Pierre PINABEL1844 - 1885
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 1073
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Identité
Naissance
Décès
Missions
- Pays :
- Vietnam
- Région missionnaire :
- 1870 - 1885 (Hanoi)
Biographie
[1073]. PINABEL, Pierre-Charles-Louis, originaire de Gonneville (Manche), vint au monde le 15 juillet 1844. Il fit ses études au petit et au grand séminaire de son diocèse, et après son ordination sacerdotale qui eut lieu le 22 mai 1869, il entra au Séminaire des M.-E. le 21 juin suivant. Parti avec sa destination pour le Kouy-tcheou le 3 août 1870, il fut, peu après son arrivée à Hong-kong, désigné pour le Tonkin occidental, à cause de l'état troublé de la Chine.
Au début de 1871, il arriva dans sa mission, et, l'année suivante, commença d'administrer un district dans la province du Ninh-binh. La persécution l'obligea bientôt d'en sortir et de se réfugier dans la ville même de Ninh-binh. De 1877 à 1879, il fut successivement procureur de la mission et professeur de rhétorique au petit séminaire de Phuc-nhac. Dans ce dernier poste, il annota, croyons-nous, la Concordance des Evangiles traduite par le Bx Th. Vénard, et traduisit en annamite l'Imitation de Jésus-Christ et plusieurs volumes de Sermons. Ce dernier travail est demeuré manuscrit.
En 1880, Mgr Puginier l'envoya tenter l'évangélisation du pays sauvage qu'on a appelé le Laos tonkinois, ou encore Chau-Laos ; en trois ans, il fonda plusieurs postes, éleva dix-huit oratoires, et détermina d'assez nombreuses conversions. Mais alors, excités contre les missionnaires par l'expédition française au Tonkin, les mandarins suscitèrent une persécution. Pinabel fut arrêté, mis à la cangue, et pendant quelques jours eut beaucoup à souffrir. Remis en liberté, il se rendit au collège de Phuc-nhac.
Il était à ce moment très épuisé ; aussi mourut-il bientôt après, le 3 juillet 1885, à Ke-so, comptant 15 ans d'une carrière apostolique bien remplie.
Nécrologie
M. PINABEL
MISSIONNAIRE APOSTOLIQUE DU-TONG-KING OCCIDENTAL.
Né le 8 juillet 1844.
Parti le 3 août 1870.
Mort le 3 juillet 1885.
« La mort vient de faire un grand vide parmi nous, écrivait Mgr Puginier le 22 juillet dernier. M. Pierre Pinabel, le seul missionnaire échappé miraculeusement aux massacres du Laos, a succomhé à la fièvre le 3 juillet. Après tous les malheurs qui ont affligé cette mission naissante des Châu et Laos, il me restait encore un espoir ; je comptais sur le P. Pinabel pour réunir de nouveau les néophytes dispersés, encourager et instruire les nombreux catéchu¬mènes qui n’avaient pu recevoir le baptême avant les désastres, en un mot pour rétablir les chrétientés et composer de nouveau les ouvrages de religion et les dictionnaires qui ont tous été perdus dans les pillages et les incendies de 1884. Voilà que dans un moment je viens de perdre ce dernier espoir, et je dois répéter une fois de plus : Que les desseins de Dieu sont impénétrables ! que sa sainte volonté soit faite ! »
M. Pierre-Charles-Louis Pinabel naquit au Quesnay, petit village dépendant de la commune de Gonneville, situé près de la grande route de Cherbourg à Valognes, dans cette petite vallée qu’au pays de Normandie on nomme le Val-de-Saire.
Il fut dès son enfance ce qu’il devait être toute sa vie, très doux, très pieux, très conciliant et grand travailleur. On nous a raconté ce trait : en 1851 ou 1852, M. l’abbé Crosville, nommé curé de Gonne¬ville, alla à son arrivée visiter les écoles : « Voyons, mes amis demanda-t-il, quel est celui de vos camarades que vous aimez le mieux ? » Les enfants hésitèrent un instant, puis ils tournèrent les yeux vers un petit garçon de sept à huit ans qui se tenait modes¬tement au bout d’une table : « Pinabel, monsieur le curé, c’est Pinabel. » — « Et quel est celui qui travaille le mieux ? continua monsieur le curé. — Pinabel, monsieur le curé, c’est Pinabel. »
Ces heureuses qualités ne firent que se développer avec l’âge. Au Petit et au Grand Séminaire, M. Pinabel se montra toujours d’une régularité exemplaire, et d’une affabilité qui ne se démentait jamais.
Il était déjà prêtre lorsque le 7 septembre 1869 il entra au Sémi¬naire des Missions-Étrangères.
En 1870, M. Pinabel était envoyé dans la mission du Su-Tchuen ; mais à son arrivée à Hong-Kong, la situation des missions de Chine n’étant pas rassurante, sa destination fut changée. Il fut désigné pour le Tong-King Occidental, et le 1er janvier 1871, il mettait le pied sur la terre annamite, en compagnie de dix autres confrères dont cinq pour la même mission, deux pour le Tong-King Méridional et trois pour les Vicariats des Dominicains Espagnols. Dès leur début, ces jeunes apôtres eurent à subir les vexations dont les missionnaires étaient victimes depuis 1868. Leurs passeports durent être envoyés à Hué pour être vérifiés par la cour, et il leur fallut en attendre la réception pendant un grand mois avant d’entrer dans leurs missions respectives.
En 1872, M. Pinabel fut chargé d’un vaste district, situé dans la province de Ninh-Binh, et comprenant cinq grandes paroisses, où l’on comptait près de 15,000 chrétiens.
Il s’y dépensait tout entier au service des âmes lorsque, à la suite de l’expédition de M. Garnier, des troubles survinrent. « C’est dans l’endroit même où se trouvait M. Pinabel que commencèrent les massacres et l’incendie le 23 décembre. Trois prêtres de son district, entre autres le curé de la paroisse où il se trouvait, plusieurs caté¬chistes, parmi lesquels un des siens, et un grand nombre de chré¬tiens furent subitement massacrés par les lettrés, soudoyés par les mandarins. En un instant une trentaine de villages chrétiens étaient en feu ; M. Pinabel se trouvait sur le théâtre des malheurs ; poursuivi par l’ennemi, il eut le temps de gagner à la tombée de la nuit une grotte du voisinage ; mais il avait été aperçu et il fut entouré par une bande de lettrés armés. Heureusement que les brigands n’osèrent pas entrer, mais ils fouillèrent avec leurs lances dans l’obscurité de la grotte ; plusieurs fois le fer rasa et même toucha la poitrine du Père qui se blottissait contre les parois de la grotte en se rapetissant le plus possible. « A la faveur de la nuit, suivi d’un caté¬chiste et d’un chrétien il gagna l’intérieur de la forêt où il passa deux jours, et put ensuite se réfugier à Ninh-Binh, où commandait alors M. Hautefeuille. Il y resta plusieurs jours et fut assez heureux pour convertir et baptiser quelques pirates condamnés à mort.
Pendant les années 1877-78-79, M. Pinabel remplit successive¬ment les fonctions de procureur de la mission et de professeur de rhétorique au Collège de Phuc-Nhac. C’est alors qu’il traduisit la deuxième partie du cours de liturgie de Falise (la première partie avait déjà été traduite par Mgr Theurel), il annota une concordance des Saints Évangiles traduite par M. Vénard, traduisit quatre volumes de sermons, revit la traduction de l’Introduction à la vie dévote. On le voit, M. Pinabel restait digne de l’éloge que lui avaient décerné les écoliers de Gonneville.
En 1880, à la nouvelle des succès apostoliques de M. Fiot dans le Laos, Mgr Puginier envoya deux autres missionnaires pour recueillir la moisson qui s’annonçait si abondante. « Je fis choix, dit le prélat, de deux sujets capables, déjà formés, M. Thoral et M. Pinabel qui, à une expérience de dix ans dans le ministère, joignaient toutes les qualités nécessaires pour rendre de grands services à la mission naissante. »
Parti de Kê-So le 13 janvier, notre confrère arrivait vers la mi-février à Naham. Situé au milieu des montagnes, éloigné de toutes les grandes voies de communication, sillonné de nombreux cours d’eau le pays de Naharn était habité par 700 à 800 personnes dont un certain nombre avaient déjà demandé le baptême.
Au mois d’août 1880, 500 personnes étaient baptisées, 300 caté¬chumènes sur le point de l’être, et dans les villages voisins, un nombre beaucoup plus considérable attendaient qu’on pût les instruire. Mais, quand elle ne précède ou n’accompagne pas les succès apostoliques, la croix les suit toujours. Au mois de septembre, commençait pour les apôtres du Laos une série d’épreuves, suite inévitable de la guerre civile qui éclata entre deux populations de race différente.
Arrivés non loin de la chrétienté de Naham, les ennemis s’arrê¬tèrent quelque temps, craignant que les missionnaires ne fussent pourvus d’armes et de munitions ; ils envoyèrent une lettre à M. Pi¬nabel, le priant de leur permettre de s’emparer du pays ; d’ailleurs, disaient-ils, ils respecteront les chrétiens. « Je suis maître de reli¬gion, et ne m’occupe pas de politique,» répondit le Père ; puis il invite les chefs ennemis à venir le trouver. Ceux-ci refusent et entrent en pourparlers avec M. Thoral.
Au milieu de tous ces troubles, l’évangélisation avançait cepen¬dant ; le 9 octobre M. Pinabel baptisait une trentaine de catéchu¬mènes à Pha-Phung. A peine a-t-il achevé la cérémonie, que des chrétiens de Naham se précipitent vers lui : « Père, s’écrient-ils, ayez pitié de nous, venez à notre secours, car les guerriers sont sur le point d’arriver ; ils viennent de sacrifier à leur drapeau, neuf buffles et deux femmes enceintes, pour savoir s’ils peuvent se rendre chez nous. » Le missionnaire se met aussitôt en route ; les ennemis n’étaient pas encore à Naham, mais quelques jours plus tard ils y arrivaient. Afin d’éviter le pillage, les missionnaires leur versèrent une somme de 1,400 francs et les bandits s’éloignèrent; ce n’était
que partie remise. Le 27 octobre le Père Pinabel écrivait : « J’apprends que les guerriers ont envahi Nahani une seconde fois. Le Père Nghi s’y trouvait encore, mais ils ne lui ont pas fait de mal ; ils se sont contentés de livrer le village au pillage. Tous les effets de la mission et les miens sont perdus : pour ma part, mon petit bagage apostolique s’élevait à environ 1,000 francs. Le bon Dieu me l’avait donné, le bon Dieu me l’a enlevé, que son saint nom soit béni ! »
Heureusement, d’autres postes étaient déjà fondés. Le missionnaire se réfugia avec quelques chrétiens à Luc-Na ; là, à la limite des combats, il put continuer, dans une tranquillité relative, à gagner la confiance des populations et il implanta la foi dans plusieurs villages.
« Au mois de janvier, écrit Mgr Puginier, la tribu des Mûong¬Dêng, appartenant à une sous-préfecture plus rapprochée de la plaine, ayant entendu parler des missionnaires, envoya des députés pour les prier de venir prêcher la religion. M. Pinabel partit, laissant M. Thoral chargé seul du district supérieur ; mais leur isolement ne devait durer que quelques jours, car après la mort de M. Fiot, j’avais envoyé M. Perreau avec le titre et les pouvoirs de provicaire de la mission des Châu et Laos. Le nouveau supérieur était accom¬pagné de trois autres missionnaires et ils furent rendus à destination quelques jours après le départ de M. Pinabel. »
« Ce dernier confrère, arrivé chez les Mûong-Dêng, fut fortement éprouvé par la fièvre, qui le conduisit aux portes du tombeau et le laissa aveugle pendant plusieurs mois. Cependant, grâce aux soins du missionnaire le plus voisin, M. Hébert, notre cher malade reprit peu à peu le dessus et il finit par se rétablir complètement. Malgré les nombreuses difficultés qu’il éprouva de la part du sous-préfet, excité par le gouverneur de la province (Thanh-Hóa) à empêcher la prédication de la foi, M. Pinabel sut assez bien gagner l’estime et l’affection des populations pour se maintenir dans le pays, y acquérir une influence bienfaisante et convertir plusieurs centaines d’habi¬tants. Au mois de septembre de la même année (1881), il vint m’en¬tretenir de sa chrétienté naissante, des espérances de nombreuses conversions et me demander du renfort. Je lui adjoignis un mission¬naire, M. Séguret, et lui accordai une dizaine de nouveaux caté¬chistes. Au bout de quelques mois, le Père baptisait près de 500 infi¬dèles et le mouvement religieux se développait rapidement. Dans l’année 1882, la foi était implantée dans une vingtaine de villages et de nombreuses tribus demandaient encore des catéchistes pour les instruire.
« Le Père Pinabel, après avoir élevé dix-huit églises dans les nou¬velles chrétientés, laissa M. Séguret soigner les néophytes des Mûong-Dêng et il vint s’établir dans un endroit intermédiaire plus rapproché de la plaine, afin d’y fonder une chrétienté et un poste pour faciliter les relations avec l’extérieur. Il réussit à exécuter son projet, et à la fin de l’année, le 1er décembre 1883, sa nouvelle mai¬son donnait l’hospitalité à trois jeunes missionnaires et à une vingtaine de catéchistes, envoyés pour renforcer la mission des Châu et Laos. M. Antoine était destiné au district du Père Pinabel, et MM. Rival et Manissol se rendaient dans le district supérieur.
« L’arrivée des nouveaux missionnaires fut une vraie fête ; on chanta la messe de saint François-Xavier, en actions de grâces, afin de mettre sous sa protection le reste du voyage. Hélas ! qui aurait pensé qu’un mois après, les missionnaires du Laos seraient massacrés avec près de 50 catéchistes ; que 80 chrétientés environ seraient ou détruites ou dispersées, et que cette mission naissante n’existerait plus que par ses néophytes, dans l’âme desquels a été implantée la foi et a été imprimé le signe ineffaçable du baptême ? Mais au Tong-King les événements marchent vite et les désastres éclatent avec une rapidité telle qu’il est souvent à peine possible de les prévoir. »
Le 26 décembre, M. Pinabel recevait d’un prêtre annamite un billet ainsi conçu ; « Père, les mandarins se remuent, dans trois sous-préfectures ils se sont réunis, les cantons et les communes lèvent des troupes. Est-ce pour massacrer vos chrétiens ? Est-ce pour dévaster mon quartier ? Je n’en sais rien. »
Cette lettre disait vrai, une bande était chargée de détruire les chrétientés de la sous-préfecture de Chau-Hoa, une autre, celle de la sous-préfecture de Long-Chanh. Les néophytes Laotiens se pré¬parèrent à fui ; M. Pinabel essaya de les encourager, ils l’écoutaient en silence et avec respect, puis ils s’éloignaient en branlant la tête : « Nous sommes tous perdus, c’est chose certaine, » murmuraient-ils. Le missionnaire n’était pas plus rassuré qu’eux : « Je faisais le brave pour maintenir le moral, a-t-il écrit, mais je passais mes nuits sans sommeil et, selon le proverbe annamite, « je ne trouvais pas la nourriture bonne et le sommeil n’était pas paisible. »
Les craintes des uns et des autres n’étaient que trop justifiées. Le 26 décembre, on apprenait que deux catéchistes venaient d’être pris et décapités ; M. Pinabel aurait pu fuir encore, il préféra rester au milieu de ses sauvages : « Nous avons vécu avec vous en temps de paix, leur dit-il, je ne veux pas vous abandonner dans le malheur ; comprenez par là qu’à la vie à la mort, nous sommes avec vous : le pasteur n’abandonnera pas son troupeau. »
Il donne aux plus vaillants l’ordre de tenir leurs armes toujours prêtes, il place des sentinelles aux alentours du village. Le 1er jan¬vier à midi, un coup de fusil retentit ; c’est le signal qui annonce l’arrivée des brigands : « Aux armes, aux armes ! » crie-t-on de toutes parts, et le combat s’engage : résistance inutile, les brigands étaient vingt contre un. Au bout d’une demi-heure, tous les sauvages prenaient la fuite, le missionnaire dut les suivre ; heureusement le pil¬lage arrêta les vainqueurs.
Égarés au milieu de la forêt, les fugitifs ne savaient de quel côté tourner leurs pas ; la nuit se passa dans des appréhensions conti¬nuelles. Au point du jour ils découvrirent quelques racines, deux ou trois fruits, ils n’avaient pas mangé depuis vingt-quatre heures ; racines et fruits disparurent en un instant, puis l’on se remit en marche.
Après une heure de route ils aperçoivent une misérable hutte, cette fois la Providence les a heureusement conduits ; le maître de 1a cabane est un chrétien que M. Pinabef a baptisé. Mais leur joie fut de courte durée, le lendemain matin ils se trouvèrent seuls ; la crainte avait éloigné leur hôte. Que devenir ? où aller ? dans la forêt ? on mourrait de faim ; dans la plaine ? les brigands y étaient : ce der¬nier parti fut cependant adopté. Tantôt suivant les sentiers battus, tantôt essayant de traverser d’impénétrables fourrés, tournant les postes des soldats ou les villages ennemis, ils marchèrent pendant plusieurs jours. A la fin ils trouvèrent un petit torrent dont le cours indiquait la route ; ils voulurent y descendre. Pendant qu’ils tentaient de se frayer un passage à travers les broussailles, ils entendirent des voix au-dessous d’eux ; aussitôt ils se courbèrent, immobiles, anxieux, retenant leur respiration. Ils regardèrent qui passait : c’était une escouade de brigands qui escortaient une dizaine de prisonniers ; ils se réjouissaient hautement de leurs succès : « Depuis que je suis né, disait l’un d’eux, je n’ai jamais passé une aussi heureuse journée qu’aujourd’hui. »
Le lendemain, les fugitifs rencontrèrent un païen qui consentit à les recevoir dans sa barque. Déjà ils se croyaient à l’abri de tout danger, ils voguaient rapidement et joyeusement lorsque, à un détour du fleuve, ils aperçoivent une cinquantaine de soldats et un mandarin. Impossible de remonter le courant, plus impossible encore de descendre à terre sans éveiller l’attention du poste. Il faut essayer de passer ; mais le mandarin a vu la barque : « Aborde ici, crie-t-il au patron. » Missionnaires et chrétiens se réfugient dans la cale. Tentative inutile, les soldats les découvrent, les garrottent. « Le man¬darin voulait nous couper la tête immédiatement, dit M. Pinabel, et je crus le moment suprême arrivé. Je donnai une absolution générale à tous mes hommes et offris mon sang à Jésus-Christ pour ma mission. » Un chef subalterne les sauva. « Mandarin, fit-il, si ces sens sont coupables, le gouverneur de la province les tuera, mais il n’est pas bon de les tuer ici sans jugement. »
Le mandarin se laissa persuader, il détacha trente soldats avec ordre de conduire les prisonniers à la sous-préfecture située à trois jours de marche ; mais auparavant il les fit charger d’une lourde cangue.
A mesure que le missionnaire s’avançait vers la plaine, des conso¬lations venaient alléger ses souffrances. A Ke-Va, toute la population chrétienne, hommes, femmes, enfants à genoux, au milieu des champs, se prosternèrent sur son passage. « Je pleurai, dit-il, mais mes larmes étaient des larmes de joie, et je n’aurais pas changé ma cangue pour un collier d’or. »
Le dévouement apostolique a ses traditions toujours vivantes. En 1840, au milieu des horreurs de la persécution, Mgr Retord s’écriait : « La faim vaut mieux qu’une montagne d’or. » Quarante-cinq ans plus tard, sur cette même terre du Tong-King, M. Pinahel parlait comme l’évêque d’Acanthe.
Enfin, le 9 janvier, ils arrivaient à la sous-préfecture et partaient aussitôt pour la capitale de la province : « C’en est fait, disait-on sur leur passage, ils vont être décapités. » Le mandarin de la justice les fit appeler à son tribunal ; il invita M. Pinahel à s’asseoir, lui-offrit le thé, déclara les mandarins complètement innocents de tous les massacres, accusa les brigands, annonçant qu’il allait les faire saisir, et les punir selon toute la rigueur des lois.
Autant de paroles, autant de mensonges, mais que répondre ? Le missionnaire demanda seulement l’autorisation de partir pour le collège de Phuc-Nhac, dans la province de Ninh-Binh ; le mandarin y consentit et lui donna un sauf-conduit. M. Tricou venait d’arriver à Hué, et, dans la crainte de voir échouer les négociations et punir sa perfidie, le premier régent avait donné l’ordre de surseoir aux massacres ; ce fut à cette circonstance que notre confrère dut la vie.
« Le Père Pinabel, continue Mgr Puginier, nous arriva dans un état de faiblesse telle que son estomac ne pouvait presque plus supporter la nourriture. Après quelques jours de repos, je l’envoyai au Sana¬torium de Hong-Kong, où les forces lui revinrent peu à peu. Rentré dans la mission et ne pouvant revenir chez ses sauvages, il les envoya visiter, tandis que lui exerçait le saint ministère dans une paroisse voisine des montagnes. Au mois de juin il fut pris de la dyssenterie que des soins particuliers firent disparaître au bout de quelques jours. Mais son corps était exténué et le Père sentait déjà un engourdissement des jambes et des bras, accompagné d’un état fiévreux qui le minait. La nuit du 2 au 3 juillet où la chaleur fut particulièrement pénible, il se déclara un grand accès de fièvre qui emporta notre regretté confrère. Prions pour son âme et pour le Laos. »
Références
[1073] PINABEL Pierre (1844-1885)
Bibliographie. - Sách gu~ò~ng phúc (Imitation de Jésus-Christ). - Imprimerie de la mission, Ke-so, 1888, in-12, pp. 300.
Id. - Imprimerie de la mission, Ninh-binh [en caract. lat. accentués].
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1881, p. 62 ; 1882, pp. 60, 114 ; 1883, p. 11 ; 1884, p. 184 ; 1885, p. 76. - A. P. F., liii, 1881, p. 389 ; lvi, 1884, p. 216 ; lviii, 1886, p. 61. - M. C., xv, 1883, Mission des Chau-Laos, p. 397 ; xvi, 1884, Dangers, p. 133 ; Ib., p. 208 ; xvii, 1885, p. 479. - Rev. cath. Coutances, 1878, p. 197 ; 1884, p. 540 ; 1885, p. 841. - Bull. Soc. Géog. [Paris], 7e sér. 1884, p. 417.
Le Tonk. de 1872 à 1886, pp. 208, 214. - Hist. gén. Soc. M.-E., Tab. alph.
Portrait. - A. P. F., lvi, 1884, p. 203. - M. C., xvii, p. 469.
Notice nécrologique. - C.-R., 1885, p. 207.