Ferdinand CASTANET1866 - 1911
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 1958
- À savoir : Mort violente
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Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Chine
- Région missionnaire :
- 1891 - 1911 (Yibin [Suifu])
Biographie
CASTANET, Pierre-Ferdinand, naquit dans la paroisse de Saint-Seurin à Bordeaux (Gironde), le 20 (m) ou le 25 (é), ou d'après ses déclarations le 23 novembre 1866. Il fit ses études au petit séminaire de Bordeaux, 1879-1886, passa deux ans au grand séminaire, et après avoir reçu la tonsure, entra le 10 septembre 1888 au Séminaire des M.-E. Ordonné prêtre le 5 juillet 1891, il partit le 29 octobre suivant pour le Se-tchoan méridional. Il apprit la langue à Kuin-lin. Son premier district, en 1893, fut celui de Kia-kiang hien, qui comprenait plusieurs stations d'anciens chrétiens et un groupe important de néophytes.
En 1898, Mgr Chatagnon l'envoya au Kien-tchang, en qualité de supérieur régional ; il se fixa d'abord à Lou-kou, convertit un certain nombre de païens, et dans une vue d'administration très sage ", transporta le centre religieux du Kien-tchang à son chef-lieu politique Ning-yuen fou, en 1904. Il acquit à Yang-tsao-pa un terrain assez vaste, qui devint une source de revenus pour la mission ; il y fonda une station chrétienne. Vers 1905, il eut beaucoup à souffrir de l'agitation excitée par des Chinois protestants. Un peu après, le provicaire de la mission, M. de Guébriant, étant venu se fixer définitivement au Kien-tchang, avec le titre de supérieur, Castanet fut chargé, en 1905, du district du sud, celui de Houi-li tcheou.
Lors de l'érection du Kien-tchang en vicariat apostolique par le bref Ex hac (Acta apost. Sed., ii, 1910, p. 941) du 12 août 1910, il opta pour ce vicariat, formé par la région dans laquelle il avait travaillé avec succès. L'année de sa mort, là où il avait trouvé moins de 100 confessions annuelles et à peine quelques adorateurs, il comptait 350 confessions annuelles et 500 catéchumènes.
Lors des troubles qui accompagnèrent en Chine la chute de la dynastie Ta-tsing et la proclamation de la République, les notables du marché du Kiang-tcheou décidèrent la mort du missionnaire et soudoyèrent des assassins. Castanet fut massacré au village de Ko-o-ho, le 4 novembre 1911.
Des réclamations faites par Mgr de Guébriant et par la Légation française à Pékin obtinrent la punition des coupables, et une réparation pour la victime et pour la mission.
En 1913, le 8 mars, des obsèques solennelles furent faites aux restes de l'apôtre, en présence de deux évêques, du consul général de France au Se-tchoan, et de plusieurs mandarins. La Salle des Martyrs du Séminaire des M.-E. conserve le couteau dont se servirent les assassins pour le massacrer. A Mussonville, qui était alors la maison de campagne du petit séminaire de Bordeaux, une plaque a été placée pour consacrer son souvenir.
Nécrologie
[1958] CASTANET Ferdinand (1866-1911)
Notice nécrologique
Personne n’a contribué plus efficacement que M. Castanet à fonder la nouvelle Mission du Kien-Tchang. Dévoué corps et âme à son développement pendant des années, confiant malgré tout dans son avenir, et, aux heures même les plus sombres, fidèle à ce pauvre pays, il l’a aimé jusqu’à la fin, et est mort martyr du zèle qui le pressait d’y étendre, sans trêve ni repos, le règne de Dieu.
Il naquit en 1867, à Bordeaux. Ce qu’ont pu être les délicatesses chré¬tiennes de sa première éducation, je l’ai compris quand, au cours de l’année dernière, j’eus l’honneur de passer quelques heures au milieu des siens, heures trop courtes, dont je voulais lui rapporter ici le parfum, et qui suffirent à m’inspirer une estime profonde pour ce foyer chrétien, une vénération attendrie pour celle surtout qu’il m’est permis d’appeler une mère admirable.
Elève des Frères de la Doctrine chrétienne, il dut à son application autant qu’à son intelligence ouverte et claire, d’être toujours au premier rang de sa classe et de se voir bientôt distingué par un prêtre éminent, M. Martron, mort depuis archiprêtre de La Réole, qui sut deviner et favoriser son attrait précoce pour le service des autels.
A onze ans, il est le premier enfant de chœur des premières Visitandines appelées à Bordeaux par Mgr de La Bouillerie, et, encore aujourd’hui, parmi les Religieuses elles-mêmes ou les anciens habitués de leur pieuse chapelle, il est plus d’une personne qui se rappelle avec émotion le zèle que mettait à remplir sa fonction sacrée l’angélique servant de messe. Le Cardinal Donnet, présidant un jour une fête paroissiale, le remarqua lui-même et voulut se faire présenter, pour le bénir, le petit cérémoniaire, dont la tenue l’avait frappé.
Sa première communion a laissé un souvenir, plus profond encore, à ceux qui en furent témoins. Ce jour-là, sans doute, alors que le visage en pleurs de l’enfant reflétait l’extase, un dessein de la miséricorde divine prenait en pitié des âmes abandonnées et lointaines et leur choisissait un apôtre.
Il entra presque aussitôt au Petit Séminaire, et, dès la première année, se sentit appelé aux Missions. Un ami, de son âge et digne de lui, fut longtemps, en dehors de son confesseur, son seul confident. Mais comme pressentant déjà l’amertume du sacrifice qu’il aurait un jour à demander aux siens, il prit à tâche de leur témoigner une tendresse si attentive, un soin si délicat de les rendre heureux, que le souvenir de ces années bénies n’a pas cessé de les faire pleurer.
Ses sept ans de petit séminaire furent une série de succès. Reçu bachelier ès lettres en 1886, il entra, déjà revêtu depuis plusieurs mois de la soutane, au Grand Séminaire de Bordeaux. Pendant ses deux années de philosophie, il y garda sa place au premier rang de ses condisciples, croissant surtout, aux yeux de tous, en esprit de foi et de charité.
Admis aux Ordres Mineurs en 1888, il examina une dernière fois sa vocation devant sa conscience et devant Dieu, puis irrévocablement décidé à être missionnaire, il fit connaître à sa famille sa résolution. C’était la première douleur qu’il lui causait, mais elle fut déchirante, inconsolable. Et pourtant l’avenir a prouvé qu’elle était bienfaisante et sainte, car le frère du missionnaire conçut alors le dessein d’être prêtre lui aussi, et, de ses deux sœurs, l’une devint Fille de la Charité, tandis que l’autre se vouait courageusement et se voue encore à entourer de soins pieux la vieillesse vénérable d’un père et d’une mère éprouvés.
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Après trois ans passés au Séminaire des Missions-Étrangères, M. Castanet fut destiné, en 1891, au Su-Tchuen Méridional. Je regarde comme l’année la plus heureuse de ma vie de missionnaire, celle que je passai avec lui à Kuin-Lin, sur la lisière du Yun-Nan, de 1892 à 1893. Nous menions là une vie aussi ponctuelle qu’au Séminaire, travaillant, peinant, priant et nous récréant ensemble. Son application intelligente à l’étude du chinois rendait facile mon rôle d’aîné ; sa facilité d’adaptation à cette vie nouvelle écartait toute gêne ; les saillies de sa nature méridionale et primesautière égayaient jusqu’aux misères de notre isolement sur une terre païenne et de nos voyages en pays perdu.
En 1893, nous reçûmes chacun un poste nouveau. Et dans l’émotion qu’il ressentit de cette séparation, perçait, je le sentis fort bien, la pieuse envie que lui causait ma destination pour ce Kien-Tchang lointain, cette mission dans la Mission, qu’il se croyait humblement incapable d’aller jamais défricher, et auquel il devait pourtant donner le meilleur de sa vie et le mérite de sa sainte mort.
Son premier district fut celui de Kia-Kiang-Hien, au cœur même du Su-Tchuen Méridional. Il comprenait plusieurs stations d’anciens chrétiens, plutôt tièdes, et un groupe important de néophytes en formation. M. Castanet s’attacha tout naturellement aux uns comme aux autres, les trouvant tous également dignes des délicatesses de son zèle et de son affection. Quand on passait chez lui, et qu’un de ses chrétiens venait saluer l’hôte de passage, on souriait d’avance à la phrase prévue par laquelle son père spirituel allait infailliblement le présenter comme « un des meilleurs », « un des plus intelligents de la station ». Heureux optimisme, qui est la caractéristique du bon missionnaire et l’esprit même des saints : Ama et fac quod vis.
Aussi réussit-il parfaitement. L’oratoire de Kia-Kiang, aménagé avec un goût parfait, prit rang parmi les plus fréquentés de la Mission. Les tièdes se rapprochèrent, les catéchumènes parvinrent au baptême, et les conversions de païens furent nombreuses, eu égard à une pé-riode particulièrement ingrate de l’évangélisation en Chine.
En 1895, une circonstance imprévue vint faire ressortir la solidité de ses vertus, et prouver qu’il savait être, au moment voulu, maître du seul défaut qu’on lui eût découvert : quelque nervosité. De mai à novembre, une persécution, plus sotte encore qu’odieuse, bouleversa la plus grande partie des Missions du Su-Tchuen : il s’était trouvé, à Tchen-Tou, un Vice-roi assez éclairé pour juger que la destruction de nos établissements et la proscription des chrétiens seraient une revanche opportune des victoires du Japon sur la Chine. M. Castanet garda tout son sang-froid, veillant sur ses chrétiens, tout en prenant les précautions voulues pour lui-même, gardant dans sa correspondance avec ses supérieurs et ses confrères une juste mesure, aussi loin d’alarmes injustifiées que d’illusions dangereuses.
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M. Castanet était mûr pour un poste plus difficile. C’est en 1898 que, renonçant généreusement à la vie moins pénible des grands districts de la plaine, il vint au Kien-Tchang, en qualité de provicaire et de supérieur régional. On aurait pu craindre que sa nature délicate et sensible s’accommodât peu du séjour de ces âpres montagnes, habitées par des populations grossières et n’ayant pour toute organisation chrétienne qu’une vingtaine de petites stations, la plupart à peine formées et dispersées sur un territoire plus vaste que dix diocèses français. Mais il avait ce qui supplée à tout : l’esprit de zèle et de mortification. Il se vainquit complètement. Malgré la terreur qu’il éprouvait, au début, pour ces routes vertigineuses du Kien-Tchang, en surplomb sur des abîmes, il s’y était habitué, et quand on l’y voyait passer à cheval, en disant son chapelet, on avait là comme le symbole de l’immense effort qui lui avait été nécessaire pour s’attacher de toute son âme à un si farouche pays.
Dieu bénit son dévouement. En moins de sept ans, la population chrétienne doubla, passa de 800 à 1.600 ; plusieurs stations nouvelles s’ouvrirent. L’insuffisance du personnel d’auxiliaires empêcha seul des progrès plus considérables, car de tous côtés des païens venaient à la religion.
C’est M.. Castanet qui, dans une vue d’administration très sage, transporta le centre religieux du Kien-Tchang à son chef-lieu politique, Ning-Yuen-Fou. De lui date non seulement l’installation d’une résidence dans cette ville, mais aussi la formation d’une petite chrétienté locale, destinée, nous l’espérons, à de grands accroissements.
Une autre œuvre gardera très spécialement le souvenir de ses premiers efforts au Kien-Tchang. Puissamment secondé par M. Bourgain, avec qui il s’était lié de l’amitié la plus étroite et la plus confiante, il acquit, malgré d’énormes difficultés, au centre du pays, un très vaste terrain en friche, où, par crainte des Lolos pillards, les Chinois n’osaient plus habiter. Il y bâtit un village, où il réunit une centaine de chrétiens dispersés, baptisés ignorants ou catéchumènes tièdes, mais dont ce groupement même assurait la persévérance. Il leur répartit les terrains à mettre en culture, et, en peu d’années, fonda ainsi, à Yang-Tsao-Pa, un petit centre chrétien et une source de revenus appréciables pour la Mission.
Les débuts de la propagande protestante au Kien-Tchang vinrent traverser l’activité féconde de M. Castanet. En 1902, de nombreux syndiqués des sociétés secrètes, nos ennemis traditionnels, dépités par les mécomptes du « Boxérisme » et de la « Lanterne Rouge », s’avisèrent de changer de raison sociale et de s’affilier aux missions protestantes. On s’adressa à la plus voisine, celle de Ya-Tchéou, à douze étapes de Ning-Yuen-Fou, et il s’y rencontra un missionnaire américain assez peu averti pour croire à un miracle de la grâce et recevoir comme siens, en bloc, les centaines d’individus dont on lui apportait la liste. Les délégués rentrèrent au Kien-Tchang avec des diplômes de catéchistes, et on se mit avec une nouvelle ardeur à la besogne, à la besogne accoutumée, l’agitation malsaine et parfois criminelle du pays en vue d’intérêts rarement avouables. Attaquer les catholiques, montrer l’impuissance de leurs protecteurs ordinaires, les missionnaires français, c’était du même coup prouver la force de l’association ainsi réorganisée. On s’y employa avec entrain. Pendant ces trois années 1902-1905, ce que M. Castanet eut à endurer de souffrances morales est à peine croyable. Il est impossible de le décrire ici ; qu’on en juge seulement par le trait final.
Au début de 1905, M. Castanet va bénir une nouvelle chapelle à Mien-Chan, à 15 kilomètres au Nord de sa résidence de Lou-Kou. Un catholique y a eu récemment maille à partir avec un « protestant », que le mandarin a jugé coupable et condamné à l’amende minime de trois ligatures (6 fr. 50). Dès le lendemain de son arrivée, le Missionnaire et les 80 ou 100 chrétiens, hommes, femmes, enfants, venus à la fête, se voient cernés par 200 individus en armes, se disant protestants et exigeant réparation pour le procès gagné contre un des leurs par un catholique et maint autre grief mis en avant pour la circonstance. La police refusant d’intervenir, M. Castanet, bloqué depuis deux jours, est obligé de signer une véritable capitulation et de payer, argent comptant, une rançon de 20 ligatures. Libre de s’éloigner, il va se réfugier chez les Lolos amis, tandis que les compagnons des sociétés secrètes, enthousiasmés par ce triomphe, se déclarent, de tous côtés, protestants. Çà et là, on détruit les petits établissements catholiques, on tue ceux des nôtres qui font mine de se défendre, et, pour comble, après des mois de cette espèce de terreur, on réussit à faire retomber sur les catholiques l’odieux des excès commis et à obtenir d’autorités effrayées ou partiales la condamnation de plusieurs d’entre eux à des peines très graves.
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Epuisé par ces trop longues épreuves, M. Castanet vint prendre, au centre de notre Mission du Su-Tchuen Méridional, quelques semaines de repos indispensable, et demander de l’aide à Mgr Chatagnon. C’est ainsi qu’il a été cause de ma seconde et définitive vocation pour le Kien-Tchang.
Il se chargea, dès lors, du district Sud, celui de Houi-Li-Tchéou, le plus isolé et jusqu’alors le plus stérile de cette région ingrate. Et il se mit à l’ouvrage avec autant d’ardeur que s’il n’avait jamais connu ni insuccès, ni déboire. Le résultat ne se fit pas attendre. La ville de Houi-Li-Tchéou, où, en huit ans d’efforts, la Mission n’avait rien obtenu, vit naître une chrétienté pleine d’espérances. Des stations nouvelles surgirent, comme par enchantement, à Cha-Po, Choui-Tang, Koan-Yn-Gay, Siao-Cha-Pa, etc. L’année de sa mort, il avait 350 confessions annuelles et 500 catéchumènes, là où il avait trouvé moins de cent chrétiens baptisés et presque aucun adorateur. Ce résultat était d’autant plus important qu’il étendait notre action jusqu’à l’extrême Sud du pays, lui ouvrant une nouvelle voie d’accès dans cette direction et donnant, en quelque sorte, la main à la Mission du Yun-Nan.
Ses chagrins n’avaient en rien altéré son caractère. Une réunion entre confrères doublait de charme, s’il y était présent. Il était si heureux de se trouver en famille ; il parlait avec tant de feu et si peu d’orgueil des espérances de son zèle ; il s’intéressait si passionnément aux progrès de la religion dans son pays d’adoption ! Ce qui touchait vraiment et édifiait les témoins de son attachement au pauvre Kien-Tchang, c’était son désintéressement profond, son humilité, inconsciente d’elle-même. Tantôt supérieur, tantôt subordonné, tantôt provicaire, tantôt pas, de toute évidence il n’y songeait mie : ses préoccupations étaient ailleurs. L’érection du Kien-Tchang en Vicariat autonome le combla de joie. Si quelqu’un de ses confrères avait pu être tenté de quitter ce sauvage district, en optant selon son droit, pour l’autre moitié de la Mission partagée, l’exemple si joyeux, si désintéressé, de M. Castanet l’en aurait dissuadé.
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Cette grande joie fut courte, hélas ! Le 26 mars 1911, en route pour l’Europe, je le quittais au moment où il allait monter à l’autel pour célébrer la messe du IVe dimanche de Carême. En me disant adieu, il trahit une émotion extraordinaire dont je crus saisir la cause en distinguant, parmi ses sanglots, le nom de sa mère qu’il me chargeait d’embrasser pour lui. Et tout en pleurant, il souriait aussi, songeant aux progrès qu’aurait faits son district, à la joie qu’il aurait de me les faire constater à mon retour, huit mois plus tard.
Huit mois plus tard il était au Ciel ; et moi, arrêté à Yun-Nan-Sen, incertain du parti à prendre, j’éprouvais la plus poignante angoisse, me demandant si j’avais à porter le deuil d’un seul de mes confrères ou de plusieurs, ou même de tous.
Le bon Dieu s’était contenté d’une victime, mais il l’avait bien choisie. M. Castanet, visiblement, payait pour tous, car le jour de sa mort, 4 novembre, fut celui de la délivrance du Kien-Tchang, celui où, à six journées plus loin, le chef de la rébellion, Tchang-Yao-Tang, essuyait la défaite qui dégagea le centre du pays, et fit avorter le mouvement général dont la prise de Ning-Yuen-Fou eût été le signal immédiat.
Depuis deux ans, M. Castanet avait mis en fort bon train la fondation d’une nouvelle chrétienté, à 30 kilomètres O. S. O. de la ville de Houi-Li-Tchéou. C’était tout un district nouveau qui s’ouvrait à l’évangélisation, et les cent premiers néophytes baptisés semblaient devoir se multiplier indéfiniment. Aussi, que de peines prenait pour eux l’ardent Missionnaire ! A peine était-il revenu de Kiang-Tchéou, qu’il y préparait déjà une prochaine visite, projetant chaque fois d’ouvrir quelque centre de plus à la propagation de la Foi.
Il était en tournée dans la zone opposée de son district, quand il entendit parler d’une rébellion au centre de la Province. De fait, la poste ne fonctionnait plus depuis de longs jours, et c’était un symptôme inquiétant. Mais de là à croire qu’au lieu d’un soulèvement régional, comme on en voit si souvent en Chine, c’était une révolution qui commençait, il y avait loin, et on ne devait s’en rendre compte, au Kien-Tchang, que deux mois plus tard. Le Père continua donc à vi¬siter ses ouailles, et cependant il était de plus en plus anxieux lui-même, à mesure qu’autour de lui la rumeur grondait plus menaçante, A la fin d’octobre, ignorant encore ce qui se passait au centre de l’Em¬pire, il se rendit à Kiang-Tchéou pour préparer ses chers néophytes à la fête de la Toussaint. Le bruit courait déjà que des Français venaient d’être massacrés à Hoang-Choui-Tang, à une étape de Ning-Yuen, et que les missionnaires et les chrétiens étaient tous tués ou en fuite. On conseillait à M. Castanet de se mettre à l’abri. Mais lui ne songeait qu’au désarroi, à l’épouvante où son départ précipité jetterait ses caté-chumènes. Sa présence au milieu d’eux les rassurait, à tort ou à raison. Au fond, n’était-elle pas pour eux, au lieu d’une garantie de sécurité, un danger de plus ? C’est la question qu’il se posait avec une angoisse croissante. Soudain arrive de Houi-Li-Tchéou une dépêche du mandarin. Le Missionnaire est averti que la rumeur n’est pas menteuse, que le Dr Legendre et le Lieutenant Dessirier ont péri à Hoang-Choui-Tang, et que le péril est imminent pour les prêtres français et les chrétiens. On insiste pour que, à aucun prix, M. Castanet ne rentre en ville de Houi-Li-Tchéou, mais cherche à gagner en toute hâte le Yun-Nan.
Est-ce le lieu de faire remarquer que l’auteur de cette lettre perdait la tête, et que son devoir de mandarin était d’envoyer chercher sous escorte M. Castanet et de le ramener en ville sous sa protection immédiate.
Abandonné du magistrat responsable, le sort du missionnaire dépendait, dès lors, des notables de Kiang-Tchéou. Or, ils étaient de la pire espèce, celle de ces xénophobes encroûtés, à mentalité de boxeurs, pour qui le monde n’a pas changé depuis Confucius, et qui croient qu’il suffit à la Chine, pour se débarrasser de l’étranger, d’une occasion et d’un geste.
L’occasion, ils la tenaient ; restait à faire le geste. Il fut décidé pour le 4 novembre. La veille au soir, les chrétiens commencèrent un exode qui, pour la plupart, devait durer un mois et plus, mois de misère, de terreur et de faim dans les cachettes les plus retirées des montagnes. Ceux qui restèrent — ce furent quelques femmes — devaient subir le lendemain un traitement infâme. M. Castanet, leur laissant ce qu’il avait, se mit en route deux heures avant le jour, marchant vers le Yun-Nan. Mais on avait prévu sa fuite et la route était coupée devant lui. Il s’en aperçut quelques heures plus tard quand, prenant un instant de repos derrière le bourg de Tie-Tsiang-Tsen, il se vit entouré subitement d’individus suspects. Questionné par eux sur un ton qui ne permettait plus de doute, il remonta au plus vite en selle, coupé d’une moitié de la petite suite de chrétiens qui l’accompagnaient. Trois jeunes gens fidèles s’attachaient encore à sa fuite. Au bout de 3 kilomètres, on s’aperçut qu’une bande d’hommes armés poursuivait les fugitifs. En même temps commençait la descente qui, par des sentiers à peine tracés, conduit au fond de la gorge sauvage où, à 1.200 mètres en contre-bas, coule le Yang-Tse. Dans ces terribles éboulis de roches et de cailloux, la mule du Missionnaire n’avançait qu’à grand’peine.
Se voyant serré de près, le Père abandonna sa monture et se mit à courir, espérant trouver un refuge dans un groupe de maisons qu’il apercevait devant lui. Un de ses jeunes compagnons le devança même, pour demander asile dans une habitation plus vaste et de meilleure apparence, qui se trouva être celle de Kang-Lien-Pei, tsong toan, ou maire du village, tout proche de Ko-O-Ho. Mais prévenue déjà peut-être par des émissaires envoyés de Kiang-Tchéou, cette triste population était plus disposée à perdre le fugitif qu’à lui donner assistance ; la porte derrière laquelle il eût pu être sauvé lui fut interdite. Déjà les assassins l’avaient rejoint : un misérable, nommé Liou-Yuen-Fa, lui porta sous l’épaule gauche un premier coup de couteau déjà mortel. Le Père s’affaissa sur le seuil de la maison de Kang-Lien-Pei. Celui-ci, qui était présent en personne, effrayé de l’horreur du crime commis à sa porte, demanda aux assassins : « Que faites-vous ? Pourquoi tuer cet étranger ? » Ils répondirent en chœur : « Nous sommes les gens de Toan ta lao ye : mort ou vif, notre chef veut le Missionnaire. » — « Eh bien ! emmenez-le donc, et ne l’achevez pas devant ma maison ! » A ce moment, le Père demanda, d’une voix éteinte, un peu d’eau qu’on lui donna. Il en but quelques gorgées et s’humecta les tempes. Puis, se décidant, les meurtriers le soulevèrent, voulant le forcer à les suivre. Mais l’en voyant incapable, ils lui portèrent un second coup de couteau qui l’acheva : son agonie fut très courte : convulsivement, il avait saisi son scapulaire pour le porter à ses lèvres : on le retrouva dans sa bouche.
Entraînant les deux jeunes chrétiens, témoins impuissants de cette scène, et portant, lié sur une perche, le corps de leur victime, les assassins rentrèrent à Tie-Tsiang-Tsen et livrèrent leur proie à Toan ta lao ye. Celui-ci, pensant que l’affaire pourrait avoir des suites, fit un simulacre d’enquête, et, renvoyant indemnes les meurtriers, retint le seul Liou-Yuen-Fa, qu’il envoya prisonnier au mandarin de Houi-Li-Tchéou, en l’assurant qu’on s’arrangerait pour lui sauver la vie. Une famille de nouveaux convertis, la seule de Tie-Tsiang-Tsen, fournit un pauvre cercueil, où l’on enferma les restes du martyr, qui furent déposés dans une pagode hors du village.
C’est seulement le 28 juillet dernier que M. Bourgain, provicaire, a pu pénétrer jusqu’à Tie-Tsiang-Tsen reconnaître le corps, le mettre dans une bière plus convenable et le transporter, avec tous les honneurs que comporte un semblable pays, au marché même de Kiang-Tchéou. Là, au milieu de ses néophytes tant aimés, M. Castanet attend que le calme revenu et des pourparlers menés à bonne fin permettent de lui bâtir sur place une sépulture définitive. Tandis que nous, ses confrères, garderons pieusement son souvenir et ses exemples, nous espérons que, à Ko-O-Ho, une croix commémorative marquera le lieu où il succomba, qu’au village de Kiang-Tchéou, une chapelle groupera près de sa tombe ceux dont il enfanta les âmes à Dieu, et qu’en ville de Houi-Li-Tchéou, une œuvre charitable importante conservera saintement sa mémoire, rendant, comme lui-même l’eût fait jusqu’à la fin, le bien pour le mal.
J. DE GUÉBRIANT,
Vic. ap. du Kien-Tchang.
Références
[1958] CASTANET Ferdinand (1866-1911)
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1893, p. 110 ; 1894, p. 124 ; 1897, p. 95 ; 1902, p. 113 ; 1903, p. 94 ; 1904, p. 109 ; 1905, p. 72 ; 1908, p. 94 ; 1909, p. 99 ; 1911, p. 94. - A. P. F., lxvi, 1894, p. 92 ; lxxxiv, 1912, Sa mort, p. 133. - M. C., xliv, 1912, Sa mort, p. 25. - A. M.-E., 1912, p. 7 ; Ib., Son massacre, p. 57 ; 1913, p. 90. - Le glan. de Mussonville, 1907, p. 121 ; 1912, Sa mort, p. 174 ; Ib., Discours par M. Capdevielle, p. 279 ; Ib., Epitaphe, pp. 311, 313. - L'Aquitaine, 1911, Sa mort, p. 750 ; 1912, Sa mort, p. 37.
Notice nécrologique. - C.-R., 1912, p. 382.
Portrait. - A. M.-E., 1913, p. 57. - Le glan. de Mussonville, 1912, p. 173 ; Ib., n° 78, sur la couverture.