de Pékin, la paix fut rétablie, les missionnaires se réinstallèrent peu à peu dans leurs postes ; mais ils ne trouvèrent que ruines, matérielles et spirituelles ; ils avaient perdu tout ce qu’ils possédaient ; la mission était anéantie.
Le sacre de Mgr Choulet, en novembre 1901, donna le signe du relèvement. C’est à ce moment qu’arrivèrent les PP. Pérès et Maillard. Et contrairement à toute attente humaine, à peine la tourmente passée, allait commencer, pour les missions de Mandchourie, une magnifique expansion qui, grâce à la Providence, ne serait nullement contrariée par la guerre russo-japonaise. Le P. Pérès était destiné à jouer un rôle de premier plan dans cette œuvre de restauration missionnaire.
ACTIVITÉ MISSIONNAIRE DU PÈRE PÉRÈS
Si Feng
Mgr Choulet envoya d’abord le P. Pérès à quelques kilomètres à. l’ouest de l’évêché, dans l’héroïque petite paroisse de San T’ai Tse, où le P. A. Caubrière devait l’initier aux secrets de la langue chinoise. Le stage ne dura que quelques mois ; dès 1902 le Père fut envoyé dans le poste le plus septentrional de la mission, à Kai Yuen. Il y trouva quelques vieilles maisons de la mission qui avaient échappé à la destruction des Boxers parce qu’elles avaient été louées à des païens. Il les restaura tant bien que mal et s’y installa. Il avait à se perfectionner en chinois, à s’habituer aux us et coutumes du pays, tout en relevant les ruines du poste ; il avait surtout à ouvrir au christianisme l’extrême pointe de son district, naguère encore réserve de chasse des empereurs de Chine. Déjà une ville nouvelle, Tao Lou ou Si Feng, admirablement située dans une vallée fertile, avait été fondée et était devenue un centre de commerce très important. Il ne restait plus qu’à y planter la croix et à en faire le chef-lieu d’un nouveau district ; telle était l’œuvre principale confiée au P. Pérès. En 1906 il vint s’établir à Si Feng et se mit au travail dans le silence et la solitude. En quelques années il organisa le district de telle façon qu’il put donner naissance un peu plus tard à ceux de Si An et de Tung Feng. Son travail d’évangélisation avait pour résultat, en 1911, 119 baptêmes d’adultes et il administrait alors 860 chrétiens disséminés dans deux sous-préfectures. Il fonda de petites écoles qui fonctionnèrent avec succès et dans lesquelles il fit donner des cours de catéchisme le dimanche et des cours d’instruction du soir pour les ouvriers. Il bâtit aussi résidences et oratoires, et l’église qu’il construisit à, Si An en 1909 était volontiers citée, à cause de ses énormes proportions, comme le symbole de l’optimisme apostolique de son fondateur. Il n’eut cependant pas la joie de la remplir de fidèles avant son départ.
En 1914 la France était entrée dans le premier conflit mondial et le P. Pérès était mobilisable. Il eut alors une idée qui ne manquait pas d’originalité ; il députa auprès du consul de France à Tientsin un groupe de solides gaillards choisis parmi ses néophytes ; ils se présentèrent comme volontaires pour aller travailler en France et ainsi tenir la place de leur pasteur. Le projet de substitution n’eut pas de suite ; d’ailleurs le Père fut vite dégagé de toute obligation militaire. Mais ce ne fut pas pour rester à Si Feng.
New Chwang
Son évêque l’envoya en 1915 sur la frontière de la Mongolie, à Peh Chen. Le Père n’y resta que quelques mois et en 1917 fut envoyé au sud ouest de la Mission, à quelques kilomètres du port de Yingkow, dans la vieille paroisse de New Chwang, à laquelle étaient rattachées deux autres petites chrétientés. Il ne tarda pas à. faire de son nouveau district un terrain d’expériences apostoliques dont la plupart devaient être couronnées de succès. Son zèle ardent et entreprenant aboutit, en l’espace de huit ans, à la fondation d’une bonne quinzaine de chrétientés nouvelles. Rien qu’entre 1920 et 1923, il enregistra 760 baptêmes d’adultes valides. Il sut se faire aider par un groupe important de catéchistes et par quelques religieuses chinoises d’un dévouement remarquable. Doué d’une santé de fer, il quittait volontiers son poste central pour une ou deux semaines ; appuyé sur son inséparable canne, il arpentait son district, visitait les chrétientés, surveillait le travail des catéchistes, prospectait de nouveaux terrains, louait des maisons pour ouvrir des catéchuménats et de petites écoles, s’assurait de la bonne tenue des oratoires pour laquelle il se montrait très exigeant. Tout en étant ennemi déclaré de tout confort, il était en effet d’une propreté méticuleuse ; où qu’il fût, église, résidence, cours et jardin, tout était dans un ordre impeccable soigneusement entretenu par quelque vieux en train de balayer ou de ratisser. Ses néophytes, il les groupait par villages et les confiait à ses maîtres et maîtresses d’écoles. Ceux-ci étaient ses meilleurs collaborateurs dans l’apostolat : tout en instruisant leurs élèves, ils veillaient sur la fidélité des nouveaux baptisés et dirigeaient les assemblées dominicales. En plus de ces petites écoles de village, il fonda à New Chwang même une belle école primaire, une des rares de la Mission, qui donna un relief extraordinaire au district et fut très appréciée tant par les autorités officielles, qui avaient le Père en haute estime, que par les familles. Elle atteignit le chiffre de quelque trois cents élèves, ce qui était magnifique pour la région, et eut l’honneur de faire éclore cinq vocations sacerdotales.
Si dans la suite toutes les jeunes communautés fondées par lui n’ont pas donné tout ce qu’on était en droit d’espérer, c’est qu’après son départ elles ont eu la malchance de changer de pasteur cinq ou six fois en quelques années. Mais il faut aussi tenir compte du fait que, même de son temps, beaucoup de ses paroissiens émigraient vers le nord du pays, attirés par des salaires plus élevés.
Nous avons vu qu’après le désastre de 1900, les districts avaient retrouvé un nouvel élan de vitalité. Cela n’avait malheureusement duré d’une quinzaine d’années ; puis on en était arrivé à une période de stagnation. Mais alors comment le P. Pérès s’y prit-il pour obtenir, à un tel moment, de tels succès ? Si on les explique par l’ardeur de son zèle, par son activité débordante, par l’aide généreuse qu’il recevait de nombreux collaborateurs, il faut surtout ne pas oublier que ses moyens d’action étaient d’abord et avant tout une prière assidue, intense, et une vie de mortification dépassant de beaucoup les limites ordinaires. Il priait et faisait prier. En 1924 il exposait lui-même comment il s’y était pris pour établir cette « association pour la conversion des infidèles » que patronnait le Souverain Pontife. Chaque premier vendredi du mois, il rassemblait les responsables de toutes ses chrétientés pour voir ce qui avait été fait et ce qui devait être fait et donnait des consignes précises pour le mois suivant. Cette activité apostolique, prenant appui sur la grâce divine implorée par la prière et le sacrifice, n’était-elle pas tout le secret de la réussite ?
Moukden
En 1925, il remit son important district aux mains de son jeune vicaire, le P. Vérineux, qui inaugura ses nouvelles fonctions par une chute de cheval qui lui brisa une épaule. Lui, il se rendit à l’appel de son évêque, Mgr Blois, qui lui confia le poste le plus en vue de la Mission, Moukden, populeuse capitale du gouvernement des « trois provinces de l’est » depuis longtemps sous la coupe du fameux dictateur Tchang Tso Lin. Ce ne fut qu’à son corps défendant qu’il accepta ses nouvelles fonctions de curé de la cathédrale, car il se connaissait une instinctive répugnance à diriger une chrétienté citadine et à vivre dans ce milieu fermé, monotone et confortable d’un enclos où s’abritaient le centre paroissial, l’évêché et la procure. Fait pour les vastes espaces, aimant à jouir d’une pleine liberté d’action, il ne se sentait pas les coudées franches pour donner libre cours à son zèle et à ses aspirations de pionnier. Par bonheur il n’y avait pas que la paroisse de l’évêché ; le district comptait aussi quelques annexes dans la campagne environnante. Alors laissant sa paroisse à son vicaire, le P. Toudic, qui avait un penchant marqué pour la vie communautaire et régulière, il quittait volontiers la bruyante cité et, sans mot dire, allait passer quelques jours dans ses chrétientés du dehors. Il veillait à la bonne marche des écoles de catéchisme pour enfants. Il allait aussi à la recherche des chrétiens de la campagne attirés en ville par l’appât d’un gain plus substantiel et qui se cachaient dans les faubourgs : en trois ans, il en récupéra cent-cinquante, et en 1927 il ouvrit pour eux un oratoire dans la banlieue. Mais son souci primordial restait l’évangélisation des non chrétiens, pour lesquels il créait des centres d’instruction dans les quartiers périphériques de la ville.
Calmement, impassiblement, comme à son ordinaire, il poursuivit sa tâche de défricheur au milieu des troubles politiques qui éclatèrent en juin 1928, après la disparition du généralissime Tchang Tso Lin, victime d’un attentat. Le pays sombra alors dans l’anarchie et, à la suite des vexations subies par les Coréens résidant en Mandchourie, le conflit sino-japonais se déclencha. L’heure du « Dai Nippon » avait sonné, et le fameux « plan Tanaka » commença à se réaliser dans la nuit historique du 18 au 19 septembre 1931 par l’occupation de Moukden. En quelques semaines, sans coup férir, à peu près toute la Mandchourie tombait sous le contrôle des troupes japonaises. S’il leur fallut encore un certain temps pour pacifier et organiser le pays, cependant on peut dire que dès 1932 la sécurité était revenue et avec elle s’établissait une prospérité relative, mais aussi, hélas ! la libre circulation de l’opium et de l’héroïne. Bientôt un nouvel Etat, satellite du Japon, prit naissance : le Manchoukuo et le 1er mars 1934 l’ex-empereur de Chine était couronné sous le nom de Kang-Teh à Hsingking, sa nouvelle capitale.
Retour à si Feng
Mais, à cette époque, le P. Pérès n’était plus curé de la capitale. En 1930 il avait été tout heureux de transmettre ses fonctions au P. Roger. Solide et infatigable comme aux premiers jours, il était retourné à Si Feng, à son cher Tao Lou, champ de ses débuts apostoliques. Pour sa joie de marcheur intrépide, il avait retrouvé les grands espaces de cette sous-préfecture très étendue et peuplée de 260 000 âmes. La ville comptait alors 25 000 habitants. Les postes qu’il avait fondés s’étaient développés ; d’autres avaient été ouverts à l’évangélisation par le P. Chabanel, autre missionnaire de grande valeur. Que de labeurs, que de fatigues pour visiter régulièrement ces chrétientés dispersées aux quatre coins du district, surtout quand sévissait le terrible hiver mandchou avec 30 degrés au-dessous de zéro ! Cependant son travail principal restait la conversion des païens ; et il n’était pas sans résultat ; ainsi en 1939 il pouvait inscrire à son actif plus de cent baptêmes d’adultes valides. Au centre même de sa mission, on pouvait admirer des œuvres multiples : une école primaire de 200 élèves, un dispensaire parfaitement tenu par des sœurs chinoises, une maison d’accueil pour les vieillards délaissés, un cours de doctrine pour catéchumènes. Tout donnait l’impression d’un organisme fonctionnant dans l’ordre et la discipline. Sa dévotion extraordinaire à la Sainte Vierge, il savait la communiquer à ses ouailles et le soir on pouvait jouir d’un spectacle unique sur l’esplanade où se dressait la blanche et souriante « Dame de Tao Lou » ; enfants des écoles et chrétiens faisaient cercle autour de la statue illuminée et, avec une visible ferveur, chantaient motet ou cantique en l’honneur de la Patronne du district.
Retour à Moukden
En juillet 1940, le P. Pérès fut rappelé à Moukden et céda son poste de Si Feng au P. Verineux, comme il l’avait déjà fait à New Chwang. Ce n’était plus pour aller s’enfermer à la cathédrale, mais pour évangéliser les faubourgs de l’ouest de la grande cité. Il allait y passer une dizaine d’années, reprenant sur des bases améliorées son œuvre jadis commencée de défricheur. Dans cette véritable jungle des quartiers industriels, peuplée en majorité de réfugiés de tous les coins de la province et du lointain Chantung où sévissait la famine, il accomplit un travail étonnamment fécond. Apôtre populaire il le fut au sens plein du terme, aimant les pauvres, les évangélisant, se dévouant corps et âme pour eux, vivant comme eux, logeant dans une étroite chambre au bout de son oratoire, bref menant la vie d’un missionnaire d’élite doublé d’un ascète et d’un mystique. Rassemblant les chrétiens épars, il en fit une communauté organisée, une paroisse fervente sous le vocable de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Puis avec l’apport continu de nouveaux chrétiens, il ne tarda pas à jeter les bases d’une autre paroisse, celle du T’ie Si, qu’il put bientôt remettre entre les mains d’un jeune et dévoué pasteur, le P. Cornic.
Et toute cette activité apostolique, il la mena imperturbablement à. l’époque des grandes épreuves que subissaient Moukden et tout le pays. La guerre du Pacifique, commencée le 8 décembre 1941, marqua pour la plupart des missionnaires de Mandchourie un temps d’arrêt dans l’œuvre d’évangélisation et amena le dur régime, des restrictions. Le P. Pérès, habitué à vivre à la spartiate, ne souffrit guère des privations. Les bombardements ne lui faisaient pas perdre sa sérénité ; le 21 décembre 1944, il faillit en être victime, le mur de sa chambre ayant été traversé de part en part. Le lendemain on le trouvait fumant la pipe et buvant sa traditionnelle tasse d’eau chaude, et, avec son laconisme coutumier, il se contenta de dire sur le ton prophétique qu’il affectait volontiers : « Nous en verrons bien d’autres ». Le 15 août 1945, c’était la capitulation du Japon et l’entrée à Moukden des troupes soviétiques ; le calvaire de la Mandchourie commençait. Durant sept mois elle allait subir l’odieuse tyrannie des occupants ; puis, pendant trois années, ce fut la guerre civile entre les troupes chinoises nationalistes et celles de Mao Tse Tung, qui vida Moukden de plusieurs centaines de milliers de ses habitants et laissa les autres sans défense devant les ravages de l’épidémie. Le tiers de l’effectif de la Mission disparut, parfois brutalement. Pendant tout ce temps, le P. Pérès continua son service courageusement, calmement comme à son ordinaire, demeurant jusqu’au bout au milieu de son troupeau ou du moins de ce qu’il en restait.
L’entrée à Moukden des troupes victorieuses de Mao, le 30 octobre 1948, avait mis fin à l’anarchie ; mais alors avait commencé pour les missionnaires une série d’épreuves d’un nouveau genre. En mai 1951, le Père reçut l’ordre d’évacuer son poste et d’aller s’enfermer dans l’enceinte de l’évêché en compagnie de Mgr Verineux et des autres missionnaires. Avec eux, au début d’octobre, il était expulsé de sa chère Mandchourie où, sans un jour de défaillance, il avait passé cinquante ans d’une vie totalement donnée, d’une vie pleinement apostolique, féconde en joies et plus fertile encore en souffrances méritoires. Le 28 novembre 1951 il rentrait en France, ayant mis, bien malgré lui, un point final à son aventure missionnaire
LA PERSONNALITÉ DU PÈRE PÉRÈS
Nous voudrions maintenant esquisser en quelques traits la personnalité du P. Pérès.
Né en pleine Gascogne, à l’ombre du château d’un d’Artagnan, le P. Pérès avait l’aspect physique d’un sanguin, au visage fortement coloré. Aussi l’eût-on aisément imaginé enclin aux gestes abondants, aux sentiments ardents, aux décisions impétueuses. En réalité il n’avait rien du Gascon légendaire ; il lui manquait cette spontanéité, cette chaleur communicative, cette sociabilité qui font le charme des relations. C’était un solitaire et par suite le plus silencieux et le plus secret des hommes. Ses confrères l’appelaient familièrement « le sphynx » ; ce qu’il pensait, ce qu’il ressentait, ce qu’il projetait, il était bien difficile de le déceler. Il ne racontait rien et surtout ne se racontait jamais. Ses projets, ses plans, ses méthodes, il ne les communiquait à personne ; d’ailleurs comment l’aurait-il fait dans sa solitude de Si Feng, où il se façonna à l’apostolat. S’il n’avait pas la moindre idée du travail en équipe entre confrères – d’ailleurs il n’était pas le seul et les circonstances ne s’y prêtaient guère – on ne peut dire qu’il n’avait pas l’esprit d’équipe, car il sut s’entourer, surtout à New Chwang, d’une belle couronne de collaborateurs laïques. Son expérience individuelle avait été payante et il ne voyait pas la nécessité de changer de méthode.
Ce missionnaire solitaire était aussi un homme tranquille. Jamais pressé, temporisateur – excessif aux yeux des impatients – il conservait toujours son calme, sa placidité, une sorte d’impassibilité en face des événements, qu’ils fussent joyeux ou tristes. Chez lui ni enthousiasme expansif, ni dépression décourageante, ce qui suppose une extraordinaire maîtrise de soi.
Solitaire, il n’était pourtant jamais seul : c’était un homme de Dieu se mouvant d’une manière habituelle dans une atmosphère surnaturelle ; et c’est là le trait fondamental de sa physionomie morale. Cet homme d’action ne semblait nullement incommodé par deux ou trois heures d’affilée passées en prières. Dans ses longues oraisons il puisait cette imperturbable sérénité qui était pour ses confrères un sujet d’étonnement admiratif. En tout il voyait la main de Dieu, les dispositions de la Providence ; et c’est pourquoi il ne s’étonnait de rien, et, pour employer le mot de saint Vincent de Paul, se gardait bien « d’enjamber » sur les desseins de Dieu. Sur le monde et les fléaux qui le désolent, il lui arrivait d’émettre des sentences quelque peu apocalyptiques et il n’eût pas été loin d’admettre, avec Joseph de Maistre que « la guerre est divine ». Cette disposition, il faut bien le reconnaître, le rendait parfois crédule vis-à-vis de tout ce qui paraissait miracles prophéties, apparitions, possessions diaboliques, et il lui arriva de se laisser circonvenir : petite faiblesse d’un esprit vivant habituellement dans le surnaturel. Son mysticisme avait encore une conséquence plus désastreuse dans la pratique : jugeant les autres à son aune, il ne craignait pas d’imposer à ses ouailles de longues prières, d’interminables cérémonies au cours desquelles il se laissait volontiers guidé par sa fantaisie plutôt que par les rubriques réglementaires. Il mettait aussi parfois à rude épreuve la patience de ses fidèles pendant ses sermons qu’il débitait avec une extrême lenteur, sur un ton monocorde, dans un chinois assez médiocre.
Mais de cela il n’avait cure, tant il est vrai qu’il ne fait pas toujours bon vivre à côté d’un saint qui, comme le Père, à son mysticisme sait unir un sévère ascétisme. Nourriture, logement, ameublement, bibliothèque, tout chez lui était réduit au minimum. Sa sobriété dans le boire et le manger était légendaire. En fait de distraction il ne connaissait ni radio, ni phono, ni littérature. S’il mania beaucoup d’argent pour ses multiples œuvres et parfois se montra un créancier sévère vis-à-vis des débiteurs plus ou moins insolvables, personnellement il fut un grand amateur de la pauvreté et il aurait certainement applaudi à la fameuse intervention du cardinal Lercaro au Concile sur la pauvreté de l’Eglise. En un mot sa vie privée resta toujours celle d’un ascète difficilement imitable.
Comme tout homme, le Père avait bien ses lacunes, ses petits travers. Il n’en reste pas moins que, comme ouvrier apostolique, il demeurera une des figures marquantes de sa Mission.
LES DERNIÈRES ANNÉES
Rentré en France à 74 ans, le P. Pérès n’avait pas dit son dernier mot. Son étonnante constitution de solide paysan gascon lui réservait encore douze années de vie.
Vers janvier 1953, après un an de repos, il accepta l’aumônerie de l’école technique et ménagère Sainte-Agnès à Vernon, dans l’Eure. Là il se montra tel qu’il avait été en mission. Toujours le premier à la chapelle, il édifia la communauté sa piété. Il avait une grande dévotion à la Sainte Vierge ; il voulut construire une grotte en son honneur pour le centenaire de Lourdes ; s’il accepta qu’une collecte fût faite parmi les élèves, c’est lui qui pourvut à la majeure partie de la dépense. Toujours disponible, il était sans cesse prêt à rendre service tant aux sœurs qu’à leurs élèves, qui l’estimaient et le vénéraient. Son humilité était très grande ainsi que sort esprit d’abnégation ; il acceptait tout ce qui lui était présenté et ne faisait aucune remarque sur ce qui concernait la nourriture et le logement ; il s’accommodait de tout. « Faire la volonté de Dieu, tout est là », telle fut la règle de conduite qu’il observait et conseillait de suivre.
Un matin de juin 1959, les sœurs ne le virent pas arriver à la chapelle ; il était assis dans son fauteuil, atteint d’une attaque de paralysie. Il resta encore un mois à Sainte-Agnès, donnant l’exemple d’une résignation parfaite à la volonté de Dieu et se laissant soigner avec une docilité touchante. Et c’est avec peine que sœurs et élèves le virent s’éloigner.
Le 11 juillet, il arrivait au sanatorium de Montbeton. Il devait y rester près de quatre ans ; pendant ce temps l’implacable avance du mal le faisait gravir un douloureux calvaire ; et il le gravit « avec une authentique âme d’enfant, un âme eucharistique et mariale et une fervente union à Dieu ». Enfin le 15 mars 1963, à 3 heures du matin, il reçut sa dernière destination, restant jusqu’à la fin l’homme de prières, le grand silencieux qu’il avait toujours été.
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