Paul LECORNU1856 - 1922
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 2043
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Identité
Naissance
Décès
Missions
- Pays :
- Vietnam
- Région missionnaire :
- 1893 - 1922 (Hanoi)
Biographie
[2043] Paul, Adrien LECORNU naquit le 26 mars 1856, à Lisieux, paroisse St. Pierre, diocèse de Bayeux, département du Calvados. Il fit ses études au Collège des Jésuites de Caen, puis se dirigea vers l'école de la rue des Postes à Paris, entra en Polytechnique, et en 1883, sortit de l'Ecole d'Application de Fontainebleau, avec les meilleures notes.
En 1885, on demandait des volontaires pour le Tonkin. Il joua à pile ou face". Ce fut "face" et ce fut le Tonkin. En 1886, il était capitaine du génie à Hanoï, avec le capitaine Joffre, son chef comme plus ancien de grade, et le capitaine Roques, le ministre de la guerre en 1916. A Yên-Bay, le capitaine Lecornu construisit le fort du poste militaire. Il pût alors se rendre compte du travail accompli par les missionnaires, en un temps où soufflait un vent violent d'anticléricalisme.La forte personnalité de Mgr. Puginier l'impressionna beaucoup, d'autant plus qu'il lui arrivait assez souvent de venir déjeûner chez l'Evêque.
Rentré en France en 1888, il prit garnison au Havre. A plusieurs reprises il vint à la rue du Bac, s'entretenir avec le procureur des missions du Tonkin et demander des nouvelles des missionnaires qu'il connaissait. Et le 13 janvier 1889, il confia ses secrets, ses hésitations et ses difficultés à M. Péan, un homme expert dans la direction des consciences, en vue de prendre une décision.
Le 14 janvier 1889, il fut admis officiellement comme aspirant au Séminaire des Missions Etrangères où il arriva le 8 mars 1889. La veille, l'autorité militaire avait accepté sa demande de démission de l'armée .Dès le premier jour de son arrivée au Séminaire de Meudon, les aspirants prièrent M.le Supérieur de lui donner l'unique chambrette distincte du dortoir commun. il fallut toute l'autorité du Supérieur pour qu'il acceptât. Il se plia à la discipline du séminaire, fit ses études de théologie et fut un condisciple complaisant, rieur, et enjoué.
Tonsuré le 1 mars 1890, minoré le 21 février 1891, sous-diacre le 12 mars 1892, diacre le 24 septembre 1892, il fut ordonné prêtre le 23 février 1893, et reçut sa destination pour le Vicariat Apostolique du Tonkin Occidental (Hanoï), qu'il partit rejoindre le 26 avril 1893.
Arrivé au Tonkin, il fit ses premières armes comme missionnaire dans la paroisse de Ke-Dai, au sud du Vicariat, sous la direction de M.Cadro. En 1893, il dirigea la construction du Carmel de Hanoï dont les moniales venues de Saigon, prirent possession en 1894. En Juillet 1895, Mgr. Gendreau lui confia la paroisse française de Hanoï, composée, à cette époque, en majorité d'officiers et de soldats. En 1897,elle fut érigée en paroisse distincte, en raison de l'accroissement de la population française; M.Dronet avait surtout la charge des viêtnamiens.
En Avril 1900, M.Lecornu et le P. Ky accompagnèrent Mgr Gendreau en France et à Rome, à l'occasion de la béatification, le 27 mai 1900, des "49 Martyrs de la Société des Missions Etrangères et des Missions qui lui sont confiées" Le 16 décembre 1900, ils regagnèrent leur mission. Cette béatification donna lieu à des fêtes solennelles à Hanoï et dans tout le vicariat.
En Août 1901, M. Lecornu lança son "Bulletin Paroissial de Hanoï". Une fois par mois, ses lecteurs se délectaient à parcourir les pages si instructives, si spirituelles et si originales de cette revue. Les dialogues de la fin étaient souvent une fine critique des défauts des travers et des manies de la société de ce début de siècle. En 1903, Mgr.Gendreau en fit son provicaire.
M.Lecornu, prêtre savant, zélé, délicat, généreux s'acquitta parfaitement des charges de son ministère. Il aimait beaucoup la prédication sous toutes ses formes, et savait la personnaliser en fonction de ses auditoires. Il excellait dans les allocutions de mariage. Ses catéchismes étaient aussi très goûtés. Sa conversation était émaillée de réparties fines, spirituelles et pittoresques; c'était fort à propos qu'il savait citer du latin, du grec, de l'anglais et de nombreux passages de nos auteurs classiques. Sa grande dévotion envers l'Eucharistie, s'exprimait à travers sa célébration de la messe, dans un respect scrupuleux des prescriptions de la liturgie; il publia, en 1912, un ouvrage "Le Mystère d'Amour" sur ce sacrement.
En 1921, pendant plus de cinq mois, il souffrit d'un cancer à la face. Mais une dernière consolation lui fut réservée. Le 7 janvier 1922, dans l'après-midi, le maréchal Joffre, son ancien compagnon d'armes, son ami de toujours, de passage à Hanoï, vint lui apporter le témoignage de son affection. Leur entretien dura une demi-heure. L'un était au sommet de la gloire, l'autre aux portes du tombeau. Le 12 février 1922, à quatre heures du matin, M.Lecornu rendit son âme à Dieu. Tout Hanoï accompagna à sa dernière demeure, celui qui avait été son pasteur durant 27 ans.
Nécrologie
M. LECORNU
PROVICAIRE DU TONKIN OCCIDENTAL.
M. LECORNU ( Paul, Adrien) né à Lisieux ( Bayeux, Calvados), le 26 mars 1856. Entré laïque au Séminaire des Missions-Étrangères, le 8 mars 1889. Prêtre, le 23 février 1893. Parti, le 26 avril 1893 pour le Tonkin Occidental. Mort à Hanoï, le 12 janvier 1922.
Paul-Adrien Lecornu naquit à Lisieux le 26 mars 1856. Il fit ses études chez les Pères Jésuites de Caen, passa à l’Ecole de la rue des Postes ; entra en Polytechnique, et sortit, en 1883, de l’Ecole d’application de Fontainebleau avec les meilleures notes. En 1886, il était capitaine du génie à Hanoi. En 1889, il quittait l’armée et venait frapper à la porte du Séminaire des Missions-Étrangères.
Cette première phase avant la lettre d’une vie de missionnaire n’est pas la moins digne d’intérêt. Le biographe, qui sans doute un jour aura l’intime joie de parcourir la correspondance et les écrits de notre confrère, y découvrira la genèse et les étapes de cette vocation d’apôtre. Cette simple notice nécrologique ne peut qu’en esquisser les grandes lignes.
Dans l’avenue aux perspectives séduisantes que le monde ouvrait devant lui, Lecornu négligea quelque temps les âpres sentiers de traverse par où l’âme monte vers les sommets. Il ne perdit pas la Foi qui demeura toujours le guide sûr de ses pensées ; mais durant quelques années, il se laissa distraire de la pratique fidèle de ses croyances. Dieu cependant veillait sur lui et le conduisait par des voies détournées à la place qu’Il lui destinait.
Dans ses confidences, qu’il avait très faciles, il aimait à rappeler les circonstances et les cause de ce qu’il appelait sa conversion : une maladie grave, contractée dans une garnison de l’Ouest, lui fit éprouver la commotion de Saul sur le chemin de Damas et ferma ses yeux aux séductions dont il commençait à ressentir l’emprise. Aux prières d’une parente vénérée, prieure du Carmel de Caen, et auteur d’une « Vie de Sainte Thérèse d’après les Bollandistes », il attribuait les grâces qui éclairèrent sa route. Enfin, ce fut le 25 décembre 1885, pendant la messe de minuit, que le Devoir lui apparut dans toute la clarté de ses souvenirs d’enfance et des vives impressions laissées par une éducation profondément chrétienne. Dès lors sa conversion nettement raisonnée, fortement voulue fut définitive.
Cependant il était loin de penser à quitter la carrière brillante qu’il s’était choisie et qu’il aimait de toute la sincérité de sa grande intelligence et de tout l’élan de son cœur généreux, enflammé de patriotisme. Il n’avait pas rencontré celui qui devait être pour lui l’interprète de l’appel divin. Quoniam vas electionis est mihi iste ut portet nomen meum coram gentibus.
Cette rencontre, la Providence la lui ménageait en dehors de toute prévision humaine.
Revenu à la santé, le capitaine Lecornu avait repris le service toujours aimé, fier de ses croyances retrouvées et les imposant au respect de tous par la courageuse simplicité avec laquelle il les mettait en pratique.
1885 ! la guerre du Tonkin battait son plein. On demandait des volontaires. Allait-il lancer sa demande ? Il joua « pile ou face » . Ce fut face, et ce fut le Tonkin.
En 1886, le capitaine du génie Lecornu est à Hanoï avec le capitaine Joffre, son chef comme plus ancien de grade, et le capitaine Roques, le ministre de la guerre de 1916. S’était-il jusque-là rendu compte de ce qu’étaient les Missions Catholiques en Extrême-Orient, et du rôle des missionnaires au double point de vue patriotique et religieux ? Peut-être non. La politique de ce temps-là était anticléricale. Il fallait que l’influence des missionnaires fût mise sous le boisseau, et la calomnie pesait sur le couvercle. En France, la vérité sur le rôle pacificateur, patriotique et civilisateur des missionnaires n’était pas article d’importation officielle.
Cette vérité apparut éblouissante à Lecornu dans l’histoire vécue de la conquête, dans les pages écrites du sang de nombreux missionnaires et de milliers de chrétiens, compromis puis massacrés en haine de la France, et à la lugubre clarté des églises et des chrétientés en flammes. Son âme de soldat autant que de chrétien se sentait attirée vers les missionnaires restés sur la brèche, et surtout vers le grand évêque, l’homme fort, le chef admiré de tous : Mgr Puginier.
Il ne cachait pas son admiration pour les œuvres de la mission et ses sympathies pour les missionnaires. Il communiait tous les dimanches. Assez fréquemment, à la « popote » où son absence était regrettée, il préférait la table modeste de l’évêque. Un jour, Joffre lui dit avec ce sourire paterne que la renommée a consacré depuis : « Capitaine Lecornu, je ne vous demande pas où vous avez déjeuné. Je sais bien que c’est chez l’évêque. Ah ! Mon ami ! Vous finirez par mal tourner. »
Il ne faudrait pas se méprendre : M. Lecornu n’avait rien d’un impulsif ni d’un enthousiaste. Avant d’être imposées à sa volonté, les grandes résolutions s’élaboraient dans sa froide raison à la manière d’un théorème de géométrie. Ce travail de réflexion qui devait le conduire au Séminaire des Missions-Étrangères dura plusieurs années, et nous ne croyons pas qu’en quittant le Tonkin, en mai 1888, il eût encore trouvé la solution définitive.
Cependant, au moment des adieux, Mgr Puginier lui avait dit cette parole dont le souvenir ne devait plus le quitter : « Vous nous reviendrez capitaine Lecornu. » L’évêque avait deviné le travail de la grâce dans cette âme pleine de droiture. C’était la parole d’Ananias au converti de Damas : Saule frater, misit me Jesus...ut videas et implearis Spiritu Sancto. Dès lors, certains doute commencèrent à se dissiper : l’évêque, en devinant ses pensées les plus secrètes, ne le jugeait donc pas indigne....
Revenu en France, il prit garnison au Havre. Il ne manqua pas de venir plusieurs fois au Séminaire de la rue du Bac s’entretenir avec le procureur des Missions du Tonkin, et demander des nouvelles de ses amis, les missionnaires. Un jour, celui-ci lui communiqua une lettre de Mgr Puginier dans laquelle l’évêque disait à son procureur : « Soyez gentil avec le capitaine Lecornu ; un jour il sera des nôtres. » – « En effet, dit le capitaine, ils m’ont dit cela à Hanoï ; mais j’y vois tant d’obstacles ! Pardonnez à ma timidité : toute la journée de mercredi je suis resté avec vous pour causer de cela, et je n’ai pas osé. » On prit jour pour un examen définitif de toutes difficultés et ce fut à un homme expert dans l’art de diriger les consciences et de discerner les vocations, au Père Péan, que le capitaine Lecornu alla confier tous les secrets de son âme et demander une décision.
Une demi heure après, il sortait radieux et disait à celui qui l’avait introduit : « C’est fait. J’entre aux missions. » C’était le 13 janvier 1889. Le lendemain il était admis officiellement comme aspirant au Séminaire des Missions-Étrangères. Si le souvenir de ses confidences ne nous trompe pas, il écrivait aussitôt à son chef et ami d’Hanoi, le capitaine Joffre : « Vous avez été bon prophète. Je quitte l’armée. J’entre au Séminaires des Missions-Étrangères. J’ai mal tourné. Je vous prie même de m’y aider en donnant un avis favorable à ma démission dans le cas où une enquête vous le demanderait. »
La démission ne fut acceptée que le 7 mars suivant, et le lendemain, l’ex-capitaine troquait sa tenue brillante d’officier contre la modeste soutane de séminariste.
Que s’était-il passé durant l’entretien où la solution cherchée depuis des années avait été enfin trouvée d’une manière si soudaine ? Nous le savons en partie par les conversations où le nouvel aspirant mettait tant de simplicité à parler à cœur ouvert avec ceux dont il était devenu le condisciple aimé et presque vénéré.
Les obstacles n’étaient pas ceux qui l’avaient jusque-là le plus arrêté, et les objections les plus fortes quoique prévues, avaient été faites par celui-là même à qui il était venu demander lumière : « Il lui faudrait sacrifier une carrière déjà brillamment parcourue, avec tous les espoirs qu’il pouvait légitimement se promettre... se condamner à quatre années d’arrêts de rigueur, et de quelle rigueur ! le séminaire avec la sévérité de sa discipline, la minutie des détails, la monotonie d’un travail uniforme et continu, sans distractions du dehors... Il lui faudrait, à son âge, reprendre la vie d’étudiant, la vie de pension, avec des condisciples aux goûts et aux habitudes si différents des siens...A cela il fallait une volonté presque héroïque. Cette volonté, l’aurait-il persévérante, et ne s’exposait-il pas à des regrets tardifs et sans remède ? »
Ainsi donc, ce n’était pas une illusion cette vocation à l’Apostolat, de laquelle l’humble estime qu’il avait de lui-même le faisait se juger indigne. Tout dépendait de sa propre énergie. L’objection avait été depuis longtemps prévue et pesée, et la réponse ne se fit pas attendre. Maître de sa volonté, ils se sentait sûr de sa fidélité. La parole d’honneur de l’officier garantissait la persévérance de l’homme voué sans réserve au service de Dieu.
Il reprit la vie d’étudiant avec toute l’ardeur et tout l’entrain du jeune âge. Dès le premier jour de son arrivée au Séminaire de Meudon, les aspirants vinrent prier M. le Supérieur de lui donner l’unique chambrette distincte du dortoir commun et dont l’usage était un privilège attaché aux fonctions de sacristain, réglementaire, maître de cérémonies, etc... M. Lecornu eut beaucoup de peine à accepter cette chambre, et il fallut toute l’autorité de M. le Supérieur pour le lui imposer. Il ne voulait pas de privilège et entendait rester dans le rang. De fait, il ne se distingua jamais de ses condisciples que par sa taille qui les dépassait tous de la tête et des épaules. Avec eux il devint sans effort aucun, le condisciple complaisant, rieur, enjoué jusqu’à l’exubérance et, disons le mot, enfant comme le plus jeune d’entr’eux. Cependant la distinction de l’ancien officier reprenait ses droits devant un directeur ou un visiteur de marque. Le contraste était frappant et impressionnait profondément.
Il avait au plus haut degré la vertu pour laquelle aucun effort n’est difficile, aucun sommet inaccessible : la simplicité. Eloignée de toute singularité, sa piété était puisée aux sources pures de la théologie dont il faisait ses délices, et ne s’écartait pas des voies ordinaires, suivant en tout le règlement qui en déterminait les exercices.
Il avait une sorte de prédilection pour la dévotion à l’Eucharistie. L’origine en remontait sans doute à la messe de Noël 1885 où la grâce avait de nouveau illuminé sa route. Au début de son séminaire, il avait, au Carmel de Lisieux, servi la messe de prise de voile de la petite Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus, et le souvenir de cette messe devint dans la suite de plus en plus suave, à mesure que l’Eglise donnait à l’humble Carmélite figure de Protectrice au Ciel. – Cette dévotion à l’Eucharistie se fit plus intense aux approches du Sacerdoce ; nous verrons ce qu’elle fut en mission. Il aimait la Liturgie et les Rubriques parce qu’elles étaient pour lui, à l’égard de Dieu, comme la théorie du soldat réglant la discipline et le respect dû aux Chefs.
Cette admirable simplicité de notre confrère explique pourquoi, en quittant l’armée, il n’a pas été attiré vers un de ces grands Ordres religieux où sa culture intellectuelle, ses goûts si marqués pour les sciences et les belles lettres, semblaient lui réserver une place de choix.
Ainsi, les quatre années de séminaire s’écoulèrent sans une heure de découragement, de tristesse ou d’ennui. M. Lecornu reçut la prêtrise le 23 février 1893. Il était paré pour la conquête pacifique des âmes sur les champs mêmes de l’apostolat qu’il avait parcourus en soldat. Il s’embarqua pour la Mission du Tonkin Occidental le 26 avril de la même année.
En sortant de l’armée, Lecornu ne cessait pas de l’aimer. Le jour où, débouclant son ceinturon il quitta son épée, il lui fallut, avoua-t-il lui-même, toute son énergie pour dominer l’émotion du sacrifice. Du soldat, il voulait garder toute l’activité, le dévouement, l’abnégation dont il voyait une expression plus parfaite dans le zèle du missionnaire pour le salut des âmes. Ce sont ces analogies dans la poursuite d’un idéal qui, sous toutes latitudes, mettent la main du missionnaire dans celle du soldat. D’une vie à l’autre, la transition pour Lecornu se fit comme d’un seul pas.
« Arrivé au Tonkin, il fit ses premières armes comme missionnaire dans la paroisse de Ke-Dai, au sud du Vicariat. Mais dès juillet 1895 Mgr Gendreau jugea que nul ne serait plus apte à remplir les fonctions de Curé de la paroisse française à Hanoi, presque exclusivement composée alors d’officiers et de soldats.
« Le succès de son ministère ne trompa pas les prévisions du vénéré prélat. Ceux qui ont connu Hanoï, il y a trente ans, ne nous contrediront pas quand nous dirons qu’avant l’arrivée du Père, la paroisse française n’existait pas à proprement parler, et que le bel élan de vie chrétienne, l’entrain que nous constatons aujourd’hui sont dûs, après Dieu, à ses prières, à son initiative et à son zèle.
« Le cher défunt fut en effet, toute sa vie, prêtre dans toute l’acception du mot : prêtre par sa dignité, sa science, son amour des âmes, sa prudence, sa discrétion, sa délicatesse, sa générosité estimée de tous ; prêtre surtout par sa tendre dévotion à la Divine Eucharistie.
« Tous les jours, levé avant 4 heures, il était à l’église dès 4 h. ¼ pour dire la messe dans le recueillement et le silence, ce qui lui laissait la facilité d’assister chaque jour au plus grand nombre possible de messes. C’était un sujet d’édification pour tous de le voir s’ingénier. Pour quitter un autel et arriver à un autre juste à temps pour s’unir plus étroitement aux intentions du célébrant. Grâce à cette pieuse stratégie, il arrivait parfois à entendre une moyenne de cinq ou six messes tous les matins.
« Matin et soir il se tenait à la disposition de ses pénitents avec une régularité toute militaire. Jamais il ne laissait attendre personne volontairement, ne ménageant pas sa peine pour ce ministère si pénible, mais si profitable aux âmes.
« Puissamment secondé par les brillantes qualités de son intelligence et de son cœur, il affectionnait la prédication sous toutes les formes, devant des auditoires souvent différents et en n’importe quelle saison. Qu’ils fussent destinés à la foule ou à un petit groupe choisi, aux enfants du peuple ou à l’élite de la paroisse, ses sermons étaient soigneusement préparés et imprégnés de ce parfum, de cette suavité céleste que communique à ses amis l’Hôte divin du Tabernacle.
« On aimait à l’entendre développer les sujets les plus délicats, les thèses les plus difficiles, avec une facilité, une lumière et une élévation qui forçaient l’admiration de tous. Il disait ce qu’il voulait, et comme il le voulait. Les termes les plus touchants, les comparaisons les plus frappantes, les figures les plus saisissantes se pressaient comme naturellement à son esprit et cela sans la moindre apparence de recherche ou d’effort. A l’exemple de saint Paul, son patron, il pouvait, il savait se faire tout à tous et s’adresser à toutes les classes de la société avec le même succès. »
« Notons en passant un genre dans lequel il excellait : les compliments qui rehaussaient les cérémonies de mariage. On trouverait difficilement plus de variété, de délicatesse, de finesse d’à-propos autant que de richesse et de facilité dans l’élocution. Plusieurs personnes ont manifesté le désir de voir réunir en un volume ces épithalames si originales et si habilement adaptées aux circonstances et aux personnes.
« Les catéchismes qu’il faisait trois et quatre fois la semaine étaient très goûtés, même des grandes personnes. Chose extraordinaire, sa haute stature, son port majestueux, sa voix forte, son allure militaire auraient dû effrayer les enfants. Il n’en était rien. Le Père devenait enfant avec les enfants, savait se mettre à leur portée et traiter avec une facilité et une promptitude hors ligne les questions parfois si subtiles et si imprévues de ces jeunes intelligences de dix ans.
« Sa volumineuse correspondance était mise à jour en un clin d’œil et il ne laissait jamais aucune lettre ni la moindre carte de visite sans réponse.
« Ses conversations, émaillées de reparties spirituelles toutes personnelles, appuyées sur des connaissances étendues et très nettes dans son esprit, forçaient l’admiration de ses auditeurs et amenaient insensiblement la note pittoresque, originale et enjouée. Aussi, comment exprimer le charme que nous éprouvions en sa société ? Nous ne pouvions guère lui causer qu’à l’heure des repas, et ces heures s’enfuyaient trop vite à notre gré. Les missionnaires qui devaient passer par Hanoi se réjouissaient d’avance à la pensée d’y rencontrer le Père. Lecornu. Avec lui on n’avait pas à craindre d’aborder n’importe quelle question. Il avait réponse à tout. Doué d’une mémoire prodigieuse, il était remarquable par ses connaissances littéraires. Il savait nous citer toujours à propos et sans la moindre hésitation de longues tirades des auteurs français, latins, grecs et anglais. Un mot de la conversation lui rappelait-il un passage de ces auteurs, qu’il s’empressait de la débiter en entier avec une volubilité qui émerveillait les assistants. Quelqu’un s’aventurait-il à citer le premier vers d’une ode d’Horace ? Il la continuait jusqu’au point final. Problèmes, équations, théorèmes lui étaient aussi familiers qu’au sortir de l’école.
« En août 1901 parut son « Bulletin paroissial » dont l’annonce est à elle seule un chef-d’œuvre de programme. Une fois chaque mois, les lecteurs se délectaient à parcourir les pages si instructives et si originales de cette revue. Les dialogues de la fin étaient souvent une fine critique des défauts, des travers, des manies, des caprices et des erreurs de la Société actuelle.
« A considérer tout ce brillant ensemble, certains esprits auraient pu penser que la vertu de notre cher défunt n’était pas à la hauteur de ses qualités naturelles. Ce serait plutôt le contraire. Quelle régularité à remplir tous les exercices de piété ! Quel soin à accomplir ponctuellement les cérémonies de la messe et de l’administration des Sacrements !
« On ne dira jamais assez sa tendre dévotion envers la Sainte Eucharistie, thème favori de sa prédication.. Pendant plus de vingt ans, ses sermons au Carmel (deux par mois) n’eurent pas d’autre sujet. Son respect pour les vases sacrés et tout ce qui touche à l’autel était devenu proverbial. La plus légère faute de rubriques, signes de croix tronqués étaient considérés par lui comme manques de respect à la présence de Notre-Seigneur au saint Tabernacle. Les ciboires contenant les hosties à consacrer devaient rester chez lui, dans sa chambre. Il comptait lui-même les hosties et veillait à ce qu’il en eût toujours un nombre suffisant ... On ne faisait pas de pains de messe sans qu’il fût là pour en surveiller la confection.
« Cette piété si tendre et si éclairée lui dictait les consolantes paroles qui ont séché tant de larmes, et cette générosité envers les pauvres qu’il a soulagés en si grand nombre qu’on aurait peine à croire le chiffre approximatif que nous pourrions en donner s’il nous y avait autorisé. »
( Bulletin Paroissial de Hanoi . 22e année, no 2)
La mort de M. Lecornu devait être le digne couronnement de sa vie. Les derniers jours de sa longue agonie ont inspiré cette page superbe que nous reproduisons du journal : « l’Avenir du Tonkin ».
« Nous avons, durant des mois, assisté à un spectacle étonnant : la mort lente, versée comme goutte à goutte et dans des souffrances inexprimables à un homme qui eut la force de sourire jusqu’au bout et dont l’une des dernières paroles fut pour recommander autour de lui comme dans un souffle « qu’on ne fût pas triste ».
« Le corps durant des mois était sur la croix, sur le chevalet, sur je ne sais quel effroyable instrument de supplice, soumis à la torture qui fouille les chairs vives... et l’âme rayonnait. Quand des cris de douleur échappaient, – et quelle douleur fallait-il pour arracher un cri à ce supplicié ! – le regard, les mains jointes ou étendues, demandaient pardon comme d’un murmure involontaire, d’une faiblesse.
« Si quelqu’un s’avisait de dire au Père qu’on priait pour sa guérison, il répondait : « Non, pas cela ; mais seulement que la Sainte-Volonté de Dieu soit faite. » Son unique souci, son application visible était de se maintenir dans l’indifférence absolue sur ce qui devait lui arriver. – Guérir , mourir ? Il ne lui appartenait pas de souhaiter l’un – qu’il savait depuis longtemps impossible humainement. – et quant à désirer sa fin prochain, il a mis, de toute évidence, cela n’est pas douteux pour nous, toute son énergie à se l’interdire. Puisqu’il plaisait à Dieu de le traîner sur la voie royale de la souffrance, son âme sentait tout le prix de cette terrible faveur, et il ne demandait, – il le dit à l’un de nous avec une sorte d’anxiété humble – que la force pour bien souffrir.
« Dur, rude et incroyable spectacle ! Cet héroïsme muet, constant sans une minute de défaillance, eh bien ! vraiment, le Père nous devait cela. Plus clairvoyants, nous aurions dû nous en douter. C’était là le parachèvement, le couronnement d’une vie que nous avions trop grossièrement admirée, sans nous douter de ce que nous côtoyions ainsi. Nous savions bien de cette grande âme qu’elle était exceptionnelle, mais elle était beaucoup plus que cela encore ! De ce dur, de ce rude combat, le Père Lecornu sort vainqueur. Il est mort lentement, humblement, amoureusement soumis. Nous étions nombreux à demander un miracle. Nous l’avons eu plus grand, plus émouvant que nous le demandions. Le Père avait été par sa vie, pour nous tous un exemple, et nous a été fidèle jusqu’à la dernière minute dans l’exemple par sa mort. Précieuse, précieuse mort ; mort réservée à de très rares, capables d’en supporter la crucifiante épreuve. »
« Quand on le voyait, il y a quelques semaines encore, le pauvre Père évoquait l’image humiliée de cette Sainte Face du suaire de Turin ; la joue droite déformée, faisait penser à ce tragique soufflet du valet du grand prêtre. L’accueil du malade était charmant et le fut jusqu’au bout. Du plus loin qu’il voyait le visiteur, il lui souriait, saluait de la main, dans un geste affectueux. Il voulait qu’on causât autour de lui, et, dans la conversation qu’il suivait, il plaçait un mot spirituel, aimable, reconnaissant.
« Un jour, il dit à quelqu’un : « On croit que je désire la mort ; mais non ! j’ai tant de joie à dire ma messe ... » et le visage achevait une pensée inexprimable. Sa messe ! elle était l’axe de sa vie ; elle embaumait ses journées ; il vivait par là, n’avait de joie que par ce grand acte. Tout chancelant, exténué, faisant pitié vraiment, il persista à la dire jusqu’au moment où le peu qui lui restait de forces s’évanouit. Cette fois, le bon ouvrier qu’il avait été ne pouvait plus que se coucher pour mourir.
« Que ce fut lent ! A aucun moment, je crois bien, le Père ne s’était fait illusion sur son état ; sut-il de quel mal implacable il était atteint ? C’était inutile. Il n’eut jamais de doute. Demanda-t-il jamais un miroir pour juger lui-même du progrès du mal ? Nous ne le pensons pas. Il feignit d’ignorer pour n’avoir rien à dire d’oiseux. Ce qui était gravé en lui, dans toute sa personne, sur tout son visage si beau, si ravagé, c’était le « Fiat » héroïque, celui qui ne se dit qu’à Dieu.
« Il eut à son lit d’agonie une grande joie. Quand déjà la mort l’étreignait, il eut la visite du maréchal Joffre. Le Père ne parlait presque plus la faiblesse était extrême. Le Maréchal parut : « Ah ! mon cher Lecornu, ça ne va donc pas ? » Au prix de quel effort et de quelle souffrance, Dieu seul le sait, le Père se raidit, chercha à se soulever sur son séant , il ne put y parvenir, mais son visage s’illumina et ce mourant parla ! toute cette vive intelligence, toute cette âme ardente transparut, vibra. Il prit la main de son ancien compagnon d’armes et dit : « Monsieur le Maréchal, permettez-moi de baiser cette main qui a sauvé la France. » La conversion se poursuivit, animée, et le Maréchal ayant fait allusion à une chanson qu’il chantait en 1886 sous les fenêtres de son camarade : « Vous en souvenez-vous, Lecornu ? » A la stupeur des assistants, on entendit le Père, la mort sur les lèvres, chanter un couplet de la chanson....M Dandolo, Avenir du Tonkin.)
Nous nous arrêtons devant cette scène. En élevant l’âme vers Celui qui mène le monde et en dirige les événements, elle lui fait soupçonner la solution d’un mystère dont Dieu a le secret. L’amitié constante de ces deux hommes, l’immolation de l’humble missionnaire et le génie du grand guerrier ne seraient-il pas, dans le plan providentiel les deux grandes causes d’un même effet ? Cumque levaret Moyses manus vincebat Israël.
Notre confrère, Paul-Adrien Lecornu, Provicaire de la Mission du Tonkin Occidental, rendit sa belle âme à Dieu, le 12 janvier, à quatre heures du matin, à l’heure où il disait habituellement sa messe et qu’il appelait : « l’Heure de Dieu. »
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Références
[2043] LECORNU Paul (1856-1922)
Bibliographie:
R.P. Lecornu, Provicaire du Tonkin Occidental
Le Mystère d'Amour,
Considérations sur la Sainte Eucharistie
Paris, Editeur Pierre Téqui,82, rue Bonaparte, 1912, 394 pages.
Références bibliographiques
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Janvier 1995
Mémorial LECORNU Paul, Adrien page