François GEFFROY1843 - 1918
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 1062
Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Vietnam
- Région missionnaire :
- 1870 - 1918 (Qui Nhon)
Biographie
[1062] François-Marie GEFFROY naquit le O4 Juillet 1843 à TREMEL, diocèse de St. BRIEUC, département des C_TES-DU-NORD (C_TES D'ARMOR). En 1857, il entra en huitième , au Collège de TREGUIER, en 1860, à 17 ans, il commença sa sixième au Collège de PONT-CROIX, et en 1865, il passa au Grand Séminaire de QUIMPER, où il fut tonsuré le 10 Août 1867.
Le O5 Octobre 1867, il entra au Séminaire des Missions Etrangères. Minoré le 19 Décembre 1868, Sous-Diacre le 22 Mai 1869, Diacre le 28 Octobre 1869, il fut ordonné prêtre le 11 Juin 1870, et reçut sa destination pour la COCHINCHINE ORIENTALE (Quinhon) . Il quitta Paris le O6 Juillet 1870, et s'embarqua à MARSEILLE le 10 Juilllet suivant, pour rejoindre sa mission.
M.GEFFROY apprit la langue viêtnamienne à XOAI, petite chrétienté proche de GIA-HUU, où se trouvaient alors l'Evêché et la Procure. Il eût un peu de peine à s'accoutumer au régime alimentaire du pays, car la table de Mgr CHARBONNIER était d'une frugalité desespérante, et , dit-il le riz et la nourriture viêtnamienne me répugnaient, mais il fallut bien m'y habituer".
Au bout de un an d'étude de langue, il fut désigné pour prendre en main l'administration du district de NHATRANG, qui comprenait alors toute la province de KHANH-HOA. Pendant deux mois,attendant une barque pour rejoindre son poste, il resta à GIA-HUU, auprès de son Evêque qui lui donnait quotidiennement ses instructions. M. GEFFROY raconte : " J'étais jeune et sans expérience, et j'allais au loin et pour longtemps, dans un pays où il n'y avait pas eu de missionnaire en permanence depuis le temps de Mgr. d'ADRAN. M.MURCIER était mort deux ans auparavant, après quinze jours seulement de présence au BINH-THUâN, voisine de KHANH-HOA. Il tremblait donc, le bon Evêque, de la responsabilité qu'il prenait de me lancer aussi loin. Je ne le revis que six ans après, il ne se possédait pas de joie de me revoir!.."
A la fin de 1871, M. GEFFROY arriva au KHANH-HOA (Nhatrang). L'état du district était déplorable ; la persécution de TU-DUC avait laissé partout des traces. Les chrétiens sans défense subissaient des tracasseries diverses telles que faire des "corvées superstitieuses", et entendre tous les mois, dans la maison communale,la lecture officielle du "décalogue" de l'empereur MING-MANG, dont le cinquième commandement proscrivait toute religion étrangère. M.GEFFROY interdit à ses chrétiens toute complaisance suspecte. Par bonheur, un haut mandarin prudent et avisé,chef de la province prit sa défense et refusa d'accepter les plaintes des Lettrés. M.GEFFROY fit faire des copies de son passeport délivré par la Cour de HUE, l'autorisant à prêcher la religion, et en adressa un exemplaire à chacune des sous-préfectures de la province. Ainsi obtint il qu'on le laissât tranquille !
Vers la fin de 1872, une entente cordiale s'était établie entre lui et les mandarins Ceux-ci l'invitaient , et lui les recevait souvent. " Ma chrétienté centrale HADUA était à peine à 500 mètres de leur résidence.,ecrit il. De là, dix ans auparant, on entendait distinctement les cris de douleur arrachés aux confesseurs de la foi par les tortures du prétoire.. " Les temps étaient changés !..
A la fin de 1879, M.GEFFROY quitta le KANH-HOA et fut nommé à GiA-HUU. " C'était une chrétienté modèle, raconte-t-il.. Les autres postes laissaient à désirer. XOAI était divisé en deux partis que je ne pus jamais réconcilier. Dieu s'en chargea en 1885, car il ne s'en échappa pas plus de 4 ou 5 chrétiens sur 100. " A peine installé à GIA-HUU, M.GEFFROY se trouva aux prises avec la famine qui suivit les inondations de 1878. "Les orphelinats de GOTHI et de GIA-HUU ne désemplissaient pas...Chaque matin,dit-il, dans l'allée des tamariniers qui va de l'église au couvent, on trouvait trois, quatre, cinq enfants déposés là pendant la nuit et près de mourir."
Les massacres de 1885 annéantirent ce beau district. Début mai 1885,MM. POIRIER et GARIN, de la province du QUANG-NGAI arrivèrent chez M.GEFFROY pour faire leur retraite ; deux mois plus tard, ils étaient mis à mort.. Les évènements se précipitant, il envoya une jonque à TOURANE pour mettre le Général de COURCY au courant de la situation. Les rebelles capturèrent la barque, au large du QUANG-NGAI, et jetèrent tout le monde à la mer. Une seconde barque dut rebrousser chemin. Alors M. GEFFROY partit de nuit pour TOURANE et de là à HUE où il trouva M.LACASSAGNE envoyé de QUINHON par Mgr.VAN CAMELBEKE, dans le même but. Le général ne daigna pas leur accorder les quelques instants d'audience qu'ils sollicitaient, et il leur fit savoir que le bateau qui devait emporter ses dépêches était en rade à TOURANE et que le mieux qu'ils avaient à faire, était d' en profiter .
Laissons M.GEFFROY raconter son voyage de retour :.." Nous partimes de TOURANE dans la nuit du 3 au 4 août 1885. Rien à signaler en longeant la côte du QUANG-NAM où les massacres n'avaient pas encore commencé et celle du QUANG-NGAI où ils étaient achevés ; ..il n'en fut pas de même quand nous atteignîmes la hauteur du BONGSON, préfecture septentrionale du BINH-DINH. De hautes colonnes de fumée m'indiquaient clairement que tout mon district était en feu !..Je regrettais mon voyage puisque je n'avais pû sauver mes chrétiens, et je.pleurais à chaudes larmes. Deux ou trois heures plus tard, nous fûmes accostés par un courrier qui nous transmit la nouvelle du massacre général des chrétiens au BINH-DINH : Monseigneur, les Pères du Séminaire et les confrères des environs s'étaient réfugiés à QUINHON avec plus de 7000 chrétiens....Par dessus les dunes de PHUONG-PHI, nous vîmes des brasiers ardents : GOTHI,XOMNAM,LANGSONG.. étaient en flammes !."
Quelques temps après M.GEFFROY eût des détails sur l'annéantissement de son district. Jugeant la situation intenable, ses vicaires, M. DUPONT, et le P. NHUT essayèrent de gagner QUINHON. M. GEFFROY raconte: " L'exode commença le 2 ou le 3 Août; Les pères s'avançaient en priant, à la tête d'une colonne de 2.000 personnes, hommes, femmes et enfants ; ils arrivèrent péniblement à dépasser la colline de HOI-DUC, à 15 kms de GIA-HUU. Ils furent cernés à l'entrée de la plaine de PHU-TRANG, et massacrés jusqu'au dernier..." C'est là que mourut M.DUPONT .
Par deux fois encore, M.GEFFROY intervint pour essayer de sauver ce qui restait des chrétiens du KHANH-HOA et du BINH-THUAN. Après ces évènements tragiques,sans se décourager,M. GEFFROY fit revivre GIA-HUU. Il organisa les nouvelles chrétientés du BONG-SON, les visitant régulièrement, très soucieux de la formation spirituelle de ses fidèles. On ne pouvait pas s'endormir à ses catéchismes car sa grande facilité d'élocution en viêtnamien et sa riche expérience lui permettaient des comparaisons et des anecdotes qui tenaient l'attention en éveil !
Ayant une connaissance peu commune des caractères chinois, et possédant parfaitement la langue viêtnamienne, il forma beaucoup de jeunes missionnaires., leur donnant de sages conseils tel que : "Soyez plus larges que rigides"
M.GEFFROY tenait fort à ses opinions, mais il ne gardait jamais du ressentiment contre ses contradicteurs : " Jamais, disait il, je n'oserai monter à l'autel, la rancune au coeur " !.
A la fin de décembre 1917, il se sentit sérieusement fatigué, et ne se fit aucune illusion sur un dénouement prochain . Le 25 Janvier 1918, après avoir célébré la messe, déjeuné, récité les petites heures, fait l'aumône à un pauvre, il s'évanouit. Revenu à lui, il raconta tranquillement à son vicaire ce qui lui était advenu. Vers neuf heures, ses poumons commencèrent à s'engorger..A 11h 1/2 du soir de ce même jour, Il rendit tranquillement son âme à Dieu après avoir reçu les derniers sacrements.
M.GEFFROY repose au pied de ce "Monument des Martyrs", élégant et précieux mausolée sous lequel il avait placé les ossements de ses chrétiens de GIA-HUU massacrés en 1885.
Nécrologie
M. GEFFROY
MISSIONNAIRE APOSTOLIQUE DE LA COCHINCHINE ORIENTALE
M. GEFFROY (François-Marie), né à Trémel (Saint-Brieuc, Côtes-du-Nord), le 4 juillet 1843. Entré tonsuré au séminaire des Missions-Etrangères le 5 octobre 1867. Prêtre le 11 juin 1870. Parti pour la Cochinchine Orientale le 6 juillet 1870. Mort à Giahuu le 25 janvier 1918.
François Geffroy naquit à Trémel, diocèse de Saint-Brieuc, en 1843. En 1857 il entra en huitième au collège de Tréguier. Ses débuts furent assez pénibles, car il ne savait guère que le parler d’Armor. Il y adjoignit peu à peu le français.
En 1860, il entra en sixième, à 17 ans, au collège de Pont-Croix, et en 1865, au grand séminaire de Quimper ; enfin, en 1867, au séminaire des Missions-Etrangères. Son premier contact avec la capitale fut quelque peu accidenté. Lui-même d’un ton débonnaire en racontait assez volontiers les péripéties, quitte à protester en riant quand les confrères ajoutaient de nouveaux détails au pittoresque de l’histoire. En voici une édition : un compatriote de la rue du Bac, empêché d’aller le recevoir à la gare, lui avait écrit de prendre un fiacre. Un fiacre, c’était sans doute un véhicule dans le genre des carrioles bretonnes. Le nouveau débarqué vit bien des omnibus, ressemblant en mieux aux pataches des routes impériales ou départemen-tales, également des voitures à deux places, mais d’un luxe ! « Çà se dit-il, c’est pour les nobles. » Il chercha longtemps des yeux les fiacres et n’en découvrit point ! Sa perplexité durait encore quand une modeste charrette à bras vint lui offrir ses services. D’un poignet solide il y arrima ses malles ; le petit commissionnaire se mit dans les brancards, notre vigoureux Breton poussa par derrière, et l’un et l’autre arrivèrent sans encombre au 128, rue du Bac.
Ordonné prêtre et désigné pour la Cochinchine Orientale il s’embarqua à Marseille le 10 juillet 1870.
Il apprit la langue à Xoai, petite chrétienté proche de Giahuu, où se trouvaient alors l’évêché et la procure. Le croirait-on ? le parfait annamite que nous avons tous et toujours connu, eut beaucoup de peine à s’accoutumer au régime du pays. Dans quelques pages de « Souvenirs » arrachées par l’affectueuse importunité de ses confrères, il nous conte, avec une bonhomie charmante, que la table de l’homme austère, qu’était Mgr Charbonnier, était d’une frugalité désespérante : pain et vin proscrits, fourchettes et cuillers inconnues, mais surtout assiettes trop petites sur un plateau trop grand ; « Du reste, avoue-t-il, le riz et généralement toute la nourriture annamite me répugnaient jusqu’au dégoût. Et cependant, il fallut bien m’y habituer. Enfin, lorsque je fus chez moi, je suis arrivé, grâce à quelques modifications de détail, à trouver la cuisine annamite presque aussi bonne que la cuisine française. Mes 43 ans de mission (1913) en Annam, prouvent bien que je ne me suis pas toujours levé de table sur ma faim. » Ajoutons, pour l’avoir fréquentée, que cette table hospitalière fut toujours plutôt... annamite et que les modifications du bon Père n’avaient guère porté que sur le diamètre des assiettes.
Au bout d’un an d’étude de la langgue, qu’il devait posséder à la perfection, y compris une connaissance peu commune, parmi nous, des caractères chinois. M. Geffroy fut désigné pour prendre en mains l’administration du district de Nhatrang qui comprenait toute la province de Khanhhoa. En attendant le départ d’une jonque pour le sud, il resta encore deux mois près de son évêque, à Giahuu même. « En vrai père, nous rapporte-t-il, il m’appelait tous les jours dans sa chambre pour me donner ses instructions et me faire ses plus utiles recommandations. J’étais jeune et sans expérience, et j’allais au loin et pour longtemps, dans un pays où il n’y avait pas eu de missionnaire en permanence depuis le temps de Mgr d’Adran. M. Murcier était mort deux ans auparavant, après quinze jours seulement de présence au Binhthuan, voisine de Khanhhoa. Il tremblait donc, le bon évêque, de la responsabilité qu’il prenait de me lancer ainsi au loin. Je ne le revis que six ans après, il ne se possédait pas de joie de me revoir, ayant conduit ma barque à peu près sans gros accident. En vérité, je ne le devais qu’à ses prières et à ses bons conseils. Ses lettres étaient des modèles de direction : je les ai conservées longtemps et je les relisais souvent. Il les avait écrites (je le savais pour l’avoir souvent observé à son bureau) très lentement et en pesant chaque mot. Le bon père ! je lui suis profondément reconnaissant du bien qu’il m’a fait. »
Voici maintenant quelques détails que M. Geffroy donne sur son séjour au Khanhhoa : « Quand j’y arrivai, à la fin de 1871, l’état du district était déplorable spirituellement et matériellement, l’instruction religieuse on ne peut plus négligée et les installations les plus provisoires, la toute récente encore et très cruelle persécution de Tuduc ayant laissé partout des traces longues à effacer. Les chrétiens sans défense se pliaient trop facilement aux exigences tracassières des villages qui leur imposaient maintes corvées superstitieuses et, tous les mois, les obligeaient, sous peine d’amende, à venir entendre, dans la maison communale, la lecture officielle des « tap dieu », le décalogue de l’empereur Minh-mang, dont le cinquième commandement proscrivait formellement toute religion étrangère. »
M. Geffroy interdit net à ses chrétiens toute complaisance suspecte. La caste orgueilleuse des lettres fit immédiatement une levée de pinceaux contre lui. Par bonheur, le Khanhhoa avait alors à sa tête un haut mandarin prudent et avisé. Il refusa d’accepter la plainte des lettres : « Cet Européen, leur répondit-il, est parfaitement en règle, son passeport, délivré par la Cour de Hué, l’autorisant à prêcher sa religion partout le royaume, ce qui implique évidemment pour ses chrétiens l’obligation de suivre ses conseils. »
Le Père trancha avec la même décision la question du passeport « à exhiber à toute réquisition de l’autorité ». Il en fit tenir des copies à chacune des sous-préfectures de la province, et y renvoya désormais tous les tyrannaux de village qui, de guerre lasse, le laissèrent tranquille.
Du reste, à ces petites luttes d’influence succéda bientôt une entente cordiale entre M. Geffroy et les mandarins. Une circonstance heureuse y aida. « Vers la fin de 1872, l’aviso le « Bourayne », commandant Senez, allant visiter toutes les province côtières, s’arrêta au Khanhhoa. Le commandant et ses officiers montèrent à la citadelle et vinrent dîner chez moi, honneur qui ne me fut pas inutile. Les grands mandarins, dont je n’avais pas encore fait la connaissance furent, en cette circonstance, très accueillants et, depuis, nos relations furent intimes, autant du moins qu’elles pouvaient l’être. Ils m’invitaient et, à mon tour, je les recevais très souvent. Ma chrétienté centrale, Hadua, était à peine à 500 mètres de leur résidence. De là, dix ans auparavant, on entendait distinctement les cris de douleur arrachés aux confesseurs de la foi par les tortures du prétoire ... » Décidément, les temps étaient changés.
Il ne faudrait pas croire cependant que les premières années apostoliques de notre confrère furent uniquement tissées d’or et de soie. Lui-même se charge de nous détromper : « Le Khanhhoa a été mon premier district, aussi ne faut-il pas s’étonner que je lui ai gardé un si bon souvenir. Ce n’est pas que je n’y ai pas éprouvé des difficultés ; j’en ai rencontré de toutes sortes, et c’est peut-être parce que j’y ai plus peiné que je l’ai aimé davantage. »
M. Geffroy quitta son cher Khanhhoa à la fin de 1879, et fut nommé à Giahuu, district où il avait fait ses premières armes : « Giahuu, raconte-t-il, était une chrétienté modèle, longtemps sanctifiée par la présence d’un confesseur de la foi, Mgr Charbonnier ; les autres postes laissaient à désirer ; Xoai était divisé en deux partis que je ne pus jamais réconcilier. Dieu s’en chargea en 1885, car il ne s’en échappa pas plus de 4 ou 5 chrétiens sur 100. » A peine installé, le missionnaire se trouva aux prises avec la famine qui suivit les inondations de 1878. « Les orphelinats, surtout ceux de Gothi et de Giahuu, ne désemplissaient pas ; les morts étant remplacés aussitôt par des affamés. Je n’ai vu à Giahuu que la fin de la famine, et pourtant, chaque matin, dans l’allée des tamariniers qui va de l’église au couvent, on trouvait trois, quatre, cinq enfants déposés là pendant la nuit et près de mourir ; on avait à peine le temps de les baptiser. Quelle misère ! mais aussi que de petits anges envoyés au ciel par le plus court chemin ! »
Et ainsi, de souvenir en souvenir, le manuscrit que nous suivons nous conduit aux massacres de 1885, qui anéantirent ce beau district dont, pour sa large part, M. Geffroy avait fait un des joyaux de la mission.
« Que de souvenirs douloureux de cette malheureuse année me restent au fond du cœur ! écrit-il ; elle a passé il y a près de 30 ans, mais je vivrais des centaines d’années que je n’en oublierais pas les moindres détails. Dès les premiers mois l’horizon était bien noir. Le Huongbinh, milice nationale, s’organisait fièvreusement. Chaque village devait fournir son contingent, élever des miradors et veiller jour et nuit. C’était, disait-on, contre les Français, mais nos chrétiens ne s’y trompaient pas ... Au commencement de mai arrivèrent chez moi les Pères Poirier et Garin, de la province du Quangngai. Ils venaient faire leur retraite. Ils la firent avec une ferveur qui m’édifia singulièrement ; on voyait qu’ils se préparaient à la mort qu’ils pressentaient, et qui leur arriva en effet deux mois plus tard. »
Les événements se précipitant, M. Geffroy tenta d’envoyer une jonque à Tourane pour mettre le général de Courcy, alors à la capitale, au courant d’une situation presque désespérée ; mais cette jonque fut capturée par les rebelles au large du Quangngai, et ceux qui la montaient jetés à la mer. Une seconde barque, menacée du même sort, dut rebrousser chemin. Alors, sur le refus de son vicaire M. Dupont, qui, avec raison, se jugeait encore trop jeune et trop récemment arrivé pour une pareille mission, M. Geffroy se résolut à tenter en personne cette dernière chance de salut. « Je partis le cœur bien gros, écrit-il. Le triple enclos de l’église, du couvent et de l’orphelinat que j’avais fait solidement palissader, était rempli de chrétiens qui déjà en très grand nombre, s’étaient réfugiés auprès de moi. Ils dormaient et ne soupçonnaient pas mon départ, il me fallut passer sur eux pour parvenir à la porte de sortie ! » Malgré une rencontre suspecte et un violent coup de mousson, la jonque put parvenir à Tourane et de là, à Hué. M. Geffroy y trouva son confrère M. Lacassagne, envoyé de Quinhon par Mgr Van Camelbeke dans le même but. Hélas ! ce fut un échec complet. Le général, pressé par son courrier, ne daigna même pas leur accorder les cinq minutes d’audience qu’ils sollicitaient. Son siège était fait : l’Annam était tranquille, idéalement, le régent Tuong l’en assurait chaque jour ; le déplacement des deux missionnaires était donc pour le moins inutile. Il le leur fit savoir le soir même à l’évêché ; le courrier qui devait emporter ses dépêches rassurantes au ministère étant sur rade à Tourane, le mieux qu’ils avaient à faire était d’en profiter.
« Nous partîmes donc de Tourance dans la nuit du 3 au 4 août, continue le missionnaire. Rien à signaler en longeant la côte du Quangnam où les massacres n’avaient pas encore commencé et celle de Quangngai, où ils étaient achevés ; mais, hélas ! il n’en fut pas de même quand nous atteignîmes la hauteur du Bongson, préfecture septentrionale du Binhdinh. De hautes colonnes de fumée m’indiquaient clairement que tout mon district était en feu. Je ne me possédais pas de désolation, je regrettais mon voyage puisque je n’avais pu sauver mes chrétiens, et je pleurais à chaudes larmes. Deux ou trois heures plus tard, nous fûmes accostés par un courrier qui nous transmit la nouvelle du massacre général des chrétiens au Binhdinh : Monseigneur, les Pères du séminaire et les confrères des environs s’étaient réfugiés à Quinhon avec plus de 7.000 chrétiens. Plus moyen de douter. Du reste nous ne tardâmes pas à dépasser les montagnes de Kethu et, par-dessus les dunes de Phuongphi, nous vîmes des brasiers ardents : Gothi, Xomnam, Langsong ... étaient en flammes. »
Ce n’est que quelque temps après que M. Geffroy put avoir des détails sur l’anéantissement de son district. Ses vicaires, M. Dupont et le prêtre Nhut, jugeant la position intenable surtout par suite du manque d’eau en pleine saison sèche, avaient essayé de gagner Quinhon, à 100 kilomètres de là. « L’exode commença le 2 ou le 3 août ; les Pères s’avançaient en priant, à la tête d’une colonne de 2.000 personnes, hommes, femmes et enfants ; ils arrivèrent péniblement à dépasser la colline de Hoiduc à 15 kilomètres de Giahuu. Ils furent cernés à l’entrée de la plaine de Phutrang, et massacrés jusqu’au dernier. Pauvres chrétiens ! pourquoi ne suis-je pas mort au milieu d’eux, avec la certitude d’être sauvé, tandis que je vis encore, 30 ans après, sans être sûr de mon salut ! »
Arrêtons ici les citations empruntées aux notes laissées par notre regretté confrère ; elles ne nous donnent plus que les grandes lignes de son curriculum vitœ pendant « l’exil » et, en particulier, ses deux interventions à bord de la Gerda et de l’Aréthuse pour essayer de sauver ce qui restait encore des chrétiens du Khanhhoa et du Binhthuan.
Pendant les 31 ans que M. Geffroy passa encore à Giahuu, qu’il fit revivre, il fut vraiment, de l’avis unanime, un grand missionnaire. D’un geste large et sûr il jeta à pleines mains la bonne semence, et si la moisson ne tint pas toujours ses promesses, si les épis ne furent pas uniformément lourds, si parfois même l’ivraie étouffa le bon grain, c’est que pendant les ténèbres de la nuit l’homme ennemi avait à son tour passé sur les sillons à peine formés ...
Ces échecs partiels ne décourageaient pas le missionnaire qui continuait son labeur avec persévérance et bonté. Un confrère nous écrit à ce sujet : « J’ai eu le bonheur de faire mon apprentissage de la vie apostolique sous la direction de M. Geffroy, et je bénis la Providence de m’avoir ménagé cette faveur. Je trouve, dans ses lettres que j’ai pieusement gardées, les observations et les conseils suivants : « Vos chrétiens ont tort évidemment, mais n’oubliez pas que ce ne sont encore que des néophytes ; grondez-les, puis supportez cela, et bien d’autres choses avec. » « Soyez plus large que rigide » et il y revient encore. « Soyez large, ne fatiguez pas trop vos pénitents, c’est le reproche qu’on vous fait. » « Punissez-les à cause du mauvais exemple ; en soi, il y a là plus de bêtise que de malice, puis essayez de les confesser et de les préparer à la communion. » C’est ainsi que tous mes confrères, vicaires comme moi à Hoiduc, avons pu apprendre à son école comment il faut aimer les âmes de nos néophytes. In multa patientia.
« Mais c’est surtout dans le soin qu’il prenait à préparer lui-même ses néophytes à la réception des sacrements qu’on pouvait juger du degré de son zèle pour les âmes. Lors de l’établissement des nouvelles chrétientés du Bongson, il a rempli pendant des semaines entières le rôle de catéchiste pour préparer ses nouveaux baptisés à la confession, et cela cinq ou six heures par jour. Même après quarante ans de mission, il visitait ses chrétientés et y résidait dans chacune d’elles une semaine au plus. Là encore, personne ne s’approchait de la Sainte Table que le Père se fût assuré s’il était convenablement instruit, et n’eût suppléé lui-même, par son enseignement ou ses exhortations, aux dispositions douteuses de son pénitent. Il se donnait encore plus de peine pour préparer ses nouveaux chrétiens à la communion. Au reste, on ne s’endormait guère à ses catéchismes ; sa grande facilité d’élocution en annamite, et sa parfaite connaissance des mœurs et coutumes du pays lui permettaient des comparaisons et des anecdotes qui tenaient l’attention en éveil.
« Au chevet des malades auxquels il portait le Saint Viatique, le Père n’aurait pas considéré tout son devoir comme accompli, s’il n’avait pas aidé lui-même le malade à faire sa préparation et son action de grâces. Dans ses tournées d’administration, rencontrait-il quelque enfant d’un âge avancé et n’ayant pu se confesser faute de temps libre et d’instruction suffisante, il s’astreignait à parfaire son instruction lui-même, car, disait-il, cela m’ennuie de laisser cet enfant en étant de péché. » S’astreindre à un travail pénible, quand on est à un certain âge pour ne pas laisser le péché quelques jours de plus dans une âme, il me semble bien que cela s’appelle aimer les âmes ! Ce dévouement obscur, patient et généreux, a duré près de 50 ans. »
Qu’à cet ensemble de vertus apostoliques, il faille, pour rester dans la vérité, apporter quelques restrictions, personne ne s’en étonnera, la perfection n’étant pas de ce monde.
M . Geffroy tenait à ses opinions, disons le mot, il était entêté, et il fallait pour qu’il cédât, parfois plus que de bonnes raisons ordinaires. D’ailleurs il ne gardait pas rancune à ses contradicteurs. Interrogé un jour à ce sujet, par celui qui écrit ces lignes, il répondit d’un ton pénétré : « Le soleil se couche-t-il parfois sur mon ressentiment, je ne le crois pas : mais ce que je sais bien, c’est qu’il ne se lève jamais sur ma rancune. Avant de monter à l’autel et à ma préparation à la sainte messe, il y a toujours une parole de l’Ecriture qui m’effraie et me fait faire un dernier retour sur moi-même. « Si offers munus tuum ad altare. Non , jamais, je n’oserais monter à l’autel la rancune au cœur. »
Avec l’âge, les infirmités affaiblirent peu à peu la forte constitution de M. Geffroy qui s’était senti sérieusement frappé à la fin décembre 1917. Depuis lors il ne se faisait aucune illusion sur un dénouement prochain et subit. Le 25 janvier, il dit la sainte messe comme d’habitude, communia quelques personnes confessées la veille, et fit un baptême d’enfant. Il déjeuna, récita ses petites Heures, reçut la visite d’un pauvre auquel il fit l’aumône coutumière, puis s’évanouit. Revenu à lui, il raconta tranquillement à son vicaire, accouru en toute hâte, ce qui lui était advenu. Vers neuf heures, les poumons commencèrent à s’engorger ; le Père se fit transporter plusieurs fois de suite de sa chaise à son lit, sans en éprouver de soulagement. Il se confessa, s’étendit pour recevoir l’extrême-onction, indiqua du doigt à son vicaire ému et hésitant, les prières de l’Indulgence plénière, fit un grand signe de croix et, les prières à peine achevées, tourna légèrement la tête et rendit paisiblement son âme à Dieu. Il était 11 h. ½ du soir .
Ecoutons, pour finir, le confrère qui lui a rendu une des dernières visites : « Tout le temps que j’ai passé avec lui au Bongson, il a été pour moi d’une grande édification : ne manquant aucun de ses exercices de piété, se levant à 4 heures, faisant longuement sa méditation et sa préparation au Saint-Sacrifice. La messe, du reste, était tout pour lui, elle était vraiment le point culminant de sa vie sacerdotale, et il ne redoutait la maladie que par crainte de ne pouvoir dire la messe Il n’omettait jamais sa visite au Saint-Sacrement qui durait une heure et qu’il faisait à genoux, devant le tabernacle, appuyé sur la table de communion. Je me souviens aussi qu’une de ses consolations était la pensée de tous ces petits anges qu’il avait envoyés au ciel ; il comptait qu’ils intercéderaient pour lui au moment où il aurait à rendre compte au bon Dieu de son ministère. Sur une des images qu’il avait dans son bréviaire, il avait écrit les grâces qu’il demandait chaque jour, entre autres : « Faire du bien pour Dieu seul ; – n’aimer que Dieu seul ; – ne chercher et faire que la volonté de Dieu seul. »
M. Geffroy repose, en attendant la résurrection bienheureuse, au pied du « monument des Martyrs », élégant et précieux mausolée sous lequel il avait placé les ossements de ses chrétiens de Giahuu massacrés en 1885.
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Références
[1062] GEFFROY François (1843-1918)
Références biographiques
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Février 1994