Joseph MARMAND1849 - 1912
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 1298
Identité
Naissance
Décès
Missions
- Pays :
- Japon
- Région missionnaire :
- 1876 - 1912 (Nagasaki)
Biographie
[1298] MARMAND, Joseph-Ferdinand, cousin du cardinal Sévin archevêque de Lyon, naquit à Simandre (Ain) le 26 mars 1849. Il fit ses études classiques au petit séminaire de Meximieux, s'engagea en 1870 dans les mobiles de l'Ain et fut nommé lieutenant. Après la guerre, il entra au grand séminaire de Brou, et le 14 septembre 1875, étant diacre, au Séminaire des M.-E.
Prêtre le 23 septembre 1876, il partit pour le Japon méridional le 2 novembre suivant, et débuta dans le sud des îles Goto, où il construisit plusieurs petites églises en bois.
En 1888, Mgr Cousin lui confia les îles de l'Entrée, ainsi appelées parce qu'elles font face à l'entrée de la rade de Nagasaki ; il bâtit à Magome une église en béton. En 1892, il accompagna M. Ferrié dans les îles d'Oshima, aux Riu-kiu (Lieou-kieou), qui venaient de s'ouvrir à l'Evangile ; il l'aida dans ses travaux et éleva encore une église. En 1897, il fut chargé de l'île de Kuroshima ; il y édifia une nouvelle église dont la bénédiction fut faite le 7 juillet 1902.
Après un séjour d'une année en France pour rétablir ses forces, il était de retour à Kuroshima en novembre 1903, et peu à peu acheva l'église dont le gros œuvre seul avait été fait précédemment. Il mourut dans ce poste le 23 août 1912. Sur son bureau, on trouva ces lignes tracées par lui :
Quando corpus morietur,
Fac ut animæ donetur
Paradisi gloria.
"Je recommande mon âme aux prières de tous. Je demande pardon à tous ceux que j'aurais pu offenser en paroles et en actes. Fait sous les auspices de Marie Immaculée et de saint Joseph, patron de la bonne mort. "
Nécrologie
M. MARMAND
MISSIONNAIRE APOSTOLIQUE DE NAGASAKI
Né le 26 mars 1849
Parti le 2 novembre 1876
Mort le 23 août 1912
Joseph-Ferdinand Marmand naquit à Simandre-sur-Suran, au diocèse de Belley, le 26 mars 1849. Régénéré presque aussitôt dans les eaux du baptême, Ferdinand reçut au foyer familial une éducation profondément chrétienne. Ses parents ne négligèrent rien pour en faire un homme selon le Cœur de Dieu, et notre futur missionnaire sut profiter de leurs leçons. Aussi, bien qu’espiègle comme beaucoup de ses camarades, se distinguait-il par un grand fond de sérieux et de piété, et nul ne fut étonné de le voir entrer au Petit Séminaire de Meximieux. Là il eut le bonheur d’être confié aux bons soins de M. Robelin, ce prêtre zélé qui donna au diocèse de Belley et aux Missions un si grand nombre d’apôtres.
Ses études secondaires terminées, Ferdinand fit un stage d’un an chez un médecin ami de sa famille. Les connaissances qu’il y acquit, permirent plus tard au missionnaire de soulager ses chrétiens dans leurs maladies. La guerre franco-allemande l’arracha à ses études. Ferdinand, qui avait été exempté du service militaire comme élève ecclésiastique, s’engagea dans les Mobiles de l’Ain.
Ses camarades du bataillon l’élurent comme lieutenant. Aussitôt, tels les chevaliers chrétiens du moyen âge, il mit son épée sous la protection de Notre-Dame, en se faisant recevoir de la Congrégation. Celui qui était alors le directeur, lui rappelait cet acte à la veille de son départ pour le Japon. « Bon et heureux Ferdinand, cher confrère dans le sacerdoce, lui disait-il, je viens de relire, à la date du 4 décembre 1870, le procès-verbal de votre réception à la Congrégation. Vous étiez revêtu de votre uniforme, la main sur la garde de votre épée. Vous fîtes, à haute voix, votre consécration à Marie devant vos condisciples. Ils se souviennent encore de vos paroles : « Puisque vous m’avez fait votre frère en Marie, j’espère « que vos prières m’accompagneront au jour du danger.
Après la guerre, le lieutenant Marmand quitta l’uniforme pour revêtir la livrée du Divin Maître au Grand Séminaire de Brou. Après y avoir passé plusieurs années dans le travail et la prière, en la compagnie de son pieux cousin, M. Hector-Irénée Sevin, que Dieu préparait à de hautes destinées, il fit enfin, le 19 décembre 1874, le pas décisif qui l’engageait à jamais au service des autels. Le 22 mai suivant il recevait le diaconat.
Depuis longtemps déjà, le jeune lévite entendait la voix divine qui l’appelait au Séminaire des Missions. Approuvé par son directeur et muni de l’autorisation de son Ordinaire, il demanda et obtint son admission.
Il partit sans rien dire, craignant de ne pouvoir résister aux pleurs et aux explications de son père, et il arrivait rue du Bac, muni seulement d’un sac de voyage.
Ce qui devait arriver, arriva. M. Marmand, froissé de ce brusque départ, s’en prit un peu à tous ceux qu’il soupçonnait d’avoir « ensorcelé » son fils, et tout d’abord au vénéré curé de Simandre, qui n’y était pour rien. Il ne répondait pas, non plus, aux lettres de Ferdinand.
Durant ses premiers temps de séjour au Séminaire des Missions-Étrangères, M. Robelin lui écrivit pour le soutenir dans ces épreuves. « Il vous a porté bonheur, lui disait-il, l’acte religieux par lequel vous vous consacriez publiquement à Marie sous le vêtement de défenseur de la Patrie. Marie vous a revêtu des livrées de son divin Fils. Milice pour milice, celle de la Croix vaut celle du drapeau tricolore. Dieu soit béni ! Pour vous, soyez un saint ! Ce qui vous coûtera le plus pendant la vie, sera ce qui vous fera le plus de plaisir à la mort et dans l’éternité. Souvenez-vous-en ! »
Ayant reçu une lettre de M. le Curé de Simandre, lui faisant part des reproches de son père, il écrivit à ce dernier : « Monsieur le Curé de Simandre est absolument étranger à mon départ, et je n’ai caché mon dessein que pour éviter de trop violentes oppositions. Allons, père chéri, du courage et de la résignation ! Nous nous reverrons. Ecrivez-moi : je vous en supplie, au nom de ma sainte mère que vous pleurez encore. A la garde de Dieu ! Priez pour moi comme je prie pour vous ; aimez-moi comme je vous aime. » Et tandis que cette lettre faisait route vers Simandre, le jeune diacre suppliait Notre¬-Dame de toucher le cœur de son père.
Ses vœux furent exaucés. Moins d’un mois après, son cousin Hector lui écrivait : « Notre-Dame des Victoires a exaucé ta prière ; ton père est apaisé. » En même temps, on lui expédie à Paris son linge et ses livres. Enfin M. Marmand rompt lui-même le silence, non sans gronder un peu et se plaindre, pour la dernière fois, du départ précipité de son fils. « Adieu, lui dit-il en terminant ; va ton chemin ; je suis résigné. Que Dieu t’ait en sa sainte garde ! »
Ferdinand, tranquillisé de ce côté, put alors se consacrer entièrement à sa préparation à l’apostolat. Pendant l’année réglementaire qu’il passa au Séminaire, les amis de Belley ne l’oublièrent pas. Ils lui faisaient part de tout ce qui se passait à Belley, deuils et fêtes, tristesses et joies. Ces attentions le comblaient de bonheur. Il fut particulièrement heureux d’apprendre l’ordination de son cousin Hector qui, quelques semaines après, au début des vacances, venait le visiter aux Missions.
Il reçut lui-même, le 23 septembre 1876, l’ordination sacerdotale des mains de Mgr Richard — alors coadjuteur de l’Archevêque de Paris — son ancien évêque, qui lui avait conféré les ordres précédents. A cette occasion, M. Robelin lui adressait les lignes suivantes : « Vivent les Missionnaires ! Mon vœu le plus cher est qu’il y ait toujours un chaînon de missionnaires du diocèse de Belley au Séminaire des Missions-Étrangères ! C’est le moyen d’attirer les bénédictions du Seigneur sur le diocèse. Vous avez suivi M. Chatron, qui est au Japon, remplissant sa grande mission. Vous serez, je l’espère, suivi par d’autres. J’ose vous demander d’être informé de votre départ pour votre mission. Les élèves seront ici ; ce sera une belle occasion, en les faisant prier pour vous, de leur parler un peu du zèle de la gloire de Dieu et de la Propagation de la Foi. »
Il partit pour le Japon le lendemain de la Toussaint, en compagnie de MM. Bourelle et Corre, et à peine arrivé dans sa nouvelle patrie, il se met à se japoniser, se livrant d’abord à l’étude de la langue et s’initiant aux us et coutumes du pays. Il se donne de si grand cœur à ce travail que souvent, d’outre-mer, on lui reproche de ne pas user assez fréquemment de la poste. « Me suis-je trompé ? lui écrit un jour son cousin. J’avais cru que les Japonais, aussi bien que les Chinois, avaient inventé ou trouvé l’encre ; mais tel ne doit pas être leur fait ; car, autrement, tu posséderais bien au moins quelques gouttes de ce précieux liquide pour écrire au professeur de dogme du Grand Séminaire de Brou. » Et que de fois neveux et nièces rediront : « Cher oncle, puisque nous n’avons pas le plaisir de vous voir, accordez-nous celui de vous lire… pour l’amour de Dieu une lettre ! » Et les rares missives du Japonais, en arrivant en France, apportaient la joie à toute la famille. A Meximieux on se les arrachait. « Quelle joie m’a procurée votre lettre ! Et à nos jeunes gens ! Entendez les conversations sur les terrasses : il fallait aller au Japon pour avoir une paroisse d’un million de païens ! » — « Il vous faudrait bien un vicaire », lui écrit à son tour le bon M. Robelin.
Quant à son père, appelé par ses concitoyens à remplir les fonctions de maire de Simandre, il trouvait la plus grande consolation de ses vieux jours à lire les lettres de son cher Ferdinand, auquel il confiait tous les ennuis et toutes les peines, comme toutes les joies de sa vie, jusqu’au jour où le Divin Maître l’appela à une vie meilleure. Il s’endormit en effet dans la paix, quelques années après le départ de son fils.
M. Marmand avait le travail très facile : il possédait une excellente mémoire. Aussi fit-il, dès le début, des progrès très rapides dans l’étude de la langue, qu’il parvint, d’ailleurs, plus tard, à posséder supérieurement, bien mieux qu’il ne le faisait paraître. Vouloir paraître, disons-le tout de suite, jamais cela ne lui vint à l’idée ; du qu’en-dira-t-on, il s’en souciait autant que les sardines de ses pêcheurs. Il marchait droit son chemin, ne se préoccupant que d’une chose, de la tâche qu’il avait à accomplir. A son travail, il apportait partout et toujours un courage et une ténacité qui finissaient par avoir raison des difficultés, si grandes fussent-elles. Son tempérament très pondéré le servait en cela merveilleusement.
Son Evêque l’envoie-t-il aux Goto, aux Iles de l’Entrée, à Oshima, à Kuroshima, jamais il ne se lamente sur les difficultés spéciales à chacun de ces districts. Partout il regarde ces difficultés en face, se met à l’œuvre sans s’émouvoir, et sous les apparences d’une torpeur qui déroute les non-initiés, il fournit, en ces divers postes, une somme de travail considérable.
C’est que, sous cette torpeur apparente, se cachaient en lui un grand esprit de réflexion, un véritable amour de l’étude, une piété profonde, un zèle ardent. Parfois on trouvait M. Marmand étendu sur une chaise longue, la pipe à la bouche, les pieds posés sur une caisse, sur une rampe ou sur n’importe quel meuble, mais toujours plus élevés que le buste. Cette position lui était ordinairement imposée par la maladie. Il était, en effet, affligé d’obésité, qui, en lui, n’était rien moins qu’un excès de santé. Il souffrit de cette infirmité dès les premiers temps de son séjour au Japon, c’est-à-dire près de 25 ans.
A le voir en pareille position, les personnes mal informées auraient pu être tentées de se dire qu’il se la coulait douce. Mais lui, toujours sans se préoccuper du qu’en-dira-t-on, ne prenait même pas la peine d’expliquer à qui que ce fût les raisons de sa position excentrique. Ceux qui le connaissaient ne se méprenaient pas sur son compte, et quand ils le voyaient ainsi les jambes en l’air, on les entendait souvent se dire : « Tiens ! le Père Marmand prépare encore quelque chose ! » Et ils ne se trompaient pas ; car il s’adonnait souvent, en cette position, à des réflexions sérieuses, prenait une décision relative à une affaire épineuse, élaborait un plan de campagne pour amener plus facilement au bercail ceux des descendants d’anciens chrétiens non encore ralliés, trouvait la solution de quelques difficultés de cons-truction, ou certains procédés pour faire verser à ses chrétiens, sans les écraser, un peu plus d’argent pour la construction et l’entretien de ses églises.
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Le Père aimait les lectures sérieuses. Jamais inoccupé, dans cette même position des pieds en l’air, il revoyait ses traités de théologie. Il ne négligeait pas l’étude des sciences : physique, chimie, astronomie, architecture. Ses fonctions d’ingénieur, d’architecte, d’entrepreneur, nécessitaient, d’ailleurs, une multitude de connaissances.
Par contre, la poésie, les romans, les œuvres purement littéraires, le laissaient dans la plus complète indifférence.
Ce goût et cette vue du pratique était le trait dominant de son caractère ; sa piété, qui était celle d’un saint prêtre, s’en ressentait. Il ne voulait point de ces livres qui, ne s’adressant qu’à l’imagination ou à une sentimentalité superficielle, ne laissent dans l’esprit que le souvenir éphémère de quelques phrases à l’eau de rose. Il se servait uniquement, tant pour ses méditations que pour ses lectures spirituelles, de livres qui s’adressaient à la volonté, en éclairant l’intelligence sur les moyens pratiques d’éviter tel ou tel défaut, d’acquérir ou de conserver telle ou telle vertu. Les exemples des Saints avaient pour lui des attraits particuliers, et lui, que la poésie la plus brûlante ou la plus ailée ne pouvait enflammer ou charmer, laissait échapper de grosses larmes, en voyant, par exemple, dans les articles nécrologiques du Compte Rendu annuel de nos Missions, comment tel de nos confrères avait su endurer, pendant de longues années, des souffrances atroces provenant de terribles infirmités, et tra-vailler quand même soit à former des prêtres indigènes, soit à administrer des chrétiens, soit à convertir des païens. Il s’écriait alors : « Voilà ce qu’est le missionnaire ! Oui, c’est cela le missionnaire ! » Tel était donc, à n’en pas douter, l’idéal qu’il s’était proposé d’atteindre au milieu de ses souffrances continuelles et de ses travaux.
C’est qu’en effet, cet homme, qui paraissait si froid et si difficile à « enlever », brûlait intérieurement d’un zèle ardent. Pour conduire efficacement le troupeau dont il avait la charge, il était indispensable, à son avis, de le bien connaître. Or, si jamais pasteur connut bien son troupeau, ce fut assurément M. Marmand. Qu’il ait deux mille chrétiens à diriger, qu’il en ait trois mille, suivant les différents districts qu’il aura à administrer, il ne tarde pas à les connaître tous, et par leurs noms, et par leurs qualités, et par leurs défauts. Quand il les rencontre dans les chemins, il leur dit toujours un mot, tant pour s’intéresser au travail manuel qu’il les voit exécuter que pour leur rappeler un devoir à remplir.
Il s’oppose de toutes ses forces au continuel exode des populations rurales vers les villes, qui règne au Japon aussi bien qu’en France. S’il ne peut l’empêcher complètement, il correspondra avec ses émigrés, partout où ils iront, pour les mettre en rapport avec le mis-sionnaire le plus proche, et, surtout, pour les faire rentrer dans leurs foyers au plus tôt. Pour que la classe dirigeante de son district — catéchistes, communautés religieuses, conseillers de fabrique, maire, adjoint, etc. — ait tout ce qu’il faut pour pouvoir prêcher d’exemple, il fait donner tous les ans par un prédicateur extraordinaire une retraite solennelle. On ne saurait dire tout le bien que ces pieux exercices, suivis avec une ferveur remarquable, réalisèrent dans ses chrétiens.
Le Père Marmand avait un grand zèle pour tout ce qui touchait à la maison de Dieu : Zelus domûs tuœ comedit me. Il fut un constructeur d’églises. Il en voulait partout où les chrétiens se réunissaient pour assister à la messe et recevoir les sacrements, estimant que, si n’importe quelle masure peut suffire au prêtre et aux fidèles pour les mettre à l’abri du vent et de la pluie, il ne convenait nullement de condamner Notre-Seigneur à un Bethléem perpétuel. Il les voulait belles, pures de style, bien ornées. Il visait aussi à la solidité.
Pour celles qu’il construisit aux îles Goto, il employa le bois, n’ayant pas d’autres matériaux. A Magome, dans les Iles de l’Entrée, il fit un essai hardi, consistant à couler des murs en béton, de bas en haut, jusqu’à la toiture. Grâce aux études qu’il avait faites préa-lablement, grâce surtout aux soins qu’il mit à diriger lui-même jusqu’aux moindres travaux, cet essai réussit à merveille et, depuis bientôt un quart de siècle, cette église, solide comme un roc, se dresse dans ces îles comme un perpétuel hommage à la gloire de Dieu. Il ne put réaliser qu’à Kuroshima son rêve de construire des églises en briques.
Une fois ces églises construites, il les entretenait avec soin et, s’il est vrai de dire que la tenue d’une église est le reflet de l’âme du curé, l’âme de notre Confrère devait toujours être bien belle, à en juger par le bon entretien des églises dont il était chargé.
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Tel M. Marmand fut dès les premiers temps de son arrivée au Japon, tel il se maintint, malgré son infirmité, à travers tous les districts où son Evêque l’envoya travailler.
Il avait débuté aux Iles Goto, qu’il devait administrer avec son compagnon de départ, M. Bourelle, chargé du Nord, alors que lui avait à d’occuper du Sud. Dans ce district, il sut mener de front l’administration bien exacte de ses trois mille chrétiens et la construction de dix églises. Comme il est resté à peine dix ans aux Goto, cela fait, en moyenne, une église par an. Les soucis de ces constructions, si on les ajoute à ses occupations de pasteur, lui donnaient un immense travail pendant toute cette période.
En automne 1888, Mgr Cousin le rappela des Goto et lui confia le district des Iles de l’Entrée, ainsi appelées parce qu’elles font face à l’entrée de la rade de Nagasaki. C’est dans ces îles, à Magome, qu’il édifia la splendide église en béton dont il a été question plus haut.
Ce chef-d’œuvre achevé, il s’apprêtait à s’occuper uniquement, en toute tranquillité, de l’administration des sept paroisses du district, lorsque, en 1892, il reçut la visite de M. Ferrié, qui venait lui demander si, au cas où l’Evêque le lui permettrait, il ne consentirait pas à quitter ces îles pour aller avec lui à Oshima, un autre archipel perdu entre le Japon et les Ryu-Kyu. Depuis plus de dix-huit mois, M. Ferrié avait été appelé dans ces îles encore toutes païennes, et tout lui promettait une riche moisson, s’il réussissait à aplanir les mille difficultés inextricables contre lesquelles il se heurtait. Il estimait — et l’événement lui a donné raison — que M. Marmand était l’homme de bon conseil qu’il lui fallait, pour l’aider à se tirer de la mauvaise impasse où il se trouvait.
M. Marmand qui n’avait vécu jusque-là qu’en milieu chrétien, mesura d’un seul coup d’œil l’étendue du sacrifice que lui demandait son Confrère, en lui proposant de quitter ses chrétiens pour se transporter en pays complètement païen. Toutefois, il n’hésita pas un instant, et se mit entièrement, du consentement de son Evêque, à la disposition de M. Ferrié.
Dans ces îles lointaines, M. Marmand construisit encore une église, et M. Ferrié, aidé de ses lumières et de ses travaux, réussit magnifiquement à se tirer d’affaire : les baptêmes furent nombreux ; plu¬sieurs centres chrétiens furent fondés.
En 1896, Mgr Cousin rappela M. Marmand. Il avait l’intention de l’envoyer à Kuroshima. Malheureusement, les infirmités du Missionnaire se faisaient douloureusement sentir; un stage au Sanatorium de Hong-Kong devint nécessaire. Il s’y rendit, et, après quelques mois de repos, il revint sinon guéri, du moins suffisamment réta¬bli, à son avis, pour recommencer à travailler, et heureux d’accepter Kuroshima, le poste que Mgr Cousin lui avait précédemment offert.
C’est le 19 mars 1897, jour de la fête de saint Joseph, son patron, qu’il célébra sa première messe dans cette île qui devait être le dernier théâtre des exploits de sa vie apostolique. Il constata, dès son arrivée, la nécessité de remplacer l’ancienne bâtisse qui servait d’église, et qui était beaucoup trop étroite, par une église véritable et solide. Déjà les chrétiens de l’île, sous la conduite de son prédéces¬seur, avaient commencé à amasser un petit pécule en prévision de cette construction à venir ; mais il s’en fallait de beaucoup que les ressources fussent suffisantes. Dans les instants que lui laissaient libres les travaux de son ministère, M. Marmand se fit quêteur. Ses chrétiens furent généreux, et assez rapidement, grâce à de fructueuses prises de sardines, fut amassée la somme nécessaire. M. Marmand se mit aussitôt à l’œuvre, et le 22 juin 1900, Mgr Cousin bénissait la première pierre de l’édifice. A partir de ce jour, M. Marmand, se déchargeant pour le spirituel de la paroisse sur le zèle de M. Breton, qu’on lui avait donné comme vicaire, ne quitta plus le chantier, surveillant les fours à briques et dirigeant tous les travaux jusque dans les plus petits détails, quelque temps qu’il fît, été comme hiver. On se figure aisément ce que devait être pareille vie pour ses pauvres jambes qui se crevassaient. Toutefois, il ne s’en plaignait point.
Mais lorsque Mgr Cousin vint procéder à la bénédiction solennelle de l’église, le 7 juillet 1902, M. Marmand était épuisé. L’ouvrage n’était pas encore terminé ; il restait à faire les voûtes, les trois nefs et les autels. En caisse, il n’y avait plus un sou ; d’autre part, l’architecte était absolument à bout de forces, si bien à bout, cette fois, qu’il demanda lui-même d’aller se rétablir au pays natal. Evêque et missionnaires, dont l’assentiment était requis, furent unanimement de son avis, et il partit pour la France.
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Au pays, il eut la consolation de s’agenouiller sur des tombes bien chères, et la joie de revoir encore bon nombre des siens, entre autres le bon cousin Hector, alors vicaire général de Belley, que le Souverain Pontife Pie X devait bientôt nommer à l’évêché de Châlons. Au milieu de ces joies, et tout en reprenant peu à peu quelques forces, il n’oubliait pas les voûtes inachevées, les autels qui ne se dressaient pas encore dans sa chère église du Sacré-Cœur de Kuroshima. Souvent son imagination traçait les cintres de ces voûtes et combinait de magnifiques modèles pour le maître-autel, qu’il rêvait de première beauté. Après un an de repos et quelques pieux pèlerinages à Ars, Fourvière, Montmartre, Lourdes, la nostalgie du Japon se fit sentir si fort qu’il se hâta de reprendre le chemin de sa Mission. Il rentrait à Kuroshima en novembre 1903.
Il y apportait les fonds nécessaires à la construction des autels, dont il voulait seul se charger. Quant aux voûtes, il fut impossible d’y songer de suite, la bourse des chrétiens se trouvant lourdement grevée par les frais de construction d’une école communale. Il fallut patienter et amasser de nouveau, sou par sou. Ce n’est qu’en 1900, qu’il put enfin rappeler les ouvriers pour lancer les voûtes auxquelles il avait si souvent rêvé.
Quand ce travail fut terminé et qu’il eut mis en place la magnifique statue du Sacré-Cœur, don du bon Père Delpech, il semblait qu’il n’y avait plus rien à faire. Pour d’autres, peut-être, mais non pour lui. Il découpa encore, artistement, un lustre, des candélabres et tout un mobilier d’église. Après cela, il fut content.
Ne s’était-il pas trop fatigué à cette besogne, ou ressentait-il plus vivement les effets de la maladie dont il avait toujours souffert ? Toujours est-il qu’au retour de la retraite annuelle, en septembre 1910, commença pour notre cher Confrère un véritable martyre, qui devait durer près de deux ans.
La première année, il se traîna encore tant qu’il put. Malgré la plaie effrayante qui s’était formée à la jambe gauche, il eut le courage d’aller, au commencement de février 1911, à l’époque la plus froide de l’année, jusqu’à Kumamoto pour dire un adieu, ici-bas, à son compagnon de départ de Paris, M. Corre, qui se mourait. En fin avril, il put encore, en compagnie de son vénéré compatriote et ami, Mgr Chatron, évêque d’Osaka, venu pour le visiter à Kuroshima, se rendre à Nagasaki et y assister au sacre de Mgr Bonne.
Les grandes chaleurs de l’été suivant l’abattirent, et son entourage put craindre un fâcheux dénouement. A l’automne, il sentit un mieux sensible et, dans l’espoir de pousser jusqu’à Hong-Kong, il fit, mais au prix de quelle peine et de quelles fatigues, le voyage de Nagasaki, où le médecin le trouva trop faible pour le laisser partir.
Il resta trois semaines à l’hôpital Saint-Bernard, où les bons soins qu’il reçut lui donnèrent l’illusion d’une véritable amélioration. Il ne lui en fallut pas davantage pour le faire rentrer au plus tôt à Kuroshima, où nous le revîmes à la fin de novembre. Il ne devait plus en sortir. A partir du commencement de 1912, l’état du cher malade ne fit qu’empirer. La jambe droite imita la gauche, et bientôt toutes les deux ne furent plus qu’une plaie, ne lui laissant aucun moment de repos.
Malgré ses souffrances, il était bien loin de se désintéresser des affaires de la paroisse. Jusqu’à la fin, il fut le bon pasteur, veillant sur son troupeau, s’occupant de tout et de tous, mais plus spécialement des âmes appelées à une vie plus parfaite dans la communauté des Amantes de la Croix, de celles qui donnaient des marques de vocation pour l’une ou l’autre des congrégations religieuses d’hommes et de femmes établies au Japon, et aussi des pauvres brebis égarées, où qu’elles fussent. Son lit de douleur n’arrêtait pas les ardeurs de son zèle.
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En l’année 1912, on le vit rarement à l’église, ses jambes ne lui permettant pas de descendre ni de remonter les nombreuses marches qui y conduisent. Il y fit sa dernière apparition le 9 juin, au Salut qui clôturait la cérémonie de la première Communion. Il voulut, malgré son état, recevoir lui-même les enfants dans la Confrérie du Carmel et leur imposer le scapulaire.
Trois semaines après, le 30 juin, il célébra encore la sainte messe dans sa chambre, profitant de la permission qu’il avait obtenue de l’Evêque ; puis il me dit : « C’est, je crois, pour la dernière fois, mes jambes n’en peuvent plus ; il me sera impossible, désormais, de célébrer. » Ce fut en effet, sa dernière messe. A partir de ce jour, le Divin Maître se plut à venir fidèlement consoler et réconforter par la communion celui qui avait tant travaillé pour Lui.
Malgré les soins empressés et les prévenances de tous — le bon Père Matrat, son voisin, lui avait envoyé sa chèvre pour lui permettre de prendre un peu de lait — il ne revint pas à la santé. Le dimanche 18 août, il recevait avec les sentiments de la plus vive piété les derniers sacrements.
Il reçut encore, le 20 août, la sainte communion. Des alternatives de haut et de bas se succédaient Souvent, quand il se sentait mieux, il disait au Divin Maître : « O mon Dieu, ne voulez-vous donc pas de mon sacrifice ? Pourquoi ne l’acceptez-vous pas ? » — « Allons ! mon Père, lui disais-je alors ; le bon Dieu sait que de tout votre cœur vous vous offrez à Lui ; mais dites-Lui bien que vous voulez rester sur la croix tant qu’il Lui plaira. » — « Oh ! oui, oh ! oui, non mea voluntas, sed tua fiat ! — « Alors, confiance ! la sainte Vierge est là, comme elle était au pied de la Croix près de son Fils mourant. » « Oui, me répondait-il ; elle est près de moi... toujours... car je suis son enfant. »
L’après-midi du même jour, il eut la douce consolation de recevoir la visite de son nouvel évêque élu, Mgr Combaz, dont le premier acte officiel fut d’accourir au chevet de ce vétéran qui se mourait. Plusieurs Confrères s’étaient empressés de venir aussi. Il les reconnut tous très bien ; il fut très touché de ces marques de sympathie.
Puis la faiblesse augmentant, le cher malade se mit à délirer ; mais son délire même était celui d’un pasteur. Dans son imagination, il voyait venir dans l’île de Kuroshima des semeurs de zizanie, qui cherchaient à pervertir les fidèles, et il voulait absolument qu’on les mît à la porte. Monseigneur essaya, mais en vain, de le tranquilliser. Cette idée ne le quitta que quand on lui eut déclaré, le lendemain, que l’Autorité avait prescrit à tous les malfaisants de quitter l’île et de ne plus jamais y reparaître.
Dans la nuit du jeudi au vendredi, la respiration devenant très pénible, nous crûmes sa dernière heure venue. Mais un petit mieux se produisit à l’aurore. Le Père qui, depuis le jeudi matin, ne prenait absolument rien, répondait encore de temps en temps : « Oh ! oui », aux invocations que nous lui suggérions. Bientôt cet « oh ! oui » même ne put plus se faire entendre. Toutefois, jusque vers midi, en entendant ces invocations, il inclinait l’oreille vers mes lèvres, ce qui nous prouvait que le bon Dieu lui accordait la connaissance jusqu’à la fin. Vers 11 h. ½ , la respiration devint râlante : c’était l’agonie qui commençait. Nous récitâmes de nouveau les prières des agonisants. L’alarme ayant été donnée dans la paroisse, les chrétiens s’empressent d’accourir en foule serrée près du lit du mourant et à l’église pour réciter des chapelets. On dit et on redit, à l’intention de « l’Enfant de Marie » « Priez pour moi... à l’heure de ma mort. » Et c’est ainsi, aidé des ferventes prières de ses paroissiens et de ses Confrères, que le cher Père Marmand rendit paisiblement son âme à Dieu, le vendredi 23 août, à 5 h. ¼ du soir, aux premières vêpres de saint Barthélemy, apôtre.
Dès que nous eûmes revêtu la précieuse dépouille des ornements sacerdotaux, nous l’exposâmes à l’église, où, jusqu’à l’enterrement, les fidèles se succédèrent dans la récitation du chapelet pour le repos de l’âme de leur regretté pasteur.
Dès le lendemain, ici et presque partout dans la Mission, les Confrères, prévenus par dépêche, purent célébrer la sainte messe pour le repos de son âme.
Les funérailles eurent lieu le dimanche 25 août, après la messe solennelle de la fête du Cœur très pur de la sainte Vierge, fête patronale de tout le Japon. Malgré la solennité qui retenait chez eux les Confrères et les difficultés d’aborder à notre île, nous nous trouvions cinq missionnaires à rendre les derniers honneurs à notre regretté Confrère.
Le soir même, pensant le trouver encore en vie, nous arrivait de l’île lointaine de Madora son ancien vicaire, M. Breton, qui n’eut que la consolation de prier sur la tombe à peine refermée et de célébrer, le lendemain lundi, un service solennel auquel toute la paroisse assista.
Je ne saurais mieux terminer cette notice qu’en reproduisant ce petit mot, trouvé dans le buvard de M. Marmand.
Quando corpus morietur,
Fac ut animœ donetur
Paradisi gloria.
« Je recommande mon âme aux prières de tous. Je demande pardon à tous ceux que j’aurais pu offenser en paroles et en actes. Fait sous les auspices de Marie Immaculée et de saint Joseph, patron de la bonne mort. »
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Références
[1298] MARMAND Joseph (1849-1912)
Notes bio-bibliographiques
C.-R., 1885, pp. 39, 186 ; 1886, p. 24 ; 1887, p. 39 ; 1888, p. 23 ; 1892, pp. 41, 52 ; 1893, p. 70 ; 1894, p. 77 ; 1896, p. 69 ; 1897, p. 55 ; 1898, p. 50 ; 1899, p. 27 ; 1900, p. 17 ; 1902, p. 26 ; 1905, p. 16 ; 1910, p. 22 ; 1912, p. 26. - M. C., xxiii, 1891, p. 519 ; xxx, 1898, p. 520. - Assoc. am. des anc. él. inst. Lamartine, n° 20. - Bull. dioc. Reims, 1885, Mort de M. Bourelle, p. 306.
Notice nécrologique. - C.-R., 1912, p. 486.