François JORDAN1875 - 1906
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 2398
Identité
Naissance
Décès
Missions
- Pays :
- Vietnam
- Région missionnaire :
- 1898 - 1906 (Hung Hoa)
Biographie
[2398]. JORDAN, François-Eugène-Joseph, originaire de Thonon-les-Bains (Haute-Savoie), où il naquit le 19 avril 1875, fit ses études classiques à Evian. Entré laïque au Séminaire des M.-E. le 11 septembre 1896, il fut ordonné prêtre le 26 juin 1898, et partit le 3 août de la même année pour le Haut-Tonkin. Il débuta à Son-tay, et alla ensuite à Nghia-lo, dans les montagnes de l’ouest, évangéliser les sauvages. Il y contracta une fièvre paludéenne qui l’obligea à se rendre au sanatorium de Béthanie, à Hong-kong¬ ; quand il en sortit, sa santé était encore tellement ébranlée, qu’après avoir passé quelque temps à Son-tay, il dut revenir en France. Il mourut au sanatorium Saint-Raphaël, à Montbeton (Tarn-et-Garonne), le 27 décembre 1906, disant au missionnaire qui l’assistait¬ : « Une fois arrivé au Tonkin, dites bien que je meurs pour Nghia-lo. »
Nécrologie
[2398] JORDAN François (1875-1906)
Notice nécrologique
M. François-Eugène Jordan naquit à Thonon-les-Bains (Annecy, Haute-Savoie). Il vint au monde dans une maison où saint François de Sales s’était retiré, pendant qu’il évangélisait le Chablais. A son baptême, on lui donna pour patron l’apôtre de la contrée, et François eut toute sa vie un culte particulier pour son saint protecteur. Quand vous lui demandiez, intentionnellement ou non, quel saint François était son patron, il vous regardait d’un air qui voulait dire :
« Allons ! Pouvez-vous en douter un seul instant ? »
Les Thononais se souviennent encore, sans doute, d’une pieuse personne qui passait parmi eux pour avoir le don de prophétie. Plusieurs missionnaires de notre Société savent par expérience qu’elle connaissait l’avenir. Toujours est-il qu’elle dit un jour au jeune François :
« Toi, tu seras prêtre ; tu seras missionnaire ; tu iras dans une mission nouvellement « fondée ; on t’enverra chez les sauvages, et quatre ans après, tu mourras. » Souvent, j’ai entendu notre confrère parler de cette prophétie, et il n’en riait pas toujours. La dernière fois qu’il en fut question devant moi, c’était vers Pâques 1904. Je dis alors à M. Jordan : « Votre « prophétesse s’est trompée. Voilà plus de quatre ans que vous êtes en mission, et vous n’avez « pas envie de mourir. — Elle n’a pas dit, répliqua-t-il, que je mourrais quatre ans après mon « arrivée en mission, mais bien quatre ans après être allé chez les sauvages. » De fait, il est mort quatre ans après avoir quitté Nghia-lô, le pays des Méos.
M. Jordan était, comme on l’a dit et répété bien souvent, une sainte âme. C’était un missionnaire très zélé et doué d’un caractère énergique. Il est difficile de rencontrer une volonté plus tenace, plus inflexible. Aucune difficulté ne l’arrêtait, l’impossible même ne le déconcertait pas.
Il était d’une mortification qu’on pourrait qualifier d’excessive. Sa régularité était celle d’un séminariste. Il était toujours gai, expansif parfois, surtout quand ses exercices de la journée étaient achevés ; autrement, on sentait tout de suite que son règlement était « en souf-france ». Comme récréation, il s’occupait de photographie, et y mettait une application et une coquetterie tout artistiques.
La vie de ce confrère n’a donc pas été celle d’un missionnaire ordinaire. M. Jordan n’eut jamais qu’une seule préoccupation, celle de sauver beaucoup d’âmes, au prix de n’importe quels sacrifices. S’il n’a pas rencontré partout la moisson mûre à point, ce n’est pas de sa faute, et il a été le premier à en gémir. Ses œuvres lui paraissaient si belles, si utiles, qu’il voulait y intéresser tout le monde, et il y réussissait à merveille. Il communiquait aux autres le zèle qui le dévorait lui-même et qui a hâté sa mort.
Après avoir étudié la langue annamite d’arrache-pied, on peut le dire, et avec une contention à laquelle il n’était pas tenu, il fut envoyé faire ses premières armes dans le ministère apostolique à Sontay. Ce fut la période la plus consolante de sa vie. Elle dura une année. Sontay convenait parfaitement à son zèle. Les chrétiens lui témoignèrent de suite un attachement extraordinaire, à cause de sa grande piété. Lui, de son côté, s’attachait à eux, et, quand il se trouvait dans une station, il était parfois difficile de l’en faire sortir. Les chrétiens le voyaient toujours s’éloigner avec un sincère et sensible regret.
La prédication lui coûtait beaucoup de peines et d’efforts ; mais afin d’économiser son temps et d’en avoir suffisamment pour tout, il avait trouvé un moyen qui était bien à lui. Il s’était procuré plusieurs réveille-matin. La. nuit venue, il les échelonnait « au cran d’alarme » de vingt en vingt minutes. Le sommeil venait-il le surprendre, la perte n’était jamais bien considérable, grâce à cette ingénieuse invention. Le premier avertisseur, une fois sa fonction bien remplie, était aussitôt remonté et remis à la suite des autres, avec vingt minutes de retard sur l’instrument qui le précédait. Ce moyen de mortification ne rappelle-t-il pas les temps anciens et les siècles de foi ?
La piété de notre confrère avait ceci de particulier, qu’elle se traduisait par de fréquents signes extérieurs, des prosternations, des gestes affectueux, des soupirs.
Les chrétiens de Sontay aimaient leur missionnaire comme un vrai père, et leur douleur fut grande, quand ils le virent partir. Consolez-vous, braves néophytes. Il vous reviendra, et cette fois, il vous sacrifiera le reste de ses forces, il ne vous quittera plus que pour aller mourir. Mais auparavant, il lui faut souffrir et se sanctifier davantage encore dans des régions lointaines, insalubres, sauvages et inconnues.
Le décret de division du Tonkin occidental, en 1895, après avoir attribué au Haut-Tonkin les provinces de Hung-hoa, de Tuyen-quang et de Sontay, ajoutait : et montes adjacentes. Mgr Ramond voulut faire explorer ces montagnes, qui font partie de son vicariat, et qui, jusqu’alors, étaient l’inconnu.
M. Granger venait de fouiller la partie ouest, pays inculte et sauvage. Il y avait rencontré la population méo, qui semblait intéressante, mais il avait remarqué, en même temps, l’insalubrité du climat. La malaria règne dans ces montagnes, comme, généralement du moins, dans toute la mission du Haut-Tonkin, comme dans toutes les montagnes de l’Indo-Chine.
M. Jordan, envoyé pour aider M. Granger et partager ses privations, partit le cœur joyeux. A Nghia-lô où il devait habiter, tout était à faire. Il entreprit tout à la fois : installation, étude de la langue, évangélisation, car dans son esprit tout devait marcher de front. Malheureuse-ment, l’heure marquée pour la conversion de ces peuplades arriérées et vicieuses (il faut bien le reconnaître) n’avait pas encore sonné. Dieu veuille qu’elle sonne un jour !
Le missionnaire de Nghia-lô, en travaillant de ses mains, apprit au moins aux sauvages une chose qu’ils semblent totalement ignorer, c’est que l’homme ici-bas doit travailler. Les sauvages méos sont tellement oisifs et paresseux !
La case du missionnaire était achevée. La bénédiction vint sous une forme où elle n’était pas attendue : la fièvre paludéenne s’accentua chez notre confrère d’une façon tellement violente, qu’il dut quitter ses Méos. Il ne devait plus les revoir.
Il alla demander au sanatorium de Hong-kong un peu de force pour pouvoir continuer son apostolat. Hélas ! ce fut pendant ce temps de repos qu’apparurent les premiers symptômes de la tuberculose qui allait mettre fin à ses travaux. Mais Dieu permit qu’un conflit entre les hommes de la science vînt laisser, jusque sur le bord de la tombe, l’illusion à notre confrère. Il faut bien le dire, la simple éventualité de la phtisie était déjà pour lui un véritable cauchemar.
Tandis que les médecins se prononçaient pour ou contre la tuberculose, pour ou contre le paludisme, M. Jordan ne restait pas oisif. Retenu loin de ses sauvages, il étudiait toujours leur langue et leur écriture. Mais sa santé ne lui permettant pas de retourner dans les montagnes de Nghia-lô, il demanda à revenir à Sontay, le pays de ses premières affections, où il avait laissé la meilleure partie de son cœur et un ineffaçable souvenir. Il allait, cette fois, s’y dépenser jusqu’à l’agonie.
La maison du Seigneur, qu’il aurait voulue toujours plus belle, attira d’abord son attention. Il transforma et orna l’église ; puis il lui fallut des cloches françaises. Il les eut, mais n’en jouit pas, car il n’entendit pas même leur son argentin.
Rentré en France, vers le milieu de 1906, sa vie ne fut plus, au sanatorium de Montbeton, qu’une suite ininterrompue des plus pénibles souffrances.
Il n’oublia jamais ni le Tonkin, ni ses sauvages méos. Quelques semaines avant sa mort, il me disait : « Une fois arrivé au Tonkin, dites bien que je meurs pour Nghia-lô. »
« M. Jordan, écrit M. Viallet, avait reçu l’extrême-onction depuis plusieurs semaines déjà, quand son état s’aggrava subitement aux environs de Noël. Il avait tenu, en effet, à recevoir ce sacrement des mains de son ancien curé du Tonkin, M. Robert, qui devait retourner en Extrême-Orient par le paquebot du 9 décembre.
« Le 27 décembre, je le vis un peu avant midi, pendant qu’il déjeunait. Il me sembla qu’il mangeait plutôt par condescendance pour la Sœur qui le servait que par appétit. Il éprouvait une grande difficulté pour avaler. Vers 1 h. ½ , la Sœur infirmière s’aperçut que le cher malade avait une espèce de syncope, et qu’il étouffait. Quand M. Rêmes, mandé en toute hâte, s’approcha de son lit, il lui dit d’une voix entrecoupée par les hoquets et faible comme un souffle : « Père, je crois que je m’en vais. — Alors, voulez-vous que je vous donne l’indulgence plénière, que nous avions réservée au moment de l’extrême-onction, et que je fasse venir les confrères pour réciter les prières des agoni¬sants ? — Oh ! oui, bien volontiers. Merci ! » On nous communiqua aussitôt la triste nouvelle, et nous nous rendîmes dans la chambre de M. Jordan pour réciter les prières de la recommandation de l’âme. Il s’efforça de répondre avec nous à toutes les invocations. Il avait la respiration pénible, mais on voyait qu’il était calme et résigné. Les prières terminées, je restai seul près du mourant, avec M. Patuel. Il sembla reprendre un peu de vie et nous indiqua, moitié par gestes, moitié par mots prononcés à voix basse, ce que nous devions faire des objets contenus dans sa malle, et à quelles personnes il fallait annoncer sa mort. Il disait de temps en temps : « Oh ! que je souffre pour respirer ! L’air ne passe plus. » Et nous tâchions, à l’aide d’un éventail, de lui infuser un peu d’air frais dans la bouche, pour soulager ses pauvres poumons. « Merci, ça me fait du bien », disait-il. Il nous recommandait aussi de lui suggérer de pieuses pensées, disant qu’il n’était pas capable, tout seul, de s’exciter comme il faut à la confiance en Dieu et à la contrition de ses péchés. Vers 7 heures du soir, me trouvant seul à son chevet, je lui montrai le christ suspendu en face de son lit : « Mon pauvre ami, lui dis-je, vous êtes bien un peu sur la croix comme Notre-Seigneur, en ce moment; regardez bien le divin Crucifié, cela vous fortifiera. » Et il se tourna vers le crucifix, avec un tel élan d’amour et de confiance, que j’en demeurai tout saisi. M. Rêmes avait désigné trois confrères pour veiller le malade pendant la nuit. Ils devaient se remplacer toutes les trois heures près de lui. En outre, deux domestiques se tenaient dans la chambre voisine. M. Sibers, qui soignait M. Jordan depuis trois mois, demanda à faire la première veille, depuis le souper jusqu’à minuit. Le bon Dieu voulait que celui qui avait soigné M. Jordan avec tant d’affection eût la consolation de lui fermer les yeux.
« Un peu après 9 heures, M. Sibers voyant le malade plus calme et moins oppressé, lui demanda tout doucement s’il ne serait pas heureux de se confesser une dernière fois. Le mourant accepta avec joie, fit le signe de la croix, récita le Confiteor, se confessa et reçut une suprême absolution. M. Sibers lui demanda ensuite s’il tenait bien dans sa main le christ de Jérusalem, auquel est attachée l’indulgence plénière à l’article de la mort. « Oh ! oui, je l’ai là avec mon chapelet, et il ne me quittera plus avant ma mort ; mais expliquez-moi encore bien comment il faut faire pour gagner sûrement l’indulgence. » Un moment après, se sentant reposé : « Je vais mieux, dit-il, n’est-ce pas ? — Oui, un peu, il me semble. — J’ai peur de m’en tirer. » Dans cette phrase, il était aisé de voir la crainte de perdre le fruit de son excellente préparation à la mort et d’être obligé de recommencer une autre fois.
« Il dit encore à M. Sibers : « Si mes parents viennent à mon enterrement et veulent transporter mon corps à Thonon, ne les laissez pas faire, car j’aimerais tant reposer ici, dans notre petit cimetière, où j’aurais chaque jour les visites et les prières des confrères du sanatorium ! » A 10 heures, il demanda : « Vous êtes fatigué, Père, quand est-ce que M. Patuel viendra vous remplacer ? — A minuit, j’irai le réveiller. — Alors j’ai encore le temps ; éteignez la lampe, je vais essayer de dormir. » M. Sibers s’empresse d’éteindre la lampe, mais au bout de quelques minutes, il s’aperçoit que la respiration du malade devient imperceptible. Vite, il rallume la lampe et s’approche du lit.. M. Jordan est sans connaissance, il va mourir. En effet, quelques instants après, il rend son âme à Dieu, sans agonie, à 11 heures du soir.
« Le lendemain, à notre lever, il nous fut permis de contempler notre regretté confrère étendu sur son lit funèbre ; nous allâmes ensuite célébrer la sainte messe pour le repos de son âme. A 8 heures du matin, vingt messes avaient déjà été dites à son intention.
« Le corps fut transporté au salon, à côté de l’oratoire, et les missionnaires se succédèrent, deux à deux, toute la journée, pour prier auprès de lui.
« Les Sœurs de la maison et celles de l’orphelinat eurent la charité de nous remplacer aux heures des repas et des exercices communs. Après le souper, en présence de tous les confrères et du personnel de la maison, eut lieu la douloureuse cérémonie de la mise en bière. Les assistants passèrent devant le corps pour l’asperger d’eau bénite, et voir une dernière fois les traits de notre bien-aimé confrère. Qu’il était beau, avec sa blancheur de statue de cire ! Sa figure reposée et souriante ne gardait plus rien des contractions causées par la souffrance ; le chapelet était enroulé autour de ses mains transparentes ; nous avions devant nous l’image d’un prédestiné.
Les obsèques eurent lieu le samedi 29 décembre, à 8 heures. M. Patuel, missionnaire du Tonkin, ami intime et compatriote du défunt, chanta la messe et présida toutes les cérémonies. M. Calaque et M. Viallet, missionnaires du Tonkin, eux aussi, faisaient diacre et sous-diacre. M. le curé de Montbeton, M. l’aumônier de l’orphelinat, les Sœurs et un groupe de leurs orphelines, et plus de vingt missionnaires accompagnèrent M. Jordan à sa dernière demeure.
Cher et saint ami, vous êtes plus heureux que nous, maintenant ! Du haut du ciel, j’en ai la confiance, vous n’oublierez pas ceux que vous avez tant aimés sur la terre.
Références
[2398] JORDAN François (1875-1906)
Notes bio-bibliographiques.
C.R., 1900, p. 153¬ ; 1901, p. 147¬ ; 1902, p. 173¬ ; 1905, p. 141.
A. M.E., 1901, p. 312.