Le fonds coréen de la Bibliothèque Asiatique se compose de 324 cotes, regroupant un total de 488 volumes, divisé entre fonds ancien (avant 1920) et fonds contemporain.
Bien que le nombre d’ouvrages du fonds soit relativement modeste, il revêt une importance significative en ce qu’il offre une perspective historique sur le développement de l’Église catholique en Corée et sur les activités missionnaires qui s’y sont déployées depuis le XIXe siècle. Les dates de publication des ouvrages de cette collection s’étalent des années 1860 jusqu’à nos jours, avec moins de 30 titres datant d’avant 1920. La majeure partie des ouvrages anciens sont des livres religieux imprimés par les missionnaires de la Société des Missions Étrangères de Paris (MEP) tels que des livres de prières, des catéchismes, des traductions de la Bible, ainsi que des récits abrégés de l’histoire biblique. À noter toutefois une exception : il s’agit d’une encyclopédie publiée en 1908 par le gouvernement de l’Empire de Corée (1897-1910), intitulée 增補文獻備考 (Chŭngbo munhŏn pigo,
COR 002), qui est une édition incomplète reliés en 44 fascicules. Cette encyclopédie semble avoir été collectionnée par les missionnaires dans le but de mieux comprendre la culture et la langue coréenne de l’époque.
La plupart des ouvrages contemporains du fonds coréen proviennent de diverses institutions catholiques coréennes et de dons faits par des prêtres-missionnaires qui ont vécu en Corée, notamment le père Eugène Paillet (1906-1998) et le père Jean-Michel Cuny (1930-2022). De nombreux ouvrages de cette collection sont consacrés à la recherche de l’histoire de l’Église en Corée, portant sur la vie des missionnaires et l’étude de leurs archives. En outre, ce fonds contient des traductions en coréen des archives des prêtres des MEP, facilitant ainsi l’accès à ces archives pour les locuteurs coréens.
Les fruits de passion des missionnaires pour la publication de livres sont manifestés au sein du fonds coréen de la Bibliothèque Asiatique. Le christianisme n’a obtenu une reconnaissance officielle en Corée qu’en 1886, année de la signature du premier traité diplomatique franco-coréen. Malgré les persécutions persistantes, les missionnaires des MEP sont entrés dans le pays dès 1836 et poursuivi leurs activités missionnaires. Ils se sont activement engagés dans l’impression de livres dans le but de
diffuser largement des catéchismes, étant donné qu’il leur était impossible de rencontrer librement les chrétiens. Deux exemplaires au sein de cette collection illustrent de manière significative cette histoire.
Le plus ancien ouvrage dans ce fonds remonte aux années 1860 : 텬쥬셩교공과 (T’yŏnjyu syŏnggyo konggwa, COR 009), imprimé en caractères mobiles en bois et composé de quatre fascicules. Bien que la page de titre ne mentionne pas la date d’impression, ces informations peuvent être retrouvées dans une lettre rédigée par Mgr Berneux (1814-1866) en août 1864 et adressée au séminaire des Missions-Étrangères. Selon cette correspondance, ce livre fait partie des quatre ouvrages imprimés dans les deux imprimeries des Missions-Étrangères au cours de cette année-là. L’ouvrage est décrit comme étant « Les livres de Prières, contenant les prières du matin et du soir, les prières pour tous les dimanches et fêtes de l’année, celles du chemin de la croix, du rosaire, et une méthode pour assister à la messe, 4 vol.[1] ».
La matérialité du livre présente des similitudes marquées avec les ouvrages coréens de l’époque, bien que sa taille soit plus réduite. Il est constitué de papier de mûrier avec une reliure cousue de fil rouge au travers de quatre trous. La couverture est réalisée en papier de mûrier plus épais, résultant de la superposition de plusieurs feuilles, de couleur jaune à motif de treillis. A l’intérieur, le texte est écrit sur une seule face du feuillet, qui est ensuite plié en son milieu pour enfermer la face vierge. Chaque côté forme respectivement le recto et le verso. L’ordre de lecture est de haut en bas et de droite à gauche. Le texte est imprimé dans l’encadrement, et une ligne de division appelée pansim (pliures) sépare le feuillet en deux sections. Dans la partie supérieure de la pliure, le titre du chapitre est inscrit, tandis que le nombre de feuillet et le numéro du fascicule sont imprimés dans la partie inférieure.
Le texte de ce livre est rédigé en hangŭl, l’écriture coréenne. L’écriture hangŭl, créée au XVe siècle par le roi Sejong, se distingue des caractères chinois, qui sont des logogrammes, chaque caractère représentant une notion ou un mot. Le hangŭl, en revanche, est un alphabet dans lequel chaque symbole correspond à un phonème. Toutefois, malgré la création du hangŭl, les lettrés coréens ont continué d’utiliser les caractères chinois, et l’usage du hangŭl était principalement limité aux femmes et aux personnes de la classe moyenne. Au XIXe siècle, avec le développement de l’édition commerciale sur le marché du livre en Corée, la publication d’ouvrages en hangŭl a connu une expansion considérable. Étant donné que la lecture des caractères chinois demeurait réservée aux élites, les missionnaires ont choisi de publier leurs ouvrages en hangŭl pour rendre le livre accessible à un public plus vaste.
[Le T’yŏnjyu syŏnggyo konggwa(COR 009)]
Ce livre de prières a connu plusieurs rééditions au fil du temps. La bibliothèque conserve également une autre édition portant le même titre, T’yŏnjyu syŏnggyo konggwa (COR 020), publiée en 1881 à Yokohama, Japon, en un seul volume. Contrairement à l’édition antérieure imprimée vers 1864, ce livre adopte une reliure de style occidental. Il s’agit d’un ouvrage au format in-12, en demi- reliure, avec une couverture en cuir recouvrant uniquement le dos et les parties adjacentes du dos sur
les plats. Le titre abrégé du livre, 聖敎功課 (Sŏnggyo konggwa), est inscrit sur le dos. L’intérieur du livre est composé de papier industriel. Cependant, la mise en page respecte l’ordre de lecture de la tradition coréenne, avec une lecture de haut en bas et de droite à gauche.
L’édition de 1881 de T’yŏnjyu syŏnggyo konggwa est l’une des premières publications en hangŭl à avoir imprimé à caractères mobiles en métal adaptés pour l’imprimerie moderne. Il est important de noter que des publications coréennes en caractères mobiles en bois existaient déjà depuis les années 1860, réalisées par des missionnaires des MEP ainsi que par des missionnaires protestants. Cependant, la publication des MEP du Dictionnaire coréen-français a marqué la première utilisation de caractère mobile en métal dans la publication moderne en écriture coréenne. Le projet de publication du Dictionnaire et de la Grammaire coréenne a été conçu lors du synode de 1868, organisé après la persécution de 1866. Mgr Ridel (1830-1884) avait préparé la publication de deux ouvrages en Chine, puis avait envisagé d’installer une imprimerie moderne en Corée dès 1877[2]. Cependant, ce projet a été interrompu lorsque Mgr Ridel a été emprisonné par les autorités coréennes. Par la suite, la responsabilité de la nouvelle imprimerie en Corée a été reprise par Mgr Blanc (1844-1890), et le père Eugène Coste (1842-1896) a été envoyé à Yokohama pour imprimer le Dictionnaire et la Grammaire coréenne[3]. À Yokohama, le père Coste a fait fondre des caractères métalliques pour le hangŭl et a acquis les caractères français et anglais auprès de la presse française, L’Écho du Japon, où les ouvrages ont été imprimés. Le Dictionnaire coréen-français a été publié en 1880, suivi de la Grammaire coréenne l’année suivante. Le T’yŏnjyu syŏnggyo konggwa, le livre de prières, a également été imprimé en 1881 à l’aide des caractères acquis pour ces premiers ouvrages[4].
Le page de titre de cet ouvrage comporte des informations relatives à son impression, comprenant la date, le lieu d’impression et le nom d’éditeur. Le titre en écriture coréenne est inscrit au centre dans l’encadrement orné des motifs floraux décoratifs, avec la date figurant dans la partie droite. À gauche, des informations relatives au lieu et à l’éditeur sont indiquées en japonais, sous la forme de 日本 橫濱 レコードジャボン (Japon, Yokohama, L’Écho du Japon), ainsi que et le nom du directeur de la presse, 暛羅邉留 (Stephan Salabelle). Toutefois, il est difficile de déterminer si cette édition a été imprimée à une échelle commerciale, car Mgr Ridel a expliqué dans une lettre adressée aux Directeurs de Paris datée du 5 août 1881 que cet ouvrage avait été imprimé « comme essai »[5]. En septembre 1881, le père Coste a transféré l’imprimerie de Yokohama à Nagasaki, où ce titre, ainsi que d’autres ouvrages, ont été imprimés. Il est arrivé à Séoul en novembre 1885 et a ensuite supervisé l’installation de l’imprimerie dans la capitale coréenne en 1887[6]. Cette édition du T’yŏnjyu syŏnggyo konggwa revêt une importance particulière du fait que l’impression en est considérablement plus lisible et claire que celle réalisée avec des caractères mobiles en bois. Cet exemplaire, tout comme l’ensemble des ouvrages anciens conservés dans cette collection, illustre le début du développement des caractères mobiles moderne pour l’écriture coréenne. Ce précieux témoignage reflète l’engagement des missionnaires dans la propagation de la foi et de la langue coréennes à travers l’impression de textes religieux au tournant du XXe siècle.
[L’édition 1881 de T’yŏnjyu syŏnggyo konggwa (COR 020)]
[1] Cité dans Dallet, Charles, « Histoire de l’Eglise de Corée : précédée d’une introduction sur l’histoire, les institutions, la langue, les mœurs et coutumes coréennes », Tome 2, Paris: Librairie Victor Palmé, 1874, p. 504.
[2] Lettre de Mgr Ridel aux Directeurs de Paris, 3 oct. 1877, ff. 237-240, cote AMEP 580-1.
[3] Lettre du père Coste au père Lemonnier, 30 avr. 1878, ff. 344-347, cote AMEP 580-1.
[4] Lettre du père Coste au père Lemonnier, 15 juill. 1881, ff. 961-963b, cote AMEP 580-2.
[5] Lettre de Mgr Ridel aux Directeurs de Paris, 5 août 1881, ff. 954-957, cote AMEP 580-2.
[6] Lettre du père Coste au père Lemonnier, 18 janv. 1886, cote AMEP 580-2.