André GRISARD1873 - 1903
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 2397
Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Corée
- Région missionnaire :
- 1898 - 1903
Biographie
[2397]. GRISARD, André, né dans la paroisse Saint-Ennemond, à Saint-Etienne (Loire), le 21 (m) ou le 22 (é) novembre 1873, élève du petit séminaire de Saint-Jodard, aspirant du Séminaire des M.-E. le 9 octobre 1895, reçut le sacerdoce le 26 juin 1898, et partit le 3 août suivant pour la Corée. Il apprit la langue à Séoul ; en 1899, il fut envoyé à Nai-hpyeng (province de Ham-kyeng), district qui s'étendait le long de la mer, sur plus de 200 kilomètres. En 1903, souffrant d'une laryngite tuberculeuse, il se rendit au sanatorium de Béthanie à Hong-kong, et y succomba le 16 août de cette même année.
Nécrologie
M. GRISARD
MISSIONNAIRE APOSTOLIQUE DE LA CORÉE
Né le 21 novembre 1873
Parti le 3 août 1898
Mort le 16 août 1903
André Grisard naquit à Saint-Étienne (Loire) le 22 novembre 1873, et fut baptisé, le 25 du même mois, dans l’église de Saint-Ennemond.
Nous avons peu de détails sur son enfance. Nous savons seulement qu’il eut le malheur de perdre sa mère, à l’âge de neuf ans, et son père, cinq ans plus tard.
C’est vers cette époque qu’il entra au petit séminaire d’Usson. Ses débuts dans la vie d’études furent assez pénibles. Doué de moyens très ordinaires, d’un tempérament lymphatique et d’une santé relativement faible, il lui fallut du courage pour s’assimiler le rudiment. Un jour même, il crut constater que ses efforts demeuraient stériles, et il lui sembla qu’il s’était engagé un peu trop à la légère dans une carrière pour laquelle il n’avait pas suffisamment d’aptitude. Il dit donc adieu à ses livres et se mit bravement à la recherche d’un gagne-pain.
A Saint-Étienne, deux voies s’ouvraient devant lui : les mines et les rubaneries. Les mines ne lui souriaient guère ; son père, hélas ! venait de périr dans une explosion de grisou. Il se décida pour les rubans et entra en qualité de commis dans un grand magasin. Mais la divine Providence avait sur lui des vues plus hautes. Elle mit sur son chemin un jeune clerc, dévoré du zèle de la gloire de Dieu et du salut des âmes, Michel Epitalon. Celui-ci exhorta si bien notre écolier en rupture de ban, qu’il lui fit reprendre et continuer ses études, d’abord à Saint-Jodard, véritable pépinière d’apôtres et de martyrs, puis à Alix. Il ne cessa jamais de s’intéresser à lui, ni de l’encourager, et lorsque ce saint diacre eut été prématurément rappelé à Dieu, les membres de sa belle famille étendirent leur générosité au jeune missionnaire qui leur conserva, jusqu’au dernier soupir, une inaltérable reconnaissance.
Les notes trimestrielles de Saint-Jodard montrent qu’André fut un élève, sinon brillant, du moins solide, pieux, soumis à la règle, bon camarade, également aimé de ses maîtres et de ses condisciples. Le seul défaut dont il ne semble pas s’être corrigé, c’est celui de son écriture parfois vraiment peu lisible, à cause d’un mouvement nerveux et saccadé de la main, très surprenant chez un sujet toujours si calme. On en retrouve un écho jusque dans les lettres de ces dernières années. Plusieurs de ses correspondants le félicitent de leur avoir envoyé son adresse imprimée : « De la sorte nous allons pouvoir vous écrire ; mais franchement nous « n’avions pas pu déchiffrer votre adresse… » « L’oncle Joannès te prie de soigner un peu ton « écriture… » Puis une main féminine, c’est-à-dire plus indulgente, ajoute : « Ne l’écoutez « pas, il voudrait lire sans regarder. »
Quoi qu’il en soit, le jeune séminariste approchait du terme de ses études et de l’époque à laquelle il aurait à prendre une grande décision. Depuis qu’il était revenu sur le chemin du sanctuaire, il ne doutait pas de son appel à l’état ecclésiastique ; mais, depuis longtemps aussi, il entendait une voix secrète qui le pressait de se consacrer au salut des âmes les plus abandonnées, et de porter dans les pays lointains la lumière de l’Évangile aux pauvres païens. Quelques ouvertures en ce sens furent assez mal accueillies : au lieu de l’admiration due à un si noble projet, il ne récoltait souvent que des blâmes. Maintes fois, il eut à subir l’inévitable assaut des objections bien bourgeoises de plusieurs excellentes personnes de son entourage. Mais lorsque Notre-Seigneur fait à quelqu’un, si humble et si timide soit-il, l’honneur de l’associer à son apostolat, il lui donne la force de fouler aux pieds les affections purement humaines et de mépriser les prudents conseils des sages de ce monde pour ne s’attacher qu’à la croix. Aussi, dès ce moment, M. Grisard demeura-t-il inébranlable dans sa vocation, se contentant de garder le silence, quand il prévoyait qu’il ne serait pas compris.
Sur ces entrefaites, il fut appelé à faire son service militaire à Saint-Étienne, de novembre 1894 à septembre 1895. Ce séjour à la caserne, qui rappelle à plus d’un des scènes regrettables et des souvenirs désagréables, ne semble pas lui avoir laissé de mauvaise impression. En voyant ce jeune troupier placide, modeste et donnant toujours le bon exemple, ses camarades lui épargnèrent généralement les plaisanteries déplacées, tandis que ses chefs le protégèrent contre d’injustes corvées. Aussi, dans nos réunions familières où les confrères aimaient à raconter leurs voyages et aventures extraordinaires en Corée, M. Grisard, qui, sous ce rapport, avait encore peu de choses à dire, se reportait-il volontiers à cette période de sa vie, et nous intéressait-il vivement avec ses histoires de chambrée, de major ou de manœuvres.
Libre désormais, il se hâta d’aller frapper à la porte du séminaire des Missions-Étrangères et témoigna un désir si empressé d’être admis sur-le-champ au nombre des aspirants, que M. le supérieur, aussitôt après la délibération du conseil, lui télégraphia : « Admis, pouvez venir.» C’était le 7 octobre 1895. Le nouvel aspirant arrivait à Paris deux jours après.
Sur son séjour au séminaire de la rue du Bac et son arrivée en Corée, écoutons le récit de son compagnon de route : « Il entra en même temps que moi à Belair, et il était, dès lors, ce « qu’il est resté toujours : le contraire d’un homme poussé aux extrêmes, et rien de bien « saillant ne le faisant distinguer au séminaire. D’une gaieté tranquille, il était un fort agréable « compagnon de récréation, donnant son avis quand on le lui demandait, sans paraître du reste « y tenir beaucoup. Je ne me souviens pas de l’avoir vu une seule fois sortir de son calme, et « ses plus grandes impatiences ne se trahissaient guère que par un « nom de nom ! » bénin, « qu’il avait rapporté de la caserne. En classe, pas plus qu’ailleurs, il ne sortait du rang ; mais, « travailleur calme et ne perdant pas de temps, il réussissait suffisamment.
« Ordonnés prêtres le 26 juin 1898, nous quittâmes Paris le 3 août à destination de la « Corée. Pendant le voyage, M. Grisard fut un peu souffrant, mais jamais on ne l’entendit se « plaindre. Cette disposition m’a, du reste, frappé dans sa maladie. A Séoul, où j’ai eu l’occa-« sion de le voir souvent, il souffrait certainement beaucoup ; néanmoins, quand on « l’interrogeait, il répondait simplement par un sourire.
« Entre Shang-hai et Chemulpo notre conversation roula sur la vie de mission que nous « allions mener désormais. M. Grisard était sincèrement heureux d’arriver en Corée ; mais je « ne voudrais pas dire qu’il fût enthousiaste, au moins dans le sens ordinaire du mot, qui « suppose un certain élan de la sensibilité. Aussi n’avait-il pas à craindre de retomber sur lui-« même et de sentir ces affaissements moraux qui sont une des tentations et une des croix de « quelques jeunes missionnaires. Je ne crois pas qu’il ait jamais connu cette épreuve. »
Arrivé à Séoul le 8 octobre 1898, il passa l’hiver à l’évêché, s’initiant peu à peu à la connaissance de la langue coréenne, des us et coutumes du pays et même des caractères chinois, sous l’habile direction de Mgr Mutel. Au printemps suivant, il fut envoyé à Nai-hpyeng, près du port de Ouen-san.
Voilà donc notre jeune confrère tout heureux de prendre possession de son district et de faire connaissance avec ses ouailles. Quel beau jour que l’arrivée dans son premier poste, où les fidèles font cortège au missionnaire comme des orphelins qui auraient retrouvé leur père ; mais hélas ! quel lendemain de fête ! …
Un des chrétiens accourus pour souhaiter la bienvenue à leur nouveau pasteur, est massacré, le soir même, en regagnant son domicile, par une bande de forcenés païens. Le missionnaire écrit aussitôt au mandarin local, lui désignant les trois coupables et le priant de les faire arrêter. Le mandarin répond que les auteurs du crime sont les chrétiens eux-mêmes, qui ont voulu nuire aux païens. Puis, quelque temps après, ce digne magistrat, pour donner sa mesure et prendre en même temps celle du jeune missionnaire, refusait de recevoir ses lettres et détenait son courrier, Polycarpe, sous le prétexte incroyable que ce dernier était le meurtrier. Enfin, se ravisant et estimant cette ruse trop grossière pour tromper même un Européen, il cite le courrier à son tribunal et le condamne à dix ans de travaux forcés comme coupable d’avoir fait évader le véritable assassin. Et le malheureux Polycarpe fut incarcéré.
Sans répondre aux provocations du sous-préfet qui, pourtant, méritait une bonne leçon, M. Grisard porte plainte à Séoul. Mgr Mutel s’épuise en plaidoyers pour prouver l’innocence de l’accusé et obtenir son élargissement : on écoute volontiers ses sages paroles, on n’y peut ien contredire ; mais il s’agit avant tout de « sauver la face » des autorités. On promet de faire bénéficier le prisonnier de toutes les amnisties qui reviennent périodiquement et simplement. Qu’ils se croient habiles ces grands du jour, quand ils ont trouvé un si ingénieux compromis !
Polycarpe vit donc sa peine réduite à sept, puis à cinq, puis à trois ans ; or, comme il gémissait déjà depuis trois ans dans les cachots, il en concluait que l’heure de la délivrance allait sonner. Mais le gouverneur de la province répondait : « Sans ordre de la capitale, je ne peux te renvoyer. – Encore rien reçu… Pas de nouvelles. » De son côté le ministre de la justice à Séoul répliquait à notre représentant : « L’ordre va être lancé… on le lance… il est lancé… le prisonnier doit être actuellement dans sa famille. »
Ce jeu enfantin, qui passait pour de la diplomatie, menaçait de durer indéfiniment, lorsqu’un pli fut remis au missionnaire de Ouen-san. C’était une pétition ou recours en grâce adressé par le pauvre prisonnier au gouverneur, et que celui-ci avait rejeté en écrivant en marge : « Pas d’ordres de Séoul. » Ce simple billet, mis sous les yeux de S. E. le ministre de la justice, fit cesser un état de choses qui n’avait que trop duré et Polycarpe fut immédiatement relâché.
Voilà un spécimen des difficultés qui assaillirent notre confrère. Il en eut bien d’autres, mais les supporta patiemment sans jamais se laisser abattre ; car, à défaut de talents brillants, il possédait cette précieuse qualité sans laquelle il n’y a pas de vrai missionnaire : l’art de savoir souffrir. Et il était heureux.
Un jardin qu’il aimait à cultiver, avec l’aide de deux petits orphelins, était sa grande distraction, car son voisinage ne renfermait qu’un nombre restreint de fidèles : le gros du troupeau était disséminé le long du rivage sur une étendue de deux cent cinquante kilomètres et il le visitait régulièrement, malgré la mauvaise saison. C’était un rude voyage de plusieurs mois : s’il l’entreprenait trop tôt, les torrents, grossis par les pluies d’été, lui barraient le passage ; s’il retardait son départ, il courait le risque d’être, au retour, bloqué par les neiges dans les gorges des montagnes. Ajoutez à cela des sentiers escarpés fréquentés par les ours, les tigres et les voleurs, auxquels il eut toujours le bonheur d’échapper.
Un peu avant Noël, il rentrait enrhumé, fatigué, mais content parce qu’il nourrissait pour son modeste poste l’amour d’une mère pour son nouveau-né, donnant là un bel exemple à ceux qui seraient tentés de préférer les grands centres aux postes plus pénibles de l’intérieur.
Cependant, quoique l’état général de sa santé parût satisfaisant, il était atteint d’une toux pour laquelle il consulta plusieurs médecins japonais. Il allait tantôt moins bien ; au bout d’un an, on s’aperçut que les remèdes qu’il prenait n’étaient que des palliatifs. Entre temps, la toux provoquait des vomissements qui affaiblissaient le malade. Nous profitâmes de la retraite de 1903 à Séoul pour le faire examiner par l’excellent docteur Wunsch qui diagnostiqua une laryngite et promit de la guérir. Mais hélas ! toutes les ressources de la science et du dévouement échouèrent et, après deux mois de traitement, on constata que cette laryngite était tuberculeuse.
Dès lors, le docteur suggéra d’envoyer le malade au sanatorium de Hong-kong, où l’installation spéciale et les soins assidus demeuraient la seule chance de guérison. Parti de Séoul le 10 juin, M. Grisard s’arrête à l’hôpital de Shanghai, où il décrit avec reconnaissance les délicates attentions dont les bonnes Sœurs l’entourent. A Béthanie il continue de souffrir courageusement, sans d’ailleurs soupçonner le danger de son mal, jusqu’au 11 août.
« Ce jour-là, écrit M. Marie, une crise inquiétante s’étant produite, je n’hésitai plus à lui « annoncer la gravité de son état et je lui proposai de recevoir les derniers sacrements, ce qu’il « accepta volontiers. Après avoir reçu l’extrême-onction et l’indulgence in articulo mortis, le « cher malade se trouva mieux ; mais jusqu’au 15, à cause des vomissements, il fut impossible « de lui administrer le saint viatique. Cependant, comme il avait un vif désir de communier, « après quelques essais infructueux avec des hosties non consacrées, je lui donnai le saint via-« tique à la suite d’un calmant. Il le reçut sans difficulté, sans toux, sans crachement, faveur « spéciale que j’attribue à l’intercession de la très sainte Vierge.
« Le soir il éprouva une nouvelle crise, je crus que c’était la fin et lui demandai s’il serait « heureux de mourir en un si beau jour. « Oh ! oui, me répondit-il ; mais comment voyez-vous « que je vais mourir ? – Vous me paraissez bien malade, lui dis-je. » Dès lors, il mit tout son « cœur à répéter les pieuses invocations qu’on lui suggérait. Cette fois encore, le calme revint « et la nuit fut assez bonne.
« Le 16, vers 4 heures du soir, le malade semblait vouloir dormir ; c’était le sommeil de la « mort. A 5 heures ½ il avait encore toute sa connaissance ; à 5 heures 40, le Frère Joseph vint « me dire : « Je crois que M. Grisard entre en agonie. » J’accourus, lui donnai l’absolution et « essayai de lui faire répéter quelques pieuses invocations. Ce fut inutile : il n’avait plus sa « connaissance, et à 5 heures 50, il rendait tout doucement son âme au bon Dieu. »
Son épreuve était finie ; elle avait été relativement courte mais terrible, et nul ne saura jamais ce que le cher défunt souffrit avec une patience admirable. « Il faut bénir Dieu de tout, « écrit Mgr Mutel, même de nos épreuves et de nos deuils ; toutefois je pense qu’ici nous « avons peut-être à Le remercier d’avoir épargné à M. Grisard le long martyre que ces sortes de maladies peuvent procurer », puisqu’il était menacé d’avoir à subir l’opération de la trachéotomie pour pouvoir respirer.
Recueillons maintenant quelques exemples de vertu parmi ceux que ce cher confrère nous a laissés. Avec quelle générosité il distribuait à des amis, moins bien partagés, les ornements venus de France ! A sa mort seulement, nous connûmes le désintéressement qui le portait, malgré sa pauvreté, à accepter de célébrer des messes dont il abandonnait les honoraires pour soulager secrètement certaines infortunes. Le cœur s’attendrit en lisant dans son journal les marques naïves de sa gratitude pour les moindres services rendus : « Monseigneur m’a payé le « tramway… Le Procureur m’a passé de la réglisse… Monseigneur m’a donné du lait frais et « forcé à prendre une voiture pour aller voir le docteur, etc. »
Dans la volière du paradis, ne le cherchons point auprès des aigles farouches et superbes : sa place est au milieu des simples et paisibles colombes.
Concluons par ces paroles de son confrère déjà cité : « En somme, M. Grisard avait un « riche caractère, si l’on entend par là celui qui a des ressources pour le plus grand nombre « des nécessités de la vie. Or, en mission, ce sont plutôt les petites difficultés, la vie obscure et
« sans grandes aventures, le besoin de subvenir à une foule de nécessités de détail et de « résister à une foule d’ennuis de détail qui sont à l’ordre du jour, et, pour tout cela, un « caractère modéré, du reste solidement trempé dans la piété, offre plus de ressources qu’un « tempérament extrême. C’est pourquoi, en apprenant sa mort si rapide, tous ont dit « sincèrement : « La Corée a fait une perte sérieuse. »
UN MISSIONNAIRE DE LA CORÉE.
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Références
[2397] GRISARD André (1873-1903)
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1900, p. 51. - A. M.-E., 1915, p. 215. - Sem. rel. Lyon, 1903, 2e sem., p. 635.
Notice nécrologique. - C.-R., 1903, p. 397.