René SYLVESTRE1916 - 2008
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 3682
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Identité
Naissance
Décès
Charges
Autres informations
Missions
- Pays :
- Chine
- Région missionnaire :
- 1946 - 1952 (Shantou [Swatow])
- 1953 - 1960 (Hong Kong)
Biographie
[3682] SYLVESTRE René est né le 25 mars 1916 aux Villards-sur-Thônes (Haute-Savoie).
Ordonné prêtre le 20 mars 1943, il part le 23 mars 1946 pour la mission de Swatow (Chine).
Après l’étude du chinois à Kityang et à Sai-Lo Chao-Yang, il est nommé vicaire (1947) puis curé de la cathédrale de Swatow (1948-1951) .Il est emprisonné avant d’être expulsé en octobre 1952.
Il est alors envoyé à Hong Kong pour être supérieur de la maison de Béthanie (1953-1960).
Rappelé en France, il est responsable du service des vocations à Paris (1961-1968), délégué national du SMJ (1964-1973), délégué pour la diaspora des MEP en France (1975-1980), puis il est affecté au service de la pastorale des Chinois (1980-1982) et au secteur pastoral de Thônes (1986).
Il meurt le 10 mars 2008 à Thônes (Haute-Savoie).
Nécrologie
[3682] SYLVESTRE René (1916-2008)
Notice nécrologique
Famille et Jeunesse
René Sylvestre Grosmaurice nous a laissé lui-même un bref aperçu de son enfance. Il a eu l’idée d’en faire le récit à ses amis dans son patois savoyard de la région de Thônes. Sa cousine Ida Mermillod l’a ensuite noté en français. Ce récit direct et simple est plus expressif que n’importe quel commentaire. Laissons le raconter lui-même ses souvenirs :
« Je suis né le 25 mars 1916 Aux Villards-sur-Thônes, au hameau de Carouge dans le chalet de la famille Sylvestre Gros-Maurice. J’étais le troisième garçon de Zozime Sylvestre Grosmaurice et de Marie Sylvestre-Baron. Mes parents m’ont appelé René Laurent et ils m’ont offert à Dieu pour que je sois prêtre. Maman me l’a dit le jour de ma prêtrise. Je fus baptisé le lendemain par le curé Blanc. Mon parrain et ma marraine furent Alexis Sylvestre Grosmaurice et sa femme Victorine Mermillod-Blardet.
1916-1918 : A la Guerre de 14 mon papa fut mobilisé. Il est mort le 16 août 1918 peu de temps avant la fin de la Guerre.
Mon premier souvenir : octobre 1918, j’avais deux ans et demi. Maman me prend dans ses bras pour baiser le cercueil de mon papa.
« Je me souviens également d’un missionnaire, le Père Pierre Vittoz, cousin de mon papa qui avait dit : celui-là, on en fera un missionnaire »
1918-1925 : Je suis resté à Carouge avec maman et mes frères Fernand et Alexis.
L’été, avec les travaux des champs, maman ne pouvait pas s’occuper de moi, elle me confiait donc à sa famille. J’ai vécu aux Levatières avec mes oncles et mes tantes. Là, j’étais choyé, aimé, comblé. Je courais pieds nus, je m’amusais avec les ‘povotes’ pommes de pin, je mangeais les myrtilles, les framboises, les cerises. Comme là-haut il y avait beaucoup de jeunesse, il y avait beaucoup de visites. A 4 ans je me suis démi l’épaule et à 5 ans j’ai perdu connaissance en m’étouffant avec un bonbon.
1921-1928 Relations. Beaucoup d’amour, d’échanges.
Avec maman, formation à la maison. Elle voulait que je sois heureux, que je sois en bonne santé, instruit, débrouillard.
Elle m’a appris à « savoir se taire, ne pas tout dire, savoir garder ses secrets, savoir oublier le mal reçu, pardonner »
Maman a souffert à cause de moi. A l’église, j’étais dissipé, j’étais un enfant terrible, vivant, actif, chahuteur. Elle me punissait quand j’en avais besoin. Je peux dire qu’elle était ferme, et si elle ne pouvait m’attraper dans la journée, j’avais droit à la fessée au lit, quelque fois c’était une fessée aux orties.
En octobre 1921, malgré mon refus et mes pleurs, je rentre à l’école enfantine. La maîtresse Mlle Littoz, m’a accueilli comme une maman.
En 1923, je passe à la grande école jusqu’en 1928. Avec le maître M. Viollet, j’ai acquis beaucoup d’expériences, j’ai été heureux de me développer, de me fortifier, de m’entraîner. Que de bons souvenirs ! Promenade aux Fours, au Mt Lachat, à Colomban, aux Aravis, à Chamonix… le patois entre nous à la récréation… les jeux de billes …la luge…le bob…les skis…rencontres avec les filles à la sortie de l’école…
Ma relation avec Dieu.
Maman m’avait appris à croire en Dieu « Esprit Amour », invisible, mais vivant avec moi et en moi. Mon papa était avec lui, donc avec moi. J’ai vécu en pensée en amour avec papa et avec Dieu.
J’avais déjà beaucoup de ferveur, messe pour papa, la prière du matin et du soir, la messe du dimanche, les Vêpres, les processions. Nous allions au catéchisme dès l’âge de 7 ans, cinq jours par semaine, tous les matins entre 7 et 8 heures du début du mois d’octobre jusqu’à la communion fin juin. L’hiver, dans la neige et le froid, cela demandait beaucoup d’énergie, cela nous a forgé la volonté et le caractère.
J’étais enfant de chœur et quelquefois un peu sacristain, je sonnais la messe ou l’angélus.
J’ai été confirmé dans l’église des Clefs le 19 mai 1927, et j’ai fait ma communion solennelle aux Villards le 27 mai 1928 avec le curé Anthoine.
1928-1935 : Après mon certificat d’études, étant bénéficiaire d’une bourse comme pupille de la nation, je rentre en 6ème au vieux Collège de Thônes. L’année scolaire commençait le 1er octobre, elle s’achevait le 14 juillet. Lever à 5h, 5h30 pour le dimanche…Dans les dortoirs sil n’y avait pas de chauffage et il fallait se laver à l’eau froide, sans parler de la soupe de polenta qu’on devait avaler le matin en guise de petit déjeuner. Au collège, j’étais noté comme bon élève, intelligent, travailleur, mais aussi chahuteur, entraîneur.
Fin de l’année 1934, c’est la vie au nouveau collège de Thônes. J’avais 17-18 ans. J’allais au collège à moto, comme cela je pouvais aider maman en dehors des heures d’études.
1934 fut une année très importante de ma vie. Au collège, le 4 février, le Père Dépierre est venu donner une conférence sur les missions en Extrême-Orient. Pour moi, ce fut comme un appel du Seigneur « Viens, suis-moi » Après avoir discuté avec des élèves de philo, l’un de nous a dit : « Chiche ! On part missionnaire ! » Après réflexion, Lagrange de Dingy, Dechamboux de Villaz et moi des Villards, nous avons fait notre demande pour rentrer aux Missions Etrangères de Paris. L’abbé Périllat, curé des Villards, m’a beaucoup encouragé ; cela m’a aidé, car, pour partir, il faut un coup de grâce et un peu- beaucoup même- de bonne volonté. Une terrible épreuve frappe ma famille en cette même année. Le 7 août, mon frère Fernand est décédé des suites de la chute d’un cerisier. Il avait 23 ans.
« Le 12 septembre 1935, départ des Villards pour le séminaire de Bièvres. Pour moi, c’était une nouvelle vie… »
Préparation missionnaire
Nouvelle vie sans doute de par l’environnement du séminaire de Bièvres, mais « suite et fruit » de sa jeunesse bouillonnante d’énergie, de goût de la découverte, de joie de vivre. Il ajoute cette note au récit concernant sa jeunesse :
« Dans mon enfance et ma jeunesse, j’ai beaucoup reçu pour ma vie d’adulte. Ma vie a été la suite et la récolte des fruits de mon enfance et de ma jeunesse. »
Sa capacité d’émerveillement lui fait avaler sans broncher trois années d’études de séminaire dont il apprécie la variété. A ses exploits de culture physique, il ajoute la pelote basque à laquelle l’ont initié ses condisciples du pays basque, tels les jeunes Vignalet et Chabagnot. Il fait alors une préparation militaire dans l’aviation avec espoir d’y être enrôlé.
En novembre 1938, il est incorporé au 70e B.A.F à Bourg St Maurice et il entre en décembre à l’Ecole des Officiers de Réserve de Grenoble. En mai 1939, il poursuit sa formation à St Maixent et est nommé aspirant de réserve le 10 septembre 1939. Il est alors affecté au 27e bataillon de chasseurs alpins à Annecy puis, deux mois plus tard, le 22 novembre, au 9e régiment de zouaves à Castelnaudary dans le peloton motocycliste. Il peut y savourer son faible pour la moto. L’année 1940 le voit circuler du nord au sud de la France, sans doute par recul stratégique face à l’invasion allemande : en janvier à Tours pour un stage à la base aérienne, puis le 7 juin à Clermont Ferrand, le 8 juillet à Issoire, St Flour, Rodez, Albi et en août à Gaillac pour être démobilisé le 6 août 1940. N’ayant pas eu à combattre et n’ayant pas été fait prisonnier, il peut rentrer à Paris pour faire trois années de théologie et se préparer au sacerdoce. Il est ordonné prêtre le 20 mars 1943.dans la chapelle de la rue du Bac.
Sa maman Marie, sa marraine et son parrain lui offrent alors un très beau calice. Les alliances de ses parents ont servi à la fabrication de ce calice.
Destiné à la mission de Chine, il ne peut s’y rendre à cause de la guerre. Son supérieur le confie à l’évêque d’Annecy qui le nomme vicaire à Bellevaux en août 1943. C’est un gros village d’environ 1000 habitants. Tel un jeune cheval qui rue dans les brancards, il éprouve quelques difficultés à s’entendre avec son curé le père Dupanloup. Son apostolat s’oriente surtout vers les jeunes de la J.A.C. et les enfants du Collège N.D.
Le 17 novembre 1944, il est envoyé à Scionzier près de Cluses,. Cette petite ville compte alors 3.500 habitants. Il peut y acquérir une expérience vécue de tous les mouvements de jeunes : jocistes, jécistes, cœurs vaillants, âmes vaillantes et colonie de vacances.
Quel rôle a-t-il joué dans la résistance ? Il était peu bavard à ce sujet. Mais il avait un profond respect et une admiration sans borne pour les héros massacrés par les allemands au plateau des Glières en mars 1944.
Après la guerre, le départ en mission devient enfin possible. Le 22 mars 1946, René quitte Les Villards pour la Chine. Le lendemain, il embarque à Marseille sur le Maréchal Joffre. C’est pratiquement le premier départ de missionnaires. Ils sont une vingtaine, en bonne partie pour la Chine. Pour des raisons d’économie, la Société des Misions étrangères a dû faire appel à un transport de troupes. 2.500 militaires sont embarqués pour l’Indochine. Le vaisseau fait escale 15 jours à Tamatave, puis un mois à Saïgon. René n’atteint sa destination de Swatow à l’est de la province de Canton que le 6 juin 1946.
Mission en Chine 1946-1952
Mgr Vogel, évêque de Swatow (Shantou en mandarin) est venu l’accueillir à Hongkong. Il place le jeune missionnaire au séminaire de Kit Yang (Jieyang), la « Cité des banyans », pour l’étude de la langue chinoise locale, le Teochew (Chaozhou hua). Il passe ainsi ses premiers six mois à vocaliser les 8 tons que contient ce dialecte. Il y fait la connaissance du P. Joseph Le Corre (1873-1957) un missionnaire apprécié de tous qui put lui servir de modèle.
En 1947, de janvier à juin, il est nommé curé du petit village de Sailo Chaoyang où il peut commencer à bredouiller du chinois. De juin à décembre il devient vicaire du P. André Lambert à la cathédrale St Joseph de Swatow. A la fin de l’année, le P. Lambert étant rappelé en France pour le service des vocations, René Sylvestre devient curé de la cathédrale le 13 décembre. A 31 ans, après seulement 1 an et demi d’étude du chinois, le voici en charge d’une communauté importante de 1.200 catholiques. Secondé par un vicaire chinois très sympathique, il peut mettre en œuvre ce qu’il a appris de l’action catholique en Savoie à Scionzier. Thérèse Yang, amie du père Sylvestre depuis l’âge de 11 ans, se souvient de ses premières armes auprès des élèves de l’école St Joseph dirigée par les Ursulines :
« J’ai bon souvenir qu’un matin, à la rentrée des classes à l’école St Joseph, notre directrice Mère marie Ursule Blot, religieuse ursuline, nous a présenté notre nouveau curé âgé de 31 ans, au visage souriant, dynamique et plein de bonté. Il avait tout de suite gagné notre confiance et notre sympathie. Très vite, avec deux de mes camarades catholiques, nous allions rendre visite à notre nouveau curé à son bureau. Les rencontres ont été très sympathiques ; le père était amical, il savait parler notre dialecte…. Ses manières amicales, spontanées avaient attirées une vingtaine de jeunes étudiantes non catholiques entre 9 et 12 ans… Le père était débordé… Le Père nous demanda d’être animatrices. Il divisa le groupe en trois. Chacune était responsable de 7 jeunes catéchumènes. Tous les jours après le repas et avant la reprise des classes de l’après-midi pendant une demi-heure, les jeunes non-catholiques venaient apprendre le catéchisme… »
Une autre étudiante, devenue plus tard Sœur Marie de Lourdes Siao, ursuline, nous écrit de Taipei en février 2009 :
« Lorsque j’étais élève de l’école secondaire Stella Matutina à Shantou en 1946, j’ai connu le père Sylvestre ; il était curé de la paroisse et j’ai eu le bonheur d’être sa catéchumène. Malgré la difficulté d’expliquer la doctrine en chinois au début de sa mission, il avait toujours le courage de vaincre tout par sa gaieté et son éclat de rire. Quand arriva le temps de mon baptême, j’ai eu la difficulté d’obtenir la permission de mon papa. Tout de suite, il alla visiter papa à la maison et entretint une longue conversation avec lui. Papa était vivement impressionné par le Père. Enfin j’ai pu être baptisée par lui le 17 mai 1950, deux mois avant ma graduation de Stella Matutina »
Il y avait aussi un groupe de formation pour les jeunes garçons. René Sylvestre se préoccupe en effet des enfants de la rue, trop pauvres pour payer des frais scolaires et même privés souvent de nourriture en période de disette. Il crée une école pour eux et se met en quatre pour leur trouver à manger. Il lui manque une directrice. La directrice des ursulines lui présente Mlle Lee Hui Ziak qui vient de terminer ses études. Le Père lui dit : « J’ai pensé vous demander d’assumer le poste de directrice mais je n’ai pas le moyen de vous payer un salaire ». « Le salaire n’est pas important pour moi, dit-elle, j’accepte le poste de 1948 à 1950 ». En 1948, une nouvelle chapelle est inaugurée. A Noël 1950, 64 adultes sont baptisés à la cathédrale. Le semeur recueille déjà le fruit de ses semailles. Mais de lourds nuages commencent à assombrir son horizon. Depuis plus d’un an, le nouveau régime communiste a été établi à Pékin par Mao Zedong le 1er octobre 1949
Le bulletin « China Missionary » de Shanghai publie un compte rendu du P. Sylvestre sur une « campagne » de messe à Swatow. Face à un nouvel environnement hostile, il s’agit d’amener les chrétiens à une piété profonde et personnelle en même temps que communautaire. (Bulletin MEP 1953). Les contraintes communistes se développent après formation de la police et des fonctionnaires dans des camps spéciaux. La mission doit répondre à des questionnaires et fournir en 3 exemplaires des dossiers sur les églises, les offices, les livres en usage, les œuvres caritatives. Puis c’est le contrôle du courrier, des visites. Un faux mendiant fait la quête à la porte du presbytère avec mission de noter toutes les visites. A partir de décembre, une campagne est lancée pour la réquisition des écoles. A l’école secondaire des ursulines, on place des fauteurs de trouble parmi les 400 élèves. La directrice chinoise jugée incapable est arrêtée et enfermée avec les chinois. Elle est remplacée par une directrice communiste. Puis c’est le tour des écoles primaires. Mais les enfants s’assemblent à l’église en dehors des heures de classe et sont enseignés par 18 catéchistes.
Les jeunesses communistes sont lancées pour embrigader les jeunes. Le Père
Sylvestre avertit en chaire les fidèles contre le communisme athée en citant à l’appui les enseignements pontificaux. On fait alors savoir que la liberté de religion ne peut être la liberté de prédication.
Sur ces entrefaites, il reçoit son fascicule militaire envoyé d’Annecy à Saïgon. On a eu la maladresse de lui faire suivre en Chine. Les autorités communistes en concluent qu’il est un militaire envoyé en espion par le gouvernement français. La police s’empare aussi du dernier numéro de l’Hirondelle, une feuille de nouvelles des confrères qu’il envoyait aux missionnaires de Swatow depuis 1946. C’était le numéro 74, un chiffre inoubliable pour un indigène de Haute Savoie.
Prisonnier à Swatow du 9 avril 1951 au 9 octobre 1952
Le 9 avril 1951, arrestations à la cathédrale. Evêque, procureur et vicaire sont évacués par la police, mais Sylvestre est maintenu dans sa chambre pour interrogatoires. Le jour même il voit de sa fenêtre ses chrétiens défiler sur le trottoir d’en face en récitant le chapelet. La maison est fouillée. La police fait du tapage autour d’un appareil de projection pour les enfants. Puis on s’en prend aux livres. Sylvestre en explique sans complexe le contenu, faisant ainsi une catéchèse sur la destinée de l’âme humaine et le jugement dernier. On l’interroge sur ‘l’Hirondelle’, ce bulletin diocésain qu’il tapait à la machine pour ses confrères. Il doit avouer qu’il l’envoie aussi à sa mère, ce qui contribue à le faire dénoncer comme espion. On lui fait signer ce prétendu aveu. Puis on veut lui faire avouer ses moyens d’espionnage et ses chefs à Hongkong. Comme on n’obtient rien par la fatigue, on le menace de torture : on menace de lui scier les doigts, les pieds, les mains. Lors d’un interrogatoire, on lui introduit une aiguille sous un ongle de la main. Un matin on l’attache dans la chapelle et on lui annonce qu’il est condamné à mort. Il demande à écrire une lettre d’adieu à sa mère. On le lui accorde. Puis on prend la lettre en lui signalant qu’on l’acheminera.
Attendant sa mort prochaine, René Sylvestre se livre à deux escapades très risquées. Son but n’est pas de s’échapper, mais c’est surtout de pouvoir se confesser à un prêtre avant de mourir en paix… La première fois, il trompe l’attention de ses gardiens, sort dans le jardin, franchit plusieurs murs, atteint une famille catholique et leur fait fixer un rendez-vous à l’aube avec un prêtre. Mais le prêtre ne peut pas se présenter à cause du couvre-feu. La deuxième fois, notre fugitif est surpris à son retour. Il prétend s’être rendu à la douche, mais il a oublié de mouiller la serviette dont il s’était muni. Il est roué de coups.
Outre son désir de confession, il souhaitait encore vivement détruire son prétendu aveu d’espionnage qui pouvait être utilisé contre les chrétiens. La police lui en offre l’occasion inattendue. On veut lui faire établir une version française de son dossier écrit en chinois. Il en profite pour raturer son aveu jusqu’à déchirer la feuille. Face à la fureur de ses geôliers, il explique que sa déclaration n’étant en rien un aveu, il avait le devoir de l’annuler.
Le vendredi 14juin, on vient le chercher pour l’emmener. Il prend le strict nécessaire, linges, missel, bréviaire. Il croit sa dernière heure arrivée. Mais on le fait monter dans une embarcation pour le mener dans une presqu’île où il rejoint des prisonniers chinois parqués dans une villa.
Le 6 août, il est ramené à l’évêché de Swatow et enfermé dans une petite chambre dont on a barricadé la fenêtre. Il y restera jusqu’en octobre 1952
Solitaire dans sa chambre, il se croit condamné à la prison perpétuelle. Il entend les hurlements des hauts parleurs qui diffusent leur propagande jusqu’à dix heures du soir. Il reconnaît parfois son nom dans le flot des invectives anti-impérialistes. Il entend aussi ses gardiens discuter de tortures auxquelles aucun prisonnier ne peut résister. Déprimé, il reste cinq jours sans manger, au point d’inquiéter ses gardiens. Un soir en septembre, un policier entre dans sa chambre et demande à regarder les images de son missel. La porte est restée grande ouverte. René ne fait qu’un bond, il s’échappe dans le couloir et saute de quatre mètres dans une allée d’où il va se cacher dans le jardin. On le cherche dans toute la ville. Plus tard dans la nuit, quand tout semble apaisé, il se risque à sortir de sa cache. Mais il est aussitôt saisi par l’un des gardiens postés immobiles tous les 20 mètres. Il est alors brutalisé et enchaîné dans sa cellule.
Le 18 décembre 1951 faillit être le dernier jour de sa vie. Il chantonnait dans son lit « Plus près de toi mon Dieu ». Un jeune gardien de 17 ans lui intime alors l’ordre de se taire. Il continue…claquement de culasse. René se dit en lui-même : « Il ne tirera pas, on verra bien s’il tire ». Pan, le jeune homme tire. La balle lui traverse la cuisse et va se loger près de la colonne vertébrale. Très calme, il dit à son meurtrier : « Tu sais, je l’ai reçue, tu peux prévenir tes chefs ! ». Un chirurgien vient extraire le projectile et on lui fait de force une piqûre malgré ses objections. Il craint qu’on ne lui injecte un sérum de vérité. Au matin, il se rassure en apercevant une boîte d’ampoules de pénicilline provenant de Paris. Pendant un mois, on lui fait des pansements.
Cet épisode lui redonne courage. Il organise sa vie en temps de prières et d’exercice. Mais les interrogations reprennent en mai 52. Car l’enquête sur son compte se poursuit. Un jeune chrétien a déclaré à la police que le père lui avait déconseillé de s’engager pour la Corée. Pourtant, à partir de début juin, le régime de détention s’adoucit. Il est autorisé à correspondre avec sa mère. Il n’a plus peur de la mort et organise énergiquement sa vie, dans le calme. Voici ce qu’il en note :
« Lever 4h et demi…exercices, toilette, prières, messe lue…lecture, déjeuner, ménage, propreté, récréation, chansons, bréviaire, étude de mémoire, examen, lecture, exercices, repas, récréation…pas de sieste…répétition des phrases chinoises ou patoises, ou anglaises…Chapelets en cinq langues…pas m’asseoir…tenue droite…sourire…lutter contre le cafard…vive la joie…pas de distractions, ne pas m’occuper de l’extérieur…policiers relève ? Je ne sais… ; »
Le 9 octobre au soir on vient le prévenir qu’il va être expulsé du pays de la « liberté ». Il a une demi-heure pour se préparer et ne peut emporter qu’un bagage à main. Il croit qu’on l’emmène vers un camp de concentration et il se met à pleurer. Mais une vedette de la police le conduit sur un bateau anglais. Il réalise qu’il est enfin libre. Le 11 octobre, il débarque à Hongkong dans un état physique misérable comme c’est le cas pour les autres confrères sortis de Chine. Il avait maigri de 25 kilos. Son visage était cadavérique, comme celui de survivants du camp de Dachau. A sa vue, son évêque Mgr Vogel ne peut s’empêcher de déclarer : « On a arrêté un tigre, il est sorti en mouton ». René trouve la force de sourire. Il se repose un mois dans le sanatorium MEP de Béthanie, puis s’envole le 18 novembre dans un « constellation » d’Air France. Il fait escale à Saïgon, Hanoi, Calcutta, Karachi, Barhein, Damas, Tunis, et atterrit à Orly le 26 novembre. Après quelques jours à Paris où il est soumis à une visite médicale rigoureuse, il rentre enfin aux Villards le 11 décembre et a la joie immense d’embrasser sa mère. A peine remis, il entreprend une tournée de conférences où il expose la situation tragique des chrétiens en Chine.
Hongkong, Maison de Béthanie 1953-1960
Quelle sera la nouvelle affectation du P. René Sylvestre ?
Suivant le bulletin MEP de 1953, il est mis à la disposition de l’Internonciature en Chine sur la demande de Mgr Riberi. Monseigneur Riberi a été lui-même expulsé de Chine en septembre 1951. Bien qu’il soit resté à Nankin après le départ de Tchiang Kaishek pour Taiwan, il n’a pas été contacté par les dirigeants du nouveau régime. Les communistes l’ont ensuite condamné pour son soutien à la Légion de Marie et son hostilité à un engagement des catholiques dans la guerre de Corée. Il a dû se retirer à Hongkong.
Nommé nouveau supérieur de la Maison de Béthanie et directeur du Bulletin, le père René Sylvestre arrive par avion de France à Hongkong le 6 novembre. Il hérite ainsi des rescapés de l’imprimerie de Nazareth qui vient d’être fermée l’année précédente. L’imprimerie de Nazareth qui avait largement contribué au renom de la Société des missions étrangères avait été démantelée. Son équipement de caractères chinois, tibétains, latins, etc. avait été dispersé, non sans provoquer l’amertume des confrères responsables eet l’étonnement des autres congrégations misssionnaires.. Le procureur MEP Léon Vircondelet jugea peut-être alors que la mission de Chine était sans espoir, même à Hongkong. Les quelque cinquante ouvriers de l’imprimerie groupés autour de l’église N.D. de Lourdes à Taikoulao devaient trouver de nouveaux moyens de subsistance. Le père René Chevalier (1909-1981), lui aussi expulsé de la province de Canton, prend en charge en 1952 la petite paroisse de Taikoulao. Le père Léon Trivière, transféré de Nazareth à Béthanie, s’occupe de la rédaction du Bulletin MEP. Ses compte rendus de l’évolution en Chine vont devenir des textes de référence pour les historiens de cette période cruciale. Le P.Antoine Roussel (1902-1990), expulsé de Chongqing en 1950 et nommé à Nazareth, devient en 1953 économe de la maison de Béthanie. Les autres pensionnaires de la maison sont les confrères dernièrement sortis de Chine et qui doivent se refaire un minimum de santé avant d’être postés ailleurs suivant les directives du P. Paul Destombes (1902-1974), vicaire général MEP. La maison de Béthanie abrite ainsi des hommes qui sortent d’une grande épreuve et qui doivent prendre un nouveau départ. Fin 1953, il ne reste plus en Chine que cinq confrères sur les 250 présents en 1949. Ce sont les Pères Jégo et Elhorga à Pakhoi, le P. Narbaïs à Canton, le P. Le Corre à Swatow, et le P.Amiotte à la procure de Shanghai. Même les cendres du fondateur des Missions étrangères François Pallu, rapportées de Chine à Hongkong en 1912, doivent quitter définitivement la terre chinoise. Ses restes sont exhumés le 7 décembre en présence du P. Detombes et du P. Sylvestre. Ils seront solennellement déposés le 13 janvier suivant dans la crypte de la rue du Bac, sous la pierre tombale noire rapportée de Muyang (Fujian).
René Sylvestre devient ainsi supérieur de personnalités aussi indépendantes les unes que les autres et plutôt écorchées par leurs épreuves récentes. Peu sensible aux rebuffades, il gère sa tâche avec plus ou moins de bonheur. Il trouve sans doute plus de consolation en donnant libre cours à son charisme traditionnel auprès des enfants. « A cœur vaillant rien d’impossible ». L’imprimerie de Nazareth n’existe plus, mais René trouve le moyen de faire publier en chinois l’illustré Lefeng bao, journal des Cœurs vaillants. Il est aidé par les religieuses et par la Centrale de la rue de Fleurus à Paris. Ce magazine aura un tel succès qu’il sera repris en Inde par le P. De Biesme et traduit en tamoul à Salem sous le titre ‘Mounnodi’ . Il comptera plus de 4000 abonnés en 1957. Le P. Sylvestre soutient aussi le ministère pastoral du P. Chevalier dans la paroisse voisine de Taikoulao. Le 30 juin 1955, cette paroisse compte 806 chrétiens et 95 catéchumènes. L’école primaire est fréquentée par 434 élèves, garçons et filles, dont 80 catholiques et 354 non catholiques. En primaire supérieur, il y a 29 élèves, dont 15 catholiques. A ces services éducatifs, il faut ajouter un dispensaire et une léproserie où sont soignés 130 malades.
A cette époque, une nouvelle mission chinoise a pris son essor à Taiwan sur la côte est de l’île peuplée de minorités ethniques. L’évangile y progresse à bonds de géant grâce au travail des missionnaires expulsés de Mandchourie ou des provinces du sud et sud-ouest de la Chine. René Sylvestre s’enthousiasme pour ce « miracle de Hualien ». Le temps de Noël 1956 le voit participer activement à deux grandes célébrations présidées par Mgr Vérineux pour l’ouverture d’églises à Fonglin et à Morisaka. A Morisaka, René Sylvestre se voit confier la direction des cérémonies. Les montagnards Taroko en costume de fête chantent admirablement sous la direction du P. Ferdinand Pecoraro, expulsé de la mission du Tibet. Le sursaut de Hualien contribue à redonner un élan missionnaire à la Société des Missions étrangères, même si les succès obtenus auprès des aborigènes Amis, Taroco, Bununs, etc. n’éveillent que peu d’échos en milieu chinois. A Taiwan, René Sylvestre a la joie de pouvoir retrouver son confrère de Swatow le P.Marcel Rondeau(1899-1970), comme lui un grand ami des enfants qui se pressaient chaque jour autour de sa table dans la paroisse de Tenghai. Le bref séjour de René à Taiwan ne passe pas inaperçu auprès de confrères de Hualien. Voici ce qu’en dit leur chroniqueur :
« Il manquerait quelque chose à cette chronique si je ne signalais pas le séjour parmi nous, durant deux semaines, de notre confrère le P. Sylvestre. Je n’étonnerai pas ceux qui le connaissent en disant que, sans aucun arrêt, il a donné libre cours à son dynamisme naturel, voyageant, observant, photographiant à longueur de journées. J’espère que nous ne tarderons pas à connaître ses impressions de voyage. Je gage qu’elles ne seront pas ennuyeuses. » (B.MEP 1956, p.166)
Le P. Sylvestre affectionne les voyages. Son dynamisme lui interdit de rester longtemps en place. Avant Taiwan, il a déjà circulé en d’autres régions d’Asie du Sud Est. Le Bulletin MEP 1956 (p.372) signale sa visite au Collège général de Penang en Malaisie. La même année le voit en Birmanie où il participe aux trois journées du Congrès eucharistique de Rangoon. Ce congrès marque le centenaire de la prise en charge de la mission de Birmanie par les Missions étrangères. Il y représente la famille MEP en compagnie de tous les confrères de Birmanie, de évêques Mgr Olçomendy de Singapour, Mgr Chorin de Bangkok, Mgr Bayet de Ubon, du P. Lobez de Penang, du P. Duquet au nom des procureurs, des pères Maury et Girard de Malacca. Il tient sa place aussi discrète que trépidante auprès de tous les supérieurs de la Société et son regard malin ne manque pas de les encadrer un par un dans son collimateur.
Les confrères du Cambodge signalent son passage à Bangkok en mars 1956. « Et bien sûr, écrit leur chroniqueur, l’une des premières questions qu’il posa fut celle-ci : que faites-vous pour le bulletin ? Ce cher bulletin qu’il voudrait toujours mieux et pour lequel il est à la recherche de collaborateurs compétents » (B.MEP p.656-657) C’est vrai que Béthanie est la « Maison du Bulletin » et que le P. Sylvestre est directeur du Bulletin. Avec la collaboration du P. Trivière, il parvient à sortir une publication de qualité qui attire l’attention de la presse catholique. La Croix écrira le 27 mai 1958 : « Il est peu d’Instituts qui publient des revues d’une telle valeur et d’un tel intérêt général… »
Le 28 juin 1956 est une grande journée d’actions de grâces à Béthanie. On y célèbre les noces de diamant du P. Le Corre ordonné prêtre en 1896. Le P. Le Corre qui a accompagné les débuts du P. Sylvestre dans la mission de Swatow a été le dernier des missionnaires MEP à sortir de Chine. Au repas de fête qui suit la prière à la chapelle, le P. Sylvestre a la grande joie de lui lire la lettre de vœux du supérieur général MEP Mgr Charles Lemaire. C’est avec beaucoup d’émotion qu’il lit ce passage de la lettre : « Les évêques successifs de Swatow, tout spécialement, peuvent et doivent remercier le Seigneur de vous avoir donné à eux comme missionnaire et comme vicaire délégué.»
Le 3 mars 1957, une autre célébration présidée par l’évêque de Hongkong Mgr Bianchi marque les progrès de l’Evangile parmi les foules les plus pauvres. Le père Joseph Madéore est installé curé de l’église du Rosaire détachée de la paroisse St Antoine. La corne ouest de l’île de Hongkong sous les pentes de Mont Davis a vu s’accumuler 75.000 habitants dont 30.000 réfugiés du continent. Trois mille d’entre eux dorment sur les trottoirs. Le 1er octobre 1953, ce quartier de Kennedy Town a été confié au P. Joseph Madéore (1901-1981), chassé de la province du Guangxi en 1952. Fin 1953, le père parvient à recenser une trentaine de chrétiens. En mars 1957, il compte 2000 catholiques dont mille baptisés et mille catéchumènes. Avec l’aide de religieuses chinoises, il a pu ouvrir une école et un jardin d’enfants. Il est aidé de cinq catéchistes permanents et de trois auxiliaires pour préparer au baptême de nombreux sympathisants. Grâce au concours du secours catholique local, il a pu distribuer riz, farine, huile, lait en poudre, médicaments, vêtements, argent liquide. 28.000 personnes en ont bénéficié. Sa petite chapelle ouverte à l’origine devint rapidement bien trop petite. Il dut multiplier les messes grâce à l’aide de quatre prêtres dont le P.René Sylvestre. De généreux catholiques de Hongkong lui permirent finalement de transformer des entrepôts de fer en église avec 700 places assises, une résidence et une salle de réception. La fête du 3 mars 1957 rassemble autour de l’évêque une trentaine de prêtres et religieuses. René Sylvestre qui a vigoureusement soutenu les entreprises du P. Madéore y participe avec les pères de Béthanie. Il n’est pas le dernier à engloutir les ‘dimsam’ et autres trésors de la cuisine cantonaise préparés pour l’occasion en marmonnant son refrain préféré « C’est merveilleux !»
Du 4 juillet au 1er septembre 1957, le P. Sylvestre fait un court séjour de deux mois en France, lequel s’inscrit dans un tour du monde. Il ne peut manquer de signaler que les succès apostoliques des confrères de Hongkong ne le cèdent en rien sur ceux de Taiwan. De passage à Rome, il se rend à l’audience du pape Pie XII. Il a la joie de pouvoir se présenter : « missionnaire en Chine ». Le pape lui répond ; « Dites aux chinois que je pense à eux »
En novembre 1958, les Echos de la rue du Bac annoncent que le P. Sylvestre a été nommé Supérieur de la Maison de Béthanie pour une nouvelle période de 3 ans, jusqu’au 25 octobre 1961. » Il a été en outre autorisé par le supérieur général à travailler, dans toute la mesure compatible avec ses fonctions de supérieur, au service de l’enfance de l’Asie, sous l’autorité de son Excellence Mgr Carlo Van Melckebeke, Visiteur apostolique des catholiques chinois d’outre-mer. Mgr Carlo CICM, de la congrégation belge de Scheut a été évêque de Ningxia en Mongolie intérieure. Depuis 1953, il est chargé de promouvoir le soutien pastoral des catholiques chinois dispersés dans le monde. Il réside à Singapour d’où il a aidé à placer en diverses régions du monde plus de deux cents prêtres chinois empêchés de rentrer dans leur pays. En renouvelant son mandat comme supérieur de Béthanie, la direction MEP confirme le charisme de René Sylvestre auprès des enfants et justifie ses déplacements pour prévenir les remarques des confrères grincheux qui lui reprocheraient d’avoir la bougeotte. C’était lui donner des ailes. En fait, il demeure sagement à Béthanie et se joint au P. Roussel pour aider chaque dimanche le P. Madéore. Une fois par mois cependant, il se rend dans un île située à 40 kilomètres pour assurer la messe aux ingénieurs et techniciens de la Société française Solétanche qui participe à la construction d’un barrage réservoir.
L’Assemblée générale du mois d’août 1960 introduit un développement majeur dans les destinées du P. Sylvestre. Le supérieur général, Mgr Lemaire, remplacé par le P. Maurice Quéguiner, est nommé supérieur de la Maison de Béthanie, le P. Sylvestre gardant la direction du Bulletin. Mais le Bulletin lui-même va faire problème du fait que son rédacteur principal, le P. Léon Trivière, est nommé directeur de la revue Missionnaires d’Asie et doit quitter Hongkong pour Paris. De fait le P. Sylvestre n’a plus de responsabilité réelle à Hongkong. Avant la fin de l’année 1960, il est rappelé à Paris pour diriger le service du recrutement. Les Echos du 1er octobre 1961 annonceront la nomination du P.Mariller comme directeur du Centre de documentation MEP et du Bulletin. A partir de 1963, le Bulletin sera remplacé par la revue Epiphanie.
Paris, Directeur du Service des vocations (1960-1968)
et délégué national du Service Missionnaire des jeunes (1964-1973)
Le P. Sylvestre arrive à Paris le 9 janvier 1961. Il se trouve à la tête de cinq recruteurs répartis en diverses régions de France. Ceux-ci rivalisent avec les recruteurs d’autres instituts missionnaires en vue de peupler les deux petits séminaires des Missions étrangères à Beaupréau en Anjou et à Mesnil-Flins en Lorraine.
Comment comprend-il sa nouvelle affectation ? Le voici séparé du milieu chinois qu’il aime tant. Il entrevoyait peut-être des tâches missionnaires à Hongkong même, ou à Taiwan ou dans la diaspora chinoise…Il ne manque pas de lieux où l’Evangile progresse à grands pas parmi les chinois. La moisson est belle et il y manque des ouvriers. De nouveaux champs d’apostolat ont même été ouverts par les anciens de Chine. A Madagascar, le Centre catholique chinois de Tamatave, ouvert en août 1953 par le P. Cotto, MEP au service des jeunes est maintenant connu dans toute l’île. Des confrères de langue cantonaise expulsés de Pakhoi, les P. Elhorga et Pinsel, y font merveille. René Sylvestre, lui est rapatrié pour s’occuper du recrutement à une époque où les diocèses de France et les jeunes français se désintéressent de la mission à l’étranger. Après la défaite de Dienbienphu et la fin de l’Indochine française, la guerre d’Algérie approche de sa débâcle finale. Les jeunes rappelés de 1956 puis les appelés des années suivantes ont réalisé l’ineptie de l’obstination coloniale. Ils croient au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. On s’oriente plutôt vers la mission en France où se développent divers mouvements de pastorale liturgique et d’engagement du laïcat chrétien dans les milieux sociaux. Le second concile du Vatican se prépare. Les voiles de l’Eglise se gonflent au souffle rafraîchissant des inspirations du pape Jean XXIII. Les diocèses de France prennent conscience de la baisse des vocations sacerdotales et veillent frileusement sur leurs candidats. Seule l’Afrique conserve un certain appel dans une perspective de développement social. L’encyclique Populorum progressio confirmera cette vision de la mission comme service humanitaire. L’envoi de prêtres Fidei Donum en Afrique francophone pour quelques années devient alors une formule plus acceptable que la mission à vie dans un Institut spécialisé.
Le P. Sylvestre est-il conscient de toute cette évolution ? Il accepte ce poste en toute obéissance et humilité. Il n’a pas l’habitude de discuter les ordres. Il a confiance en Dieu avec une foi d’enfant. Mais en le nommant à ce poste, que pense le P. Maurice Queguiner? Se réfère-t-il encore au modèle de recruteur défini ainsi dans le rapport de 1938 :
« Le bon recruteur doit être vigoureux physiquement, être vivant et optimiste, savoir parler aux adultes comme aux enfants, savoir mieux encore se taire quand il le faut, être capable d’avaler bien des couleuvres, témoigner d’une certaine culture, faire preuve de bonne éducation et de savoir faire, être doué d’une bonne piété, aimer les jeunes gens et plaire aux hommes faits. Et pardessus tout, aimer la Société et non seulement les missions »
C’est vrai que rené Sylvestre répond assez bien à ces requêtes mais ce modèle est-il encore valable dans les années 60 ? Mgr Lemaire en avait perçu l’insuffisance en nommant à ce poste le P. Prouvost avec mission de coordonner divers types d’approches. C’est dans cette perspective que l’année 1948 voyait la naissance d’un centre d’information et de diffusion missionnaire chargé d’éditer et de diffuser des documents écrits et audio-visuels. Dans les années 50 les films produits par le P. Christian Simonnet faisaient connaître les nouveaux exploits missionnaires en même temps que les beautés de la civilisation asiatique.
Mais la baisse des vocations ne fait que s’accentuer dans l’ensemble de la France. Nombre de prêtres quittent le sacerdoce à la suite du concile. Aux Missions étrangères, les deux séminaires de Paris et de Bièvres sont regroupés en un seul, d’abord à Paris, puis à Bièvres. Au printemps 1961, les Echos de la rue du Bac annoncent la fermeture du petit Séminaire de Beaupréau lancé trente ans auparavant par Mgr de Guébriant. L’autre petit séminaire fondé par le P.J.Thibaud en 1937 à Mesnil-flins (Meurthe et Moselle) ferme à son tour en 1966. Comment René Sylvestre s’acquitte-t-il de sa tâche ? Nul doute qu’il n’y mette tout son cœur. Et si les fruits de son action ne peuvent se chiffrer en nombre d’entrées au séminaire, son aptitude à rallier les jeunes atteint par contre son plein épanouissement. Si bien qu’il est nommé en 1964 délégué national du Service missionnaire des jeunes. D’après le Rapport des Etablissements communs de 1965,
« le P. Sylvestre, directeur de notre Service des vocations, assume aussi la direction du Service missionnaire des jeunes et de sa revue Connaître les missions, anime des sessions d’éducateurs et de jeunes, tout en multipliant, comme ses confrères des diverses régions de France, conférences, journées missionnaires et récollections ».
Le rapport 1966 apporte plus de précisions sur ses activités multiples :
« Le P. Sylvestre visite de nombreux collèges et séminaires, surtout dans les sud-est. Délégué national des Œuvres pontificales missionnaires pour le Service Missionnaire des jeunes (S.M.J.), il a pris une part active à l’important pèlerinage de 4.500 jeunes à Rome, durant la semaine sainte, à 11 sessions missionnaires de jeunes durant les vacances et à des dizaines de rencontres interscolaires durant l’année. Il a participé à deux sessions d’éducateurs missionnaires … »
Le rapport 1968 fait une revue générale de l’évolution du service des vocations. Il explique comment on est passé de l’expression ‘recruteur’ à ‘délégué aux vocations. Il donne ensuite la liste des D.A.V. des Missions étrangères en chaque région de France et ajoute une note spéciale concernant le P. Sylvestre :
« A noter en particulier l’importance d’un poste comme celui du P. Sylvestre à la direction du S.M.J. qui lui permet de nombreux contacts avec les jeunes de tous azimuts et aussi avec les responsables diocésains chez qui il peut trouver et provoquer d’excellentes collaborations…et aussi celui de directeur de l’exposition permanente de Lourdes, où se rencontrent par dizaines de milliers, parents, jeunes, prêtres, religieux, religieuses. »
Après l’Assemblée générale de 1968, il peut se consacrer plus pleinement au S.M.J., car sa mission de recruteur pour les Missions étrangères prend fin. Le Service des vocations devient un Service d’information et d’animation missionnaire dirigé par le P. Jean Hirigoyen avec le soutien du P. Jean Michel Cuny, membre du conseil MEP. Les délégués aux Vocations deviennent des Délégués à l’Information et à l’Animation Missionnaires (DIAM). Les missionnaires en congé sont invités à coopérer. Les moyens audio-visuels sont multipliés et les activités dans les diocèses se diversifient. Pourtant le nombre des séminaristes continue de baisser. Les responsables du séminaire de Bièvres passent une partie de l’année 1968-1969 à des rencontres communes avec les représentants des Missions Africaines de Lyon et des Pères du Saint-Esprit en vue d’un regroupement des études. Le Consortium d’Etudes et de Recherches Missionnaires (CERM) commence à fonctionner en octobre 1969. Les cours prennent place à Chevilly la rue chez les Spiritains jusqu’en 1974. Vu la diminution constante des effectifs, ce qui resste du CERM devra bientôt se réfugier au 128 rue du Bac et y terminer son existence.
Délégué pour la diaspora des M-E. en France 1975 à 1980
L’Assemblé générale de 1974 fait face à une situation dramatique. Si elle ne peut assurer sa relève, la Société doit-elle envisager la fin de sa mission ? Dans l’immédiat, elle doit d’abord gérer l’afflux de ses membres en France. Aux anciens de Chine trop âgés pour repartir en mission, il va falloir ajouter une nouvelle vague des confrères rentrant des pays d’Indochine passés sous régime communiste. René Sylvestre se voit confier une nouvelle mission : maintenir un lien avec les confrères des missions étrangères qui sont rentrés en France et aider à leur insertion pastorale dans les diocèses de France. Sa nomination datée du 1er février 1975 est signée du P. Michel Ladougne alors Vicaire général. Cette nomination est valable pour 18 mois à la demande du P. Sylvestre et renouvelable pour une période à préciser avec lui. Voici comment il fait le bilan de ses deux premières années de délégué sous le titre ‘Les activités du Service «Diaspora »
« Les activités vont s’étendre sur une période de 20 mois. Elles répondront, du mieux possible, aux buts du Service, précisés par l’Assemblée de 1974 et exprimés par le Supérieur général dans sa circulaire du 1er septembre 1974 : « Le Délégué aura pour fonction de visiter les confrères, d’être attentif à leurs besoins, de les aider à s’insérer dans un ministère pastoral, de faire le lien avec les évêques. »
« 1. Visites des confrères. Tous les confrères ont été visités chez eux au moins une fois : ces contacts personnels sont organisés dans le cadre dune semaine par région, ce qui permet de faire en moyenne deux visites par jour, de prendre un repas avec le confrère, de passer la nuit chez certains qui peuvent accueillir plus facilement. Ces visites comprennent évidemment une bonne conversation très fraternelle et amicale qui permet de mieux connaître la situation matérielle du confrère, ses besoins, son travail, etc... C’est surtout l’occasion de parler et de reparler de l’Asie, des missions, de la Société. Ces échanges sont toujours une occasion de grand bonheur, surtout pour le délégué qui retrouve vraiment des missionnaires d’Asie.
Ces visites ont surtout été multipliées auprès des confrères âgés malades ou en difficultés ; certains ont eu la visite au moins tous les deux mois…
Evidemment ces visites aux confrères dispersés et isolés, il les faudrait plus fréquentes, plus longues, plus fructueuses sans doute. Mais, vu le nombre et l’éparpillement, il est difficile de faire mieux pour le moment...
« 2. Rencontres régionales.
Heureusement chaque région organise, une ou deux fois par an, une rencontre chez l’un ou l’autre des confrères. En 1975, il y avait eu huit rencontres des Pères M.E.P. d’un ou plusieurs diocèses. Cette année, il y en a eu 12, rassemblant en tout environ 100 confrères… Habituellement cela se passe ainsi : arrivée vers 10 h du matin, les confrères font connaissance, participent à la concélébration, prennent un bon repas en commun, puis belle promenade ou échanges animés l’après-midi, goûter de l’au revoir. Ces journées font beaucoup de bien à chacun ; elles sont à l’origine dune meilleure connaissance des confrères « du coin » ; souvent des missionnaires en congé y participent, et aussi d’anciens M.E.P. qui ont quitté la Société. Parfois, il arrive qu’un « officiel » du diocèse vienne nous rendre visite ; il en repart avec une excellente impression... et même le regret de ne pas être M.E.P.... Ces rencontres régionales sont pour le délégué du Supérieur général l’occasion de passer toute une journée avec tous les confrères sans avoir à courir, et aussi d’entendre ses confrères lui dire de bonnes vérités pour le bien de tous. C’est ainsi qu’il a été élu « délégué syndical de la base M.E.P. »... pour préciser une de ses fonctions auprès des Supérieurs... Pas mal trouvé !
« 3. Services rendus.
En plus de ces visites et rencontres d’amitié, un esprit de service se développe de plus en plus, sous forme de petites commissions, de transports en voitures, de démarches, de remplacement dans le ministère, etc... Très souvent, on apprend qu’un confrère a été emmené chez le docteur par un confrère voisin. Ces services sont surtout au bénéfice des plus âgés ou malades.
« 4. Retraite de Bièvres.
A ces activités qui se réalisent en province avec et pour chaque confrère, il faut ajouter les réalisations plus générales : la retraite de Bièvres, tous les deux ans, au mois de juillet. Celle de 1975 a été une belle occasion de se retrouver dans la prière et l’amitié. Une bonne soixantaine de missionnaires s’y sont retrouvés.
« 5. Session de Bièvres janvier 1976. Une vingtaine de missionnaires M.E.P., anciens d’Indochine, ont participé à cette session organisée pour les aider à une nouvelle insertion dans le ministère en France. Cette semaine, passée à réfléchir sur la société actuelle, sur l’Eglise et la pastorale en France, a beaucoup aidé les participants à entrer dans le ministère qu’ils allaient reprendre.
« 6. Courts séjours dans les maisons communes : Paris, Lauris, Montbeton.
Un nombre plus important de confrères dispersés vient se retremper dans les vieux murs de nos maisons communes. Ils semblent y être très bien accueillis : on entend très peu de critiques, au contraire. Certains y viennent pour participer à la retraite spirituelle des résidents, comme à Lauris ou Montbeton. Il ne semble pas qu’il y ait des abus, d’après les conversations échangées à ce sujet avec les supérieurs de ces maisons, qui font de leur mieux pour rendre leur communauté très accueillante. »
René Sylvestre ajoute une note spéciale sur l’évolution de sa tâche à partir de 1975 à la suite des expulsions du Vietnam, Cambodge, Laos :
« Ce fait si grave du retour en France de tous les missionnaires de ces pays a eu des répercussions importantes sur la Diaspora M.E.P. Le nombre des confrères dispersés a augmenté d’un bon quart, leur arrivée et leur insertion dans la pastorale actuelle a été parfois cause de souffrances et de critiques.
Mais actuellement on peut exprimer quelques remarques positives à ce sujet :
La réadaptation de ces dizaines de confrères souvent assez âgés, (les plus jeunes repartant en mission, pour la plupart), s’est bien faite… La bonne volonté des évêques de France pour accueillir les anciens missionnaires, originaires de leur diocèse, a été sûrement pour une grande part dans la réussite des anciens dans la pastorale de France. Peut-être que les missionnaires revenant d’Indochine, ancienne colonie française, avaient moins de difficultés que ceux qui revenaient autrefois de Chine ou de pays d’Asie sans lien avec la pastorale de France.
Plusieurs, parmi ces anciens missionnaires du Vietnam, assurent un certain service pastoral auprès des réfugiés répartis dans plusieurs départements. Ils sont, du mieux possible, en relation avec les responsables de la pastorale des migrants asiatiques de Paris. Le délégué pour la Diaspora M.E.P. fait souvent agent de liaison pour maintenir le contact et faciliter les démarches en faveur des réfugiés. René SYLVESTRE, Délégué
Le service des réfugiés d’Indochine est en fait pris en charge au niveau national par l’OFPRA. Le P. Paul Richard en assure pratiquement la direction, après avoir été expulsé de Chine puis du Vietnam où il s’était réimplanté à la tête de la grosse école franco-vietnamo-chinoise Ste Thérèse de Cholon. Cet afflux en France des réfugiés de l’ancienne Indochine entraîne une forte croissance de la présence chinoise à Paris. Environ 40% de ces réfugiés du Vietnam, du Laos et du Cambodge sont en fait des chinois d’origine parlant les dialectes cantonais, teochew et autres. Un certain nombre sont devenus chrétiens en Asie du Sud-est. René Sylvestre se trouve à l’aise avec eux. Une messe chinoise est célébrée le dimanche à l’église Ste Elizabeth, rue du Temple, près de la Place de la République. René prend l’habitude d’y participer.
Le Père Sylvestre assure le service de la diaspora jusqu’en 1980. Après l’Assemblée générale de 1980, le service de la diaspora est confié au P. André Rannou. Pour faciliter la liaison entre les missionnaires rapatriés, René Sylvestre avait repris la publication de cette fameuse Hirondelle qu’il avait l’habitude de fabriquer dans sa mission de Swatow. Coïncidence étonnante : de 1975 à 1980, il en publie également 74 numéros… Dans son dernier numéro, il fait ainsi ses adieux :
« C’est avec une petite émotion que je rédige et vous envoie cette Hirondelle. C’est la 74e que je vais signer et expédier. Avant de laisser la fonction de Délégué au Père André Rannou, je vous dis un grand merci pour les bons moments passés ensemble depuis 1975. Merci de votre accueil, de votre amitié, de votre collaboration. Grâce à vous, ces six dernières années ont été parmi les plus belles de ma vie missionnaire…après bien sûr les six années extraordinaires vécues en mission en Chine de 1946 à 1952, où j’avais aussi fabriqué et expédié 74 Hirondelles pour mes confrères de la mission de Swatow… »
Pastorale des Chinois 1980-1985
Le rapport de la Diaspora en 1981 cite une brève parole de René Sylvestre : « Comme ancien missionnaire de Chine, je fais mon possible pour m’intéresser et participer à ce qui se fait pour les Chinois. » Puis ses activités sont ainsi décrites :
« Il reste en relation avec un certain nombre de prêtres chinois en France et en dehors, U.S.A, Canada, Hongkong et Malaisie. A Paris, il participe à la messe de la communauté chinoise. Il rencontre aussi des catholiques chinois dans plusieurs pays, surtout ceux qui parlent le dialecte de Swatow ou de Canton, ainsi qu’un nombre important de non chrétiens. »
Il prend ce service des Chinois tellement à cœur qu’il demande à faire une année sabbatique à Hongkong en vue de se remettre à la langue cantonaise. Le chroniqueur de Hongkong ne manque pas de signaler sa présence en 1982:
« Pendant neuf mois, nous avons eu un membre honoraire, René Sylvestre, qui nous a donné un bel exemple de jeunesse, en revenant à 67 ans refourbir son cantonais afin d’aider les Chinois de France. » (AME rapport N°1882)
Les Chinois de la région de Swatow sont appelés généralement ‘Teochew’ une
transcription anglaise du mandarin ‘Chaozhou’, ville voisine de Swatow qui a donné son nom au dialecte de la région. Avec les Teochew, René Sylvestre est chez lui partout dans le monde, car les Teochew font de bonnes affaires aussi bien en Asie du Sud-Est qu’en Amérique et en Europe. A Paris, le plus gros magasin chinois est tenu par les Frères Tang, des Teochew autrefois implantés au Laos. Lorsqu’ils sont catholiques, les Teochew sont encore plus solidaires et ils forment entre eux une sorte de clan soudé par la même foi. Dès que la vie chrétienne a pu reprendre ouvertement en Chine dans les années 1980, les Teochew de Singapour, de Malaisie et de Thailande ont financé la construction d’églises dans le diocèse de Swatow. A la sortie d’une messe à l’église du calvaire de Bangkok, il m’est arrivé d’entrer en conversation avec quelques paroissiennes d’origine teochew. Elles m’ont de suite demandé si je connaissais le P.Sylvestre. Sur quoi elles se sont mises à me raconter à grand renfort de bruyants éclats de rire leurs aventures de jeunesse avec le jeune missionnaire zélé de Swatow : « Il nous prenait sur le siège arrière de sa moto, disaient-elles, et il démarrait tellement vite que nous tombions le derrière par terre… ». Nul doute qu’elles aient bien connu le P. Sylvestre.
Les chinois étant dispersés partout dans le monde, René Sylvestre peut donner libre cours à son goût des voyages. En avril 1983, il se signale en Indonésie, à Bali, puis à Singapour et Hongkong. En septembre de la même année, il est à Taïwan d’où il exprime son admiration pour le travail réalisé par les ursulines. Tout au long de sa vie, il fait bien d’autres voyages : au Cameroun, à Beyrouth, aux Etats-Unis, au Canada, en Terre sainte. Lui-même se félicite d’avoir fait deux fois le tour du monde
Savoie, au service du secteur pastoral de Thônes 1986-2008
En septembre 1986, le Père Etienne Wang, SJ, alors responsable de la
paroisse chinoise, demande au P. Thomas Elhorga, MEP ((1919-2001) de l’aider auprès des Chinois de Paris, en particulier pour l’accueil des non chrétiens. Ancien du diocèse de Pakhoi, le P. Elhorga parle cantonais. Il a pu pratiquer cette langue à Madagascar après sa sortie de Chine. De 1975 à 1985 il a dirigé le Centre France-Asie. En 1987, Mgr Coloni, de l’archevêché de Paris, le nomme officiellement assistant à la paroisse chinoise. Il se dévoue alors pleinement à l’administration de cette mission catholique chinoise.
René Sylvestre se sent alors plus libre de ses mouvements. Il décide de se retirer dans son village natal des Villards où il peut prendre soin de son frère Alexis et de la maison familiale tout en exerçant son ministère de prêtre dans la région. Il joue souvent le rôle de ‘dépanneur’ pour remplacer les prêtres de la région qui doivent s’absenter. Il assure même les célébrations de la messe le samedi soir et le dimanche dans deux villages à l’ouest de Thônes. Il visite les malades à l’hôpital, célèbre la messe chez des personnes âgées qui ne peuvent se déplacer. En bon citoyen, il participe aux activités associatives des écoles, des pompiers, des anciens combattants, de la chorale, des gens du 3ème âge.
Il retrouve ses racines. Son expérience des dialectes chinois le pousse peut-être à travailler son patois savoyard. Il suit des cours à Annecy pour déchiffrer les écritures anciennes, car il enquête aussi sur son arbre généalogique. Il me montre un jour le coffre où il garde tous ses trésors d’archives, y compris une bouteille de Champagne Mermillod, qu’il considère un produit de sa famille où les Mermillod sont nombreux. Mais il a mieux que le Champagne car il est expert en plantes médicinales et il en utilise une dizaine pour fabriquer des tisanes. Il boit sa potion magique et rien ne l’arrête.
Son amour de la Savoie ne diminue en rien son amour des Chinois. Il devient familier du restaurant le Pékin à Annecy. Il aime y inviter ses confrères. Les habitués ont repéré le menu de son choix : soupe pékinoise aigre et piquante, langoustines ou crevettes, riz à la vapeur, le tout arrosé de thé. Et il ne mange qu’avec les baguettes. Il est heureux de recevoir les coups de téléphone de ses amis teochew de passage en France. Bien plus, il envisage de retourner en Chine, là même où il a fait ses premières armes 50 ans plus tôt.
En été 1996, sans doute pour fêter ses 80 ans, il se joint à un groupe de voyage organisé par notre Service MEP Relais France Chine. Je peux constater alors combien il est resté chinois. A Nankin sur le grand escalier qui monte vers le mausolée de Sun Yat-sen, père de la patrie, il a la joie suprême de rencontre un jeune chinoise qui parle teochew. Il engage aussitôt la conversation et le grand Sun Yatsen n’existe plus.
Nous nous rendons ensuite à l’une des quatre montagnes sacrées du bouddhisme chinois, le Jiuhuashan. Les nombreux pèlerins qui se rendent dans ce sanctuaire du boddhishatva Kshitigharba (dizang wang en chinois) portent une petite musette jaune en bandoulière.
René porte aussi sa musette jaune. Parvenu au temple du sommet, tous les Chinois s’agenouillent et tiennent leurs baguettes d’encens à la main en multipliant les inclinations. René Sylvestre est parmi eux et se comporte en parfait dévot. Même le jésuite Matteo Ricci, si féru de culture chinoise, aurait crié à l’idolâtrie. Mais René était en parfaite symbiose avec le peuple. Les yeux mi-clos, il balbutiait sans doute le Notre Père et disait son amour de Dieu, mais il le faisait à la manière chinoise. Il avait de ces moments mystiques. Je l’ai vu présider la messe d’enterrement de notre confrère savoyard le P.Magnin, un ancien de Chine et de Singapour. Le P. Sylvestre fermait les yeux, penchait légèrement la tête et parlait à voix très faible, sans doute parce que Dieu n’est pas sourd. Nous en restions médusés.
Notre voyage en Chine se termina à Hongkong d’où le groupe devait rentrer à Paris. Mais René ne pouvait pas repartir sans risquer une visite dans son ancien diocèse de Swatow. Ayant été maltraité et même condamné à mort, il pouvait se demander avec une certaine inquiétude ce qui l’attendait. Il eut quand même l’audace de s’aventurer au fond de l’église de Swatow lors d’une célébration de la messe. Une religieuse ursuline avec qui il avait travaillé autrefois ne tarda pas à le reconnaître. Voici ce qu’il raconte de cette messe :
« Comme c’était la fête de l’assomption, il y avait eu une messe très tôt le matin, et une autre était fixée pour le soir (en Chine il n’y a pas de congé pour l’Assomption). Suivant les conseils reçus, j’y suis allé en entrant après tout le monde et, en sortant avant les fidèles. Vous devinez le grand bonheur que j’ai eu de participer à cette messe paroissiale. L’église était bondée, sans doute 4 à 500 participants et une centaine dehors. Tous chantaient, priaient, entraînés par une chorale nombreuse avec harmonium et une dizaine d’enfants de chœur. L’assistance était relativement jeune. Tous sont allés communier. Le jeune prêtre célébrant a utilisé le nouveau texte du concile et j’ai bien compris quand il a prié pour le Pape Jean-Paul II…Quelle joie j’ai eue d’être parmi les paroissiens actuels de Swatow ! »
De retour dans son chalet de Savoie, René Sylvestre continue à sillonner les routes de France à toute allure, comme s’il faisait du schuss à ski. En septembre 1998, nous avons la surprise de le rencontrer en Lorraine à l’enterrement du Père Paul Munier, un ancien du diocèse de Swatow, missionnaire à Singapour après son expulsion. Sylvestre était parti de Savoie le matin. Il avait fait 500km jusqu’aux environs de Nancy. Après l’enterrement, il repartait aussitôt pour la Savoie. Il roulait rarement à la vitesse règlementaire, mais il savait se tirer d’embarras. Un jour qu’il roulait à 160km/h, il est arrêté par un motard de la gendarmerie. René le salue courtoisement et s’intéresse de suite à la moto du gendarme. « Moi aussi, fait-il, j’avais une moto autrefois ». Le gendarme flatté lui permet d’essayer sa moto et le laisse finalement partir sans lui imposer d’amende. A plus de 80 ans, il circule sans problème dans Paris et trouve toujours un parking de fortune, au besoin sur un trottoir.
Mais il lui arrive aussi de graves accidents dont il ne se vante pas toujours. Lors d’un court séjour au sud des Aravis et le sachant proche de l’autre côté du col, je lui annonce un jour ma visite au téléphone. Il me répond d’une voix fluette, méconnaissable. C’est qu’il a le cou noyé dans une minerve à la suite d’un grave accident. La semaine précédente, il était à la maison de repos de Montbeton près de Montauban. Pressé sans doute de repartir, il prenait le volant le soir pour repérer où prenait la bretelle de l’autoroute. Débouchant sur une route sans avoir vu le stop, il est heurté de plein fouet par une voiture. Un monsieur en descend avec sa fille et inspecte la voiture qu’il vient de défoncer. Il n’y voit pas de chauffeur. Poussant l’inspection tout autour, on finit par découvrir la tête et le buste de Sylvestre émergeant de l’eau du fossé. Lorsqu’il reprend conscience à l’hôpital, il se croit en danger de mort prochaine. Mais il a une foi à déplacer les montagnes. Il promet au Seigneur que, s’il s’en sort, il ira faire un pèlerinage en Terre Sainte. Après quelques jours d’hôpital, il était déjà debout et de retour dans sa Savoie.
Trois derniers pèlerinages en Chine
Le grand bonheur de ses dernières années a été de retourner en Chine dans son diocèse de Swatow avec tous les honneurs dus à son âge et à ses états de service.
En octobre 1999, il reçoit une invitation officielle pour participer à la consécration de la nouvelle cathédrale de Swatow. « Evidemment », il accepte et s’envole pour Hongkong le 5 décembre. Le 8, il parcourt en autocar les 350km d’autoroute de Shenzhen à Swatow. En attendant la célébration du dimanche 12, il circule librement et découvre toutes les transformation du quartier où il avait vécu et souffert. L’ancien évêché où il était enfermé a disparu au profit d’une vaste cathédrale aménagée avec salles et tribunes sur plusieurs étages. L’église voisine de St Joseph, bâtie après démolition de l’évêché est maintenant désaffectée. Un jardin d’enfant occupe les anciennes salles de catéchisme. Lors de la bénédiction de la cathédrale, il concélèbre auprès du curé Huang Bingzhang qui se montre plein d’attention pour lui.
Mais ce qui le frappe le plus est un petit incident peu banal : au cours du banquet qui suit la consécration, il se retrouve à table auprès de l’officier de police qui avait été l’un de ses gardiens tortionnaires cinquante ans auparavant…
En 2003, les paroisses de la Balme de Thuy, Dingy St Clair, les Villards sur Thônes et Thônes tiennent à fêter ses 60 ans de sacerdoce et lui offrent un voyage en Terre Sainte. Les félicitations qu’on lui adresse à cette occasion sont significatives :
« Père René, vous êtes toujours aussi jovial, robuste, infatigable, généreux avec ce caractère déterminé, face aux situations périlleuses, parfois téméraire, avec une foi aussi solide qu’un roc de notre Mont Lachat »
D’autres disent :
« Vous êtes un passionné, empli de ferveur, capable de sauter dans l’insécurité pour aller au-devant de ceux qui vous appellent. Epris de vie simple, capable d’accepter n’importe quelle tâche, de partir n’importe où : à la fois libre et obéissant, spontané et tenace, doux et fort, vous êtes le berger occasionnel de nos communautés »
Faveur spéciale pour René : ces noces de diamant en Savoie devaient être suivies de noces de diamant en Chine : une duplication qui se révéla en même temps être un double, car la communauté de Swatow fêtait les noces de diamant du Père Lucas Tang. Ce vieillard vénéré était appelé familièrement ‘le Docteur’, car il avait jadis obtenu à Rome un diplôme de théologie. En janvier 2004, René reçoit une invitation pressante du P. Joseph Huang Bingzhang, curé de la cathédrale de Shantou, pour participer aux noces de diamant du P. Lucas Tang, alors administrateur du diocèse. « Evidemment », il accepte immédiatement. La fête doit avoir lieu pour la Saint Joseph, le 19 mars. Le 15 mars, il s’envole pour Canton où il est accueilli par M. Bernard Carcouët. L’épouse chinoise de Bernard, Julie, animatrice au Centre France-Asie de Paris est originaire du pays teochew. Nous devons à Bernard Carcouët un récit étoffé des célébrations. Depuis longtemps, René souhaitait aller se recueillir sur la tombe du père Clément Favre, dernier missionnaire MEP à être décédé en Chine en 1953. Tous deux se rendent au cimetière de Chaozhou. Ils y retrouvent aussi l’ancienne église quelque peu noyée dans une ceinture de bâtiments depuis l’agrandissement de l’hôpital voisin.
Vendredi 19 mars, c’est le grand jour. En voici quelques échos selon Bernard Carcouët :
« A l’issue de la messe solennelle présidée par M. le curé Joseph Huang et concélébrée par un bonne vingtaine de prêtres entourant les deux jubilaires, les pères Lucas Tang et René Sylvestre, des minibus nous conduisent au Golden Gulf Hotel. Vingt tables de douze couverts sont dressées. 2.500 Yuans la table (250 €). M. le curé porte un toast puis, en guise de benedicite, un représentant du Parti rend un hommage appuyé aux prêtres du diocèse pour leur action, ce qui suscite un frémissement de plaisir dans l’assistance. Un gigantesque gâteau du jubilé de huit étages et mesurant presque trois mètres de haut avait été béni par le P. Lucas et présidait ces agapes…
De ce voyage éclair, le P. Sylvestre est revenu enchanté…Il a rencontré beaucoup d’amitié. Il a trouvé une église unie dans la foi et décidée à vivre la concorde. Il a constaté un renouveau plein de vitalité. Dans cette paroisse, le nombre des baptisés est passé d’environ 1.800 lors de son expulsion à plus ou moins dix mille aujourd’hui. C’est une église de jeunes. Shantou comptait 200.000 habitants au milieu du XXe siècle : on dénombre 1 million actuellement. Les bâtiments de quatre-vingts étages sont nombreux… »
La vie de René ne s’arrête pas à ces noces de diamant. Il apprécie le pèlerinage qu’on lui a offert en Palestine, mais, pour lui, un voyage en Terre Sainte n’est qu’une sortie dans la banlieue d’Annecy. La Chine le fascine toujours. Il ne tarde pas à mijoter un autre voyage dans son ancienne mission. Car il veut faire partager sa joie et son action de grâces à ses confrères et amis. Il veut leur montrer comment cette église de Swatow s’est épanouie en communauté jeune et dynamique. Il parvient à ses fins en octobre 2005. Il a pu réunir une vingtaine de savoyards dont un jeune handicapé en chaise à roulette Jean-Jacques Sandoz accompagné par son frère Maurice.
En excursion au nord de Pékin, nous faisons la visite traditionnelle d’une fabrique de cloisonné. D’habiles ouvrières appliquent des dessins en fils de cuivre sur des vases métalliques de toute dimension. Dans l’atelier suivant d’autres artistes emplissent de couleurs variées les espaces cloisonnés par les fils de cuivre. Le tout est porté à cuire dans des fours chauffés autour de 1000 degrés. Après cuisson, les vases passent au polissage. Un grand magasin de vente accompagne ces ateliers. C’est là que René Sylvestre fait un choix étonnant. Sortant du magasin avec un visage jubilant, il montre à qui veut bien une petite urne en cloisonné en déclarant : «Ce sera mon urne funéraire dans laquelle mes cendres pourront être portées en Chine ». Son vœu sera réalisé deux ans plus tard.
Inutile de dire que la Grande Muraille en sa section plus accidentée de Mutianyu n’est pas un problème pour ces montagnards. L’un d’eux, prêtre à Cluses, a fait le Mont blanc une vingtaine de fois. Le jeune Sandoz, assis dans sa chaise à roulettes est hissé par quatre solides gaillards sur les marches géantes qui accèdent à la porte étroite qui ouvre sur la muraille. Quant à René Sylvestre, il refuse l’aide qu’on lui offre et grimpe seul sur la muraille.
Au passage à Xi’an, René nous offre une surprise. Alors que nous atteignons cette ancienne capitale de la Chine sous la dynastie des Tang, il célèbre l’événement à sa façon. Alors que tous les amis savoyards sont attablés pour le petit déjeuner matinal, René déplie soigneusement un rouleau de journaux et en extrait deux superbes reblochons. L’emballage était si étanche que personne au bout d’une semaine de voyage n’en avait détecté le parfum. Il découpe ses trésors en petites tranches de façon que chacun en ait une part. Pas question bien sûr de faire le difficile…
Notre deuxième semaine de voyage est consacrée au sud. Le samedi 15 au matin nous parcourons en autocar le long ruban d’autoroute de Canton à Shantou. L’ambiance s’échauffe. Jean Jacques Sandoz, notre handicapé, a sorti sa guitare. Il nous fait vibrer de ses chants. Comme nous arrivons dans le diocèse de Shantou, René Sylvestre prend le micro et raconte avec enthousiasme l’expérience de ses premières années missionnaires de 1946 a 1952 : accueil des enfants pauvres dans une nouvelle école ouverte pour eux, distribution de riz aux familles affamées lors d’une famine, projet de construction d’une nouvelle église… « C’est merveilleux ! », répète-t-il inlassablement.
Le clou de ce voyage est bien sûr le dimanche 16 octobre à la cathédrale de Shantou. Notre arrivée était soigneusement préparée par le curé Huang Bingzhang. Des étoles vertes et rouge brodées par les sœurs sont d’abord offertes en cadeau aux dix prêtres de notre groupe. Une trentaine d’enfants de chœur filles nous précèdent. Une cinquantaine d’autres enfants vêtus de blanc prennent place dans les rangs de la chorale. Un autre groupe d’enfants est habillé pour la procession d’offertoire. Les fidèles inondent toute la grande église, deux ou trois rangs étant réservés sur le devant pour notre groupe français. Notre entrée processionnelle provoque des vagues dans cette foule attentive et accueillante. René Sylvestre est invité à dire quelques mots dans cette langue teochew qu’il a apprise ici même plus de cinquante ans auparavant. Il est bien compris de tous, car les rires fusent et les gens applaudissent.
En fin de voyage, nous visitons Hongkong. Notre autocar emprunte Pokfulam Road et passe devant la maison de Béthanie. Nouvelle occasion pour René d’évoquer de « merveilleux » souvenirs. Nous rentrons à Paris, tous un peu fatigués après plus de douze heures de vol. René, lui, part le soir même pour le Canada.
Que de beaux souvenirs à ruminer dans son chalet du val de Carouge !
Il commence à sentir la fatigue au cours de l’année 2007. Aux personnes qui s’inquiètent de sa santé, il répond invariablement « tout va bien ». Il projette encore de se rendre en Chine à Swatow pour l’ouverture de la nouvelle grande église de la Sainte famille dont il est l’un des bienfaiteurs. Le docteur lui déconseille. Le 26 avril 2007, il est opéré de la carotide à l’hôpital Argonnez. L’opération réussit malgré ses 91 ans. Il entre en convalescence mais ne reprend pas ses services pastoraux. Il envisage de se retirer à la maison de repos des Missions étrangères à Lauris près de Cavaillon. Il y entre effectivement le 8 octobre et y reste jusqu’au 20. Mais les hauteurs du Lubéron ne valent pas les sommets du Lachat et des Aravis. Il retourne bien vite dans son chalet et se prépare en solitaire au grand départ. Il prie et aime répéter à ses visiteurs le mot hérité sans doute de Mgr Lemaire, son ancien supérieur, « Vive la joie quand même ».
La nuit du 9 mars 2008, vers 2 heures du matin, on l’entend gémir, mais il fait savoir à sa dévouée cousine Andrée qu’il va s’endormir. Elle se tient à l’écart dans l’obscurité. De retour près du lit à 3heures du matin, elle le trouve blotti sous les draps et refroidi. C’est dans cette même chambre qu’il était né le 25 mars 1916.
« La Pâque du père René »
Le P. Jean-Pierre Morel, MEP, héritier du P. Sylvestre en tant que délégué à la diaspora et rédacteur de l’Hirondelle, intitule ainsi son récit des obsèques. En voici un petit extrait :
« En l’absence de l’évêque, excusé, retenu par les funérailles d’un autre prêtre de son diocèse, elles furent présidées par son vicaire général, l’Abbé Alain Fournier, pèlerin de Chine, qu’entouraient deux douzaines de prêtres à têtes chenues garnissant le chœur, dont trois MEP : le Père Jean Charbonnier qui présenta le parcours du défunt, surtout en Chine et à Hongkong, le Père Georges Neyroud et le délégué. La nef était remplie à bord…
« Un drapeau tricolore recouvrait le cercueil et trois drapeaux rappelaient qu’il avait participé à la dernière guerre »
Emouvante solidarité savoyarde. Moins visible, mais plus émouvante encore peut-être pour René, la présence au premier rang de Thérèse Yang, spécialement venue du Canada, cette petite fille de onze ans qui l’avait accueilli à Swatow dès son arrivée en 1946, 62 ans auparavant. Le prêtre ami qui donna l’homélie sut attirer l’attention sur le secret de la vie étonnante de René : son union à Dieu dans une foi simple et directe, sa disponibilité à faire la volonté de Dieu en toute circonstance : dans la joie, si c’était « merveilleux » et « Vive la joie quand même » quand la tâche était moins séduisante.
Après la messe d’enterrement le cercueil du P. Sylvestre a été porté au cimetière sous les murs de l’église. Prêtres et fidèles ont pu ainsi prier autour de sa sépulture. Puis le corps a été porté à Annecy pour y être incinéré. Une partie des cendres a été déposée au cimetière de Carouge, l’autre partie conservée précieusement dans une petite urne. Cette urne funéraire a été portée en Chine par Bernard et Julie Carcouët et gardée temporairement sur un petit autel placé dans le clocher de la cathédrale. Puis les cendres ont été transférées dans un petit reposoir aménagé dans la grotte de Lourdes attenante à la nouvelle église de la Sainte Famille, là où René aurait tant voulu se rendre pour l’inauguration. La consécration de cette vaste église a eu lieu en grande solennité le 28 décembre 2008 en présence d’environ six mille personnes. La messe était concélébrée par 27 prêtres dont certains venus de Hongkong. René Sylvestre devait être parmi eux, invisible, le visage radieux.
« Ceux qui sèment dans les larmes moissonnent en chantant »
Jean Charbonnier, 25 mars 2009