Léon GUIBÉ1878 - 1924
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 2740
Identité
Naissance
Décès
Biographie
[2740] GUIBÉ Léon, Auguste est né le 16 juin 1878 à Bellou-en-Houlne (Séez) dans l'Orne. Il fait ses études primaires à Bellou puis ses études secondaires au Collège de l'Immaculée Conception de Flers. Il entre laïc aux Missions Etrangères le 16 septembre 1899. Ordonné prêtre le 21 juin 1903, il part le 5 août suivant pour le Cambodge après avoir revu sa Normandie et son frère aîné, prêtre comme lui. Sa mère était déjà morte.
Arrivé en Mission au Cambodge, il part en Chine étudier le chinois de Swatow avec le Père Le Corre.
Au retour, il est nommé à Soctrang, vicaire du Père Brun. Rappelé assez vite à Phnom-Penh, il est d'abord missionnaire ambulant pour les Chinois. Il fonde alors l'Eglise chinoise de Chihé. Nommé curé du Sacré Coeur de Phnom-Penh, il anime cette paroisse multi-raciale avec beaucoup de zèle et sans trop se soucier de sa santé. Les trois dernières années de sa vie, il eut de grandes joies et aussi de gros soucis avec l'agrandissement de son Eglise.
Entré à la clinique du Dr. Augier à Saïgon, pendant deux mois il lutta contre la mort qui advint le 1er février 1924. Il fut inhumé au cimetière d'Achen.
Nécrologie
M. GUIBÉ
MISSIONNAIRE DU CAMBODGE
M. GUIBÉ ( Léon-Auguste ), né à Bellou-en-Houlme ( Séez, Orne ). Entré laïque au Séminaire des Missions-Etrangères le 16 septembre 1899. Prêtre le 21 juin 1903. Parti pour le Cambodge le 5 août 1903. Mort à Saïgon le 1er février 1924.
Le 1er février 1924, à la maison de santé et de convalescence du docteur Augier à Saïgon, terminait sa course en ce monde un missionnaire du Cambodge, un Normand, M. Léon-Auguste Guibé. A l’âge de la pleine force, de la pleine valeur, à l’âge où l’expérience acquise permet de grands espoirs d’apostolat, où la moisson sollicite des ouvriers, le seul missionnaire du Cambodge connaissant le Chinois, a été rappelé à Dieu.
Retraite prématuré, car M. Guibé n’avait que quarante-cinq ans. Il était né à Bellou-en-Houlme ( Orne ), le 16 juin 1878, de parents foncièrement pieux ; ils surent donner à leurs deux enfants un tel amour de Dieu que ceux-ci délaissant le monde se consacrèrent à son service dans le sacerdoce. La mère, veuve de très de bonne heure, avec ses deux jeunes garçons en bas âge, préluda aux sacrifices de la famille : elle consacra à ses deux enfants, à leur éducation, à leur garde, à leur formation morale et religieuse, toutes ses forces et sa vie.
Sa mère ! Comme le P. Guibé l’aimait ! Comme il en parlait avec amour, respect et orgueil ! Pour lui, c’était la première et la meilleure des mères et ce bien-là lui suffisait, tout Normand qu’il fût. Mère rude cependant ! le missionnaire se plaisait à raconter parfois la sévérité de ses enseignements et de ses corrections.
De bonne heure il fut enfant de chœur. C’est sans doute dès cette époque que sa voix s’épanouit et qu’il acquit ce goût du chant et de la musique religieuse qui sera pour lui, sa vie durant, une passion. Bientôt, avec l’attrait des cérémonies religieuses, naquirent les premières aspirations vers le sacerdoce, et après avoir reçu à la cure les premiers éléments du latin et du grec, il entra au Collège de l’Immaculée-Conception de Flers de l’Orne. A son collège de Flers, l’âme sensible et reconnaissance de M. Guibé garda un souvenir sans nuage, que chaque année semblait rendre plus vivant et plus amoureux. Ses confrères le « bêchaient » quelquefois à ce sujet, histoire de le taquiner un peu : Alors ses grands yeux lançaient des éclairs et ses grands bras, dans un geste d’apothéose, semblaient porter aux nues, avec des phrases ardentes, le collège et ses professeurs ; Maunoury l’helléniste, dont les œuvres ont bercé nos oreilles de la langue des dieux de l’Olympe, nous apparaissait alors pour nous montrer en M. Guibé, en même temps que sa piété filiale, sa fierté d’être Normand. A coup sûr, l’élève était moins fort que le Maître, mais il se plaisait à prouver que les leçons du professeur n’avaient pas été complètement inutiles. Quelles heures délicieuses le « grec » de M. Guibé nous a procurées à nous, ses confrères de Pnompenh, quand, le dimanche soir, réunis autour de Monseigneur, nous faisions conter au disciple de Maunoury ses souvenirs de jeune hellénisant. A en juger par l’amour qu’il conserva toute sa vie à ses Maîtres de Flers, M. Guibé dut être un bon élève ; sa modestie ne lui permit jamais d’aborder ce côté de sa vie.
Ses humanités terminées, le jeune philosophe obéit à l’appel de Dieu avec la simplicité du jeune Samuel : « Ecce ego, Domine, quia vocasti me » Il entra au Séminaire des Missions-Étrangères le 16 septembre 1899. La séparation fut également amère pour chacun des membres de cette famille si parfaitement unie et cependant déjà habituée à la souffrance. L’aspirant missionnaire et le frère aîné déjà prêtre n’eurent qu’à regarder leur mère : La générosité de sa résignation inspira la leur et tous les trois, d’une même âme, acceptèrent la séparation imposée par l’appel divin comme un gage de l’« au revoir » éternel
A Bièvres d’abord, puis à Paris, M. Guibé fut un aspirant sérieux, ami de la règle, boute-en-train aussi aux heures de délassement. Ame d’artiste, doué d’un organe magnifique fortement cultivé, tout chant lui était une jouissance, mais le chant d’église bien plus que tout autre, parce qu’il avait pour objet le Dieu que son cœur aimait. A Bièvres et à Paris il fut Maître de chœur.
L’heure du départ pour les Missions sonna enfin. Ordonné prêtre le 21 juin 1903, le jeune partant, après avoir reçu sa destination pour le Cambodge, s’en fut hâtivement dire adieu à sa Normandie. Hélas ! La mère n’avait pas attendu cette heure ; elle avait sans doute adressé à Dieu son « nunc dimitis » après l’entrée de son Benjamin au Séminaire et Dieu l’avait appelée à Lui. Il ne restait plus que le frère aîné qui concentrait en lui toutes les affections et les souvenirs de la famille. Pendant quinze jours, au contact de ce frère bien-aimé, prêtre plein de zèle, âme d’apôtre qui devait quelques années plus tard mourir missionnaire diocésain, le cœur du jeune partant se dilata. Les derniers adieux furent ceux de deux apôtres se séparant pour aller, chacun dans le champ qui lui est assigné, travailler à la même œuvre, l’Œuvre de Dieu qui embrasse l’Univers. Les deux frères ne devaient plus se revoir ici-bas.
Le 5 août 1903, M. Guibé s’embarquait à Marseille, en compagnie de M. Unterleidner, destiné aussi à la Mission du Cambodge ; tous deux également impatients de renouveler leurs promesses d’ordination entre les mains de Mgr Bouchut, leur Vicaire Apostolique, qui avait été le Père de leurs âmes pendant leurs années de séminaire. Joies communes, douleurs communes ; tous deux devaient, à quelques mois d’intervalle, terminer, dans le même hôpital, leur course apostolique.
Monseigneur donna au nouvel ouvrier, comme portion du champ à défricher, les Chinois. Peu après son arrivée au Cambodge, M. Guibé s’embarquait pour la Chine, avec consigne d’y étudier le dialecte de Swatow. Quelques mois lui suffirent et bientôt il reprenait avec entrain la route du Cambodge, le cœur pleine de rêves d’aspotolat, et débordant de reconnaissance pour son maître en langue chinoise, le P. Le Corre.
A Soctrang, sous la direction de M. Brun, il fit ses premières armes. Bientôt son Vicaire Apostolique le rappelait près de lui à Pnompenh et l’établissait missionnaire ambulant pour les Chinois ; poste ingrat s’il en fut, mais que M. Guibé accepta avec une soumission joyeuse. C’est pendant cette période de sa vie qu’il eut la consolation de fonder son église chinoise de Chihé.
Ce travail marchait bon train quand tout à coup ordre lui vint de prendre la direction de la Paroisse du Sacré-Cœur à Pnompenh. IL devait y rester jusqu’à sa mort. Le nouveau curé s’attacha de tout son cœur à cette paroisse : la quitter eût été pour lui un dur sacrifice. Toujours dévoué, l’homme de tout le monde, il sut là se faire estimer et aimer. Poste difficile cependant, formé d’un population changeante, les fidèles comprenant un mélange de toutes les races, Européens, Annamites, Cambodgiens, Chinois et Hindous ; M. Guibé s’adaptait à la situation ; il mesurait le pain de la doctrine aux besoins et aux exigences de ses ouailles. On lui en savait gré et le curé du Sacré-Cœur jouissait en ville d’une bonne presse, à ce point qu’un jour un compatriote crut devoir apporter un calmant éventuel aux craintes de Monseigneur notre évêque, en disant à Sa Grandeur qu’elle pouvait mourir en paix, que M. Guibé était là pour le remplacer.
Dieu en a décidé autrement. Le chêne est tombé, tandis que le roseau continue de se courber au souffle des maladies comme aussi de donner de nouvelles feuilles. Fier de sa force, jugeant que jamais il n’arriverait à dilapider un pareil capital, M. Guibé se dépensa sans compter. Il eut bien quelques avertissements qui auraient dû lui inspirer des précautions prudentes. Pendant les indispositions, il se soumettait ponctuellement aux ordres de la Faculté, mais à peine sorti de l’hôpital les recommandations, les résolutions mêmes étaient oubliées, et un confrère quelque peu facétieux pouvait dire que les heures de sortie du P. Guibé étaient régulièrement de dix heures à quinze heures.
De dix heures à quinze heures, sous le soleil du Cambodge ! Mais lui, aux charitables remontrances de ses confrères, souriait et … continuait.
Les trois dernières années de sa vie, il eut grandes joies et gros soucis. Pnompenh, ville en formation se développe rapidement. Aux baptêmes d’adultes chinois et annamites qu’il eut la consolation d’administrer, se joignait un nombre toujours croissant de catholiques venant de l’intérieur en quête de fortune ; la population française elle-même augmentait, si bien que la chapelle du Sacré-Cœur devenait, malgré ses deux messes du dimanche, chaque jour trop petite. M. Guibé entreprit de l’agrandir ; comme première mise de fonds il eut la bénédiction de son évêque, et pour le reste, il se fit quêteur. Aux premières tristesses dues aux difficultés et à la crainte que cette profession inspire, succédèrent quelques joies : Aucune porte, aucune bourse ne se fermait devant lui, et nombre des souscripteurs qui croyaient ne pas donner à cause de leur foi somnolente donnaient à cause de M. Guibé lui-même. Tant il est vrai qu’il aimait ses brebis et que ses brebis l’aimaient.
Hélas ! un déboire l’attendait : Sa souscription n’était pas encore terminée que l’effondrement de la Banque Industrielle de Chine en engloutissait une partie. Il est difficile de dire combien cela le tourmenta.
Enfin, malgré tous les contre temps, les travaux commencèrent. Notre confrère était plus riche de bonne volonté que d’expérience. Les travaux confiés à une maison de la place ne marchaient pas ; un accident malheureux vint encore assombrir ses rêves généreux. Atteint déjà de la maladie qui devait l’emporter, il se traînait péniblement sur le chantier, autant pour satisfaire son cœur que pour y jeter le coup d’œil du maître ; les ressources s’épuisaient et il voyait que non seulement il ne fallait pas songer à construire le clocher d’où il voulait faire s’épandre sur Pnompenh la voix de trois belles cloches, mais encore qu’il lui serait difficile d’achever le corps même de l’église. Tous ces soucis hâtèrent le cours du mal qui le minait. Monseigneur, soucieux de conserver à la Mission un si précieux ouvrier, lui enjoignit de se rendre à la clinique du docteur Augier, à Saïgon. Il était trop tard.
Pendant deux mois, les médecins le disputèrent à la mort. Ses souffrances, deux mois durant, furent extrêmes et à peu près continues ; sa foi, sa soumission à la volonté de Dieu, son grand esprit d’obéissance apparurent alors dans toute leur beauté ; sa patience fit l’édification de tous ceux qui l’approchèrent ; jamais une plainte, et pourtant il ne pouvait faire un mouvement sans éprouver d’atroces douleurs. La Sœur infirmière qui le soigna jusqu’à la fin et qui a aidé tant de malades à mourir, était dans l’admiration. Nous ne nous étonnons pas, nous qui l’avons connu. De lui-même il demanda les derniers sacrements et, simplement, il les reçut, répondant lui-même aux prières, comme le dernier acte d’obéissance à Dieu. IL mourut paisiblement le 1er février.
Pendant vingt ans il avait travaillé dans sa chère Mission du Cambodge ; son corps dort son dernier sommeil dans l’attente de la Résurrection, près de Mgr d’Adran, non loin de M. Unterleidner, son compagnon de route du mois d’août 1903, et au milieu de nombreux missionnaires.
Ses confrères du Cambodge, privés de la consolation de jeter l’eau bénite sur sa tombe et d’y réciter une prière, regrettent l’homme bon, affable, empressé à rendre service, délicat, discret. Tous garderont le souvenir de son accueil toujours si fraternel. Tout d’une pièce, un peu brusque parfois, mais toujours droit et franc, il trouvait le mot qu’il fallait pour prendre une défense ou détourner une conversation qui pouvait blesser la charité. Très vif quelquefois, il partait comme un trait ; mais ce trait acéré comme la flèche du mont Gargan semblait revenir sur lui-même pour le blesser le premier : il en souffrait et obéissant au précepte du divin Maître, il supportait difficilement que le soleil se couche avant d’avoir éteint un ressentiment. Les fidèles du Sacré-Cœur le savaient et cela lui gagnait les cœurs. Généreux, il ne savait ni compter ni garder le peu d’argent qu’il pouvait avoir. Ce Normand au tempérament méridional, emporté et fougueux au premier abord, cachait un cœur d’or ; et cette cachette, les Chinois et Annamites, observateurs perspicaces, eurent tôt fait de la découvrir. A leurs doléances, à leurs demandes de secours ou autres parfois si importunes, il arrivait que le Père excédé répondait par une fin de non-recevoir catégorique ; ses longs bras s’élevaient vers le ciel qu’ils semblaient prendre à témoin, et arpentant la salle, le diapason de la voix d’accord avec l’expression des gestes, il répétait son refus tout net. Les ouailles connaissaient bien leur pasteur : tristes, résignées en apparence, elles s’asseyaient dans un coin et attendaient l’heure de la manne qui rarement tardait à venir. Dire qu’on n’abusait pas de son bon cœur serait exagéré : il le savait et … il continuait.
Il avait un tempérament composé de la méfiante prudence du Normand et de la naïveté d’une âme toute neuve. Ceux de cette trempe gardent toujours jeune leur enthousiasme malgré les déboires et les sévères leçons de la vie ; M. Guibé vit toujours toutes choses sous leur plus beau jour.
Envers son évêque qui avait été son père spirituel au séminaire, il garda toujours la piété filiale de l’enfant, enfant terrible parfois. Monseigneur le connaissait bien et il lui arrivait, devant quelqu’une de ses boutades, de lui demander s’il ne serait pas de Bordeaux ou de Marseille et non de Flers de L’Orne. Obéissant, respectueux de l’autorité, les désirs de son Supérieur étaient pour lui des ordres, et dans l’autorité, il voyait Dieu.
Son souvenir durera parmi nous ; nous regretterons le confrère avec lequel il faisait bon vivre. Sa magnifique voix nous manquera aussi. Coïncidence étrange, son chant du cygne aura été celui du « De profundis » à la cathédrale, en mémoire des morts de la guerre. Ce jour-là, le cri du cœur, la prière de l’âme de notre confrère déjà très malade, s’éleva vers Dieu en un chant si beau, si ému, qu’il remua toute l’assistance. A la fin de la cérémonie, il confiait à quelqu’un : « Encore une strophe et je n’aurais pu achever. »
Maintenant, c’est un autre chant qu’il exécute avec les anges, nous en avons la confiance, devant le trône de Dieu : celui qu’à la chapelle du Séminaire, nous avons si souvent entendu de sa voix si souple, au timbre clair et puissant, avec un accent si convaincu : « Misericordias Domini in aeternumm cantabo. »
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Références
[2740] GUIBÉ Léon (1878-1924)
Références biographiques
AME 1903 p. 378. 1907 p. 190. 1913 p. 255. 263. 309. 1924 p. 79. 159. CR 1903 p. 215. 306. 1904 p. 207. 1905 p. 193. 1906 p. 184. 1910 p. 201. 1911 p. 184. 1924 p. 96. 169. BME 1922 photo p. 61. 1924 p. 120. 186. 265. EC RBac N° 55.