Joseph BOURGAIN1872 - 1925
- Statut : Vicaire apostolique
- Identifiant : 2223
Identité
Naissance
Décès
Consécration épiscopale
Autres informations
Missions
- Pays :
- Chine
- Région missionnaire :
- 1896 - 1925 (Yibin [Suifu])
Biographie
Joseph BOURGAIN naît le 15 avril 1872 au Portel, à trois kms au sud de Boulogne, dans le diocèse d'Arras, (Pas-de-Calais). Fils de Gabriel Bourgain et de Marguerite Leprêtre, il est le onzième et dernier enfant de la famille. Sa sœur Marie-Marguerite, cinquième enfant, devient religieuse de Saint Vincent de Paul. Joseph commence ses études classiques au Collège Ste Austreberthe de Montreuil-sur-Mer ; en 1888, il entre en troisième au petit séminaire de Boulogne où il n’est pas un modèle de sagesse, mais un boute-en-train qui n'arrive pas à être sage, souvent invité à venir s'asseoir sur le fauteuil vert du supérieur.
Le 12 septembre 1891, il entre, laïque au séminaire des MEP. Appelé sous les drapeaux en 1893, habile et débrouillard, tireur précis au point d'obtenir l'épinglette d'argent, il est tantôt chef de popote, tantôt agent de liaison cycliste. Tonsuré le 1 octobre 1890, minoré le 15 octobre 1893, sous diacre le 21 septembre 1895, diacre le 29 février 1896, ordonné prêtre le 28 juin 1896, il reçoit sa destination pour le vicariat apostolique du Se-tchoan Méridional (Sui-Fu) qu'il part rejoindre le 29 juillet 1896.
Chine (1896- 1925)
Arrivé dans sa mission, le P. Bourgain, doué d'une excellente mémoire, commence l'étude de la langue chinoise qu'il apprend comme en jouant.
Kien-Tchang
En janvier 1897, il est envoyé par Mgr Chatagnon au Kien-Tchang, territoire situé dans le grand coude que le Fleuve Bleu fait dans le sud, vers le Yun-Nan. Il rejoint M.de Guébriant à Té-Tchang, et, sous sa direction, effectue sa formation missionnaire. En peu de mois, il apprend la langue populaire, et celle des lettrés. Le P. Bourgain est très éprouvé par la mort rapide du P. Jacques Gire, le 8 juin1897 ; ce dernier, arrivé le 26 mai 1897, veille de l'Ascension, était venu assister avec les autres missionnaires, à la fête d'ouverture d'un nouveau poste à Té-Chang, petite ville au centre du Kien-Tchang.
Après les fêtes de Noël 1897, le P. Bourgain se rend à Kia-Tin en treize ou quatorze étapes ; il retrouve son évêque et ses confrères. Durant les premiers mois de 1898, en compagnie du P. de Guébriant, il circule pendant trois semaines dans la région voisine du Yunnan, puis, en juin 1898, il remplace à Té-Tchang ce dernier nommé à Ya-Tcheou. L'affection des chrétiens étant acquise, il s'attire la sympathie de tous. Pour nouer des relations d'amitié avec les diverses autorités, il organise chaque jeudi un modeste repas dans sa résidence. Cela lui permit de régler au mieux bien des conflits.
En juin 1900, l'insurrection des "Boxeurs" se répercute jusqu'au Kien-Tchang. Le préfet civil de la province fait venir à Ning-Yuan-Fu les trois missionnaires résidant dans sa juridiction, et il les héberge pendant plus de quatre mois dans une pagode. Cette réclusion est pénible pour le P.Bourgain; ses maux de tête redoublent. Pour les guérir, il demande et obtient une escorte, puis s'en va constater dans les chrétientés les ruines accumulées par la persécution. Peu après, il arrive, en usant de courtoisie et de patience, à un accommodement avec les notables de Mien-Lin, à propos d'un terrain à Yang-tsao-Pa.
En 1902, épuisé et dépressif, le P.Bourgain doit aller se faire soigner à Shanghai; les docteurs exigent son rapatriement en France.
Tchou-ken-tan
Au début de décembre 1904, le P. Bourgain revient dans sa mission. Il est nommé au poste de Tchou-ken-tan, proche de Kia-Tin. Son talent et son courage obtiennent réparation des dommages causés aux chrétiens par les derniers tenants de la secte des "Lanternes Rouges". Vers la fin de 1905, surgissent au Kien-Tchang de graves difficultés. Des brigands, sous couvert de protestantisme se ruent contre l'oratoire de Mien-Chan. Les catholiques ripostent, il y a des morts. Mgr Chatagnon demande au P. de Guébriant de reprendre la direction du Kien-Tchang. Ce dernier accepte, mais demande que le P. Bourgain lui soit adjoint.
Celui-ci s'installe à Lou-Kou où il essaye de régler sur place cette affaire. C ‘est un échec. A la fin de 1907, il part pour Tchen-tou. Il traite directement avec les autorités ; par sa diplomatie, sa patience et son sang-froid il obtient gain de cause. Cette même année, par son savoir-faire auprès des autorités chinoises, il aide la mission d'exploration du capitaine vicomte d'Ollone et du sergent vicomte de Boyves.
Te-Tchang
En février 1908, il est à nouveau chargé du poste de Te-Tchang. A la Pentecôte de 1909, le P.de Guébriant, se sentant plus de goût pour la brousse, s'installe à Te-Tchang. Connaissant les aptitudes du P. Bourgain pour gérer les intérêts de la mission, et garder des relations amicales avec les autorités locales, il lui cède le district de Ning-Yuan-Fu, où plusieurs chrétientés se créent. Habile organisateur, le P. Bourgain fonde paroisse et écoles, achète des terrains pour l'expansion future des oeuvres de la mission. En 1910, le Kien-Tchang est érigé en vicariat apostolique, et confié à Mgr de Guébriant, qui est sacré à Sui-Fu, le 20 novembre de cette même année. Celui-ci nomme le P. Bourgain au poste de provicaire et de procureur de la mission.
Provicaire du Kien-Tchang
En 1911, le P.Bourgain construit l'évêché de la nouvelle mission; Pendant l'absence de Mgr de Guébriant, il gouverne le vicariat apostolique; en novembre cette année-là, il sauve de la captivité et de la mort l'explorateur Legendre et ses compagnons. Quelques jours après, la ville de Ning-yuan-Fu, mal défendue, est cernée par une troupe de brigands, appartenant à la "Société du Soleil". Conscient de la gravité de la situation, le P. Bourgain se rend chez le Préfet. Marchant la main dans la main, tous deux préservent du pillage la ville et la province. Le 4 novembre 1911, le P.Castanet est massacré au village de Tié-tsiang-tsen, à une quinzaine de kms de Kiang-Tcheou. En 1912, Mgr de Guébriant, délégué par le Ministre de France en Chine pour régler le problème des réparations, délègue le P.Bourgain auprès de la délégation chinoise, pour l'arrangement consécutif aux pillages et massacres de l'année précédente.
Epuisé et dépressif, après toutes ces épreuves, le P. Bourgain part en mars 1913 pour Hong-Kong et rentre en France par le Transsibérien. Cependant, Mgr de Guébriant nommé vicaire apostolique de Canton, le 28 avril 1916, quitte Ning-Yuan-Fu le 8 janvier 1917. Il rappelle alors le P. Bourgain au Kien-Tchang pour lui succéder.
Ce dernier, après une retraite chez les Jésuites de Clamart, regagne sa mission à la fin de 1917.
Evêque en 1918
Nommé évêque d'Archelais et vicaire apostolique du Kien-Tchang, il reçoit la consécration épiscopale des mains de Mgr de Guébriant, assisté de Mgr de Gorostarzu et du P. Philippe Gire, le dimanche 10 novembre 1918, à Ning-Yuan-Fu. Il prend comme devise : "In Spem contra Spem".
Mgr Bourgain ne s’épargne aucune peine pour mettre sa mission à l'aise sur le plan financier en créant des revenus pour assurer le développement du séminaire et des oeuvres. Appliquant sa maxime "Tout le nécessaire, rien de superflu", il arrive à doter Ning-Yuan-Fu d'un dispensaire et d'un hôpital ; il confie aux Soeurs Franciscaines de Marie la formation spirituelle et intellectuelle des "Vierges chinoises de la Doctrine Chrétienne".
En 1919, il rencontre à Tchen-tou, Mgr de Guébriant, Visiteur Apostolique. Il participe aux travaux de l'Assemblée Générale des MEP à Hong-Kong du 9 février au 22 mars 1921. En 1923 pour former des maitres chrétiens, il crée une école normale qui débute avec quatre jeunes gens, et vingt l'année suivante. Le 24 mars 1924, il se met en route pour prendre part au "Concile Général de Chine" qui s'ouvre à Shanghai le 15 mai 1924.
En 1925, fatigué, Mgr Bourgain envisage d’aller se reposer dans sa famille. Mais la situation de crise au Kien-tchang, marquée alors par la famine, les incursions et révoltes des Lolos, le brigandage et la mutinerie de soldats, le fait hésiter. Après un voyage à Ta-tsien-Lou en juillet 1925, pour y conférer avec Mgr Giraudeau, il quitte Ning-Yuan-Fu le 27 août suivant, et se met en route pour Rome, où il doit traiter d'importantes affaires de sa mission. La première partie du trajet lui est très pénible, et il doit s'arrêter à Yun-nan-fu où il arrive épuisé le 19 septembre 1925.
Atteint d'un cancer à l'estomac, il rend doucement son âme à Dieu, le 30 septembre 1925, vers 18 heures.
Le samedi 3 octobre 1925, ses funérailles sont célébrées à Yun-nan-fu, présidées par Mgr de Garostarzu, en présence des consuls de France, de Grande Bretagne, et des Etats-Unis, ainsi que d'une foule très nombreuse. Au cimetière français, à l'extérieur de la porte du Nord, M. Bodard, consul de France, rend hommage au défunt ; puis le cercueil, accompagné de Mgr de Garostarzu, et d'une dizaine de missionnaires, est porté au cimetière de Pe-long-tan.
C'est là que Mgr Bourgain repose, près de Mgr Fenouil, au milieu des missionnaires du Yun-nan.
Nécrologie
[2223] BOURGAIN Joseph (1872-1925)
Notice nécrologique
À trois kilomètres au sud de Boulogne, au bord d’une plage que de hautes falaises protègent de part et d’autre contre les courants marins, s’étage Le Portel. Ses habitants se réclament d’origines lointaines qui feraient d’eux les frères des Espagnols, des Aquitains et peut-être même des Basques. Quoi qu’il en soit, ils ont pu garder, au milieu du désarroi des doctrines et des mœurs modernes, une foi si profonde, une dignité de vie telles qu’ils méritent d’être proposés en exemple aux catholiques de France.
Grâce à la pêche pour laquelle ils armaient plusieurs bateaux, les Bourgain jouissaient d’une modeste fortune. Le père, mort de bonne heure, laissait à sa veuve le soin d’élever ses enfants. Notre futur évêque en était le benjamin.
Dans ce milieu foncièrement chrétien, l’idée du devoir régnait en maître : la mère, telle la femme forte de l’Ecriture, s’appliquait à sa tâche sans dureté comme sans faiblesse, menant de front les affaires de la maison et l’éducation de sa nombreuse famille. A ce régime sévère mais non dénué de tendresse, Mgr Bourgain acquit une âme forte dans un corps puissant, le sens inné de l’autorité et, sous une apparente rudesse, un vif besoin d’épanchement et d’affection.
Il commença au collège de Boulogne ses études classiques. Mais sa robuste nature, son goût du mouvement souffraient de la règle trop stricte, de la vie trop monotone de cet établissement. Rendu, pour quelque espièglerie, à sa famille, il passe au petit Séminaire d’Arras. La Providence, n’est-ce pas, fait bien les choses : là, il entendit l’appel de Dieu, et comme sa jeune ardeur aspirait à un champ d’action plus vaste, à un ministère plus conquérant, c’est à la porte des Missions-Étrangères qu’il vint frapper le 12 septembre 1891.
Il y devint du jour au lendemain le boute-en-train de la communauté. Sa piété sans afféterie mais profonde trouvait à s’épancher dans ce milieu tout spiritualisé par le souvenir des Martyrs et où l’on ne parle que de vivre et de mourir pour Dieu. Sa vigueur corporelle —vigueur peu commune — ne restait pas non plus inemployée : il fut de cette équipe qui dressa, au milieu des bois de Meudon, devant le chêne de Notre Dame, ces dolmens à table énorme que les badauds parisiens attribuèrent aux Celtes.
Appelé en 1893 sous les drapeaux, il y développe son esprit d’initiative. Habile, débrouil-lard, on le voit tantôt chef de popote, tantôt cycliste agent de liaison. Il tire avec une terrible précision : se riant des distances, il fait mouche presque à tout coup et obtient la distinction si enviée de l’épinglette d’argent. Mais l’aspirant missionnaire méprisait trop la gloriole pour s’attacher à des succès d’ordre vulgaire : A peine achevé le service militaire, il reprit ses livres. Peut-être même les reprit-il avec trop d’ardeur car, de cette époque, datent ces tenaces maux de tête qui, lui laissant l’apparence de la bonne santé, contrariaient, empêchaient même parfois tout travail intellectuel de quelque durée. On estima que le régime plus libre et la vie plus active des Missions suffiraient à le guérir, et en juillet 1896, il reçut avec la prêtrise sa destination pour le Sutchuen Méridional.
En ce temps-là, le Kientchang, sous l’habile et ferme direction de M. de Guébriant, entrait dans une voie nouvelle. Il ne s’agissait plus seulement d’entretenir la vie chrétienne dans quelques stations isolées, mais bien de s’étendre et de prendre hardiment sa place au libre soleil de Dieu. Cela supposait un plus grand nombre de missionnaires en résidence. Où les trouver ? Un appel fut lancé à Mgr Chatagnon.
Précisément arrivait à Suifu M. Bourgain qui, dès le premier abord fit une excellente impression : A une activité naturellement débordante, il joignait une mémoire impeccable ; la langue chinoise, pourtant si peu conforme à notre logique européenne, il l’apprenait comme en se jouant. N’était-il pas l’homme de talent et d’initiative que réclamait M. de Guébriant ? A peine ses progrès s’affirmaient-ils qu’il rejoignait à Tetchang son nouveau supérieur (Janvier 1897).
M. Bourgain répondit pleinement aux espérances qu’on fondait sur lui. En peu de mois, il se mit au courant de la langue populaire et de celle des lettrés : si bien qu’en 1898, il se trouvait prêt à remplacer son curé rappelé à Suifu. Possédant déjà l’affection des chrétiens, il eut tôt fait de s’attirer la sympathie des païens. Jugeant qu’on perd plus, qu’on ne gagne à s’isoler complètement du monde, il chercha et réussit à se créer des relations. Même, chaque jeudi, un modeste repas groupait à la Résidence des amitiés qui dans la suite s’avérèrent utiles : Là se réglèrent nombre de menus litiges, à la grande satisfaction des païens et des chrétiens intéressés ; là se créa autour de son nom une atmosphère de justice, de désintéressement et d’habileté dont il bénéficiera dans tout le cours de sa carrière.
En juin, juillet de la terrible année 1900, l’insurrection des Boxeurs se répercuta jusqu’au Kientchang. MM. Castanet, Bourgain et Boissière restant disséminés au milieu d’énergu-mènes avides de massacres, leur vie ne tenait qu’à un fil. Le préfet civil s’empressa de les mander à Ningyuen et les hébergea pendant près de quatre mois dans une pagode. Cette sorte de réclusion pesait d’autant plus à M. Bourgain que ses maux de tête redoublèrent cette année-là d’intensité. Persuadé qu’une dépense d’énergie physique lui apporterait le seul remède efficace, il demanda et obtint une escorte et, avant même le rétablissement du calme, s’en fut constater les ruines accumulées par la tourmente dans nos chrétientés. Ainsi lorsqu’il s’agit de déterminer le chiffre d’une juste indemnité, put-il parler en connaissance de cause.
À quelque temps de là, les notables de Mienlin nous disputèrent, avec une âpreté malveillante, le terrain de Yangtsaopa à nous officiellement cédé. Ils ne se souciaient guère de mieux mettre en valeur cette plaine caillouteuse et l’aride montagne qui la borde, mais le temps était à la xénophobie ; il y avait de la gloire, sinon du profit, à contrecarrer la mission. De la courtoisie, de la ténacité, d’opportunes concessions finirent par dissiper une à une préventions et mauvaises raisons. On signa un accommodement sur lequel dans la suite on n’eut jamais à revenir.
Il nous paraissait que ces joutes oratoires suivies de succès lui étaient salutaires ; en réalité elles l’épuisaient. On le vit bien en 1902 où la neurasthénie s’aggrava au point qu’un voyage à Changhai devint tout à fait nécessaire. Là, les docteurs consultés exigèrent davantage, car seul un long repos sous le ciel natal, disaient-ils, amènerait la guérison
M. Bourgain revint à Suifu dès le début de décembre 1904. Presque aussitôt nommé curé de Tchoukentan, il se trouva, à ce moment précis, être « the right man in the right place ». Car les derniers tenants de la secte des « Lanternes Rouges » (hong ten kiao) pillaient, molestaient les chrétiens sous les yeux d’une autorité impuissante ou complice. Et il ne fallut pas moins que le talent et le courage de¬ M. Bourgain pour obtenir d’un grossier mandarin réparation des injures et dommages.
Mais voilà qu’au Kientchang les choses se gâtent. Des brigands, sous le couvert du protestantisme d’importation récente, se ruent contre notre oratoire de Mienchan ; les catholiques ripostent ; de part et d’autre il y a des morts ; des accusations sont portées au préfet de Linyuen. Pour le bien de la paix, Mgr Chatagnon rappelle à Suifu M. Castanet et demande à M. de Guébriant de vouloir bien reprendre la direction de ce remuant pays. Celui-ci n’accepte qu’à une condition : c’est que, dans ces conjonctures, difficiles, M. Bourgain lui sera adjoint.
Installé à Lokou, M. Bourgain essaya d’arranger sur place cette épineuse affaire, mais en vain. Fallait-il se laisser condamner sans avoir été entendu ? En fin 1907, le missionnaire se rend à Tchentou et traite directement avec les autorités. Toutes choses mises au point, il obtient gain de cause. La vérité, le sang-froid, une longue patience ont, cette fois encore, eu raison des roueries de prétoriens inclinés à favoriser qui les paye le mieux.
En 1908, le voici de nouveau curé de Tetchang, mais pour peu de temps. Dès l’année suivante, M. de Guébriant se sentant plus de goût pour la brousse que pour l’apostolat à domicile, reconnaissant d’ailleurs à M. Bourgain des aptitudes spéciales pour gérer les intérêts matériels de la Mission, passe à Tetchang et lui cède Linyuenfou. Tchangpintsé commençait à prendre tournure ; Ouitchen s’ouvrait à l’évangélisation ; Yentsin s’accroissait et le Chanheou donnait des espérances que seul le manque de missionnaires de tenir. Mais pendant que le Provicaire Supérieur circulait dans les montagnes, le curé de Liutyuen organisait paroisse et écoles, achetait des maisons autour de la mission en vue de l’agrandissement prochain de la résidence et de l’expansion future des œuvres centrales. C’est que, à la suite de progrès remarquables la mission du Kientchang était à la veille de recevoir son autonomie.
En 1910, l’honneur d’en être le premier évêque revient — et c’est justice — à celui qui en avait été le vrai fondateur, Mgr de Guébriant. Mais le titre de provicaire et la charge de procureur échurent — à bon droit encore — à M. Bourgain, son habile organisateur.
Sur l’emplacement récemment acquis, il se mit à bâtir — lui qui n’étudia jamais l’architecture — une résidence qu’admirerait un architecte, si soigné fut le travail et pratique la disposition des parties. Malgré la grandeur, la beauté et la solidité de l’œuvre, pourchassant tout gaspillage de temps et de matériaux, il réduisait les frais de construction au strict minimum.
Des affaires de famille ayant rappelé Mgr de Guébriant en France, M. Bourgain prit en main le gouvernement de la Mission (mars 1911). Mais ne semble-t-il pas que toute sa vie les difficultés vont se multiplier sous ses pas ? À peine les bâtisses s’élèvent-elles de terre qu’éclate la révolte de Tchangiaotang, à la tête des « Sectateurs du Soleil » (Tai iang houi). D’abord, c’est le Docteur Legendre et le Lieutenant Dessirier attaqués, blessés, dévalisés à Houangchouitang ; le lendemain, c’est la ville de Linyuen, presque démunie de défenseurs, cernée par d’innombrables et entreprenants bandits : Un des premiers articles de leur programme distribué aux adhérents, comprend le massacre des missionnaires et des chrétiens. M. Bourgain se précipite chez le Préfet qu’il connaît à peine. Il importe de prendre au plus vite une décision, mais laquelle ? Armer la garde nationale ? Celle-ci ne marchera que sur beaux deniers comptants ; or la caisse préfectorale est vide. Qu’à cela ne tienne : Sur l’initiative du Provicaire, on convoque les notables ; la Mission s’engage à avancer 1.000 taëls (3.000 francs de ce temps-là) ; entraînée par l’exemple, la Chambre de commerce en vote 1.500.
Le lendemain les remparts se couvrent de guerriers, armés qui de fusils à mèches qui de lances ; de loin en loin d’antiques canons crachent une bruyante mitraille ; galets et cailloux s’entassent aux créneaux. Il était temps : en quelques jours sept assauts sont repoussés. Préfet et Provicaire se connaissent maintenant, et marchent la main dans la main. A cette mise en commun de deux impavides énergies, la ville et le pays durent le salut.
Ayant appris les malheurs qui fondaient sur le Kientchang, Mgr de Guébriant précipita son retour. Quand il rentra à Ningyuen (décembre 1911), tout danger était conjuré. Tout se paye. Une inquiétante dépression physique imposa de nouveau à M. Bourgain un repos complet au pays natal. Au mois de mars 1913, il s’embarquait pour la France. Son absence dura près de cinq ans.
Lorsque, en 1917, Mgr de Guébriant fut transféré à Canton, M. Bourgain reçut à Paris l’annonce officieuse au poste difficile de Vicaire Apostolique du Kientchang. Il se prépara par une bonne retraite chez les Jésuites de Clamart à recevoir sans fléchir le fardeau qui menaçait ses épaules, puis regagna sa Mission (1917). Peu de temps après arrivaient les Bulles, et Mgr de Guébriant, accompagné de Mgr de Gorostarzu, venait en personne sacrer à Linyuen son ancien vicaire. De notre vie nous ne pourrons oublier l’imposante scène à laquelle donna lieu cette auguste cérémonie faite en plein air, devant une multitude de chrétiens et de païens de tout âge et de toute condition. Nous ne doutâmes plus que ce jour devait avoir un lendemain et qu’après tant d’épreuves, une ère de concorde et de prospérité s’ou¬vrait pour notre Mission.
Mgr Bourgain se livra dès lors à sa tâche préférée, celle pour laquelle la Providence l’avait doué d’uni incontestable talent : mettre le Kientchang à l’aise au point de vue financier, lui créer assez de revenus pour assurer non seulement l’existence, mais encore le développement du Séminaire et des œuvres. S’il n’y réussit qu’à demi, la faute en est au malheur des temps ; pour lui, il n’y épargna certes pas sa peine. Non content d’intéresser à notre sort les Missions voisines, de tendre la main à la charité américaine ou française, il demandait aux gens de sa maison la pratique presque religieuse de la pauvreté. « Tout le nécessaire, rien de superflu » était une de ses maximes. Grâce à cette sage économie, il put exécuter une partie de ses desseins, doter Linyuen d’un dispensaire, d’un hôpital, réorganiser l’école des Vierges ensei-gnantes, trois œuvres importantes confiées aux Sœurs Franciscaines de Marie, enfin créer une école normale pour la formation de maîtres vraiment chrétiens.
Son regard ne se limitait pas aux horizons du Kientchang ; il soupirait après la conversion de la Chine tout entière. Pour hâter la venue du Règne de Dieu, trois choses d’après lui étaient surtout efficaces : la mise en commun des lumières de tous les Vicaires Apostoliques, l’organisation de croisades de prières et la formation d’un clergé indigène pieux et instruit. C’est pourquoi chaque fois qu’il eut l’occasion d’exposer ses vues, crut-il de son devoir d’affronter les fatigues parfois excessives de longs voyages : Il va s’entendre à Tchentou, en 1919, avec Mgr de Guébriant, Visiteur Apostolique ; il se rend en mars 1920 à la réunion de Hongkong et en 1924 au concile de Changhai.
Mais cette fois, il avait dépassé la limite de ses forces et ne put assister qu’à quelques séances. Le mal qui devait l’emporter le tint cloué presque tout le temps sur un lit d’hôpital.
Il nous revint bien fatigué. Très énergique, il réagissait dans toute la mesure du possible : douches, mouvements rythmés, marche rapide, il ne négligea rien de ce qui pouvait entretenir chez lui, avec les forces physiques, cette ardente activité nécessaire à son tempérament. Mais déjà le cœur était atteint et aussi, sans qu’il s’en doutât, l’estomac. Il maigrissait et faiblissait de jour en jour, en dépit des remèdes et des régimes.
Monseigneur pensa dès lors à retourner dans sa famille, mais il lui coûtait de partir. En effet, plusieurs districts du Kientchang traversaient une crise : ici, c’était une révolte de Lolos ; là, des mutineries de soldats, non moins redoutables. Le moment d’aller prendre du repos était-il bien choisi ? A l’improviste surgit une question du plus haut intérêt pour la Mission et qui ne pouvait bien se débattre qu’à Paris. Monseigneur n’hésita plus. Après un rapide voyage à Tatsienlou, en pleine saison des pluies, il nous quittait (septembre 1925).
L’heure de la récompense allait sonner pour le bon ouvrier. Arrivé à Yunnansen le 19 septembre — qui dira les souffrances qui sanctifièrent sa route ? — il parut bientôt que vaine serait la science des docteurs devant un mal implacable : le cancer à l’estomac. Des prières ferventes s’élevèrent au Ciel demandant un miracle, mais le miracle ne fut pas obtenu. Averti de la gravité de son état, Monseigneur se mit avec une résignation admirable dans les bras de la Providence. En présence de Mgr de Gorostarzu, il reçut en pleine connaissance l’Extrême-Onction et s’endormit dans le Seigneur le 30 septembre 1925.
Son corps fut veillé la nuit par les dévouées religieuses de Saint-Paul de Chartres et, revêtu des ornements pontificaux, fut exposé le lendemain dans un grand salon. Jusqu’au samedi, les chrétiens et les écoles se succédèrent pour réciter les prières des morts. M. Bodard, Consul de France, accompagné du Commandant Darras et de quelques Européens, vinrent saluer la dépouille du vénéré défunt et présenter leurs condoléances.
Le Samedi, à 8 h. 30, Mgr de Gorostarzu offre le saint Sacrifice, praesente corpore ; les chrétiens chantent les prières. La chapelle ne peut contenir la foule. A 9 h. 30, M. Guilbaud chante la sainte Messe, en présence de Messieurs les Consuls de France, d’Angleterre et des Etats-Unis et de toute la colonie européenne. Mgr d’Aila prononce l’éloge funèbre et donne l’absoute. Enfin, le cortège composé de la foule des chrétiens et de vingt à trente Européens s’organise ; les prières sont chantées à travers les rues de la ville. Au cimetière fran¬çais, à l’extérieur de la porte du Nord, M. Bodard prononce un superbe discours et rend hommage à l’apôtre qui vient de mourir. M. Ducloux, Provicaire, récite les prières et le cortège se retire tandis que le cercueil, accompagné de Mgr de Gorostarzu et une dizaine de missionnaires, est porté au cimetière de Pelongtan.
C’est là que le second Vicaire Apostolique du Kientchang repose près de Mgr Fenouil, au milieu des missionnaires du Yunnan, loin de sa chère Mission.
En lui, nous perdons un Père très aimant et très aimé, un administrateur hors ligne qui, malgré les difficultés d’une époque sans cesse troublée, sut en quelques années, préparer l’avenir du Kientchang.
Références
[2223] BOURGAIN Joseph (1872-1925)
Références bibliographiques
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