Vincent GONET1848 - 1908
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 1197
Identité
Naissance
Décès
Biographie
[1197] GONET, Vincent-Victor, né le 20 novembre 1848 à Achain (Meurthe), fit ses études à Versailles, et entra laïque au Séminaire des M.-E. le 16 septembre 1871. Il reçut le sacerdoce le 30 mai 1874, et partit pour le Cambodge le 1er juillet suivant. Il passa quelque temps à Phnom-penh, paroisse de Rosey-keo, pour y étudier la langue, puis débuta à Can-tho en 1875 dans le ministère actif. Il ne tarda pas à rendre ce district florissant. Il fonda plusieurs chrétientés, et, à Can-tho même, où il fut le premier missionnaire résident, il éleva une église et installa un couvent de religieuses annamites consacrées à l'enseignement ainsi qu'à l'œuvre de la Sainte-Enfance. Mgr Cordier le chargea, en 1888, d'administrer le district de Soc-trang et Cai-quanh ; il y établit les postes de Bai-gia et de Co-co, celui-ci sur des terrains conquis en pleine forêt, et où, en 1908, habitaient 600 catholiques. En 1889, il releva la chrétienté de Hung-hoi, commencée vers 1867 à Gia-hoi par J. Fougerouse, et jeta les bases de celle de Gieng-nuoc. En 1890, il fit de Soc-trang le centre du district et la résidence principale du missionnaire.
Dans le district de Bac-lieu qui lui fut confié en 1891, il créa la station de Tra-long qui à sa mort comptait 3 000 fidèles.
Il commença vers 1894 les deux stations de Rach-ran et de Dat-sai. En 1905, il fonda à Tra-ram un orphelinat agricole de garçons. Il passa l'année 1907 à Cai-trau. Il mourut à Dau-nuoc (Culao Gieng) le 30 janvier 1908. Sur son désir, on l'enterra à Tra-long, arrondissement de Rach-gia.
Au milieu de tant de travaux, la double caractéristique de sa vertu était un grand zèle pour le salut des âmes et une invincible confiance en la Providence. Un typhon détruisit une église qu'il venait de construire : c'était 10 000 F perdus. Le cœur et l'esprit aussi libres que si aucun malheur ne lui était arrivé, il recommença son travail.
Nécrologie
M. GONET
MISSIONNAIRE APOSTOLIQUE DU CAMBODGE
Né le 20 novembre 1848.
Parti le 1 er juillet 1874.
Mort le 30 janvier 1908.
« M. Vincent-Victor Gonet, missionnaire au Camsodge depuis trente-trois ans, était « originaire d’Achain, petite mais religieuse paroisse du diocèse de Nancy, sur la route et à « mi-chemin de Nancy à Sarreguemines, de l’archiprêtré de Château-Salins, du diocèse de « Metz depuis l’annexion de l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne. Il avait fait ses études à « Versailles où il avait été amené par son oncle, ancien professeur du petit séminaire. Ce fut « la lecture des Annales de la Propagation de la Foi qui détermina sa vocation. Il avait « entendu une voix secrète, la voix de Dieu : « Toi aussi tu seras missionnaire. » Ces « paroles du divin Maître résonnaient sans cesse à ses oreilles : « La moisson est abondante, « mais les ouvriers peu nombreux. »
« Il appartenait à une famille d’honnêtes agriculteurs foncièrement chrétiens qui avaient « déjà donné au Seigneur leur fils aîné ( condisciple à Pont-à-Mousson du cardinal Mathieu, « la gloire de la Lorraine).
« Ordonné prêtre le 30 mai 1874 au Séminaire des Missions-Étrangères, M. Gonet dit sa « première messe dans son pays natal, le jeudi de la Fête-Dieu 4 juin, assisté de son frère, « curé de Corcheville, et de son cousin l’abbé Benoît, vicaire au pays messin.
« Quelques semaines après cette journée mémorable, le cher missionnaire faisait ses « adieux à la paroisse, à ses parents, à ses frères et sœur, à ses nombreux amis, et partait au « son des cloches, jetant un dernier regard sur le clocher qu’il ne devait plus revoir, au pied « duquel reposent ses parents et tant d’autres chers défunts 1. » Le 1er juillet il s’embarquait à Marseille pour la mission du Cambodge.
1. Souvenir d’un ami d’enfance. (Semaine religieuse de Versailles).
Après quelques mois d’étude de la langue annamite, M. Gonet fut envoyé à Cantho, dont il fut le premier titulaire. Ce beau district lui doit, en grande partie, l’état de prospérité, qui en fait aujourd’hui un des mieux assis de la mission. Tout était à créer. Il y trouva seulement quelques catéchumènes, établis par M. Joly à Tham-tuong, et deux ou trois petites stations de vieux chrétiens que visitait de temps en temps le missionnaire de Caidoi et, plus tard, celui de Boot. M. Gonet s’installa à Tham-tuong, près de Cantho, et se mit résolument à l’œuvre. Dès le premier jour, il fut ce que nous l’avons connu dans la suite : l’apôtre actif, dévoré de zèle, ne reculant devant aucun obstacle, fort de sa foi en la Providence. Le 25 mars 1875, fête de l’Annonciation, il baptisait 60 catéchumènes. La petite chrétienté se développa rapidement, le terrain ne fut plus suffisant pour recevoir les recrues nombreuses qui affluaient de toutes parts. M. Gonet laissa ses premiers chrétiens à Tham-tuong et se transporta, avec les autres, sur l’arroyo de Cantho. C’est de là que, maintenant encore, le missionnaire de Cantho administre son district. M. Gonet s’y installa définitivement, bâtit une église, fonda un couvent de religieuses annamites, qu’il forma lui-même avec beaucoup de soins à la piété et à l’enseignement. Il appliqua aussi ses Sœurs à l’œuvre de la Sainte-Enfance, et, chaque année, elles reçurent et baptisèrent de nombreux enfants abandonnés. Pendant quatorze années, il travailla à développer son district, établissant des chrétientés un peu partout, courant après la brebis égarée, recrutant des catéchumènes, s’appliquant à donner une bonne instruction religieuse aux enfants. Ce dernier point était une de ses préoccupations les plus spéciales, et nous le retrouvons plus tard, partout, attentif à bien former ces jeunes plantes, espoir de l’avenir.
Le district de Cantho était en pleine prospérité, lorsque M. Gonet fut appelé à prendre la direction de celui de Soctrang-Caiquanh. Il apporta dans son nouveau poste la même ardeur et la même activité. Son zèle ne vieillissait pas. Il s’occupa avec beaucoup d’amour de l’œuvre de la conversion des Cambodgiens. Il aimait à dire plus tard que le plus beau mois de sa vie apostolique avait été celui qu’il avait passé à Dang-Kedong à instruire les Cambodgiens, sous un gros manguier, qui, malheureusement, abrite maintenant une pagode. Il fonda la chrétienté de Gieng-Nuoc, le poste annamite de Baigia, mais son œuvre principale, dans le district de Soctrang, est, sans contredit, l’installation de la chrétienté de Côco, qui compte actuellement 600 catholiques et est appelée à doubler ce chiffre.
M. Gonet, qui avait déjà créé de nombreuses chrétientés, avait remarqué que les petits groupes, isolés çà et là au milieu des païens, de donnaient pas la satisfaction désirable. Pour bien des raisons, et même sans raison aucune, les chrétiens les abandonnaient facilement pour se disperser de côté et d’autre ; ceux qui voulaient bien y rester n’avaient pas toujours la ferveur et la persévérance qu’on était en droit d’attendre d’eux. Il résolut de se procurer un vaste terrain en friche, où il réunirait des centaines de fidèles et de catéchumènes.
La chrétienté ainsi fondée ne pourrait manquer, grâce à ses soins assidus, de devenir fervente ; de plus, elle serait comme un phare lumineux d’où les mille reflets resplendiraient sur les païens environnants. Il demanda donc et obtint sans difficulté de l’administration un vaste terrain, occupé par la forêt vierge, et habité par les fauves. Obligé, dès lors, de le mettre en valeur, M. Gonet se met résolument au travail, avec sa confiance en Dieu et son activité prodigieuse. Il doit se faire bailleur de fonds, empruntés à des créanciers plus ou moins faciles. Il cherche de côté et d’autre les chrétiens perdus au milieu des païens. Des catéchumènes en grand nombre viennent aussi lui apporter le concours de leurs bras, tout en s’instruisant des vérités de la foi. Aux uns et aux autres il partage le terrain concédé par l’administration et s’impose les plus durs sacrifices pour que les défrichements s’opèrent le plus vite possible et que la belle rizière se développe à la place de l’affreuse forêt.
Après cinq ans de labeurs continus, M. Gonet pouvait remercier Dieu des nombreuses bénédictions qu’il s’était plu à répandre sur son œuvre. La forêt était aux trois quarts défrichée. La nouvelle chrétienté était fondée et présentait toutes les marques d’une forte vitalité. Elle comprenait plus de 500 chrétiens et néophytes, tous heureux de vivre à l’ombre bienfaisante de la croix, et sous la houlette du pasteur vénéré qui était aussi leur insigne bienfaiteur.
Du district de Soctrang, M. Gonet passa à celui de Baclieu. Il y établit la belle chrétienté de Hung-hoi, à peu près dans les mêmes conditions qu’à Côco, puis il s’enfonça dans la jungle, et fonda Tralong, où il vint définitivement se fixer en 1896, laissant à un jeune confrère les chrétientés du sud, se réservant à lui-même comme toujours, la partie la plus dure et la plus difficile.
Avant son arrivée, le territoire de Tralong n’était qu’une immense brousse coupée, en différents endroits, par la forêt. Confiant en la grâce de Dieu pour lequel seul il travaillait, M. Gonet résolut de faire quelque chose de plus grandiose qu’à Côco et Hung-hoi. Il ne voulait, ni plus ni moins, qu’une immense chrétienté de 4.000 à 5.000 âmes. L’administration, qui reconnaissait en lui l’excellent pionnier de la civilisation prêchant, tout en défrichant la terre et appliquant l’indigène au travail, accorda largement des concessions de terrains à ses néophytes et à tous ceux qui vinrent s’installer près de lui.
Dès les premiers temps de son arrivée dans ce poste, bien peu connu jusqu’alors, une troupe considérable de chrétiens sans gîte ni abri vinrent s’établir à ses côtés. Les païens, attirés par sa renommée, vinrent aussi demander des terres, promettant sincèrement de se faire chrétiens. M. Gonet fit ce qu’il avait fait à Côco : ayant besoin de bras, il reçut tous ceux qui se présentèrent et les aida de ses épargnes, mais le plus souvent avec de l’argent emprunté. Favorisée de bonnes récoltes, la chrétienté de Tralong devint bientôt une des plus importantes de la mission ; avant le typhon de 1904, elle comptait plus de 2.000 chrétiens ou néophytes. Alors commença pour M. Gonet une période de peines et de tribulations, qui ne devait se terminer guère qu’à sa mort. Les récoltes qui suivirent le typhon manquèrent complètement, ou furent si insuffisantes que la vitalité de la chrétienté fut menacée. Afin de ne pas perdre le bénéfice de tant de travaux, M. Gonet contracta de lourdes dettes pour nourrir et aider les plus nécessiteux de ses chrétiens. Il sauva ainsi la situation, mais dut peiner pendant trois ans avant de pouvoir liquider, ou à peu près, les emprunts contractés. Le district de Tralong comptait près de 3.000 chrétiens, lorsque le bon Dieu jugea son serviteur mûr pour la récompense, et lui fit sentir la gravité du mal qui devait l’emporter.
Après voir parcouru l’œuvre apostolique de notre très cher M. Gonet, nous devons nous demander comment un homme a pu suffire à tout ce travail, comment cet entraîneur a su garder jusqu’à la fin l’ardeur et l’enthousiasme de la jeunesse.
Ce qui caractérisait M. Gonet, c’était d’abord un zèle immense pour les âmes. Les âmes, c’était là la raison de toute sa vie, de tous ses actes, de toutes ses paroles. Il ne savait pas s’occuper d’autre chose. Il n’avait jamais fait assez, et, pour tout dire, même ses défauts, si l’obéissance ne l’avait gardé dans les limites de la prudence, il eût excédé facilement en embrassant plus qu’il ne pouvait faire. Dans le désir de réaliser tout le bien qu’il apercevait, il eût manqué de mesure, et n’eût point su toujours se borner.
Ce qui le caractérisait en second lieu, c’était une foi inébranlable en la Providence avec l’acceptation parfaite des épreuves qu’elle permettait. Un typhon avait réduit en miettes une grande église qu’il venait d’élever. C’était 10.000 francs perdus. Le cœur aussi libre qu’auparavant, il continua son travail. A plusieurs reprises ses œuvres parurent devoir crouler, et les prédictions fâcheuses ne lui manquaient pas. Les ruines devaient être d’autant plus grandes que les œuvres étaient plus considérables. Notre cher confrère laissait dire, priait et continuait. Sa foi en la Providence ne l’abandonna pas un instant.
Enfin, le bon Dieu avait mis au service de son âme un corps dont la santé était merveilleuse, et à qui la vertu avait appris à se plier à tout. Une seule fois, au début de son apostolat, une fièvre typhoïde violente faillit le ravir à la terre. Dieu avait ses desseins ; M. Gonet guérit, et, jusqu’à la dernière maladie qui l’a emporté, il n’eut plus de secousse sérieuse.
Voici comment un confrère, qui a bien connu notre cher missionnaire, dépeint ses journées, pendant l’administration pascale d’abord, puis au moment du travail dans la rizière, et encore en tournée dans les innombrables arroyos et canaux de la Basse-Cochinchine : « Quelques planches mal jointes séparaient ma chambre de la sienne, et me permettaient « d’épier tous ses mouvements. Éveillé à 3 h. ½ du matin, il faisait sa prière, ses exercices « spirituels et récitait un peu de bréviaire. A 5 heures, il montait à l’autel, assistait ensuite à « ma messe, prolongeait son action de grâces, et revenait avec moi au presbytère, prendre « rapidement une tasse de thé. Il rentrait vite à l’église où les enfants répétaient, en « l’attendant, une leçon de catéchisme. Il leur en expliquait la doctrine pendant une grande « heure, puis, vers les 8 heures, il revenait au presbytère, se frottant les mains, et, avec son « bon sourire, m’invitait à aller au confessionnal, où ne manquera pas, disait-il, l’agrément « des moustiques ni celui des rayons du soleil ou des gouttes de pluie selon le beau ou le « mauvais temps. Il ne quittait le confessionnal qu’à midi, faisait honneur au déjeuner, « ordinairement peu varié, son estomac complaisant s’accommodait de tout, du jeûne et de « l’abondance, faisait parfois un peu de sieste, la tête appuyée sur la table, le plus souvent « traitait quelque affaire avec les notables. Vers 1 heure, il parcourait les différentes salles « du catéchuménat où les femmes recevaient l’instruction religieuse, puis reprenait « l’explication du catéchisme aux enfants de la première communion. A 2 heures « recommençaient les confessions jusqu’à la nuit, à moins qu’un exercice de piété ou un « sermon ne vînt l’interrompre vers les 5 heures. Si un moment de répit se produisait, vite il « disait son bréviaire ou montait à cheval et allait visiter un malade, appeler un retardataire « ou infliger à un coupable une correction méritée. Pendant le repas du soir arrivaient les « hommes se préparant au baptême. Le dîner terminé, le cher Père debout, luttant contre le « sommeil, leur expliquait la doctrine et ne les renvoyait qu’à 10 heures. Il rentrait alors « dans sa chambre, récitait son chapelet, faisait une lecture, puis un long examen de « conscience, s’étendait sur sa natte et immédiatement s’endormait d’un profond sommeil « dont pouvait le tirer seul l’appel aux malades, et il recommençait le lendemain le travail de « la veille.
« Au moment des travaux des rizières, dès la pointe du jour, il partait surveiller le « défrichement et la mise en culture des terres, et ne revenait souvent que le soir. Il m’est « arrivé deux fois de l’avoir accompagné et de n’être rentré qu’à 10 heures de la nuit, « n’ayant pris, pour tout repas dans la journée, que deux œufs et bu un peu d’eau vaseuse. « J’étais exténué : M. Gonet, après une douche, se trouvait dispos et prêt à recommencer.
« Dans ses longs voyages en sampan, il ne pensait qu’à Dieu et ne parlait que de Dieu. « Aussitôt installé, il m’invitait à dire le bréviaire, puis à lire quelques pages d’Écriture « sainte, qu’il se plaisait à commenter d’une manière pratique, trouvant toujours une « application appropriée aux circonstances présentes. On eût dit que le Saint-Esprit n’avait « inspiré l’auteur sacré que pour le district de Tralong. Il voyait la Providence en toutes « choses et tout le ramenait à Dieu. Habile à détourner la conversation si elle frisait la « médisance, il savait fort bien faire ressortir les qualités du prochain mis en cause. D’une « modestie sincère, il demandait conseil, suppliait qu’on lui fît remarquer ses défauts, les « défectuosités de sa manière de faire. Il acceptait toutes les critiques avec une humilité qui « m’a toujours profondément édifié. Au retour d’une retraite qu’il avait prêchée aux Sœurs « indigènes de Culao-gieng, il ne tarissait pas d’éloges sur l’édification qu’il en avait reçue. « Il se reprochait vivement son peu de souci de la perfection, en regard de ces humbles filles « si courageuses et si bien disposées.
« Connu des païens sur les arroyos qu’il avait parcourus tant de fois, il savait à propos « leur parler de religion ; les comparaisons les plus simples et les plus naturelles affluaient « sur ses lèvres, intéressaient et donnaient une clarté remarquable à son enseignement. Avec « les chrétiens transfuges qu’il rencontrait, il savait employer les arguments les plus « appropriés à leur situation pour les ramener. Je l’ai vu pleurer en rappelant à l’un d’eux la « ferveur de sa première communion ; je l’ai vu menacer un autre, qui fuyait à notre « approche, des vengeances célestes. Il savait, à point, faire réfléchir même nos compatriotes « habituellement si indifférents. J’ai été témoin de plusieurs faits. Un géomètre se convertit « du tout au tout devant ses exhortations. Je me rappelle une improvisation sur la mort, qu’il « fit sur la tombe d’un européen qui s’était noyé. Tout le poste l’écoutait attendri.
« Il avait le talent de l’appropriation de l’enseignement à chaque situation. Je garderai « longtemps le souvenir d’une retraite qu’il prêcha à mes notables. Outre les sermons « généraux qu’il fit à la chrétienté matin et soir, il trouva dans le petit règlement des notables « de quoi faire six conférences très substantielles, qui produisirent d’excellents fruits. Pour « tout dire en un mot, M. Gonet était un modèle de vie apostolique. Ses conseils et ses « exemples m’ont été d’un si grand secours que j’en conserverai toujours la mémoire. »
C’était en 1905, M. Gonet était tout entier à ses travaux, lorsqu’il se sentit gravement gêné par une tumeur à la cuisse, vieille de dix ans, mais dont la grosseur augmentait rapidement depuis quelques mois. Une opération chirurgicale fut jugée nécessaire. M. Gonet la subit à Phnom-penh. Huit jours aprè, il repartit pour son poste, gaillard et leste comme en ses jeunes ans. Dix-huit mois ne s’étaient pas écoulés que la tumeur reparaissait. Elle fut enlevée une seconde fois, mais fut déclarée cancéreuse par le docteur. C’était un avertissement grave qui nous était donné sur les jours désormais comptés de notre bien-aimé confrère. Il fut opéré deux fois encore, mais la tumeur reparut pour la quatrième fois, une nouvelle opération fut jugée dangereuse. Après chaque opération, M. Gonet était repati à Tralong poursuivre son travail. Il ne pouvait cependant y recevoir les soins que nécessiterait dans la suite son état. Le supérieur du séminaire lui écrivit pour lui offrir l’hospitalité avec les soins des bonnes religieuses de Culao-gieng. Il répondit qu’il allait régler ses affaires, sans toutefois rendre les armes avant le jour où il ne pourrait plus s’en servir. Il ajoutait : « Une retraite de quelques « semaines au séminaire avant le départ pour le grand voyage, me sourit beaucoup ; j’accepte « votre invitation. »
Il arriva à Culao-gieng, le 2 décembre 1907, à 4 heures du matin. Déjà il ne pouvait plus marcher, ni même se tenir debout sans soutien. C’était le moment de la retraite des confrères. Il s’unit à tous les exercices, qu’il pouvait suivre de sa chambre. Nous eûmes le bonheur de nous édifier, ces quelques jours encore, au contact de sa piété, de ses exemples de résignation, de mortifications et de joyeux abandon à la divine Providence. Les missionnaires partirent lui disant au revoir au ciel.
Vers le 15 décembre, la fièvre se déclara et se maintint entre 38o et 40o. La maladie semblait s’aggraver rapidement. Le 26, le supérieur du séminaire proposa au malade la réception des derniers sacrements. Jusque-là, il avait pu communier tous les matins, et le bon Dieu lui continua cette grâce jusqu’à la veille de sa mort. Le cher M. Gonet reçut l’Extrême-Onction avec une ferveur extraordinaire, suivant, en toute connaissance, chaque parole du prêtre.
Quelques jours après, la Sœur infirmière découvrit, au milieu de la tumeur cancéreuse, un gros abcès qu’elle ouvrit. La fièvre tomba aussitôt et la malade trouva plus de calme. Cependant le cancer continuait son œuvre destructrice et le dénouement approchait. Voici comment M. Herrgott raconte les derniers moments de notre cher confrère :
« Dans la nuit du 25 ou 26 janvier, une crise terrible faillit l’emporter. C’était une sueur « abondante d’abord, un froid glacial ensuite. La Sœur en eut raison, mais, à partir de ce « moment, le pauvre Père ne prit plus rien, pas la valeur d’une tasse de lait en 24 heures. Je « télégraphiai à Monseigneur qui m’avait recommandé de le prévenir à temps, pour qu’il « puisse encore rencontrer en vie son cher missionnaire. Sa Grandeur arriva lundi soir, le 27, « à la grande joie du cher malade. Le mardi 28, au matin, le Père reçut encore, comme « d’habitude, la sainte communion, mais dans la soirée il éprouva un tel affaissement, que « nous le crûmes en danger imminent. Monseigeur lui donna alors l’indulgence de la bonne « mort pendant que j’allais lui chercher le saint Viatique. Il était 6 heures du soir. La nuit fut « agitée jusqu’à 3 heures du matin, puis un calme relatif s’établit et dura jusqu’à la fin. Au « matin du 29, notre cher confrère put encore une fois recevoir son divin Maître, ce Jésus « Sauveur qu’il avait si bien servi dans sa vie. C’était sa dernière communion en ce monde. « A partir de ce moment, il ne put plus rien avaler, mais il conserva sa connaissance et resta « calme jusqu’au lendemain, vers midi. La Sœur qui le gardait s’aperçut d’un changement « subit ; elle m’appela aussitôt, et j’eus encore la consolation de me faire comprendre du « cher malade, de lui donner une dernière absolution et de lui faire renouveler le sacrifice de « sa vie. Puis il tomba en agonie et nous récitâmes les prières liturgiques. Mgr Bouchut « arriva sur ces entrefaites et prit place au chevet du mourant pour ne le quitter qu’après lui « avoir fermé les yeux. A 2 heures précises, notre bon P. Gonet rendit son âme à Dieu, « assisté de son évêque, de sept missionnaires et de trois prêtres indigènes, ainsi que de « plusieurs Sœurs.
« Le soir à 6 heures, nous le déposâmes dans un triple cercueil et le transportâmes dans « notre chapelle. Le lendemain matin, il y eut une messe pontificale à laquelle assistèrent les « prêtres et les séminaristes du séminaire, ainsi que les Sœurs françaises avec leurs Sœurs « indigènes. »
M. Gonet avait manifesté le désir de dormir son dernier sommeil au milieu des chrétiens qu’il avait formés et administrés pendant les douze dernières années de sa vie. Son retour et ses obsèques à Tralong furent un vrai triomphe. Le corps fut déposé sur une barque et deux prêtres l’accompagnèrent jusqu’à Cantho. C’était là que le cher défunt avait débuté dans le ministère apostolique. Le corps fut transporté à l’église, les chrétiens affluèrent. Un service solennel, avec diacre et sous-diacre, fut célébré, les prières des morts ne discontinuèrent pas de toute la matinée. A midi, le corps fut déposé, à nouveau, sur une barque, et on partir pour Caitran, la première des chrétientés du district Tralong, que l’on devait rencontrer sur son parcours. Voici comment un témoin décrit ce voyage triomphal : « De Cantho à Tralong, « toute la population païenne accourut sur la berge, pour voir le cortège et faire l’éloge du « défunt. A Tralong, les notables païens du village allèrent d’eux-mêmes trouver le chef du « poste de Long-my et lui demandèrent qu’il interdît tout jeu, en signe de deuil, bien qu’on « fût au jour de l’an annamite : « C’est notre père à tous, dirent-ils, c’est lui qui a ouvert tout « ce vaste pays, qui a attiré à sa suite la nombreuse population du canton, actuallement le « plus riche de la province. » Nous arrivâmes à Caitran à la pointe du jour, le lendemain. La messe fut célébrée par un des vicaires indigènes du district. De Cantho à Tralong, les prières des morts ne furent point interrompues, ni le jour ni la nuit. Arrivé en barque à Traram, à deux kilomètres de Tralong, on monta sur la berge, et le cortège se forma en ordre parfait. Chaque chrétienté défila devant le corps avec sa bannière, ses notables et ses enfants. Les orphelins de Traram et tous les anciens domestiques du défunt étaient en grand deuil. Pas un cri, mais des larmes dans tous les yeux. On mit plus de deux heures pour arriver à l’église. Après la messe, avant le chant du Libera, un notable lut en annamite, dans un langage simple comme la vérité, le récit de la fondation de Tralong, des diverses péripéties et des grandes épreuves qui l’accompagnèrent. L’émotion était à son comble, et néanmoins pas un sanglot, pas un cri. Il planait sur les deux mille assistants un je ne sais quoi de surnaturel qui élevait à Dieu, et, malgré la fatigue, faisait aspirer au repos éternel où notre cher confrère venait d’entrer, nous en avions tous l’entière conviction. »
Depuis lors, on voit les chrétiens s’agenouiller souvent devant la tombe de leur Père. Ils prient, sans doute, pour lui, mais je ne serais pas étonné de les voir l’invoquer, tant était grande leur confiance en sa vertu, et leur habitude de recourir à lui dans leurs nécessités.
Nous, missionnaires, nous garderons le souvenir d’un confrère qui fut pour nous un modèle de vie apostolique, et nous nous efforcerons d’imiter ses vertus, sa mortification presque effrayante, sa régularité constante dans la vie sacerdotale, son zèle infatigable. Defunctus adhuc loquitur.
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Références
[1197] GONET Vincent (1848-1908)
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1889, p. 180 ; 1894, pp. 226, 371 ; 1895, pp. 211, 232 ; 1896, pp. 243, 245 ; 1897, p. 201 ; 1898, p. 190 ; 1899, p. 234 ; 1900, p. 174 ; 1901, p. 182 ; 1903, p. 214 ; 1905, p. 193 ; 1906, p. 183 ; 1907, p. 224. - A. M.-E., 1913, p. 254. - La Croix de Lorraine, 1908, Sa maladie et sa mort, n° du 29 mars.
Notice nécrologique. - C.-R., 1908, p. 322.