Gilbert GRIFFON1933 - 1998
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 4085
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Identité
Naissance
Décès
Charges
Missions
- Pays :
- Malaisie - Singapour
- Région missionnaire :
- 1959 - 1998 (Malacca)
Biographie
Gilbert GRIFFON est né le 11 mai 1933 à Vouneuil-sous Biard, à 7 km de Poitiers. Son père Pierre, qui a des racines vendéennes, est, comme son grand-père, domestique régisseur de la ferme des religieuses des Filles de la Sagesse qui dirigent l'Institution de Larnay pour l'éducation des sourdes, muettes et aveugles. L'ensemble regroupe plus de trois cents personnes. La propriété s’étend sur plus de 60 hectares et permet de vivre en autarcie. La famille s'installe à La Jarrie, village tout proche de Larnay, et, en 1935, le grand-père Alexis achète la maison des Bournalières, qui est encore aujourd'hui la demeure de la maman de Gilbert. C'est là qu'il a grandi et vécu ; c'est là qu'il a passé son dernier week-end parmi les siens en août 1998.
Quelques mois après son mariage avec Denise Lebon, en 1932, Pierre Griffon tombe gravement malade et meurt à l'Hôtel-Dieu de Poitiers en décembre 1935, à l'âge de 25 ans. Gilbert, âgé de deux ans, est la consolation du grand-père et de la maman. Cette dernière se remarie en septembre 1937 avec son beau-frère Jean Griffon, travaillant lui aussi à Larnay, et, en mars 1940, c'est la naissance d'une petite soeur, Denise, dont le grand frère s'occupe beaucoup, d'autant que le papa est mobilisé puis fait prisonnier.
Gilbert fréquente d'abord l'école du village et, dès l'âge de 7 ans, fait l'admiration du P. Couturier, nouveau curé de La Jarrie : « Il était mon premier et fidèle enfant de chœur ; tous les matins, avant l'école, il venait servir la messe, faisant 2 km à pied et à jeun. Il s'appliquait à bien réciter et à bien répondre ". Le P.Griffon écrira lui-même, dans le bulletin du Collège de Penang : "C'est dès l'école primaire que j'ai pensé au sacerdoce. Mon curé l'a compris et il m'a offert de commencer à apprendre le latin pendant les vacances, ainsi me préparait-il pour le secondaire".
Il passe deux ans à l'école presbytérale de Chatillon-sur-Sèvre (aujourd’hui Mauléon), trois ans au petit séminaire de Montmorillon, et, pour la classe de première, c'est le séminaire des MEP de Beaupréau en 1949.
"Car l'autre personne qui a influencé ma vocation, c'est mon oncle Alexis, missionnaire à Penang puis au Yunnan, dont je lisais les lettres avec intérêt. Quand il revint de Chine en congé, mon désir d'être missionnaire grandit encore". Un autre évènement le confirme dans cette direction, ce sont les célébrations, auxquelles il prend part, du centenaire de Théophane Vénard, lui aussi ancien de Montmorillon.
Il passe la première partie du baccalauréat et rentre à Bièvres en septembre 1950, durant trois ans de formation au cours desquelles il obtient le baccalauréat universitaire et le baccalauréat en philosophie scholastique. Il se fait là de nombreux amis, sert comme maître de choeur et le P. Alazard, tout en le trouvant "absolu dans ses jugements", le déclare "appliqué, docile, généreux et serviable".
Égypte, le Liban, Israël (1953-1956)
Le moment du service militaire arrivé, Gilbert, avec quelques aspirants, Bernard Fage, Jean Ahadoberry, décide d'être "détaché militaire" au Caire, où il enseigne pendant deux ans au Collège de la Sainte famille, tenu par les Jésuites. Il est professeur de français, de latin, et préfet de division. Il passe ses vacances au Liban et visite la Terre Sainte. Il apprécie l'esprit missionnaire des Jésuites et prend un premier contact avec les chrétiens d'Orient et les musulmans. Il admire leur sens de la prière et de la transcendance de Dieu. Il prolonge son professorat d'un an, ce qui provoque un froid avec les supérieurs ; et lorsqu'il parle d'aller à Bagdad pour une autre année comme enseignant en français dans un collège américain, le P. Haller lui écrit : "Rentrez, la plaisanterie a assez duré !"
Blessé dans un accident d'autobus, il passe plus d'un mois dans un hôpital de Beyrouth, où l'aumônier, ancien missionnaire de Chine, le confirme dans sa vocation missionnaire. Il rentre à Paris pour la rentrée de septembre 1956, enrichi par cette expérience qui l'ouvrira plus tard à l'oecuménisme, à la présence en milieu musulman et à l'apostolat biblique. Lui qui n’a pas été envoyé faire des études universitaires aura reçu une formation dont il saura tirer les fruits.
Études à Paris, ordination et départ (1956-1959)
Le voici à Paris pour trois années de théologie, qui semblent avoir été enrichissantes et en même temps difficiles. Après le séjour au Caire, reprendre la vie au séminaire n'est pas facile. Des documents de l'époque parlent du "groupe des Égyptiens" qui semble faire problème. Tout en le trouvant sérieux et intéressé aux études, intellectuellement curieux mais anti-scholastique, on le décrit encore comme portant des jugements absolus et durs dans les discussions. Puis au cours des années, tout en le jugeant trop critique, on le crédite d’une forte personnalité.
Il est certain que Gilbert peut parfois donner une impression d'en savoir davantage que les autres. Son esprit curieux, son humour et son ton taquin ne sont pas toujours appréciés. N'a-t-il pas découvert à la bibliothèque un livre qu'un professeur dictait durant ses cours sans donner ses sources ? Il partage cette trouvaille avec ses condisciples et tous se réjouissent de connaître un secret qu'il aurait fallu garder. Il y a des étincelles.
Alors qu'il a l'étoffe d'aller à l’université, on préfère qu'il parte en mission sans plus attendre ce qui le comble, déclarant qu'avec "plus de souplesse dans l'obéissance, il fera un bon missionnaire". Sérieux, il l'est, et cela est reconnu puisqu'on en fait un cérémoniaire. Il reçoit sa destination pour Kuala Lumpur le 23 novembre 1958 ; il est ordonné prêtre à Paris le 2 février 1959, avec J. Hirigoyen, J. Gayard, et A. Bertrand.
Malaisie (1959-1960)
Il arrive en Malaisie en juin 1959, en compagnie du P. Lucien Catel, destiné au diocèse de Penang. Ils sont les deux derniers MEP à ne pas être touchés par les lois d'immigration réduisant à un maximum de 10-12 ans le séjour des étrangers en Malaisie.
Gilbert a pris un bon départ en anglais avec des séjours de vacances en Angleterre. Pendant six mois, à Kuala lumpur, à la cathédrale Saint-Jean, sur "la colline des ananas", en compagnie des P. E. Limat, curé, et R. Laurent, qui sera bientôt supérieur régional, il approfondit ses connaissances de la langue et la pratique avec les paroissiens. Il découvre et apprécie son évêque, Mgr Vendargon, qui non seulement lui apprend les premiers rudiments de tamoul, mais qui, tous les jours, vient passer un moment avec lui. Il en reste marqué et reconnaissant. Il a été affecté à l'apostolat auprès des Indiens de culture tamoule.
Inde (1960-1961)
En janvier 1960, il part en Inde, toujours en compagnie du P. Catel. Il passe deux ans auprès des P. Hourmant puis Gravier à "l'université d'Attur" où plusieurs jeunes de Malaisie et de Singapour se forment. Deux ans dans la simplicité et la pauvreté d'une paroisse rurale de dalits, auprès de missionnaires zélés et inculturés, cela laisse sa marque. Gilbert parlera souvent de ces années en Inde, de leur côté pittoresque et de ses expériences apostoliques dans les dessertes où on ne pouvait aller qu'à pied. Deux ans de régime sec sans alcool, alors prohibé dans le Tamilnadu ; aussi Gilbert et Lucien vident hardiment les bouteilles de bière dont les comble, lors de leur retour, le P. Simon, ancien de Mysore.
Kuala Lumpur (1961-
C'est à Sentul, faubourg populeux de Kuala Lumpur, et à majorité indienne, que le destine son évêque. Il y célèbre Noël 1961. Il est vicaire, puis curé, jusqu'en 1967. La paroisse compte de plus de cinq mille chrétiens, la plupart travaillent dans les usines des chemins de fer : familles nombreuses et pauvres, communauté souvent divisée par les castes, avec des querelles accentuées par la boisson, mais aussi gens simples, pratiquants et faisant confiance à leurs prêtres, tout en essayant d'obtenir d'eux des aides et des passe-droits. Il faut avoir les nerfs solides, la main assez ferme et discerner les vraies misères : des paroissiens auxquels Gilbert se donne à plein, aidé par sa maîtrise du tamoul. Son expérience de l'Inde lui permet de deviner ce qu'on ne dit pas et de dénouer bien des problèmes. Aidé par le P. Bretaudeau, puis Le Guen et des prêtres du pays, il est aussi le pasteur de plusieurs groupes travaillant dans les plantations de caoutchouc. Il est souvent sur les routes.
C'est durant ce séjour à Sentul qu'il est approché par un groupe d'Orang Asli, intéressés à devenir chrétiens. Ce sont des aborigènes Négritos, les premiers occupants du pays, qui vivent dans la jungle ou habitent des villages près des villes. Gilbert est émerveillé par cette manifestation de l'Esprit, et avec tout son enthousiasme, il fonce. Il se fait aider par des catéchistes ; ces gens ont tellement faim de la parole de Dieu ! Mais un gros sacrifice va lui être demandé : les autorités voient son action comme un essai de prêcher la religion à des groupes qu’elles désirent islamiser.
Elles déclarent ces activités interdites par la Constitution et la question est même soulevée au Parlement. Avec sagesse, Mgr Vendargon demande à Gilbert de ne plus visiter ces villages. Les Orang Asli viennent alors à la paroisse, mais petit à petit, la pression sociale fait table rase de tout ce qui a été lancé. Et pourtant une graine a été semée, que le Seigneur fait grandir d'une manière qui nous échappe.
Plus de six ans à Sentul, pour un missionnaire, c'est le baptême du feu, et le jeune curé passe l'épreuve avec brio. Aussi peut-il partir en congé en avril 1967 et régaler les membres de sa famille, les jeunes, avec de merveilleuses histoires d'Inde et de Malaisie, et leur partager l'amour du Seigneur en racontant sa vie de tous les jours. Il est brillant conteur et il a un message à délivrer.
Il sait intéresser, écouter, éveiller et montrer un chemin inédit ; il conquiert immédiatement nièces et neveux, lesquels comme aimantés, ne le quittent guère, lui posant toutes sortes de questions. Lui-même sait éveiller leur curiosité, leur raconter, pince-sans-rire, des histoires fantastiques et leur apprendre des petits chants exotiques. Il parle de sa Mission, de la foi vive et lumineuse des peuples d'Asie. Il est très heureux, un tourbillon de joie. Et il en est ainsi à tous ses congés!
Aumônier de la J.O.C. (1967-1972)
Gilbert avait fait démarrer des groupes de jeunes travailleurs chrétiens, tant à Sentul que dans les plantations, en lien avec les P. Decrocq, puis A. Pallier, aumôniers diocésains. Aussi est-il le candidat tout désigné pour succéder à ce dernier. Il devient donc aumônier diocésain, puis national, de la Jeunesse ouvrière catholique, avec une dimension missionnaire originale. En effet, dans les divers groupes, il y a des non-baptisés qui veulent vivre les valeurs de l'Évangile et se mettre au service de leurs frères.
Là encore des graines sont semées et cette présence de non-baptisés, si elle pose parfois des problèmes, est certainement un appel et un don du Seigneur. L'aumônier se dépense, visite les groupes, sait s'entourer de permanents qui généreusement donnent plusieurs années de leur vie pour le Seigneur et son peuple. Il passe plusieurs semaines en Malaisie de l'Est, appelé par les évêques pour y éveiller prêtres et laïcs aux besoins des jeunes. Il n'est pas toujours compris ni bien accueilli ; il dérange des habitudes et des mouvements déjà bien établis se sentent menacés. Il sait être patient et laisse les laïcs aller de l'avant. La formation, c'est sa priorité, et les gens formés par le P. Griffon sont encore aujourd'hui très actifs dans l'Église de Malaisie.
C'est pendant ces années qu'il découvre le milieu ouvrier de langue et de culture chinoises. Il souffre de ne pouvoir communiquer directement avec eux, d'autant que les travailleurs manuels, les petits, ne parlent pas anglais. Un projet commence germer. En 1972, il confie la responsabilité de l'aumônerie à un prêtre local, le P. Daniel Lim, et, pour un an, il est curé de Saint-Antoine, la paroisse-mère des Tamouls au centre de Kuala Lumpur. En 1973, il prend son deuxième congé aux Bournalières, apportant des saris à ses nièces et voyageant beaucoup dans la famille, car il a pu acheter d'occasion une petite Fiat.
Taïwan (1973-1974), Kuantan (1974-1984)
Jamais à court d'idées, Gilbert, qui n'est pas heureux de ses "lacunes" linguistiques, commence l'étude du chinois mandarin. Il raconte même que, durant la nuit, il met un magnétophone de poche sous son oreiller et ainsi, sans fatigue, tons et prononciation passaient dans sa mémoire.
À son retour de congé, en octobre 1973, il étudie le mandarin à Taïwan, jusqu'en juin 1974. Et ça, c'est une première ! Selon la tradition locale, en plus de l'anglais et du malais populaire, les prêtres sont pasteurs de communautés chinoises ou tamoules. De mémoire d'homme, il n'y a pas eu de missionnaire qui ait réussi à maîtriser tamoul et chinois : avec Gilbert, c'est la réussite, mais une réussite qu'il lui faudra payer cher. Car le même week-end, célébrer et prêcher en anglais, en tamoul et en mandarin, ça le laisse sur le flanc, et les divers groupes de la paroisse essaient de s'approprier leur pasteur. Il nous dira, un jour de fatigue : "j'aurais dû me contenter du tamoul. Ils me font la peau". Et pourtant, il est heureux d'avoir cette nouvelle corde à son violon.
Ainsi armé, il part pour la côte Est, à Kuantan, où il succède au P. Henriot. La population y est en grosse majorité malaise, et bien malin qui empêchera le nouveau curé de peaufiner ce qu'il a déjà acquis de la langue nationale. Il passe avec brio un examen en vue de devenir citoyen en pure perte -, d'ailleurs. Mais le malais lui permet de faire des liturgies communes pour les fidèles tamouls et chinois qui ne parlent pas l'anglais.
Kuantan, cela veut dire aussi d'autres postes le long de la côte, Pekan au sud, Dungun avec une maison traditionnelle dans un village de pêcheurs, et souvent Kuala Trengganu, où pendant un temps il réside dans des conditions matérielles difficiles et où il se sentira isolé. Kuantan, c'est aussi les années d'apostolat auprès des "boat people", avec de nombreuses visites à Pulau Bidong, en conjonction avec le P. Gauthier et le P. Bretaudeau. Nos confrères, P. Lam Minh et P.Jean Dich, l'ont rencontré là pour la première fois.
Il aime ce séjour en milieu musulman ; son expérience de l'Egypte revient à la surface. En même temps, il se sent surveillé, les lettres à sa famille s'espacent et ne donnent guère que des nouvelles vagues. Plusieurs fois, il vient se reposer une semaine à Singapour, facile d'accès par autobus, maintenant qu'il y a des ponts sur les six estuaires à traverser. On sait qu'il vit des moments difficiles ; le sort des réfugiés est pour lui est un scandale et en même temps, il a l'impression de faire si peu pour eux. Et puis presque dix ans sur la côte est, loin du centre du diocèse, c'est lourd à la longue. Il parle de fatigue.
En 1984, il passe quelques mois à Kajang, 25 km au sud de Kuala Lumpur. Puis il part pour la France pour réaliser un rêve qu'il a longtemps gardé : une année sabbatique pour approfondir ses connaissances bibliques et pour réfléchir à une question qu'il se pose depuis longtemps : doit-il rester missionnaire en Malaisie dans une église très vivante ou vivre sa vocation en France auprès de communautés qui ont bien perdu de leur vitalité ? C'est une inquiétude pour lui, c'est sa fidélité au Seigneur qui est en cause. Il veut une réponse réfléchie.
Paroisse du Sacré-Cœur à Kuala Lumpur ( 1984-1993)
Depuis longtemps, Gilbert est un fervent de la Bible. Ses séjours au Liban, ses voyages en Israël l'ont marqué et les cours du P. Pierron l'ont enthousiasmé. En Malaisie, les laïcs demandent une formation à la Parole de Dieu. Il les aide mais se sent mal préparé. Il reste toujours l'homme du maximum : "On ne bricole pas avec la Bible". Son archevêque lui donne le feu vert et, comme toujours, il grignote sur son congé pour donner plus de temps à son recyclage qu'il fait à l'Institut catholique de Paris. Il revient heureux : l'Exode, les Patriarches, les Prophètes ; tout cela est tellement vivant et actuel ! Il sent qu'il peut répondre à un besoin. Et c'est Oui à l'Église qui est en Asie.
Son séjour en France lui a fait beaucoup de bien. Il passe du temps avec sa famille, va en vacances dans les Pyrénées, fait des ascensions en montagne, participe à la Journée missionnaire de Saint-Loup-sur-Thouet, berceau de Théophane Vénard. Il écrit avant de quitter Paris: "Je garde de mon séjour un grand souvenir émerveillé". Il fait un pèlerinage en Terre-Sainte.
À l'arrivée à Kuala Lumpur, après un temps à Saint-Antoine, il est nommé curé de la paroisse du Sacré-Coeur, bâtie en 1960 dans le quartier sud de la capitale par le P. Limat, avec la communauté tamoulisante de Kampong Pandang. Au total, quelque six cents familles : 60 % de chrétiens sont d'origine indienne et 40 % d'origine chinoise. Tous les dimanches, il célèbre en anglais, malais, tamoul et mandarin, et, une fois par mois, il dit la messe pour la communauté francophone. Démarrage et animation des communautés de base, catéchuménat d'adultes, cours de Bible avec une centaine de participants, sans oublier des bâtiments à construire, salles de réunion et hall après avoir payé les dettes de son prédécesseur qui lui aussi avait eu à bâtir. Il vit très pauvrement, se déplace en moto, se nourrit auprès des boutiques en plein air. On a beau lui dire de ménager sa santé, il rit et vante les avantages d'une cuisine variée. Incorrigible Gilbert, qui vit avec les pauvres.
En 1986, il se rend en France comme délégué des confrères à l'Assemblée générale ; il est très heureux, en fin d'année, d'accueillir sa nièce Marie-Claire en Malaisie. Mais sa santé donne de plus en plus d'inquiétude et sa nièce, qui est médecin, arrive à le convaincre de venir se faire soigner en France, début 1988. Après quelques mois, plus ou moins "rafistolé", il est de retour au Sacré-Coeur, jusqu'en décembre 1993. Il pense que cette grosse paroisse bien vivante a besoin, comme curé, d'un prêtre malaisien. L'apostolat biblique devient sa priorité. Il passe plusieurs mois en France : congé, soins et mise à niveau biblique, avec Noël et le Nouvel An en famille. En septembre 1994, il commence sa dernière étape.
L'Apostolat biblique, la paroisse de l'Assomption, Paris (1994-1998)
Il se consacre à l’apostolat biblique, tout en évitant des structures trop lourdes ; il réside à l'archevêché, car Mgr Soter Fernandez trouve en lui quelqu'un de discret qui sait écouter et donner une opinion. Les premiers appels à des sessions bibliques sont timides, mais bientôt ses dons de communicateur, son enthousiasme, sa présentation très pastorale de la parole de Dieu rencontrent un très grand succès., Il enchaîne des séries d'une semaine à Kuantan ou à Kuala Trengganu. "C'est un travail où il faut inventer, c'est tout nouveau", commente-t-il.
En décembre 1995, il écrit : "Je suis surpris de l'intérêt montré par nos chrétiens pour la parole de Dieu. Certains groupes dépassent la centaine de personnes, mais l'assistance moyenne se situe entre 30 et 60. J'ai des sessions dans dix paroisses à raison d'une tous les quinze jours. Il n'y a pas à hésiter, il faut continuer et intensifier cette formation". Il fonce toujours !
Il signale qu'en septembre, il a quitté l'archevêché. Il a besoin d'un contact direct avec une communauté. Il vient habiter à la paroisse de l'Assomption à Petaling Jaya, ville nouvelle qui jouxte la capitale. Le père A. Volle, curé, apprécie ses talents pastoraux multilingues. Pour lui, il est content de se retrouver avec des catéchumènes qu'il prépare au baptême. "Mais devant ces nombreux appels, on se sent bien faible et, avec l'âge qui avance, on sent de plus en plus ses propres limites."
Un laïc, qui a collaboré avec lui pour l'Apostolat biblique, écrit dans la Revue du diocèse : "C'est avec une joie communicative qu'il partageait ses connaissances, avec un merveilleux mélange d'intelligence et de chaleur humaine. Il était si proche de nous, sachant être très encourageant, mais n'hésitant pas à être sans compromission lorsqu'il s'agissait d'un engagement de foi. Il vibrait à la Parole de Dieu qui, à travers lui, prenait chair pour demeurer dans nos vies. Je connais la Bible, mais le père Griffon connaissait et vivait la Bible. Après sa mort, ses sessions, mises sur bandes magnétiques, continuent à le garder parmi nous".
Oui, il va de l'avant, mais il lui faut accepter l'évidence : il se fatigue, rester debout lui est pénible. Il va en France pour des contrôles médicaux : tout a l'air en ordre. Mais après des examens minutieux à Kuala Lumpur, en septembre-octobre 1996, il n'y a plus de doute : on lui découvre une vertèbre détruite par un cancer de la moelle des os. Une grosse opération avec greffe osseuse est entreprise ; si elle permet à la vertèbre de se reconstituer, elle laisse Gilbert avec des séquelles très douloureuses. Il lui faut s'étendre pendant la journée pour avoir un temps de répit. Ce qui l'inquiète surtout, c'est comment annoncer cela à sa vieille maman, menacée de cécité, sans l'effrayer.
Petit à petit, il reprend ses activités, mais il souffre et il ne peut le cacher. Ses nièces viennent le voir, heureuses et bouleversées à la fois car elles savent la nature de son mal et le voient si vivant. Il ne veut pas être, il ne peut pas être autrement. C'est lui.
Le 11 juin 1998, il annonce à sa famille un séjour en France. "Attendez-vous à me voir physiquement handicapé. Je ne peux rester ni debout ni assis trop longtemps Je pense quand même pouvoir faire du vélo en terrain plat et aller en marchant jusqu'au monument de Biard " Mais les paroissiens et amis le voient tel qu'il est. Pour beaucoup, malgré les affirmations de Gilbert, c'est un départ sans retour. Aussi tiennent-ils à célébrer son anniversaire et le combler de cadeaux.
Le 18, il est à Paris et, deux jours après, peut à peine marcher. Des examens révèlent que si la vertèbre endommagée a été guérie par la greffe, une nouvelle vertèbre a craqué. Les calmants habituels ne suffisent plus. Il lui faut de la cortisone ; alors, il peut marcher en s'aidant d'une canne. Mais le traitement le fragilise. Il reste plein de vie, corrige le cours d'instruction religieuse en tamoul, écoute des cours d'hébreu et parle d'un voyage en Angleterre lorsqu'il ira mieux. Il est vivant.
Après un temps de repos et des arrangements pour suivre en août un traitement de rayons, il peut passer deux longs week-ends auprès de sa maman. Et il fait du vélo ! La famille se rassemble pour le fêter. Apparemment, il n'a guère changé, les cheveux toujours drus et noirs. "L'ayant su très malade, trop malade pour voyager, nous avions accepté le fait de ne plus le revoir. Nous avions sous-estimé qu'il nous aimait tant. Cette force d'amour l'avait déterminé à nous revoir. Nous le voyons étonnamment bien et, sans le dire, nous reprenons espoir". Lui parle d'acheter une auto après son traitement du mois d'août.
Le 2 août, il célèbre la messe dans l'église de La Jarrie. Le lundi 3, il rentre à Paris fatigué et le mardi, il réussit tout juste à aller à l'hôpital pour se préparer aux rayons. Le mercredi 5 au matin, on l’hospitalise d'urgence à l'Hôtel-Dieu dans un état déjà comateux, révélant une pneumonie, et la cortisone a bien diminué son immunité.
On essaie le traitement maximum, car au début il y a la volonté de lutter. Mais bientôt il ne répond plus au traitement et dépend entièrement des machines. Les fonctions vitales s'arrêtent les unes après les autres. Deux paroissiennes de Malaisie, le sachant si mal, viennent le voir ;t elles sont avec la famille lorsque le samedi 8 août, vers 15h, Gilbert s’éteint pour aller vers le Père qu'il commence à annoncer d'une autre manière.
D'autres amis arrivent de Petaling Jaya, douze en tout, à l'étonnement des habitués de la rue du Bac qui les reçoivent, ainsi que sa famille, avec beaucoup d'amitié. Cet accueil du 128 sera très apprécié, un grand réconfort pour tous.
Le mercredi 12 août, c'est, à la même heure, les messes de funérailles à Paris, en Malaisie et à La Jarrie avec la présence de la maman de Gilbert. Adieu simple et chaleureux, solennel et recueilli, par des foules nombreuses qui savent et veulent remercier le Seigneur pour le missionnaire qu'il a envoyé et animé.
Le père J.B. Etcharren, supérieur général, condisciple et ami de Gilbert, rentre à Paris pour célébrer ses funérailles. L'archevêque de Kuala Lumpur préside la messe à l'Assomption de Petaling Jaya ; "jamais je n'ai vu autant de monde dans et autour de l'église" dira le P. Volle. Le troupeau se retrouve autour du pasteur, présent et vivant d'une nouvelle manière. Pendant trente-neuf ans en Malaisie, Gilbert a communiqué la Parole de Vie.
Les jeunes l'appellent G.G.
Gilbert Griffon : en Malaisie, lieux et personnes sont souvent désignés par leurs initiales. D'où GG, qui à l'anglaise se prononce Gigi. Ce furent les J.O.C. qui commencèrent à l'appeler ainsi et il n'aimait guère cela ; puis, à Peel Road, les paroissiens. Comme il a vieilli, ils lui donnèrent aussi du "papa G.Il en souriait en haussant les épaules. Incorrigibles !
C'est dire, en raccourci, combien les gens se sentaient à l'aise avec lui, écoutés et acceptés. "Il m'a appris l'art d'écouter et non simplement d'entendre. Il nous encourageait à approfondir notre foi : "Si vous voulez servir, priez d'abord, afin que l'Esprit touche vos coeurs et les coeurs de ceux que vous rencontrez !" « Il était une réflexion du Christ et, lorsque c'était nécessaire, il était exigeant. Il a apporté une dimension spéciale dans ma vie de jeune et d'adulte, dans ma vie de famille".
Il y a en lui ce mélange : simplicité, bonté, et, en même temps, vérité et responsabilité. Il n'est pas là pour trouver des excuses mais pour aider à grandir. On sent une discipline et austérité personnelle, source de son dévouement et fidélité. Il sait vivre au désert pour se laisser conquérir par la parole de Dieu. Il s'équipe de tous les moyens de la technique pour pouvoir mieux servir, il s'émerveille du progrès de l'électronique et s'y investit, mais pour lui-même, il est pauvre. La pauvreté est une dimension d'Évangile qu'il vit à plein. Il nous semble aller trop loin, mais les voies du Seigneur Lui, il veut être authentique.
Aussi va-t-il aux plus démunis, aussi apprend-il les langues pour mieux servir ceux qu'on pourrait oublier. Il ne veut pas donner à l'anglais une part prioritaire dans son apostolat ; ça lui semblerait être en rejet des autres, une manière de favoriser un groupe déjà bien assis dans la société et dans l'Église. Certes, il est doué pour les langues, mais en même temps, quel travailleur !
Il partage, au point d'en vivre personnellement, le drame, la condition des laissés-pour-compte : les réfugiés, les travailleurs des plantations, les jeunes exploités, la situation des Orang Asli qui n'ont pas la liberté de recevoir le message du Seigneur, les tensions racistes En même temps, il cultive la joie et essaie de partager la paix du Seigneur avec un humour qui libère et remet les situations en perspective. Beaucoup en ont fait leur guide.
Avec les confrères MEP, il est une bouffée de vie et un appel vers l'avant. Il partage ses opinions clairement et rejette ce qui pourrait être routine et faux-fuyants. Pendant bien des années, il accepte de servir comme conseiller régional et, par deux fois, représente le groupe à l'Assemblée générale. Mais il veut des réunions rapides et bien préparées, qui ne se contentent pas d'organiser mais qui donnent la priorité à la réflexion : rien de préétabli, chercher ensemble la volonté du Seigneur.
Donné comme il l'est à son apostolat, il vit très près de sa famille. Ainsi en ont témoigné Marie-Claire et Stéphane, sa nièce et son neveu, lors de ses obsèques : "l'exemple de ta vie est un très bon guide pour notre vie. L'authenticité, le don total de ta personne, au-delà même de tes forces, pour le service de Dieu et pour notre service fait que tu étais le phare de notre vie.
Tes prières nous ont portés dans nos peines et dans nos joies. En dépit de la distance, nous sentions ta présence, et cela va continuer" "pour l'enfant que j’etais alors, les questions se bousculent et tu trouves toujours une réponse à toutes mes interrogations. Tu savais franchir le pas de la réflexion, de la connaissance et du savoir et tu aimais tant les partager. J'avais tant à te demander encore. Ton témoignage et ton courage resteront vivants dans nos pensées". "À plus tard", conclut Marie-Claire.
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