Jean MAILLARD1851 - 1907
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 1521
Identité
Naissance
Décès
Missions
- Pays :
- Vietnam
- Région missionnaire :
- 1882 - 1907 (Qui Nhon)
Biographie
[1521]. MAILLARD, Jean-Donat (Donatien-Etienne), né dans la paroisse de Domprel, commune de Grand-Fontaine-sur-Creuse (Doubs), le 6 août 1851, fit ses études au petit séminaire de N.-D. de Consolation, non loin d'Avoudrey, au séminaire de philosophie à Vesoul, et au grand séminaire à Besançon. Il fut ordonné prêtre le 27 août 1876, exerça le ministère à Aïssey pendant un an, puis, ayant suivi Mgr Besson dans le diocèse de Nîmes, il fut vicaire à Bagnols-sur-Cèze pendant quatre années.
Il entra au Séminaire des M.-E. le 11 juillet 1881, et en partit le 12 avril 1882 pour la Cochinchine orientale. Il débuta à Vinh-minh, fut vicaire en 1883 dans le district de Gia-huu, et en 1884 reçut la direction du district de Phu-thuong, dans la province du Quang-nam. Un an plus tard, au moment de la persécution occasionnée par l'expédition française au Tonkin, il organisa ses chrétiens pour résister aux païens, et, de septembre 1885 à juillet 1886, repoussa quatre assauts.
Par ses instances auprès des autorités militaires, le district de Tra-kieu, voisin du sien, fut délivré des bandes armées qui ne cessaient de l'attaquer. Grâce à son énergie, 900 catholiques bloqués sur les collines de Trung-son furent sauvés, et, pendant deux ans, il aida au ravitaillement de ceux qui s'étaient réfugiés à Tourane. Ses chrétiens, qui avaient commencé par redouter son caractère vigoureux, lui vouèrent une profonde affection et lui donnèrent le titre de sauveur de Phu-thuong " qu'il avait bien mérité. Dénoncé aux autorités françaises pour sa conduite que l'on qualifiait de belliqueuse, il alla trouver Paul Bert et se justifia si bien, que le gouverneur général donna l'ordre de le laisser agir à sa guise.
Les troubles finis, il se rendit en Chine pour s'initier à tout ce qui concerne la manipulation du thé, et, à son retour, il propagea la culture de cette plante ainsi que celle du café. Ayant acquis des terrains, il les partagea entre ses chrétiens, auxquels il fournit des fonds et des plants. D'autre part, il transforma en rizières, non sans peine, des terrains salés aux environs de Tourane ; et ainsi, par ses soins, la région prospéra. Ces services furent reconnus par la décoration du Mérite agricole, et par sa nomination de membre de la Chambre d'agriculture et de commerce de l'Annam. Ses succès apostoliques ne furent pas moindres : il fonda plus de vingt chrétientés, dont les deux tiers ont formé le district de Le-son. Un colon, ennemi des missionnaires, ayant jugé à propos de l'attaquer, il y répondit par une brochure dont la publicité fut assez grande, et força son adversaire au silence sur ce qui concernait Phu-thuong.
Malade en 1904, il alla se faire soigner à Tourane et à Hong-kong. Aucune amélioration n'en étant résultée, il retourna à Phu-thuong, y continua ses travaux tant qu'il eut quelques forces.
Devenu incapable de célébrer la messe, il allait communier à l'église. Comme on lui faisait observer qu'il pouvait recevoir la communion dans sa chambre, il répliqua : " Tant que j'aurai un brin de force, le bon Dieu ne se dérangera pas ; j'irai le recevoir chez lui ; quand je ne pourrai plus, alors, Il viendra. " Il succomba le 20 mai 1907. Très souvent il avait déclaré : " Je veux mourir debout et tout d'une pièce. " Le mot peint l'homme ; mais on ne meurt pas comme on veut. Tout au moins, les œuvres qu'il a fondées sont debout et prolongeront son souvenir. Il fut enterré dans l'église de Phu-thuong qu'il avait construite.
Nécrologie
M. MAILLARD
MISSIONNAIRE APOSTOLIQUE DE LA COCHINCHINE ORIENTALE
Né le 6 août 1851
Parti le 12 avril 1882
Mort le 20 mai 1907
« Je veux mourir debout et tout d’une pièce », m’avait dit plusieurs fois M. Maillard, et, connaissant son indomptable énergie, je n’ai jamais douté qu’il ne mourût debout. Mais « mourir tout d’une pièce » ne dépendait pas de lui. Et, de fait, le bon Dieu lui envoya une longue et douloureuse maladie (tumeur cancéreuse de l’intestin) qui le détruisit par lambeaux, et ne lui enleva la vie qu’après deux ans de souffrances héroïquement supportées.
« Né le 6 août 1851, à Grandfontaine-sur-Creuse, au diocèse de Besan¬çon, Donat-Etienne Maillard reçut de ses parents très chrétiens une foi robuste et des habitudes de piété et de travail qu’il conserva toute sa vie. Il commença ses études en sixième au séminaire de Consolation ; puis il entra en 1871 au séminaire de Vesoul. Après deux ans de philosophie, Donat fut admis, en 1873, au grand séminaire de Besançon. A cette époque, il donna des preuves de l’énergie et de l’endurance qu’il devait montrer plus tard. Voulant apprendre à nager, il s’astreignit à prendre régulièrement des bains, à 5 heures du matin, dès le mois de février. Il m’avoua que ces bains, glacés et prolongés, avaient eu sur sa santé une influence néfaste. « Mais, ajoutait-il, je voulais à toute force savoir nager ; et j’ai réussi. »
« A cette époque, au diocèse de Besançon, les séminaristes logeaient en ville, dans des maisons de famille, et le règlement leur permettait de s’absenter le mardi soir, à condition qu’ils rentrassent le jeudi matin pour le premier cours. Profitant de cette liberté, Donat partait à pied, voyageait toute la nuit, et arrivait à la maison paternelle après une course d’environ 34 kilomètres. Le mercredi soir, il se remettait en route, toujours à pied, et le jeudi matin il assistait fidèlement au cours. Outre la marche fatigante qu’il fallait fournir, ces excursions nocturnes présentaient certain danger, car le voyageur devait traver¬ser une sombre forêt, très étendue, où des vols et même des meurtres furent trop souvent commis. L’abbé Maillard éprouva lui-même quel¬ques alertes, dont il m’a fait le récit émouvant ; mais malgré tout, il ne renonça pas à ces voyages hebdomadaires. Ceux d’entre nous, qui l’ont connu plus tard au Séminaire de la rue du Bac, doivent se rappeler qu’il était, pour les jours de promenade, chef d’un groupe dont les marches sont restées légendaires : il n’avait pas dégé¬néré.
« En 1874, il reçut la tonsure cléricale des mains du cardinal Mathieu, qui lui donna les ordres mineurs en 1875. Cette même année, Mgr Po¬linier lui conféra le sous-diaconat, puis le diaconat. Enfin l’abbé Maillard reçut, le 27 août 1876, l’onction sacerdotale et fut envoyé, comme vicaire, chez son oncle, curé d’Aissey. Il y resta un an, puis suivit Mgr Besson dans le diocèse de Nîmes.
« Il remplit durant quatre années les fonctions de vicaire à Bagnols-¬sur-Cèse (Gard), dont les paroissiens conservèrent de lui un très bon souvenir. Ils le lui montrèrent bien lorsque, son temps de probation au Séminaire des Missions-Étrangères, où il était entré le 11 juillet 1881, étant achevé, il se rendit à Marseille pour s’embarquer le 12 avril 1882, à destination de la Cochinchine orientale. Plusieurs de ses anciens paroissiens vinrent l’attendre à la station la plus proche, au passage du rapide : et le prièrent de se rendre à Bagnols pour faire ses adieux aux fidèles, les bénir une dernière fois et recevoir d’eux une offrande pour ses œuvres de missionnaire. Mais M. Maillard n’avait pas l’autorisation du supérieur du Séminaire et, quoiqu’il lui en coûtât beaucoup, il résista au désir des chrétiens de Bagnols. Son refus les peina et les froissa ; il eut, dans la suite, l’occasion de s’en apercevoir. Lorsque le train se mit en marche, M. Maillard me dit : « Ces braves gens-là ne sont pas contents, mais la consigne avant tout ! »
« Partis de Marseille le 16 avril, nous arrivâmes dans la seconde quin¬zaine de mai à Saïgon, où nous fûmes cordialement reçus dans la pro¬cure de notre mission, par le bon M. Martin, compatriote de M. Maillard.
« Notre séjour à Saïgon se prolongea plus que nous ne pensions, car il fallut attendre que le Nam-Vang, qui devait nous transporter à Quinhon, fût complètement réparé.
« M. Maillard employa ses loisirs forcés à commencer l’étude de la langue annamite, étude qu’il continua d’ailleurs toute sa vie. Il estimait qu’on ne parle jamais assez bien et qu’il faut travailler conti¬nuellement, pour le plus grand profit des âmes qui nous sont confiées. Mais nous avions hâte d’aller « vers la terre qui nous avait été montrée », et quand enfin le Nam- Vang fut prêt, nous quittâmes Saïgon avec joie, heureux de gagner notre mission, où nous arrivâmes dans la troisième semaine de juin 1882.
« M. Van Camelbeke, provicaire, qui dirigeait la mission, en l’absence de Mgr Galibert, retenu en France par la maladie, faisait une tournée d’administration au Phu-yen. Nous fûmes reçus par M. Jean Martin, supérieur du collège de Lang-song, qui nous accueillit avec beaucoup de cœur , nous fit prêter serment et nous baptisa en annamite. M. Maillard reçut le nom de « Co-Thien » (le P. Céleste). Trois jours après, arrivait le vénéré provicaire qui nous souhaita la bienvenue, un long apostolat, et nous donna nos destinations définitives. D’après les instructions de Mgr Galibert, je devais monter chez les sauvages Ba-hnars et M. Maillard resterait en Annam. En attendant qu’il pût exercer le saint ministère, mon vaillant frère d’armes fut envoyé à Vinh-minh (district de Homnam), pour y étudier la langue et se former aux usages du pays, sous la conduite d’un habile missionnaire, le cher M. Panis.
« En 1883, il devint vicaire du vénéré M. Geoffroy, au district de Gia¬-him. Les conseils et l’exemple de ce missionnaire zélé et expérimenté lui furent grandement profitables. Aussi, en 1884, Mgr Van Camelbeke le jugea-t-il suffisamment apte à diriger le vaste district de Phu-thuong, dans la province de Quam-nam.
« Phu-thuong est situé à l’ouest de Tourane (16 kilomètres), sur un plateau fortement ondulé, mesurant en tous sens de 5 à 6 kilomètres et entouréde montagnes, dont les plus hautes atteignent 300 à 350 mètres. Au centre s’élève l’église et le presbytère. Le climat de Phu-thuong est malsain. Les indigènes souffrent fréquemment de la fièvre et présentent ¬un aspect chétif avec un teint blafard. Le prédécesseur de M. Maillard, presque continuellement malade, s’était retiré à An-ngai, se déchargeait du soin des autres chrétientés sur son vicaire annamite, qui avait pris, de ce chef, une très grande influence.
« La situation était donc très difficile pour le nouveau missionnaire, qui arrivait rempli de bonne volonté et très décidé à faire respecter ses droits et à ne transiger avec aucun devoir. Il aurait pu revendiquer pour lui ces paroles d’un missionnaire, à qui il ressemblait beaucoup moralement, le vaillant M. Macé, qui écrivait : « Mes fonctions sont bien difficiles, je le sais, « et je les remplis de mon mieux. Arrive que pourra. Quant à capituler avec ce que je crois un « devoir, je me laisserais couper en quatre plutôt que de céder. » Nul homme n’est par¬fait en ce monde et M. Maillard avait le défaut de ses qualités. Avec son désir indomptable du bien pour le bien, il abordait l’obstacle avec une vigueur, qui pouvait passer pour de la brusquerie ; et sa rude franchise était absolument opposée à l’astuce cauteleuse des Anna¬mites. Aussi les paroissiens de Phu-thuong demandèrent-ils sans tarder beaucoup à Mgr Van Camelbeke de les délivrer de ce pasteur à poigne d’acier, et de leur rendre son prédécesseur. Sa Grandeur répondit aux chrétiens qu’ils devaient attendre un peu pour comprendre M. Maillard et qu’après l’avoir compris, ils se réjouiraient de l’avoir à leur tête. De terribles événements se chargèrent bientôt de prouver que Monseigneur avait deviné juste.
« En effet, au mois de juillet de l’année suivante, éclatèrent les événe¬ments politico-militaires dits guet-apens de Hué, dont la répercussion, dans le domaine religieux, se traduisit par la mise à exécution de l’ordre, antérieurement donné, de l’extermination en masse des chré¬tiens de 1’Annam. Ce drame sanglant et glorieux coûta en particulier à la Cochinchine orientale la perte de 24.000 fidèles (sur 43.000) et l’anéantissement de presque toutes ses paroisses. Deux districts seulement échappèrent en partie au massacre, au pillage, à l’incendie. Tous les deux se trouvent dans la province du Quang-nam et le moins atteint des deux, le seul qui resta presque indemne, fut celui de Phu-¬thuong dirigé par M. Maillard. Il est même vrai de dire que l’autre, celui de Trakieu, fut aussi grandement secouru, presque sauvé sinon par son action directe, du moins par ses instances réitérées auprès des autorités militaires de Tourane. Ces instances, en effet, amenèrent la reprise de la citadelle, dont la conséquence fut la dispersion des let¬trés et le débloquement de Trakieu, après un siège de vingt et un jours.
« Le récit de l’héroïque et triomphante défense de Phu-thuong par M. Maillard dépasserait trop les bornes de cette simple notice. Qu’il suffise de constater brièvement les faits suivants :
« Dès le début M. Maillard sut inspirer courage et confiance à ses chrétiens, décider et organiser la résistance sans se laisser duper par les belles promesses des mandarins.
« De septembre 1885 à juillet 1886, il repoussa quatre fois l’assaut de 3.000 à 5.000 ennemis, bien mieux armés que ses propres auxiliaires, et attaquant simultanément sur deux ou trois points éloignés ; si bien que, dans l’un de ces combats, il n’évita la défaite et le massacre général qu’en exposant évidemment sa vie, presque seul et sans armes en face d’un millier d’assaillants.
« Sans compromettre sa situation, il trouva moyen non seulement de porter personnellement secours à Trakieu, mais encore d’aller, à 150 kilomètres de chez lui, sauver, en les ramenant à Phu-thuong, les 900 chrétiens bloqués sur les collines de Trung-son au Quang-¬ngaï.
« Pendant près de deux ans, il sut, par des convois armés et dirigés sur Tourane à travers un pays ennemi, très propice aux embuscades, ravitailler plus de 4.000 bouches (natifs et réfugiés) qui ne trouvaient pas la moitié de leur subsistance, dans le cirque montagneux très peu fertile où la haine les tenait bloqués.
« N’est-ce pas assez pour mériter le nom que ses chrétiens lui ont toujours, depuis, amoureusement donné, de « sauveur de Phu-thuong » ?
« Désespérant de le vaincre par les armes, les lettrés recoururent à la calomnie, obsédant de leurs doléances les Français de Tourane et de leurs rapports la résidence supérieure de Hué ; se posant en vic¬times, criant à l’oppression, réclamant justice contre le missionnaire pirate.
« Soit prévention instinctive, soit ignorance de la situation, les auto¬rités civiles et militaires de la capitale prescrivirent d’abord un désarmement, que, grâce à Dieu, l’honnête commandant Touchard refusa net d’exécuter, et bientôt exigèrent son changement, ne sachant pas ou ne voulant pas comprendre deux choses très claires : 1º que les lettrés étant officiellement désavoués par la cour et déclarés rebelles, tout bon citoyen avait le droit, sinon le devoir de les combattre, et que, par conséquent, les chrétiens qui leur résistaient étaient au moins dans le droit de légitime défense, et ne contrevenaient pas à l’antique tradition de I’Église de n’opposer que le martyre à l’autorité persécutrice ; 2º que la haine des lettrés envers les chrétiens, étant, hélas ! plus antifrançaise qu’antireligieuse, la France devait à ses amis secours et protection.
« A ce coup, M. Maillard partit tout droit pour Hanoï et, avec sa franchise et sa loyauté habituelles, se justifia si bien auprès du rési¬dent général Paul Bert que celui-ci donna ordre officiel de le laisser tranquille. Il dit même à ses intimes, après l’entrevue : « J’aurais voulu inviter M. Maillard à déjeuner, mais j’ai eu peur qu’il me refusât. »
« Malgré cette absolution de si bonne main, les calomnies contre le terrible forban de Phu-thuong trouvèrent écho auprès de la secte diabolique qui a pour principe d’en inventer, quand elle n’en découvre pas de toutes faites. Elles furent reproduites jusque dans quelques journaux Français, et entassées, dénaturées, dans des brochures sec¬taires, dont la dernière ne date que de trois ans. Personnellement, M. Maillard eût méprisé ces imputations sans preuves, dont l’invrai¬semblance et l’ineptie éclatent d’elles-mêmes aux yeux de tout homme impartial et sensé. Sachant néanmoins qu’il est tant de braves gens crédules, et tant de méchants pour exploiter cette crédulité, il les réfuta dans un Camille turbulent et menteur et m’aida récemment à la rédaction de l’Œuvre néfaste, d’allure non moins vigoureuse et d’objet plus étendu. Le calomniateur, sur chaque point convaincu de mensonge, ne s’en taira pas pour autant. Puisse-t-il du moins n’avoir plus pour lecteurs que ses frères en triangle !
« Quand la pacification fut complète, M. Maillard s’ingénia pour aider ses chrétiens à entretenir cette vie qu’il leur avait conservée. Il fit un voyage en Chine pour étudier la préparation savante du thé, principale production de Phu-thuong. Un peu plus tard, ayant acquis, sur les collines et plateaux voisins, 250 hectares de terrains incultes, il les partagea entre chrétiens et catéchumènes, qui voulurent s’y ins¬taller, leur fournissant les fonds pour l’exploitation et jusqu’aux plants de thé et de café. Aujourd’hui les très nombreux jardins ainsi créés sont, non moins que les anciens, en pleine prospérité, si bien qu’un colon français, M. Lombard, grand ami du missionnaire, a pu établir dans les environs trois usines pour la préparation de ces feuilles, dont la réconfortante infusion est de plus en plus recherchée.
« Pendant le même temps, son inlassable activité endiguait solide¬ment, à quelques kilomètres de Tourane, une centaine d’hectares de terrains salés, qui, transformés en rizières par de longs, pénibles et dispendieux travaux, font vivre plus de 400 Annamites venus d’un peu partout, et qui doivent ainsi au missionnaire tous leurs moyens d’existence.
« Ce dévouement à la prospérité publique valut à M. Maillard la décoration du Mérite agricole, et l’honneur de siéger pendant plusieurs années à la Chambre d’agriculture et de commerce de l’Annam, dis¬tinctions qui, d’ailleurs, n’atteignirent son âme que par leur côté utile à la cause religieuse.
« M. Maillard, en effet, réalisait la première partie de la devise de saint Benoît bien mieux encore que les deux autres : Cruce, ense et aratro.
« Prêtre exemplaire, d’une régularité de séminariste, d’une sobriété de moine, sans raideur toutefois, se privant rarement de sa bonne demi-heure d’actions de grâces après la messe, soigneusement pré¬parée et pieusement célébrée ; pasteur très assidu au saint tribunal, à la prédication, à la visite et aux soins des malades ; missionnaire d’un zèle aussi prudent qu’actif, il a fondé plus de vingt chrétientés nou¬velles, dont les deux tiers ont formé le district de Le-son et porté de 1.800 à plus de 6.000, avant la division, le nombre de ses fidèles. On peut affirmer qu’à tous points de vue, pendant un ministère de vingt-trois années, malgré les difficultés des quatre premières, et l’inaction progressive des deux dernières, il a transformé le district de Phu-thuong. Plaise à la divine Providence de donner aussi féconde carrière à chaque missionnaire apostolique !
« Voyons brièvement comment il fut pieux et brave jusqu’à son dernier soupir, comment il mourut « debout ».
« M. Maillard eut à subir, pendant près de deux ans, les morsures d’un cancer qui lui rongeait les intestins. Déjà, en 1904, il fit un séjour à l’hôpital de Tourane, où il subit une douloureuse opération, dont le résultat ne fut pas aussi décisif qu’on l’espérait. Les douleurs sourdes persistaient, la diarrhée continuait et la fièvre ne cédait à aucun remède.
« Malgré cet état de souffrance, le missionnaire vaquait à tous les devoirs de son ministère apostolique, montant à cheval pour visiter et administrer les malades ,bravant les douleurs que lui causait l’équi¬tation. Un jour vint, cependant, où ses forces le trahirent. Le malade se rendit à Saïgon, à la fin de décembre 1905, pour consulter le Dr Angier, qui reconnut une tumeur cancéreuse de l’intestin. Un séjour d’un mois à Hong-kong n’amena aucune amélioration et le médecin du sanatorium confirma le diagnostic du Dr Angier.
« Se voyant définitivement condamné, M. Maillard revint dans son district, pour y travailler encore jusqu’à complète extinction de ses forces. Il fit confectionner un lit de camp en bambous, aux pieds assez élevés, qu’il plaçait derrière la. porte de la sacristie munie d’un gril¬lage comme un confessionnal. C’est à demi couché sur ce lit de camp, qu’il passait de longues heures à entendre les confessions. Il allait encore aux malades, à pied, de temps en temps, lorsque la course n’était pas trop longue. Pour l’aider, Mgr Grangeon lui envoya M. David, jeune confrère pieux et dévoué, récemment arrivé de France. Pendant quelques mois, M. Maillard se retira dans la chrétienté de Con-dan, qu’il avait fondée et où l’on respire un air beaucoup plus sain qu’à Phu-thuong. Mais il n’abandonna point son district qu’il continuait à diriger, jugeant les litiges et faisant voir à certains brouillons que la maladie ne lui avait pas enlevé son énergique fermeté.
« Au mois d’octobre 1906, il remonta à Phu-thuong pour ne plus en sortir.
« J’allais le voir toutes les semaines, et je pus constater que sa patience ne se démentait pas. A cette question : « Comment allez-vous ? » il répondait : « Mais je vais bien, je vais très bien ! Comment voulez-vous que j’aille ? » Et un fin sourire soulignait la réponse.
« Il célébra le saint sacrifice le jour de Pâques 1907, pour la dernière fois ; mais il allait communier à genoux à l’église, malgré le surcroît de fatigue que lui causait l’air frais du matin. Comme je lui faisais observer qu’il pouvait recevoir la sainte communion dans sa chambre, il répliqua : « Tant que j’aurai un brin de force, le bon Dieu ne se dérangera pas ; « j’irai le recevoir chez lui ; quand je ne pourrai plus, alors, Il viendra. »
« Il lui fallait le « pain des forts » pour supporter ces douleurs vio¬lentes et continuelles. Les nuits surtout étaient pénibles et, vers la fin, le Père m’avoua que parfois des gémissements lui échappaient. Obligé de rester presque continuellement couché sur le côté, il avait le corps tout meurtri.
« Dans les premiers jours du mois de Marie, les symptômes s’aggravèrent et je vis bien que notre vaillant confrère allait bientôt terminer sa carrière terrestre. J’avertis les missionnaires voisins. Le 7 mai, à 4 heures du soir, je lui donnai l’extrême-onction. Dans la nuit du 15 au 16, se produisit une crise qui épuisa le malade ; des évacuations fréquentes et surabondantes avec flux de sang, des nausées très dou¬loureuses avec efforts violents pour expectorer des glaires, le fati¬guèrent à tel point qu’il pouvait à peine respirer. Cela dura de 11 heures du soir au lendemain vers 4 h. ½ du matin. A partir de ce moment, notre confrère resta étendu sur son lit, dans une prostration complète qui dura jusqu’à 3 heures du soir.
« Dans l’après-midi du vendredi 17, le voyant un peu remis, je lui proposai d’entendre sa confession et de lui donner le saint viatique le lendemain.
« Il acquiesça très volontiers et se confessa, comme toujours, avec grand esprit de foi. Rien de particulier ne se produisit durant la nuit et, le samedi 18 mai, je lui portai le viatique pour l’éternité. Malgré sa grande faiblesse, il voulut s’asseoir sur le bord de son lit, après avoir revêtu la soutane et le surplis, ne supportant pas de rester couché pour recevoir le bon Dieu. Durant toute la journée, il donna ses dernières instructions pour le partage des quelques objets qu’il pos¬sédait.
« Vers 4 heures, je dus rentrer à Tourane. Le lendemain, c’était la fête de la Pentecôte.
« Vous partez déjà, quand reviendrez-vous ? — Mardi, probablement.— Revenez tout de suite, car je sens bien que je n’irai pas loin. Donc, merci et à bientôt. Revenez vite. » Toutefois il conserva sa lucidité d’esprit et son énergie jusqu’à la dernière minute.
« Le lundi, 20 mai, à 7 heures du matin, le serviteur de M. Maillard vint prévenir M. David qu’une crise se déclarait. Notre jeune confrère accourut et trouva le malade très oppressé.
« Allez-vous plus mal, cher Père ? — Oui, cela va un peu plus mal. »
« M. David donna au mourant l’indulgence plénière et commença les prières de la recommandation de l’âme. M. Maillard ouvrait de grands yeux, regardant fixement en haut, comme s’il voulait pénétrer du regard le secret de l’éternité.
« Le bruit se répandit rapidement que le cher et vénéré pasteur était à l’agonie. Immédiatement la maison fut envahie par les digni¬taires, les religieuses et les chrétiens. Les portes, cependant bien larges, ne pouvaient donner passage à tous ceux qui voulaient entrer, et beaucoup pénétrèrent par les fenêtres. Alors éclatèrent les cris, les gémissements, les lamentations ; et ce fut au milieu de ses chrétiens en pleurs que le missionnaire expira. Il était exactement 7 h. ¼ du matin.
« Le corps du défunt, revêtu des ornements sacerdotaux, fut exposé dans la grande nef de l’église. A 7 heures du soir, nous l’ensevelîmes, le cœur rempli d’une fraternelle tristesse.
« Grâce aux précautions prises, le cercueil put sans aucun inconvé¬nient rester à l’air libre jusqu’au moment de l’inhumation. Dès le pre¬mier instant, les chrétiens ne cessèrent d’affluer nuit et jour, pleurant et priant pour le prêtre qui les avait tous aimés.
« Le mercredi 23 eurent lieu les obsèques, auxquelles assistaient une dizaine de missionnaires, dont 4 de la mission de Hué, 4 religieuses de Saint-Paul, de nombreux amis du défunt accourus de Tourane, des délégués de tous les services de la province et, non moins belle cou¬ronne, une vraie foule de chrétiens et de païens.
« En l’absence de M. Bruyère, retenu par la maladie, M. Solvignon fit, avec beaucoup de cœur, l’éloge funèbre du défunt et tira les larmes des yeux de tous les assistants.
« A l’absoute, les cris et lamentations des Annamites couvrirent la voix des chantres et le tumulte fut porté au paroxysme, quand le cer¬cueil du Père descendit lentement dans la fosse, creusée en haut, dans la grande nef de l’église.
« Dans cette église de Phu-thuong repose donc la dépouille mortelle du missionnaire qui l’a construite, après avoir sauvé son district au prix de mille fatigues et de dangers sans nombre. Du fond de sa tombe sort une voix qui nous dit : Bonum certamen certavi... reposita est mihi corona justitiœ . Puissions-nous tous la mériter autant que lui ! »
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Références
[1521] MAILLARD Jean (1851-1907)
Bibliographie. - Un Camille turbulent et brutal ou mœurs d'un télégraphiste français à Tourane (Annam). - Chez les principaux libraires, Paris, 1891, in-8, pp. 24.
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1884, p. 106 ; 1885, pp. 85, 90 ; 1887, p. 147 ; 1888, p. 128 ; 1889, p. 141 ; 1890, p. 127 ; 1891, p. 158 ; 1892, p. 181 ; 1894, p. 211 ; 1895, p. 216 ; 1896, p. 202 ; 1897, p. 163 ; 1898, p. 166 ; 1899, p. 189 ; 1900, p. 158 ; 1901, p. 157 ; 1903, p. 177 ; 1905, p. 152. - M. C., xviii, 1886, Calomnie contre M. Maillard, p. 51. - A. M.-E., 1906, p. 210. - Miss. Quinhon. Mém., 1904-05, pp. 27, 29, 35, 41 et suiv., 57 et suiv., 69, 82, 104, 124, 147, 149, 160, 165 ; 1906, pp. 4, 17, 38, 78, 87 ; 1907, ii, pp. 5, [19] et suiv., 41, 45 ; 1908, p. 46. - L'Univers, 1886 [Lettres], nos des 6, 8, 9 juill. - Le Correspondant, 1889, n° du 10 nov., p. 416.
Les miss. en Indoch., pp. 72 et suiv. - En Indo-Chine 1896-1897, p. 317.
Notice nécrologique. - C.-R., 1907, p. 367.