Georges MOLLARD1849 - 1923
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 1208
- Bibliographie : Consulter le catalogue
Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Vietnam
- Région missionnaire :
- 1874 - 1885 (Hanoi)
Biographie
Georges, Marie MOLLARD naquit le 14 janvier 1849, à Ontex, petite commune perchée sur une montagne qui domine le lac du Bourget, diocèse de Chambéry, département de la Savoie. Né dans une famille chrétienne nombreuse, l'école révéla ses aptitudes intellectuelles. Georges Marie fit ses études primaires dans son village natal. Vers 14-15 ans, il commença ses études de latin au presbytère de sa paroisse, et en 1865, entra au petit séminaire de St. Pierre d'Albigny, où il se montra un élève travailleur méthodique et tenace, remportant de nombreux prix.
Le 8 septembre 1871, il arriva laïque, au séminaire des Missions Etrangères. Il fut un aspirant ardent aux études,au jeu, aux grandes marches mais aussi un excellent confrère auquel fut confiée la charge d'infirmier. Tonsuré le 25 mai 1872, minoré le 21 décembre 1872, sous-diacre le 7 Juin 1873, diacre le 20 décembre 1873, il fut ordonné prêtre le 30 mai 1874, reçut sa destination pour le Vicariat Apostolique du Tonkin Occidental (Hanoï) qu'il partit rejoindre le 15 Juillet 1874.
Retenu quelques semaines à Saïgon, où Mgr. Puginier défendait les intérêts religieux du Tonkin, dans les négociations du traité de 1874. M.Mollard commença l'étude de la langue, puis, sous la conduite de M.Dumoulin, secrétaire de Mgr. Puginier, il arriva au Tonkin. M. Cosserat, administrateur intérimaire du Vicariat, le garda près de lui, au séminaire de Hoàng-Nguyên, et le confia à un catéchiste qui devint son maitre de langue. Servi par une mémoire exceptionnelle, le 27 septembre 1874, M. Mollard donna avec succès son premier sermon en viêtnamien. Ensuite, pendant quelques mois, il fut envoyé à Bai-Vang, non loin de Hoàng-Nguyên pour améliorer son viêtnamien, qu'il arriva à parler avec une rare perfection. De là, il partit s'exercer à la pratique du ministère pastoral auprès de M.Cadro, chef du district de Ke-Vinh, dans le sud de la province de Nam-Dinh.
Au mois d'août 1876, Mgr. Puginier le nomma professeur de dogme au grand séminaire de Ke-So. Au départ de M.Perreaux pour le Laos, M.Mollard lui succéda comme supérieur du grand séminaire, et à l'enseignement du dogme, il ajouta celui de la morale, tout en s'occupant de la paroisse de Ke-So,et des villages environnants. Il fonda les chrétientés de Thuong-To et de Binh-khe.Il resta seul au grand séminaire.de 1880 à 1882; à cette date, il céda les cours de dogme à M.Berthet. En cette période troublée, Il dût aussi assurer la sécurité du séminaire et des chrétientés contre les attaques des Pavillons Noirs" et des pirates.
Vers la fin de 1885, rappelé à Paris, il quitta sa mission, et fut reçu directeur du séminaire des Missions Etrangères, le 4 janvier 1886. Il enseigna le dogme,(2ème-3ème année) puis l'Ecriture Sainte en 1899, la liturgie, le chant. En 1901, Il fut chargé des cérémonies et de la bibliothèque. En 1904, il fit un pélerinage en Terre Sainte et en rapporta un cahier de notes pour compléter son enseignement.
En 1909, M.Compagnon, ayant été chargé des cours d'Ecriture Sainte et de Liturgie. au séminaire de Paris. M.Mollard passa à la communauté de Bièvres,y assurant l'enseignement de l'Ecriture Sainte, de la Liturgie et du chant. Pendant la guerre de 1914, il exerça, en plus, la charge de curé à la paroisse de Bièvres.
Homme de régularité et de piété, ses cours étaient soigneusement et méthodiquement préparés. Soucieux de la précision dans les moindres détails, on sentait qu'il maitrisait les matières qu'il devait enseigner. Mais son débit était monotone; trop esclave de son manuel, il avait du mal à maintenir l'attention de ses élèves. Dans les questions controversées, sa discussion devenait vive et ardente pour faire sortir la vérité: celle-ci apparaissait alors sous les allures rustiques d'une paysanne de Savoie, au verbe haut et rude, les manches retroussées, les poings sur les hanches. Sa mémoire extraordinaire des textes sacrés, laissait croire qu'il connaissait l'Ecriture par coeur.
A la fin de septembre 1922, le coeur remplissant mal ses fonctions normales, M.Mollard dût s'aliter durant un mois. En juin 1923, il demanda à prendre sa retraite à Bel-Air; après six semaines passées au pays natal, sa santé semblait s'être fortifiée, il revint au séminaire.
Le samedi 20 octobre 1923, à 20h30, après diner, il se trouvait au second étage du séminaire, en compagnie de trois confrères dont M. Soubeyre, du Tonkin Maritime, et il devisait avec entrain. Tout à coup,ses bras s'allongèrent sur la table, et sa tête s'inclina. M.Parmentier se procura les saintes huiles, et lui fit une onction sur le front.
Ses obsèques présidées par Mgr.de Guébriant eurent lieu le 23 octobre 1923, à 10 heures, puis sa dépouille mortelle fut conduite dans le cimetière du parc de Bel-Air. auprès de celles de MM.Favreau, Metge, Armbruster et Rouseille.
Nécrologie
M. MOLLARD
DIRECTEUR AU SÉMINAIRE DES MISSIONS-ÉTRANGÈRES
M. MOLLARD (Georges-Marie), né à Ontex (Chambéry, Savoie), le 14 janvier 1849. Entré laïque au Séminaire des Missions-Étrangères, le 8 septembre 1871. Prêtre, le 30 mai 1874. Parti pour le Tonkin Occidental, le 15 juillet 1874. Directeur du Séminaire des Missions-Étrangères, le 4 janvier 1886. Mort au Séminaire de Bièvres, le 20 octobre 1923.
M. Mollard était, au Séminaire de Paris, le plus ancien représentant de ce passé qui, a-t-on dit, « ne fut pas sans grandeur. » Professeurs actuels du Séminaire et membres de l’Administration ont été ses élèves et, parmi les missionnaires qui travaillent dans les missions de la Société, un bon millier l’ont eu pour maître. C’est donc faire acte de piété filiale que de conserver les principaux traits de cette belle figure de prêtre, d’en distinguer le relief, des ombres qui le font ressortir, ainsi que dans une famille en conserve avec amour le portrait d’un aïeul.
Ontex est une petite commune de Savoie, perchée sur une montagne qui domine le lac du Bourget et la riante vallée de Chambéry. C’est là que, le 14 janvier 1849, naquit Georges-Marie Mollard, d’une famille nombreuse, très chrétienne et cultivant ses terres.
Les notes que nous avons sur sa première jeunesse sont bien incomp¬lètes, mais il nous est facile d’en combler quelques lacunes : A soixante-dix ans sonnés, la vieillesse ne l’avait guère atteint que par la neige abondante qui était tombée sur les cheveux et sur la barbe ; aucune ride n’avait rayé son visage ; le poids des ans n’avait alourdi ni ses gestes ni sa marche et sa barbe chenue, courte mais bien fournie ne faisait que mieux ressortir le teint rose des pommettes. On aimait à lui dire, et il aimait à l’entendre : « Père Mollard, vous resterez toujours jeune. »
Il est donc facile de se faire une image assez exacte du petit pâtre menant paître son troupeau à travers les chemins escarpés de la montagne. Petit de taille, maigrot mais sanguin, bien découplé, très éveillé et le jarret solide. Il devait aimer à réveiller de sa voix les échos de la montagne et il aimait les jeux. C’est dans les sites poétiques de ses montagnes, en pleine liberté de ses ébats, en escaladant les rochers abrupts, en grimpant à la cime des arbres à la poursuite des écureuils ou en courant les lièvres à travers champs, que le petit Georges acquit la belle santé, la belle humeur et l’énergie qui bravent les obstacles.
L’école allait révéler ses aptitudes intellectuelles, et, l’église développer la piété qui germait déjà dans son cœur par les soins d’une mère profondément chrétienne. « Il fut le premier à l’église, à l’autel, et à l’école, » disent les notes que nous possédons. De bonne heure, le curé de la paroisse dut distinguer le petit bonhomme qui, nous le devinons, devait réciter son catéchisme d’une façon imperturbable, sans respirer et sans oublier un iota. Au pied de sa montagne, sur les bords du lac du Bourget que célébra Lamartine, s’élève l’antique abbaye de Hautecombe : c’est là que l’enfant se rendait souvent et aimait à prier ; là aussi sans doute, qu’il confiait à Dieu les premières aspirations vers le sacerdoce que le bon curé avait fait naître en lui.
Il avait quatorze ou quinze ans quand il commença les études de latin au presbytère. Les progrès furent rapides et, en 1865, il entra en quatrième au petit séminaire de Saint-Pierre d’Albigny. « Doué d’une intelligence remarquable secondée par un travail méthodique et tenace, il se plaça bien vite à la tête de la classe, remportant chaque année de nombreux prix. C’est à cette époque que se dessina nettement sa voca¬tion de futur missionnaire. Son esprit de recueillement et de piété marchait de pair avec ses succès scolaires. » (La Croix de Savoie. Nº du 4 novembre.)
Le 8 septembre 1871, il entra au Séminaire des Missions-Étrangères. « Nous entrions au réfectoire, après le salut du Saint-Sacrement, écrit un de ses contemporains, quand nous vîmes le vénéré supérieur, M. Delpech y amener deux nouveaux aspirants : l’un d’eux, encore laïque, paraissait timide et embarrassé dans son attitude ; c’était M. Mollard. Il se mit rapidement au courant des coutumes du séminaire ; il était alerte au jeu, ardent aux longues marches, mais surtout excellent confrère, doux, aimable avec tous, d’une piété qui édifiait tout le monde, et d’une intelligence qui le plaçait au premier rang parmi les aspirants de l’époque. Ses réponses aux classes de théologie, ses succès brillants aux examens le mettaient presque hors de pair. Au séminaire de Paris, il fut nommé infirmier, et il s’acquitta de sa fonction auprès des malades avec un dévouement de Sœur de Charité. »
Il fut ordonné prêtre le 30 mai 1874, reçut sa destination pour le Tonkin Occidental et partit le 15 juillet suivant.
Pour ceux qui ont vu M. Mollard à l’œuvre ou ont vécu quelque temps avec lui, il est facile de comprendre, en remontant de l’effet à la cause, combien devait être forte et absolue, chez le jeune partant, la conception du devoir qui fut la règle inflexible de tous ses actes. Dès le premier jour de son arrivée en mission, il se mit à la tâche avec une volonté qui ne néglige aucun détail.
Il fut retenu quelques semaines à Saïgon où son évêque, Mgr Puginier, défendait les intérêts religieux des missions du Tonkin, dans les délibérations préliminaires du traité de 1874 entre la France et l’Annam. A Saïgon même, il entreprit aussitôt l’étude de la langue annamite. Il arriva enfin au Tonkin, sous la conduite de M. Dumoulin, secrétaire de Mgr Puginier. M. Cosserat, alors administrateur intérimaire du Vicariat, le garda près de lui, au séminaire de Hoangnguyen. Ses progrès en annamite furent très rapides : dès le premier jour, — il faut retenir ce détail — il signifia au catéchiste, son maître de langue, qu’il ne devait pas lui pardonner la moindre faute. Telle fut la puissance de cette méthode, servie par une mémoire exceptionnelle, que le 27 septembre, moins de trois mois après son départ de Paris, M. Cosserat écrivait de lui : « Le P. Mollard fait merveille en langue annamite ; il a prêché ce matin un petit sermon composé hier. » A Noël, écrit Mgr Gendreau, il donna un sermon qui fut compris clairement de toute l’assistance. »
Il arriva à parler la langue annamite avec une rare perfection, « aussi bien qu’un lettré », écrit un confrère. « Il était supérieurement doué pour la prononciation nette, claire, coulante de l’annamite, et sous ce rapport il n’a été égalé, soit alors, soit depuis, que par très peu de missionnaires de ce Vicariat. » (Lettre de Mgr Gendreau.)
Il conserva jusqu’à la fin de sa vie un amour de prédilection pour cette langue qui fut celle de son apostolat. « En 1916, c’est-à-dire plus de trente ans après son retour du Tonkin, écrit un missionnaire, quand j’allai le visiter à Bel-Air, je fus étonné de voir avec quelle pureté d’accent il la parlait encore. Dans la conversation, je prononçai mal le nom d’un village (qu’il n’avait pas dû visiter souvent) et de suite il corrigea en me disant avec un fin sourire : De mon temps, on disait... autrement. »
Mgr Puginier, de retour de Saïgon, laissa son jeune missionnaire continuer à se livrer, pendant quelques mois encore, à l’étude de la langue, à Baivang près de Hoangnguyen ; il l’envoya ensuite s’exercer à la pratique du ministère, auprès de M. Cadro, actuellement doyen de la mission et alors chef du district de Kevinh, dans le sud de la province de Namdinh.
Sur les renseignements très élogieux envoyés de Paris, Mgr Puginier avait donné à M. Mollard le nom annamite de « Co Tri » (le Père « Le Savoir ») ; en raison de ces mêmes renseignements, au mois d’août 1876, il le nomma professeur de dogme au grand séminaire de Keso. Au départ de M. Perreaux pour le Laos, M. Mollard lui succède comme supérieur du grand séminaire et à l’enseignement du dogme, il dut ajouter celui de la morale ; du reste, il resta tout seul au grand séminaire de 1880 à 1882 ; date où il céda le cours de dogme à son compatriote et ami, M. Berthet. Ces multiples charges ne l’empêchaient pas de s’occuper de l’importante paroisse de Keso : tous les soirs, il allait confesser à l’église. Il s’occupa aussi de l’évangélisation des villages environnants : Le mercredi, jour de congé, il emmenait ses élèves dans un de ces villages ; là, on préparait le repas, pendant que le Père parlait de religion avec les notables païens. Bientôt il y eut des demandes de conversion : c’est ainsi que furent fondées entre autres les chrétientés de Thuongto et de Binhkhe ; le Père les confiait à des catéchistes et allait les visiter souvent. Aujourd’hui encore, ces vieux chrétiens gardent de lui un reconnaissant souvenir.
Vinrent les heures tragiques où les « Pavillons noirs » dans leur œuvre d’extermination des chrétiens, mettaient tout à feu et à sang dans les chrétientés, tandis que dans les citadelles, les soldats français, l’arme au pied mais la rage au cœur, avaient pour consigne de ne pas bouger. Un jour, un centre catholique important était assiégé par les pirates ; M. Mollard courut demander du secours aux troupes françaises qui se trouvaient à proximité ; mais le commandant français, se basant sur les ordres reçus, n’osait pas engager le combat. Le sang de l’Allobroge bouillonne dans les veines du missionnaire ; il supplie, implore et s’indigne. La consigne est formelle ; les troupes se retirent ; le village est incendié, détruit et les chrétiens massacrés.
Fallait-il donc se laisser égorger par ces bandes — non pas de soldats réguliers mais d’assassins — alors qu’une défense bien légitime pourrait sauver au moins quelques chrétientés de l’anéantissement total ?
M. Mollard, ainsi que d’ailleurs d’autres missionnaires, ne le jugea pas ainsi : Il organisa une petite milice avec ses chrétiens valides et, par son exemple, redressa leur courage à la hauteur du sien. Plus tard, le général Brière de l’Isle dira de lui : « Le Père Mollard eut fait un bon général. » Un jour, une bande de Pavillons noirs est annoncée ; ils sont deux cents. Le Père rassemble ses hommes ; ils sont trente. Sans doute, évoquant une parole célèbre, leur dit-il alors : « Ils sont 200, nous sommes 30, la partie est égale. » Les « Pavillons noirs » arrivent par la route mandarine. La petite troupe des chrétiens part à leur rencontre par un chemin de traverse ; comme les rizières sont inondées, on ne peut marcher de front, mais l’un après l’autre, le Père en tête de file. Bientôt, deux chefs des pirates quittent la grand’route et pren-nent le sentier pour aller au devant du Père ; celui-ci s’avance de son côté à leur rencontre. Le premier des pirates décharge son arme sur le Père et le manque. La riposte ne se fait pas attendre et en un instant, les deux chefs sont abattus. Que firent les autres bandits ? Ce que firent les Philistins après l’exploit de David : Ils déguerpirent. « Fugerunt. » Rentrés au village, les chrétiens de M. Mollard devinrent des lions et ils sauvèrent leurs foyers en montrant qu’ils étaient prêts à les défendre. Cependant, l’ardeur de l’action étant passée, l’homme de paix qu’est le missionnaire conçut des inquiétudes amères au souvenir du sang répandu ; les apaisements vinrent de très haut, de Rome même, et dès lors il n’éprouva aucun doute de conscience sur la légitimité de sa défense.
La pacification du Tonkin s’opérait enfin peu à peu et les missionnaires voyaient déjà croître les moissons prochaines dont l’ensemencement avait, coûté tant de larmes et tant de sang ; « Sanguis martyrum, semen christianorum. » C’est alors que M. Mollard fut rappelé en France comme directeur du Séminaire de Paris. Sa peine fut grande, mais le devoir était sa règle ; il partit. Il resta toujours en relation avec ses prêtres indigènes et un de ses catéchistes. « Ici, je suis bien mieux qu’au Tonkin, à tous les points de vue, leur écrit-il un jour, mais je n’ai pas le principal : c’est vous qui me manquez, c’est ma chère Mission. »
Il quitta cette Mission si chère vers la fin de 1885 et fut reçu Directeur du Séminaire des Missions-Étrangères, le 4 janvier 1886.
Il n’est pas facile de résumer ces trente-sept années de sa vie consacrées entièrement et sans répit à la formation intellectuelle et morale des aspirants. Il fut successivement ou simultanément professeur de dogme, d’Ecriture Sainte, de liturgie et de chant. De toutes ces matières d’enseignement ecclésiastique, il n’en est aucune à laquelle il n’ait donné un égal labeur de préparation, un égal souci de la vérité ; à toutes il ¬appliqua avec rigueur la méthode qu’il avait employée pour l’étude de la langue annamite : Recherche de l’exactitude jusque dans les plus minutieux détails. Aussi comme on sentait qu’il possédait vraiment la science qu’il était chargé d’enseigner !
Dans les questions controversées, il avait le sens de la vérité qu’il puisait spontanément dans les grands principes gravés dans sa mémoire. Sa discussion était vive, ardente ; il était trop facile de le faire monter à l’échelle, comme on dit. Alors la vérité apparaissait, non pas telle qu’on la représente sortant- du puits, mais sous les allures rustiques d’une paysanne de Savoie, au verbe haut et rude, les manches retroussées et les poings sur les hanches. On aimait à évoquer cette apparition ; on l’aimait beaucoup trop, car le bon professeur ne savait pas soupçonner l’intention espiègle de ces objections, parfois naïves et insignifiantes, dont le but n’était souvent que de rompre la monotonie de ses démonstrations trop esclaves du manuel et trop riches de textes de l’Ecriture et de la Tradition. Ce fut là, il est permis de le dire, le seul défaut de son enseignement : il ne savait pas commander l’attention de ses élèves ; son débit était monotone, manquait du geste qui cadence la phrase et, pour tout dire, il manquait de ce qui faisait dire à la Bruyère des prédicateurs de son temps : « Il faut savoir aujourd’hui très peu de chose pour bien prêcher. »
Le rôle du professeur de dogme est celui du guide à l’égard du touriste qui veut faire l’ascension d’une montagne ; ce guide ne déraidit pas la pente, il aide à la monter ; le « labor improbus » demeure la condition du succès. On rêve toujours de manuels de théologie qui réduisent de plus en plus ce « labor improbus » de l’élève ; ils deviennent tellement élémentaires que les éléments, c’est-à-dire les preuves d’Ecriture et de tradition y sont à peu près supprimés ; et ils sont à la vraie théologie ce que le stuc est à la pierre. On trouverait peut-être le vrai point faible des études théologiques dans nos missions, et même ailleurs, si l’on pouvait se convaincre que le jeune étudiant qui commence sa théologie après des études classiques à peine ébauchées, avec une mémoire mal exercée et des notions de philosophie trop incomplètes, est semblable au touriste qui, pieds nus, veut gravir le mont Blanc.
Qu’on pardonne cette disgression, si disgression il y a, car telles étaient bien les idées de M. Mollard. Voilà pourquoi, ayant lui-même le manuel de Hurter pour guide, il n’éliminait pas les difficultés, et il n’admettait pas qu’on mutilât les textes. Exagérait-il ? Peut-être. Mais si l’on admire le littérateur qui débite avec à-propos des tirades de Virgile ou d’Horace, est-il moins honorable pour le prêtre et le théologien de retenir et de citer avec le même à-propos et la même exactitude les textes de l’Ecriture, son livre classique- par excellence ?
On ne pouvait s’empêcher d’admirer et d’envier chez M. Mollard, cette mémoire des textes sacrés ; on aurait dit qu’il connaissait par cœur toute la Sainte-Ecriture. Que de fois, clans une discussion, un texte cité par lui donnait la solution exacte ! En 1904, il fit le pèlerinage de Jérusalem où s’aviva encore son amour de l’Ecriture Sainte. Il en rapporta un cahier de notes dans lesquelles il puisait les explications qu’il donnait dans son cours. A bord du navire, le P. Bailly donnait souvent des conférences aux pèlerins ; le P. Mollard se tenait près de lui. Parfois, le conférencier, déjà bien âgé, cherchait un texte de l’Ancien Testament ; le mot ne venant pas, il se tournait vers le P. Mollard qui aussitôt récitait le texte désiré.
Il est un enseignement que M. Mollard donna encore, au séminaire, sans répit, jusqu’à son dernier soupir, et qu’aucune critique n’effleura jamais : c’est l’enseignement de la régularité et de la piété.
Un jour, avec un missionnaire qui lui était uni par les liens d’une forte amitié, il alla faire une retraite à l’abbaye de Hautecombe où il devait aimer à retremper sa piété dans les souvenirs pieux de son enfance. Il y avait au monastère un religieux bien connu par ses hautes vertus et mort depuis en odeur de sainteté. Dans un entretien particulier avec lui, le missionnaire lui exposa qu’autrefois il avait fait le vœu de se faire moine après vingt ans d’apostolat, que le temps était passé et qu’il persévérait dans son dessein. Le saint homme demanda à réfléchir un jour, et le lendemain, il répondit que rien n’est au-dessus de l’apostolat et que par conséquent le vœu était nul. De son côté et sans entente préalable, le P. Mollard s’ouvrant au moine lui dit aussi qu’il désirait entrer au monastère. — Non, lui répondit l’homme de Dieu, n’y entrez pas ; restez où vous êtes et soyez un « moine enseignant ». Les deux amis, au lendemain de la retraite se racontèrent chacun la petite scène et c’est ainsi qu’elle a pu nous être communiquée.
Moine enseignant ! Ces deux mots résument toute la vie de M. Mollard au Séminaire. Moine, il le fut par sa régularité, sa piété et sa bonne humeur qui est la marque des âmes qui se complaisent dans la paix de leur conscience et l’accomplissement de leur devoir. On peut dire que tous ses actes de la journée étaient réglés avec le souci des détails qu’il mettait à enseigner les rubriques et à les faire observer.
Sa piété, si éclairée par sa science théologique et sa connaissance de l’Ecriture Sainte, était simple et communicative ; elle lui donnait le maintien extérieur du petit enfant qui prie avec ferveur sous le regard de sa mère. Qui ne l’a vu dans le parc de Bel-Air, après une promenade mouvementée à travers bois, ou à la fin de jeux où il n’était ni le moins actif ni le moins bruyant, se retirer dans une allée solitaire, presser des deux mains son bréviaire, incliner la tête sur la poitrine et dans un clignement violent des paupières fermer les yeux à la lumière comme pour ne voir plus que Dieu qu’il va invoquer ? Son patriotisme ardent lui rendait particulièrement chère la dévotion aux Saints de la Patrie, à sainte Jeanne d’Arc et à saint Michel. « Une fois nous allâmes tous deux au Mont Saint-Michel, nous écrit un missionnaire, et y passâmes quarante-huit heures. Un matin, nous étions en prière dans la vieille église, devant la superbe statue de l’Archange. Nous avions un cantique nouveau ; je me mis à le murmurer doucement. Aussitôt le P. Mollard le prend et le chante à pleine voix ; je fais comme lui : « Saint Michel ! Saint Miche ! Voici tes chevaliers ! » Quelques dames priaient dans l’église... » Elles durent croire à l’apparition de deux pèlerins chevaliers du moyen âge. Il fit de nombreuses visites aux sanctuaires de Notre-Dame de Lourdes et de la Salette... Mais il faut nous borner.
La fatigue de la vieillesse n’a pas prise, semble-t-il, écrit un confrère du Séminaire de Bel-Air, sur ce corps nerveux, agile, tout en ressort. Pourtant, les années s’ajoutent aux années. On parle de noces d’or qui approchent : fin mai 1924. Qui voudrait douter qu’on ne puisse y atteindre ? Le doute s’est imposé cependant lorsqu’à la fin de septembre 1922, le bon Père Mollard subitement indisposé doit s’aliter. Il reste très souffrant pendant un mois, inspirant des craintes sérieuses, car le cœur ne remplit plus ses fonctions normalement. Il se relève cependant, mais affaibli et tenu à des précautions gênantes.
Aux vacances 1923, il va passer six semaines en Savoie. Il jouit avec bonheur de ce séjour au pays, entouré des soins affectueux de ses frères, nièces et neveux. Lorsqu’il revient à Bel-Air, il se proclame guéri et il sembla en effet avoir retrouvé la vigueur et l’agilité d’autrefois. Mais ce n’était là qu’une apparence et lui-même sentait bien qu’il lui fallait continuer le régime prescrit par le médecin.
Le 20 octobre, un missionnaire du Tonkin, M. Soubeyre vient à Bel-Air. M. Mollard est heureux de causer avec lui de son cher Tonkin. Après le repas du soir, on monte au deuxième étage pour passer la récréation dans la salle qui lui est affectée : les confrères font remarquer que M. Mollard a gravi l’escalier plus vite qu’aucun autre, et lui-même sourit joyeusement. La récréation se passe avec entrain. Outre M. Soubeyre, se trouvaient là MM. Parmentier, Misson et Adeux. Tout à coup, un peu après huit heures et demie, M. Mollard laisse tomber ses mains et sa tête s’incline comme pour se poser sur la table devant laquelle il est assis. — « Qu’avez-vous donc, Père Mollard ? » — Mais il n’entend plus, il a perdu connaissance. On l’entoure, on se dispose à le porter sur un lit. Mais on n’en aura pas le temps : vite, une dernière absolution. En hâte les saintes Huiles sont apportées de la sacristie, mais lorsque une onction lui est faite sur le front, le pauvre Père ne donne plus aucun signe de vie. La mort a fait son œuvre en une minute, peut-être deux ; il est si difficile d’apprécier le temps en pareille émotion. Il semble que ce terrible passage de vie à trépas s’est fait sans souffrance car aucune contraction du visage n’a été aperçue ; rien qui ressemble à l’agonie. Le médecin appelé aussitôt était là un quart d’heure après ; il ne peut que constater le décès dû à l’apoplexie.
Mort subite mais non imprévue car notre vénéré Père se tenait prêt à paraître devant Dieu. Il s’était confessé le matin même de ce samedi : Marie Immaculée a voulu appeler à elle son dévot serviteur, au jour même qui lui est consacré.
Monseigneur de Guébriant voulut présider les funérailles qui eurent lieu le mardi 23 octobre. Sa Grandeur chanta la messe et donna l’absoute ; puis M. Boulanger, assistant du Supérieur, conduisit le corps à notre cimetière de Bel-Air où il repose côte à côte avec ceux qui furent ses collègues et qui l’ont précédé dans la tombe : MM. Favreau, Metge, Armbruster et Rousseille. »
~~~~~~~
Références
[1208] MOLLARD Georges (1849-1923)
Références bibliographiques
AME 1892 p. 567. 1900 p. 269. 1902 p. 199. 1909 p. 216. 217. 1914 p. 20. 1919-20 p. 440. 585. 1922 p. 159. 1923 p. 236. 1939 p. 198. CR 1874 p. 39. 1885 p. 137. 1886 p. 146. 1889 p. 240. 1892 p. 255. 1898 p. 264. 1899 p. 291. 1900 p. 225. 259. 1901 p. 278. 1904 p. 289. 1907 p. 320. 426. 1908 p. 155. 1909 p. 253. 302. 1910 p. 295. 1913 p. 306. 1919 p. 119. 1923 p. 176. 204. 1935 p. 363. 1940 p. 120. 121. 144. 1947 p. 211. 1953 p. 49. BME 1922 p. 15. 1923 p. 456. photo p. 386. 1924 p. 65. 1925 p. 58. 1931 p. 878. 1939 p. 168. 1940 p. 58. 1949 p. 666. 1951 p. 743. EC1 N° 12. 21. 23. 33. 38. 49. 71. 72.
Janvier 1995
Mémorial MOLLARD Georges, Marie page