Félix MIDON1840 - 1893
- Statut : Vicaire apostolique
- Identifiant : 1075
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Identité
Naissance
Décès
Consécration épiscopale
Missions
- Pays :
- Chine
- Région missionnaire :
- 1870 - 1871 (Hong Kong)
Biographie
[1075] Félix-Nicolas-Joseph MIDON naît le 7 mai 1840 à Bonviller (Meurthe-et-Moselle). Il fait ses études classiques au petit séminaire de Pont-à-Mousson, et ses études théologiques au grand séminaire de Nancy. Après son ordination sacerdotale le 21 mai 1864, il est vicaire à Lunéville, puis à Nancy dans la paroisse Saint-Sébastien.
Il entre au Séminaire des MEP le 25 septembre 1869 ; il part pour le Japon le 3 août 1870.
Japon (1871-1892)
Avant d'y pénétrer, il attend six mois à Hong-kong, où il s'occupe de Japonais chassés de leur pays par la persécution. Il se rend avec eux à Yokohama ; il étudie la langue à Nagasaki, tout en enseignant le français. Vers la fin de 1872, il devient interprète de la Légation de France à Yokohama.
Cependant, il continue à exercer le saint ministère, et ses qualités s'affirment suffisamment rapidement pour que Mgr Petitjean le nomme provicaire en mars 1874. Il remplit également les fonctions d'aumônier chez les religieuses du Saint-Enfant-Jésus (Dames de Saint-Maur), et aide par ses prédications les missionnaires chargés des paroisses de la ville.
En 1875 et 1876, pendant l'absence de Mgr Petitjean en déplacement à Rome, il gouverne la mission.
A partir de 1876, époque de la division du Japon en deux vicariats apostoliques, il est au Japon septentrional, où il est provicaire. Il l'administre seul, pendant que Mgr Osouf, en vue de recueillir des aumônes, parcourt l'Amérique (1883-1885).
Le 20 mars 1888, par le bref Quæ rei (Leonis XIII acta, viii, p. 157), le Japon central est détaché du Japon septentrional et érigé en vicariat apostolique. Le P. Midon est, dès le 23 mars, nommé à sa tête, avec le titre d'évêque de Césaropolis, et sacré le 11 juin suivant dans l'église du Sacré-Cœur, à Yokohama.
Le nouveau vicariat comprend la partie de la grande île de Nippon située à l'ouest du lac Biwa, plus le Shikoku et les îles qui en dépendent, soit en tout près de 85 000 kilomètres carrés. La population totale est de 13 184 650 habitants, sur lesquels on compte seulement 2 185 catholiques. La mission est divisée en 8 districts : Tsu, Kioto, Osaka-est, Osaka-ouest, Kobé, Okayama, Hiroshima, Matsuyama. Il y a 15 missionnaires, 13 religieuses européennes du Saint-Enfant-Jésus de Chauffailles, 16 églises ou chapelles, 16 écoles ou orphelinats avec 788 élèves.
Après son sacre, Midon s'installe à Osaka. Il visite son vicariat, augmente le nombre des districts, développe l'œuvre de la Sainte-Enfance, fonde quelques écoles, et commence à Kioto la construction d'une église, bénie le 1er mai 1890.
Quelques mois auparavant, en mars, il avait avec les trois autres vicaires apostoliques du Japon et le provicaire de la mission de Corée tenu le synode de Nagasaki.
Lors de la création de la hiérarchie catholique au Japon le 15 juin 1891, il est nommé évêque d'Osaka ; peu de temps avant, il est fait chanoine d'honneur de Nancy, son diocèse d'origine.
En 1892, sa santé étant gravement ébranlée, il revient en France ; le 12 avril 1893, en route pour Rome, il meurt à la procure des MEP à Marseille.
C'était un bon administrateur. Comme à un esprit judicieux et pratique il joignait de l'énergie, de l'activité et un dévouement à toute épreuve, il fit un bien réel.
Nécrologie
NÉCROLOGE
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MGR MIDON
ÉVÊQUE D’OSAKA (JAPON)
Né le 7 mai 1840.
Parti le 3 août 1870.
Mort le 12 avril 1893.
Né à Bonviller (Meurthe), le 7 mai 1840, Mgr Midon fit ses huma¬nités au petit séminaire de Pont-à-Mousson et ses études ecclésias¬tiques au Grand Séminaire de Nancy. Après son ordination au sa¬cerdoce, le jeune prêtre fut nommé vicaire, d’abord à Lunéville, puis à Saint-Sébastien de Nancy. Laissons parler ici M. Pano, curé de Moyen, ami dévoué de Mgr d’Osaka et son collègue à Saint-Sé¬bastien.
« Je ne puis donner que quelques détails sur les quatre années que nous avons passées « ensemble comme vicaires à la paroisse Saint-Sébastien, MM. Midon, Thinselin et moi. « Nous avions pour curé notre ancien supérieur du séminaire, M. l’abbé Adrian ; le pasteur « était âgé, et l’abbé Midon, son bras droit, investi de toute sa confiance, avait su, sous la « direction de M. le curé, imprimer aux œuvres de la paroisse une impulsion très féconde. Il « se distinguait déjà par un zèle ardent, par une extraordinaire activité, par un en¬train qui ne se « démentait jamais. Vous savez comme il était éner¬gique, vous savez mieux encore comme il « était bon ; il était déjà tout cela à Saint-Sébastien, et j’aurais voulu lui voir prendre pour « devise ces deux mots qui l’auraient caractérisé parfaitement : Suaviter et fortiter. On se « souvient encore à Nancy de ses catéchismes si bien préparés, de sa direction prudente et « pleine de lumières, de sa parole énergique, incisive en même temps que très élégante. Il « excellait dans la controverse, et presque toujours, quand ensemble nous établissions nos « plans d’instruction pour le Carême ou pour les Dominicales, il se réservait la réfutation des « objections, et il la faisait avec une logique, une précision et un en¬train toujours remarqués.
« Je ne sais si vous avez appris l’histoire de son départ pour le séminaire de Paris. Malgré « ses succès, l’abbé Midon redoutait la vie du presbytère à la campagne, et s’épouvantait à la « pensée d’être curé de village. Son âme aspirait à la vie contemplative. Il profita d’un voyage « qu’il fit en Bretagne, dans la famille de Calan, où il avait été précepteur, pour aller à la « Trappe de Thymadeuc. Il en rapporta la résolution d’y entrer après quelques années. Un « jour, il me manifesta le désir d’aller faire une retraite à la Chartreuse de Bosserville, près « Nancy. Je l’en dissuadai et lui conseillai de s’adresser plutôt aux Rédemptoristes de Saint-« Nicolas du Port. Il trouva là un saint religieux à qui il s’ouvrit de son projet d’aller à la « Trappe. Le Père lui déclara qu’à son âge et avec ses qualités, il devait travailler activement « dans l’église de Dieu ; il l’engagea fortement à prier pour connaître la volonté divine. M. « Midon revint quelque temps après ; le Père lui déclara qu’il le croyait appelé aux Missions-« Étrangères ; le cher ami, avec la simplicité et l’obéissance d’un enfant, répondit : « C’est « fait ! j’irai aux Missions. » Et il y alla. Le jour où tous deux nous dîmes adieu au bon P. « Thinselin, en 1869, l’affaire fut arrangée entre M. Delpech et M. Midon : et, deux mois « après, je restais seul des trois, à Nancy. » M. Midon fit son année d’épreuve au séminaire de « Paris, et fut désigné pour le Japon. Il partit au mois d’août 1870.
En arrivant à Hong-kong, il rencontra une petite colonie japo¬naise que la persécution religieuse y avait amenée. C’étaient treize séminaristes de Nagasaki, un lettré et cinq ouvriers employés à im¬primer des livres de doctrine. Sous la conduite de M. Laucaigne, ils s’étaient d’abord réfugiés à Chang-hay, puis à Hong-kong. L’ancien collège de la mission de Canton, situé dans cette île, se trouvait alors vacant. Mgr Guillemin le mit gracieusement à la disposition de ces chers exilés et ils s’y installèrent. Mgr Petitjean avait écrit à M. Midon de rester provisoirement à Hong-kong pour partager la sollicitude de cette petite famille avec M. Laucaigne, qui relevait à peine de maladie. C’est ainsi que M. Midon commença à exercer, auprès des Japonais, le dévouement dont il devait leur donner tant de preuves dans le cours de sa vie. Son cœur si aimant et si sensible, malgré une certaine apparence de sévérité, se manifestait, chaque jour, de la manière la plus touchante, dans ses attentions délicates à l’égard de M. Laucaigne et de ses compagnons d’exil, qui, eux aussi, payèrent un large tribut à la maladie.
Après un séjour de six mois à Hong-kong, les exilés reprirent la route du Japon, et M. Midon aborda avec eux à Yokohama. Il fut appelé presque aussitôt à Nagasaki, où il enseigna le français, tout en continuant à étudier la langue japonaise. L’habitude du travail et un grand esprit d’ordre, joints à une facilité naturelle des plus re¬marquables, lui permirent de se rendre maître de cet idiome en fort peu de temps. Aussi, Mgr Petitjean, qui l’avait rappelé à Yokohama, vers la fin de 1872, n’hésita-t-il pas à le mettre à la disposition de M. le Ministre de France qui demandait un missionnaire comme in¬terprète de la Légation. Les fonctions d’interprète n’absorbèrent pas entièrement M. Midon, et il n’abandonna jamais le ministère apos¬tolique.
Frappé de son aptitude pour les affaires et de la maturité de son jugement, Mgr de Myriophyte le nomma provicaire. Cette charge ne tarda pas à peser très lourdement sur les épaules de M. Midon. En effet, Mgr Petitjean, estimant avec tous ses missionnaires que le temps était venu de diviser en plusieurs vicariats la Mission du Japon, se rendit en Europe, en 1875, pour négocier l’affaire avec le Saint-Siège. La division fut accordée, et Pie IX créa deux vicariats. Celui du Japon méridional échut à Mgr Petitjean. Il lui revenait de droit ; c’était là que Sa Grandeur avait passé les années les plus fécondes de son apostolat. Le Japon septentrional fut confié à Mgr Osouf qui, sacré à Paris, au mois de février 1877, arriva au Japon au mois de juillet de la même année. M. Midon avait donc administré la mission pendant près de deux ans. Grâce à son habile direction, les œuvres avaient continué de prospérer, malgré les difficultés qui venaient sur¬tout du petit nombre des ouvriers et du manque de ressources.
Mgr Osouf, à son arrivée au Japon, se garda bien de se priver d’un auxiliaire aussi précieux que M. Midon, bien que celui-ci, toujours désireux de redevenir simple missionnaire, demandât avec instance d’être déchargé de ses fonctions. Il les avait acceptées par obéissance, il les garda par dévouement et par déférence envers son nouvel Évêque. Il est impossible d’ailleurs de dire avec quel zèle, quelle générosité et quelle délicatesse de procédés, il remplit toujours les devoirs de sa charge.
Le fardeau de l’administration retomba de nouveau tout entier sur M. Midon en 1883. A cette époque, les besoins de la mission devin¬rent tels que Mgr d’Arsinoë dut prendre le parti de s’éloigner pour un temps du Japon, afin de recueillir quelques aumônes. Il s’embar¬qua pour l’Amérique avec M. Pettier, au commencement de novem¬bre, et ne rentra dans sa mission qu’au mois de juillet 1885. Pendant cette absence, qui avait duré près de deux ans, M. Midon avait su donner une nouvelle impulsion aux œuvres , et grande fut la joie du vicaire apostolique, à son retour, de constater la vie et l’entrain qui régnaient au Japon septentrional.
Il n’est pas étonnant qu’après ces expériences si heureuses des aptitudes du provicaire pour l’administration, les suffrages des con¬frères d’une mission voisine et ceux du Séminaire de Paris se soient unis pour proposer M. Midon au Saint-Siège, quand il s’est agi de choisir le Vicaire apostolique du Japon central, séparé du Japon méri¬dional au mois de mars 1888.
Avant de parler du sacre de Mgr de Césaropolis, qui eut lieu le 12 juin suivant, dans l’église du Sacré-Cœur, à Yokohama, il convient de mentionner les divers ministères qu’il a remplis dans cette ville, où il a passé presque tout le temps de son séjour au Japon, avant sa promotion à l’épiscopat.
Pendant 14 ans, il fut aumônier des Sœurs du Saint-Enfant Jésus ; sa sollicitude s’étendait aux religieuses, à leurs novices et postu¬lantes indigènes, aux élèves européennes et japonaises du pensionnat et aux trois cents jeunes filles de l’orphelinat. C’était en français, en japonais, qu’il devait, selon les cas, faire ses instructions et donner de pieux avis. Le matin, il célébrait la sainte messe à l’établissement des Sœurs, très éloigné de sa résidence. Il s’y rendait encore dans le cours de la journée aussi souvent que l’exigeaient ses fonctions d’aumônier, et il était toujours de la plus grande ponctualité. Com¬prenant combien cette qualité est précieuse, surtout dans les commu¬nautés et les maisons d’éducation, il savait se gêner pour ne pas se faire attendre. On remarquait en lui un dévouement sans bornes pour le bien spirituel de la maison des Sœurs , un zèle ardent mais discret pour ce qui pouvait contribuer au succès des œuvres et spécialement de l’éducation des enfants, dans un milieu où la diversité des nationalités et des besoins ajoute tant aux difficultés ordinaires ; une dignité pleine de bonté dans ses rapports avec tout le monde. Aussi son souvenir est-il resté en grande vénération à Yokohama.
Le Provicaire prêtait aussi un concours très actif aux missionnaires, qui étaient chargés des catholiques européens et japonais de la ville. Il partageait avec eux les prédications qui se font à l’église le diman¬che, en japonais, en français et en anglais. Ses instructions, très solides pour le fond et visant d’ordinaire un but pratique, plaisaient aussi par leur forme, souvent originale, mais toujours digne et sans affectation. Pendant plus d’un an, il dut ajouter à ses autres fonctions toutes celles du ministère ordinaire auprès des Européens.
M. Midon fut aussi, pendant six ans, procureur de la mission, et dans l’exercice de cette charge délicate, comme dans ses autres rap¬ports avec les confrères, il se montra constamment d’une obligeance extraordinaire. A la charité, il joignait une activité, une exactitude et une intelligence remarquable des affaires. Dans les voyages qu’il fai¬sait alors à Tokio, souvent plusieurs missionnaires se trouvaient réunis ; l’un demandait au procureur tel petit service, l’autre lui con¬fiait telle commission, etc. Tout autre que M. Midon eût pu oublier ; lui n’oubliait jamais. Il avait tout entendu et tout noté, sinon sur son calepin, au moins dans son heureuse mémoire ; et chacun recevait exactement ce qu’il avait demandé.
Cette vigilance et cette continuelle application qu’il apportait dans les moindres détails des affaires courantes, n’empêchaient pas M. Midon de suivre au dehors tout ce qui pouvait intéresser les missions du Japon. Un jour, il voit dans un journal de Yokohama que les mission¬naires français sont accusés de manquer de patriotisme, sous prétexte qu’ils n’enseignent pas la langue française. M. Midon s’empresse de relever l’accusation comme il convient. « Bien que ce ne soit pas un devoir pour le missionnaire, répond-il, d’enseigner sa « langue ma¬ternelle aux peuples qu’il évangélise ; de fait, plusieurs missionnaires du Japon « ont spontanément appris le français à de jeunes Japonais qui occupent déjà des emplois très « en vue. » L’attaque avait été injuste et violente ; la réplique fut ferme et péremptoire. A la suite de cet incident, le Punch de Yokohama, illustré par des Améri¬cains, publia dans un de ses numéros, sous le titre « Saint Michel et le Dragon » une caricature où la physionomie de l’Archange rappelait le provicaire, et celle du Dragon, l’auteur de l’accusation. C’était l’expression du jugement porté par le public. Le vaincu garda le silence. A quelque temps de là, M. Midon le rencontra sur son che¬min. Prêtre de Jésus-Christ, il salua honnêtement l’ennemi des mis¬sionnaires, comme si de rien n’était. Rentré chez lui (on l’a su depuis), ce monsieur s’empressa de dire à sa femme : « J’ai rencontré le P. Midon, il m’a salué ! » « Mais cela ne m’étonne pas, reprend la dame. » Bref, cet acte de politesse chrétienne opéra toute une révolu¬tion dans le cœur de notre adversaire, et le jour de son sacre, Mgr Midon recevait un gracieux cadeau de celui que le « Punch » avait naguère mis sous ses pieds.
M. Midon avait fait tout son possible pour décliner la charge de provicaire ; il eut beaucoup à lutter contre lui-même, quand il s’agit d’accepter l’épiscopat. La nouvelle de sa nomination le terrassa. Plu¬sieurs jours durant, il resta dans un état de véritable prostration, et il n’y eut que l’obéissance à pouvoir lui faire courber les épaules sous le fardeau. Consummatum est ! dit-il enfin à celui qu’il avait fait le confident de son intérieur. A partir de ce moment, sa vertu et son énergie le tournèrent du côté des nouveaux devoirs qui lui étaient imposés et il se prépara par la retraite à la cérémonie du sacre.
Elle eut lieu à Yokohama, en présence des confrères accourus de tous les points du Japon septentrional et des fidèles de la ville que le nouvel élu avait si souvent édifiés par sa parole et ses exemples.
Les chrétiens étaient dans l’allégresse ; les missionnaires, malgré la peine qu’ils éprouvaient à la pensée de voir s’éloigner d’eux un confrère bien-aimé, prenaient part à la joie commune ; Mgr Midon paraissait absorbé en Dieu ; il méditait sans doute les grandeurs et les devoirs de la dignité qui lui était conférée ; on eût dit, à certains moments, qu’il tremblait comme une victime au pied de l’autel.
Quelques jours après son sacre, le Vicaire apostolique du Japon central embrassait ses confrères du Japon septentrional et s’embar¬quait pour Osaka.
Le paquebot emportait en même temps Mgr Cousin, le P. Salmon et les PP. Rousseille et Monnier. La réception fut un triomphe, à Kobé d’abord, ensuite à Osaka. L’arrivée du train dans cette dernière ville fut saluée par des cris d’enthousiasme. Le nouveau vicaire apostolique et les missionnaires montèrent dans de belles calèches. Une longue file de voitures à bras conduisait les chrétiens. Le spec¬tacle dut être bien doux pour les milliers de martyrs qui avaient arrosé de leur sang la terre du Japon.
Mgr Midon avait mis dans ses armes le Sacré-Cœur avec la de¬vise : « Propter eum qui dilexit nos », qui traduisait bien sa dévo¬tion. En effet, c’était pour le bon Maître qu’il s’était résigné à quitter sa chère mission de Tokio. Pendant quinze ans, il y avait travaillé et n’y avait reçu que des témoignages de respectueuse et chaude amitié. Il sentait tout le poids du sacrifice ; mais il n’appartenait déjà plus qu’à ses nouveaux confrères. Jamais, depuis lors, nous ne l’avons entendu exprimer même un regret pour le passé. Il aimait sincèrement les nouveaux fils que Dieu lui avait donnés et il res¬sentait pour eux une affection d’autant plus vraie qu’elle était plus surnaturelle, ainsi qu’il le disait dans sa première lettre pastorale. Sa conduite le prouva surabondamment. Il avait redouté le fardeau, et pourtant, il était de taille à le porter. Rien ne lui manqua pour réa¬liser l’idéal de l’Apôtre et se montrer « forma gregis ex animo ». Mgr Midon fut un saint évêque.
Levé chaque jour avant cinq heures, en toute saison et malgré la fatigue, il consacrait une heure et demie à la méditation et à sa pré¬paration au divin sacrifice qu’il célébrait avec une piété grave et tou¬chante. La journée si bien commencée s’écoulait sous le regard de Notre-Seigneur. Je n’insisterai pas sur son inaltérable fidélité aux exercices de piété ; mais je dois signaler en passant ses longues vi¬sites au Saint-Sacrement. Il faisait partie de l’Œuvre des Prêtres Adorateurs et en remplissait les obligations avec amour. Devant le tabernacle, comme Moïse sur la montagne, il priait de toute son âme pour ceux qui luttaient dans la plaine.
Ah ! comme il nous aimait, nous, ses missionnaires ! Les plus éloignés, ceux dont la vie était plus pénible, devenaient ses enfants gâtés ! Il connaissait les moindres besoins de tous les postes. Dans ses visites pastorales, aucun détail ne lui échappait. Chez lui, la conscience de l’évêque s’alliait à la tendresse du meilleur des pères.
Le secret de sa force et de sa bonté était dans son amour pour le Sacré-Cœur . Qu’il s’agit des intérêts de la mission ou de sa sanctifi¬cation personnelle ; il ne cherchait jamais que la gloire et le bon plaisir du Cœur de Jésus.
A peine installé à Osaka, Mgr Midon voulut visiter le champ qui lui était confié ; il se rendit compte des aptitudes des ouvriers aposto¬liques, étudia les ressources du Vicariat et fit quelques changements qui permirent d’augmenter le nombre des districts. Que de fois, pen-ché sur la carte du Japon central, ne s’est-il pas demandé quand viendrait enfin le jour où il pourrait attaquer plusieurs points restés en friche, faute de bras pour les cultiver ! En attendant, il distribuait la besogne entre les confrères, sans égard pour ses sympathies personnelles, donnant à chacun ce qui lui convenait le mieux.
Homme de foi, il comptait uniquement sur Celui qui nourrit l’oi¬seau et donne au lys sa blancheur. Mais cette confiance ne l’empê¬chait pas de recourir aux moyens humains dont il pouvait disposer. Il établit la Sainte-Enfance sur un nouveau pied et partout où il y avait possibilité de réunir les enfants païens, il créa des écoles. L’espérance d’obtenir des conversions, par ce moyen-là, est à longue échéance, sans doute, mais le bien qui se produit est réel.
Mgr Midon désirait avoir une belle église à Kyoto ; son rêve se réa¬lisa. Cette ville n’est plus la capitale du Japon ; mais elle est trop à proximité des ports ouverts pour avoir perdu toute son importance. Les voyageurs y sont attirés par la beauté du site, la magnificence des monuments et l’abondance des produits artistiques. En outre, pour la population de l’intérieur, Kyoto est, comme par le passé, le centre de la religion, la ville sainte. Il fallait que le catholicisme y parût avec honneur. Entouré de ses missionnaires et de nombreux hôtes, européens et japonais, Mgr Midon bénit la première pierre de l’édifice, le 25 juillet 1889 et le 1er mai de l’année suivante avait lieu la bénédiction de l’église. Aujourd’hui les guides imprimés de Kyoto mentionnent l’église catholique et beaucoup de pèlerins des pro-vinces les plus reculées, après avoir fait leurs dévotions aux temples des faux dieux, visitent le temple du Dieu vivant. La prédication muette de ce beau monument n’est pas la moins efficace. La preuve en est que les bonzes ont pour cri de guerre : Brûlons l’église catholique. »
Cependant Mgr Midon ne négligeait pas l’administration du vica¬riat. Tous les deux ans, il faisait sa visite pastorale. En voyage, comme dans sa résidence, il observait son règlement particulier et trouvait du temps pour toute chose. Il répondait avec une scrupu¬leuse exactitude aux lettres qu’il recevait. Ses réponses toujours claires, jamais banales, avaient le don de satisfaire tout le monde.
La lame était bonne et vaillante, mais le fourreau s’usait de jour en jour. En 1890, Mgr Midon dut partir pour Hong-kong ; nous l’accompagnâmes de nos prières. Il observa héroïquement le régime prescrit par le docteur et put rentrer au Japon au bout de quelques mois, à la condition de suivre ce même régime. La santé du prélat semblait s’être améliorée : en 1892, il acheva sans trop de peine la visite de son diocèse. Une chose nous inquiétait cependant, c’était de voir que Monseigneur ne pouvait pas abandonner son régime. Aussi, lorsque au mois de novembre, une circulaire nous annonça son départ pour la France, personne ne fut-il surpris. Nous comp¬tions sur une guérison complète, et notre espoir était entretenu par les bonnes nouvelles que nous apportaient régulièrement les paque¬bots. Hélas ! c’est alors que nous arriva le foudroyant télégramme du 13 avril. Notre bien-aimé Père était mort. Le ciel avait pris sa belle âme. — Son corps repose dans le cimetière de Marseille, près de la rive d’où les navires s’élancent vers l’Orient.
Le Japon tout entier partagea notre deuil. Les télégrammes de condoléance arrivèrent de tous côtés à Osaka. A l’appel du Supérieur du diocèse, les 19 missionnaires du Japon central se réunirent à la cathédrale. Elle était tendue de noir. Un crêpe voilait le trône épis¬copal. L’assistance nombreuse se montra profondément émue. Les nattes ne suffisant plus, les chrétiens s’agenouillèrent où ils purent. Un missionnaire prononça en japonais l’oraison funèbre. Après la céré¬monie, les Pères s’assemblèrent pour écouter la lecture du testament de Mgr Midon, qui n’est qu’un cri de foi et d’amour. D’abord, comme les vieux chevaliers qui mouraient à la croisade, notre évêque bien-aimé lègue son âme à Dieu. Il remercie ce bon Maître d’avoir fait de lui un prêtre et un missionnaire ; il s’humilie à la pensée de son indignité et demande pardon des peines qu’il a pu nous causer. Il voudrait, dit-il ensuite, donner un souvenir à son cher diocèse de Nancy ; mais il est pauvre. Alors voici le moyen que lui suggère sa délicate charité : il fait partie d’une association de prêtres dans son diocèse. Au décès d’un des membres, les autres doivent célébrer une messe pour le repos de son âme. Il renonce à ces messes et prie l’Évêque de Nancy de les appliquer à telle intention qu’il voudra. « Ce n’est point, ajoute-t-il, que ma pauvre âme n’ait pas besoin de ces divins sacrifices ; mais « le bon Dieu aura pitié de son serviteur. » Certes oui, le bon Dieu a eu pitié de son fidèle et héroïque soldat. Il a dû le récompenser en particulier de ce sacrifice si généreux, quoiqu’il soit resté sans effet, car les messes étaient déjà dites quand la volonté du mourant fut connue à Nancy. Nous sommes con¬vaincus que notre cher et saint Évêque voit Dieu face à face, qu’il a déjà retrouvé là-haut les martyrs japonais. Tous ensemble ils veille-ront sur la Mission d’Osaka. »
A cette édifiante notice qui nous a été envoyée par Mgr Vasselon, nous croyons devoir ajouter quelques détails sur la maladie et la mort de Mgr Midon :
Monseigneur quitta Paris, le lundi de Pâques, pour se rendre à Rome. Le soir, il coucha à Lyon ; le lendemain, il arrivait à Marseille. D’après le conseil des médecins, et pour éviter une trop grande fatigue, Sa Grandeur avait résolu de ne voyager qu’à petites journées. Le prélat ne devait passer qu’une nuit à la procure de Marseille ; mais, le mercredi matin, il fut saisi de frissons et obligé de se mettre au lit. Une fluxion de poitrine ne tarda pas à se déclarer. Cependant l’état du vénéré malade ne parut pas très inquiétant jusqu’au mardi 11 avril. Ce jour-là, quatre médecins appelés en consultation décla¬raient que le mal s’était compliqué d’une paralysie des intestins et d’une grave affection du cœur : tout espoir était perdu et il n’y avait plus dès lors qu’à proposer au malade la réception des derniers sa-crements. Le P. Beauté s’étant acquitté de ce devoir de charité, Mgr Midon parut d’abord un peu surpris de la gravité de son état ; toutefois il consentit de grand cœur à recevoir le saint viatique et l’extrême onction, dans la nuit du mardi au mercredi. Le mercredi matin, le P. Beauté lui donna l’indulgence plénière et lui demanda de bénir les confrères présents et, en leur personne, tous les membres de notre chère Société. Sa Grandeur pria la sœur garde-malade de lui apporter son étole et, l’ayant mise, Elle bénit nos confrères d’une voix ferme et solennelle, qui s’affaiblit néanmoins aux dernières paroles. Monseigneur voulut ensuite repasser tous ses papiers avec le P. Beauté à qui il indiqua ce qu’il fallait en faire. A partir de ce moment la faiblesse du mourant augmenta avec rapidité, jusqu’à 1 h. 20 minutes de l’après-midi, heure à laquelle il rendit son âme à son Créateur.
Les obsèques de Mgr d’Osaka eurent lieu à la cathédrale, le ven¬dredi 14 avril. Mgr l’Évêque de Marseille étant alors en tournée pastorale, elles furent présidées par M. Payan d’Augery, premier vicaire général, qui fit lui-même la levée du corps. Pour donner plus de solennité à la cérémonie, l’Évêché avait invité le clergé de toutes les paroisses de Marseille. C’était un spectacle vraiment imposant de voir les 20 croix paroissiales précéder par ordre de dignité le cercueil de l’Évêque défunt ; au clergé de la ville s’était jointe une députation des élèves du grand séminaire. Derrière le magnifique corbillard qui avait été directement commandé par l’Évêché, venaient diverses délé¬guations des communautés religieuses de la ville. Monsieur Delpech, Supérieur du Séminaire de Paris, qui, malgré toute la diligence possible, n’était arrivé à Marseille qu’après la mort de Monseigneur, conduisait le deuil avec le P. Beauté et les confrères présents à la Procure. On remarquait dans le convoi Monsieur l’abbé Marnas, du diocèse de Lyon ; il s’était empressé d’accourir à la première nou¬velle du danger qui menaçait la vie de l’Évêque d’Osaka, dont il était vicaire général honoraire.
Le parcours de la procure des Missions-Étrangères à la cathédrale provisoire ne dura pas moins de trois quarts d’heure. Une foule com¬pacte était massée sur les trottoirs, dans l’attitude la plus religieuse. La cathédrale avait été richement ornée pour la circonstance. M. Payan d’Augery chanta la messe en présence des membres du chapitre et de 80 prêtres. L’assistance était nombreuse et recueillie. L’absoute fut donnée, selon la règle, par le célébrant, qui précédé de tout le clergé, accompagna le cercueil jusqu’aux portes de la ville. A partir de là, la présidence de la cérémonie échut à M. Blanquart, vicaire général et archidiacre du quartier où se trouve notre procure. Au cimetière le corps de Monseigneur d’Osaka fut placé dans le caveau des Missions-Étrangères ; c’est là qu’il repose, en attendant la résurrection.
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Références
[1075] MIDON Félix (1840-1892)
Armes. - D'azur à la barre d'argent, avec le chiffre couronné de Marie (un M. à l'antique), en chef, et en pointe une fleur de chrysanthème, tigée et feuillée de sinople ; sur le tout d'or au Sacré-Cœur de gueules.
Devise. - Propter eum qui dilexit nos.
Bibliographie. - Allocution prononcée le 19 mars 1892 dans la cathédrale de Tôkyô, à l'occasion de l'imposition du sacré Pallium à Sa Grandeur Mgr P.-M. Osouf, archevêque de Tôkyô. - Imprimé par Hakubunsha, n° 1, Shichome, Ginza, Tôkyô, in-8, pp. 9.
Acta et decreta primæ synodi regionalis Japoniæ et Coreæ Nagasaki habitæ A. D. 1890. Cum mutationibus a S. Cong. de Propaganda Fide inductis. - Typis Societatis Missionum ad Exteros, Hong-kong, 1893, in-18, pp. 125.
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1876, p. 3 ; 1884, p. 13 ; 1885, pp. 27, 28, 32 ; 1886, p. 31 ; 1887, p. 56 ; 1888, pp. 34, 46 ; 1889, pp. 46, 48 ; 1891, pp. 2, 45 ; 1892, p. 54. - A. P. F., xlix, 1877, Incendie à Yeddo, p. 261 ; li, 1879, p. 203 ; lviii, 1886, Audience accordée par le Mikado à Mgr Osouf, p. 24 ; lx, 1888, p. 412 ; lxv, 1893, p. 319. - A. S.-E., xliv, 1893, pp. 256, 288, 291 ; xlv, 1894, p. 300. - M. C., vii, 1875, pp. 2, 3, 135 ; viii, 1876, Les chrétiens et les autorités japonaises, pp. 14, 98 ; Ib., p. 189 ; ix, 1877, Incendie de Yeddo, p. 86 ; x, 1878, Inauguration de l'église de Yeddo, p. 506 ; xvii, 1885, Etude sur la question religieuse au Japon, p. 18 ; xx, 1888, Sa nomination d'évêque et son sacre, pp. 113, 314 ; Ib., pp. 387, 488, 620 ; xxii, 1890, Conversion des descendants de saint Jacques Ichikawa Kizaemon, p. 620 ; xxiv, 1892, Progrès de la foi au Japon, p. 274 ; xxv, 1893, Sa mort, pp. 180, 192 ; Ib., p. 215.
B. O. P., 1893, p. 711. - Sem. rel. Lorraine, 1872, p. 514 ; 1891, p. 127 ; 1893, p. 291 ; 1899, p. 298 ; 1900, p. 1031 ; 1901, p. 498. - Sem. rel. Besançon, 1882, p. 211. - Sem. rel. Limoges, 1875, p. 90. - Le Lorrain, 1893, n° du 15 avril. - Echo N.-D. de la G., 1893, p. 409.
Le culte de N.-D. de Lourd., p. 51. - La Rel. de Jésus, ii, pp. 201 et suiv., 273, 304, 329 et suiv., 336, 339, 349, 488, 492, 511, 520 et suiv., 521. - Arm. des Prél. franç., p. 264.
Notice nécrologique. - C.-R., 1893, p. 269.
Biographie. - Mgr Midon, évêque d'Osaka (avec portrait), par l'abbé Marin docteur ès-lettres, lauréat de l'Académie française, professeur à La Malgrange, avec une préface de Mgr A. Hacquard, vicaire apostolique du Sahara et du Soudan, et sous le patronage de Mgr Turinaz, évêque de Nancy. - P. Lethielleux, libraire-éditeur, 10, rue Cassette, Paris, in-8, pp. xv-360.
Comp.-rend. : M. C., xxxiii, 1901, p. 348. - Sem. rel. Lorraine, 1901, p. 591.
Portrait. - M. C., xxv, 1893, p. 210. - La Rel. de Jésus, ii, p. 524. - Voir Biographie.