Étienne LESSARD1916 - 1992
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 3859
Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Inde
- Région missionnaire :
- 1949 - 1991 (Mysore)
Biographie
[3859] LESSARD Étienne naît le 29 juillet 1916 à Cancale dans le diocèse de Rennes en Ille et Vilaine. Il fait ses études primaires à Cancale et ses études secondaires à Châteaugiron. Il passe avec succès son Brevet et entre ensuite au Grand Séminaire de Rennes en 1933. La guerre la mobilise jusqu'en 1941. Il est libéré après avoir été blessé. Il revient au Séminaire et est ordonné prêtre le 23 mars 1943. On l'affecte dans l'enseignement jusqu'en 1948. Quand son archevêque lui donne enfin la permission d'entrer aux Missions Étrangères, il part pour la mission de Mysore le 4 octobre 1949 après une année de probation.
Stupeur et tremblements... et des épines
Son évêque, Mgr René Feuga, l'envoie aussitôt à Nagavalli alors administré par le curé de la cathédrale de Mysore. Nagavalli, où vivent des Chrétiens nouvellement convertis, est situé en lisière de la forêt. Le Père qui aime s'isoler dans la nature sauvage, décide un beau jour de s'y enfoncer un peu plus qu’à l’habitude. Il monte à flanc de montagne, se repose et repart par un chemin rocailleux qu’il redescend pierre après pierre. Soudain, il ressent comme un tremblement de terre : il avait atterri sur le dos d'un éléphant assoupi. Il n'a que le temps de faire un bond dans le vide, de traverser un buisson épineux et de s'enfuir à toutes jambes. Arrivant à Nagavalli, il va conter son histoire et sa rencontre aux Sœurs du dispensaire et, surtout, il se fait enlever des centaines d'épines au bas de l’épine dorsale.
Il reste à Nagavalli de novembre 1949 à septembre 1951, vivant au milieu des Chrétiens qui gardent le souvenir d'un homme de grande simplicité. Ayant bien appris leur langue, il s’est facilement mis en empathie avec ses fidèles.
Un peu fatigué, il doit aller se reposer à Kotagiri dans les Montagnes bleues (1) chez son ami, le P. Fayolle, curé de la paroisse. En mars 1952, il est affecté bien loin de là, dans une desserte de la paroisse de Setihalli (2), près de Hassan, le centre de Magghe. C'est un poste de jungle, presque perdu au milieu des bois, de l'autre côté de la rivière. Le P. Lessard passe là une existence érémitique à l'extrême bord d'une petite chaîne de collines abondamment arrosées par les pluies de mousson. Il se plaît dans sa thébaïde. En 1958, il termine la construction d'un couvent où les Sœurs salésiennes missionnaires viennent bientôt s’établir.
Toujours à la tâche, malgré des ennuis de santé récurrents
Quant à sa santé, son cœur fatigué bat régulièrement avec un pacemaker. Mais, le besoin se fait sentir d'aller prendre un repos bien mérité en France. Il arrive à Paris le 24 avril 1959. De retour le 26 janvier 1960, il est nommé curé de Gadanahalli, un village kannada (3) près de Hassan, à cinq kilomètres de toute voie carrossable et à six lieues du plus proche de ses collègues. Il doit gérer des Chrétiens pas toujours orthodoxes qui cèdent parfois, surtout pour les mariages, à l'attrait des superstitions hindoues.
En janvier 1962, il est nommé à Pandavapura près de Mysore, l'ancien ‘‘French rocks’’ à l’époque du sultan Tippu Sahib qui eut le concours de soldats français dans la guerre qu’il mena contre les Anglais à la fin du XVIIIème siècle. Le Père est aidé par quatre religieuses et, en plus des chrétiens de Pandavapura, il doit s'occuper des descendants des chrétiens kannadas déjà convertis par le célèbre abbé Dubois des MEP.
Très fatigué de nouveau, il repart pour la France en janvier 1968. Il se rétablit et souhaite revenir en Inde. Il arrive à Mysore le 15 septembre 1969. L'évêque le nomme alors aumônier des religieuses brigitinnes, qui y ont un couvent. Comme il a des loisirs, il les emploie à lire et à s'instruire dans tous les domaines : l'étude du Sanskrit, la géologie, l'histoire naturelle et l'hindouisme. Rien de ce qui est humain ne lui est étranger.
En juillet 1971, il désire reprendre un service plus actif et il est nommé aumônier des religieuses carmélites apostoliques dans la ville de Mandya (4). Mais, au cours de l'été 1974, une maladie insidieuse le pousse à prendre du repos d'abord en Inde, puis en septembre 1974 en France. Hospitalisé d'abord à l'hôpital Pasteur, on lui diagnostique une méningite cérébro-spinale d'un type très rare. Les remèdes appropriés lui sont donnés et il se voit déjà en convalescence. Mais, de nouveau, il est obligé d'aller à l'hôpital Necker, puis à l'hôpital de Bicêtre pour finalement être astreint au repos jusqu'au 17 octobre 1975.
Il revient en Inde comme aumônier des Petites Sœurs des Pauvres près de la cathédrale de Massore. Il subit une opération de la prostate en juin 1976, suivie d'une embolie cérébrale, dont il sort gravement handicapé. Il éprouve une certaine difficulté à s'exprimer, mais il retourne chez les Sœurs des Pauvres, plutôt comme pensionnaire que comme aumônier. Toutefois, il continue à faire l'édification des personnes âgées. Il dit la messe chaque matin et il suffit de le regarder célébrer l'eucharistie pour se sentir en communion avec lui, plein de foi et d'amour.
Une quatrième fois, le 20 avril 1979, il repart pour la France. Revenu en Inde le 25 octobre, il regagne la France le 25 avril 1987, d'où il repart le 7 novembre pour reprendre son poste chez les Petites Sœurs des Pauvres. Il reste à la disposition des personnes âgées qui, se sentant en danger de mort, lui demandent les sacrements.
Une dernière fois, le 2 juillet 1991, il doit rentrer en France, sans possibilité de revenir en Inde. Un confrère l'emmène à Montbeton dans le sud de la France. A peine arrivé, il doit être transporté à l'hôpital. Il n'y a plus d'espoir. Il meurt le 2 décembre 1992.
Toute sa vie, le P. Lessard connaît la souffrance morale plus encore peut-être que la souffrance physique, mais jamais il ne se départit de sa sérénité et n'exhale la moindre plainte. Qui l'entend rire peut en conclure qu'il est profondément heureux.
1 – Les Nilgiri.
2 – Au nord-ouest de Mysore.
3 – Langue majoritairement parlée au Karnataka.
4 – Au nord-est de Mysore.
Nécrologie
Étienne LESSARD 1916-1992
Lessard Étienne, Marie, François, né le 29 juillet 1916 à Cancale (Ille et Vilaine) au diocèse de Rennes – ordonné prêtre le 23 mars 1943, entré aux Missions Étrangères le 27 septembre 1948, agrégé le 18 septembre 1949 – destiné à Mysore le 29 juin 1949, parti pour sa mission le 2 octobre 1949 – rentré en France pour maladie le 23 juillet 1991, décédé le 2 décembre 1992 à l’hôpital de Montbeton.
Étienne Lessard naquit le 29 juillet 1916 à Cancale dans une famille de marins pêcheurs qui comporta en tout cinq membres : le père, Aldonce Lessard, la mère née Anna Dinard, et trois garçons. C’est le 29 juillet qu’il reçut le baptême, c’est-à-dire le jour même de sa naissance. Il fit ses études primaires à Cancale et ses études secondaires à châteaugiron où il fut confirmé le 11 mai 1927, et fut reçu au brevet élémentaire. En 1933 il entra au grand séminaire de Rennes, mais eu égard à cette époque troublée où l’on s’enfonçait dans la guerre à pas de géant, il dut l’entrelarder de service armé de 1936 à 1941, récolta une blessure puis fut définitivement libéré. Il put mettre alors les bouchées doubles et fut ordonné sous-diacre le 29 juin 1942, diacre le 10 septembre de la même année et prêtre enfin le 23 mars 1943.
Son ministère débuta normalement dans le diocèse et tout en l’exerçant sans anicroche à la satisfaction générale, il ressentait, lancinant, l’appel de la mission depuis tout un temps. Connaissant les Missions Étrangères depuis 1936, il avait pris son courage à deux mains pour demander un beau jour au Cardinal Roque de pouvoir changer de champ d’apostolat ; cela ne lui avait pas été accordé de suite. C’est ce qu’il explique dans sa lettre de demande d’admission à la rue du Bac, écrite le jour même où, enfin la réponse favorable espérée lui était parvenue. Dans celle-ci, datée du 17 juillet 1948, le vicaire général lui écrivait gentiment : « Je suis chargé par Son Éminence le Cardinal de vous informer que, sur la demande que vous lui avez adressée, il vous autorise à quitter le diocèse pour vous consacrer aux Missions Étrangères. Avec le regret de vous voir vous éloigner, je tiens à vous exprimer mes meilleurs vœux pour l’apostolat qui va s’ouvrir devant vous ».
Il fait part immédiatement de la bonne nouvelle à Mgr Lemaire, en précisant : « J’ai 32 ans, mais le R.P. Dedeban m’a dit que je n’avais pas dépassé la limite d’âge, et que par suite, je pouvais solliciter de votre Grandeur mon admission ». De son côté, le susdit vicaire général de Rennes, interrogé y va dès le 22 juillet de son petit couplet laudatif. « M. l’abbé Lessard, ordonné prêtre en 1943, était vicaire instituteur à Servon. Voici déjà quelque temps qu’il demande à quitter le diocèse pour se consacrer aux Missions Étrangères. Autant pour éprouver cette vocation que par considération des besoins de son diocèse, son Éminence le cardinal s’est fait prier d’abord. Il vient d’accorder à M. Lessard la permission de partir. C’est un prêtre intelligent, sérieux et dévoué. Nous ne pouvons que vous encourager à le recevoir ». Ce qu’en l’absence des autres membres du Conseil, et au nom de celui-ci, n’a pas manqué de faire le 23 juillet le P. Marcel Rouhan, « directeur de quinzaine » comme on disait alors. Voilà donc le P. Étienne Lessard commençant le 27 septembre 1948 son année réglementaire de probation aux Missions Étrangères.
Il dut donner entière satisfaction, puisqu’il reçoit sa destination pour Mysore le 29 juin 1949 et est appelé à signer le serment antimoderniste le 10 septembre avant d’être admis à l’agrégation temporaire le 18 du même mois ; il est ainsi prêt à partir pour le diocèse de Mysore, ce qu’il fait le 2 octobre, via Marseille, où il s’embarque le 4 sur le « Champollion ». Sur place, Mgr René Feuga le met directement dans le bain en l’envoyant à la cure de Nagavalli où les sœurs catéchistes missionnaires de Marie viennent de s’installer dans un dispensaire tout neuf. Là, dans un moment où les pluies de saison ayant complètement fait défaut, la misère s’est installée, il s’évertue à apprendre le canara, et déjà se livre à des recherches sur les cailloux. Mais aussi bon géologue que linguiste en devenir, il ne rencontre guère de pierres d’achoppement, et ses études de langues, une fois maîtrisées les rétroflexes, promettent d’être vouées au plus grand succès. Il s’initie aux manières de vivre de ses Chrétiens, et s’adapte facilement à l’existence frugale qui lui est faite. Son village est juste situé en lisière de la forêt et il ne dédaigne pas de s’y abstraire comme un anachorète en s’y baladant en pleine nature sauvage. C’est ainsi qu’un beau matin, il avait profité du passage d’un camion pour se faire transporter à quelque distance, dans un endroit pittoresque, à flanc de montagne. Après quelques moments bienheureux de franciscaine contemplation, il se mit en mesure de redescendre à pied vers la civilisation par des sentiers rocailleux à souhait, en sautillant d’un rocher à l’autre. Soudain, il crut à un tremblement de terre : il avait atterri sur le dos d’un éléphant assoupi. Il n’eut que le temps de faire un bond dans le vide qui s’avéra être un buisson d’épineux et de prendre au plus vite la poudre d’escampette. Regagnant son logis, il dut bien, peu fier, aller confier sa mésaventure au couvent pour s’y faire enlever par la sœur-infirmière une moisson d’épines au bas de son épine dorsale ! Cette anecdote fit recette et fut la source d’inépuisables plaisanteries auxquelles lui-même participait de bon cœur; sans aller pourtant jusqu’au bout.
Il reste dans cette paroisse de novembre 1949 à septembre 1951, vivant parmi les Chrétiens qui en garderont le souvenir d’un homme d’une grande simplicité. Il avait fort bien appris la langue, et s’était mis au rythme de ses gens ; cela le rendait disponible pour tous et chacun d’une façon remarquable. Mais a-t-il présumé de ses forces ? En tout cas, il n’a pas mesuré ses efforts puisqu’il doit aller se reposer quelque temps au presbytère de Kottagiri où il sert jusqu’en mars 1952 de compagnon au P. Marcel Fayolle, avant de se lancer à la conquête de Magghe, sous-station importante de la paroisse de Settihalli où réside le père curé indien. C’est au centre de cette paroisse de brousse que s’installe, l’année suivante, exactement le 5 mai 1953, l’école de langue canara qui accueille, outre le P. Jean-Baptiste Caminondo, trois confrères du diocèse voisin de Bangalore, sous la houlette d’un mentor autochtone. Sans doute ne sera-t-il que peu affecté par la division de Mysore en 1955 amputé du district touristique des Montagnes Bleues qui deviennent le nouveau diocèse d’Ootacamund avec Mgr Antony Padiyara comme évêque ; tandis que la présence de tant de confrères à une dizaine de kilomètres à peine de chez lui, lui redonne, s’il en était besoin, de la bravoure aux tripes. L’occasion est trop belle pour ne pas profiter de leur présence et assurer, grâce à eux, des célébrations supplémentaires dans les chapelles broussardes des environs. Du samedi soir au lundi matin, c’est la mobilisation générale, et messes dominicales ainsi que catéchismes d’aller bon train ! Cela donne, l’espace d’un saut d’une semaine à l’autre, une tournure différente à ce poste de jungle, presque perdu en plein bois, de l’autre côté de la rivière et à l’existence érémitique que mène le P. Étienne à l’extrême bord d’une petite chaîne de collines abondamment arrosées par les pluies de mousson. Il se plaît dans sa thébaÏde, fait des projets pour l’améliorer et passe à l’exécution de ses plans : en 1958, il met la dernière main à la construction d’un couvent où viendront s’établir des sœurs catéchistes missionnaires. Sa santé pour autant ne s’est pas fort stabilisée, malgré le tonique régulateur du coeur que lui a infligé la Faculté. Aussi bien, le moment d’un congé mérité en Europe est le bienvenu : il arrive en France le 24 avril 1959 en compagnie du P. André Fleury.
Joie de revoir les siens, de leur conter ses aventures, et Dieu sait s’il en a emmagasinées ! cependant, il n’a de cesse de rentrer en Inde, où il repart le 26 janvier 1960, à bord du « Vietnam », pour être nommé en février à Gadanahalli, un gros village près de Hassan, doté d’écoles primaire et moyenne, lesquelles, sous la direction des sœurs de Béthanie de Mangalore, attirent beaucoup d’enfants de familles chrétiennes et non chrétiennes. Il est là, à cinq kilomètres de toute voie carrossable, isolé au milieu des terres, et à six lieues du P. André Delecourt, le plus proche de ses collègues. Cette fois il se sent un peu seul parmi les paysans de son village, en général des cultivateurs qui lui font la vie difficile : malgré plus d’un siècle de christianisme, ils restent encore et toujours très attachés à leurs vieilles coutumes d’origine hindoue, notamment pour les mariages.
Mais il est bientôt muté, en janvier 1962, à Pandavapura, paroisse qui offre la particularité d’avoir de vieux chrétiens canaras dont les ancêtres furent convertis par les premiers missionnaires jésuites du Mysore au XVIII° siècle, et d’accueillir maintenant des chrétiens plus récents, de langue tamoule, venus de l’État de Madras, et dont la foi doit être affermie. Parmi ces nouveaux venus, certains sont agriculteurs, mais la plupart sont des ouvriers travaillant à la nouvelle raffinerie sise à trois kilomètres de l’église, au milieu des champs de canne à sucre. En plus de ses tâches pastorales, et de son étude du tamoul, il revient au curé du lieu d’administrer comme il se doit les rizières de la mission, qui se trouvent situées sur le territoire de sa paroisse. Elle compte 100.000 habitants, dont 700 catholiques, et il est aidé par quatre religieuses. Sans compter les grosses annexes de Palhalli et de Ganjam : dans cette dernière, il hérite des Chrétiens descendant des convertis du célèbre « abbé » Jean-Antoine Dubois. En général, et quelle que soit leur origine, ses paroissiens, plutôt repliés sur eux-mêmes, forment des groupes assez fermés, ce qui réduit beaucoup leur rayonnement. Il s’en sépare en janvier 1968 quand, très fatigué, il part en congé en France, où il arrive le 11 février. Tellement recru de fatigue était-il, à l’heure de son départ, qu’il assurait, à qui voulait l’entendre, ne plus vouloir revenir.
Sans doute est-ce l’infarctus qui le frappa durant son congé, au mois d’octobre, qui le fit changer d’idée. En tout cas, dès son rétablissement, alors qu’il aurait fort bien pu ne pas rentrer, il n’eut pas de repos qu’il n’ait obtenu les autorisations requises, et mit une certaine dose de ruse à les conquérir, puisqu’il ne montra pas aux supérieurs tous les certificats médicaux dont il était porteur ! Continuant à se soigner, il prolonge son séjour au pays jusqu’au 9 août 1969, date de son redépart pour Mysore, où il arrive le 15 septembre, et, en octobre, il est nommé aumônier des religieuses brigittines. Celles-ci viennent de s’installer en bordure de la capitale, sur le territoire de la paroisse Sainte-Thérèse, dont le P. Albert Cappelle est le curé, en même temps qu’il assume les fonctions de vicaire général. Ce sont des moniales contemplatives, appartenant à un ordre fondé au XIV° siècle pour sainte Brigitte de Suède, et rénové au XX°. Il remplit son ministère auprès d’elles avec un total dévouement, et trompe les loisirs qu’elles lui ménagent en dévorant des livres de tout genre, et en étudiant le sanscrit, qu’il arrive à suffisamment maîtriser pour en discuter avec des professionnels. Véritable autodidacte, il avait une vision précise et très avancée de bien des domaines scientifiques. Rien de ce qui est humain ne lui est étranger : il n’est, en effet, pas de sujet qui ne pique sa curiosité, et il touche un peu à tout, aussi bien science-fiction que mœurs des protozoaires, et géologie qu’hindouisme. Il se distrait d’ailleurs de ses occupations littéraires en prenant de nombreux contacts avec les habitants hindous du village voisin. Comme il se trouve à l’orée de la ville, il reçoit aussi de nombreuses visites de confrères de passage qu’il est toujours prêt à recevoir à l’impromptu, bien qu’il doive économiser ses forces, car le cœur pourrait ne pas suivre les mouvements du corps, ni les élans de l’âme.
Néanmoins, il semble n’avoir plus rien à craindre, puisqu’il se trouve sous-employé et demande de reprendre un service plus actif, ce qui lui est accordé quand, en janvier 1971, il prend le chemin de Mandya. C’est encore d’une aumônerie certes dont il doit s’occuper, mais il s’y engage avec plus d’assurance, refait de la motocyclette sous son chapeau qui, par quelque miracle, lui reste toujours vissé sur le crâne, en scrutant la route de ses yeux qui, de toute évidence, ne discernaient pas grand-chose : s’il y a un dieu pour les ivrognes, tous ceux de l’Inde devaient être aux aguets pour ouvrir, sur les routes encombrées, un couloir secret qu’emprunterait en trombe un pasteur malvoyant, de telle sorte que lui soit épargné tout accroc. Nonobstant, il file à travers tout, ne prenant garde à rien, et sans collectionner d’accidents qui méritent de le mettre en pénitence. Et ce n’est pas son engin qui le fit déguerpir de Mandya, mais un je ne sais quoi d’insidieux qui, au cours de l’été 1974, commença à l’incommoder et le poussa à consulter et à prendre du repos. D’abord en Inde, mais bien vite en France où il arrive en urgence à Orly, le 22 septembre, pour recevoir les soins que nécessitait son état. On ignorait la cause de son mal, mais en le voyant partir, bien des gens ne pensaient guère le voir redevenir, tant il avait pris en peu de temps une apparence cadavérique.
Hospitalisé immédiatement à iasteur, les examens minutieux auxquels il fut soumis révélèrent enfin la cause de son mal : méningite cérébro-spinale d’un type très rare. Les spécialistes purent en déterminer l’origine : un bacille virulent, d’origine indienne et inconnu en France, qu’une concertation entre médecins de Paris et de Bombay a permis d’identifier pour ensuite déterminer le traitement à suivre. Aussitôt entrepris, il donna incontinent d’excellents résultats, mais le pauvre grabataire dut attendre plusieurs semaines avant d’entrer en convalescence. C’est sur son lit d’hôpital qu’il apprit le décès de sa vieille maman. Et comme le veut la sagesse populaire du malheur qui n’arrive jamais seul, après deux mois d’hospitalisation, il dut subir une intervention en urologie à l’hôpital Necker. Après quoi il fut dirigé sur le centre neurologique de Bicêtre, et put regagner pasteur un mois plus tard. Malgré tous ces avatars, il garde bon moral, tout en espérant en avoir bientôt fini avec le monde médical : on prévoyait sa sortie fin mai ou début juin.
En effet, il est fin prêt pour repartir, le 16 septembre, vers son diocèse de Mysore. Sa longue absence l’a remis sur pied ; il y arrive le 17 octobre 1975, en pleine forme pour reprendre charge d’une aumônerie, celle des Petites Sœurs des pauvres à Mysore même. Son sourire fait merveille parmi les pensionnaires, vieillards ou infirmes. Bien sûr, il doit prendre des précautions, car les petits ennuis de santé ne lui manquent pas, mais toujours il les surmonte et reprend avec la même régularité ses abondantes lectures. C’est hélas ! au cours d’une opération de la prostate, en juin 1976, qu’il s’offrit une embolie cérébrale dont il sortit gravement handicapé. Son autonomie s’en trouva réduite, par suite de la paralysie du côté droit : il dut réapprendre à manger et à écrire en se servant de la main gauche, avec de piètres résultats ; en outre il éprouvait une certaine difficulté à s’exprimer. Il n’empêche, quelques semaines plus tard, il rejoignait son poste d’aumônier, cette fois autant comme patient que comme soignant, mais Dieu lui est témoin qu’il ne délaissa jamais le soin des âmes de ses compagnons, si déplorable que fut sa santé chancelante. Il tenait à cette place humble et cachée, où, sans être même titulaire de l’aumônerie, il pouvait encore rendre service, ne fût-ce que par sa présence sacerdotale au milieu des personnes âgées, heureuses d’avoir parmi elles un prêtre confident de leurs soucis. Il se livre à de multiples lectures, tout en prétendant que l’état de ses yeux l’empêche de lire.. ce qui ne trompe évidemment personne. Il avait cet avantage d’avoir une mémoire prodigieuse des physionomies. Pendant près de 20 ans qu’il exerça son rôle parmi les quelque 200 pensionnaires de ce home de vieillards, il repérait de suite le nouveau venu ; cette perspicacité lui valut de nombreux amis, qui gardaient de lui l’image évangélique du Bon pasteur : « Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent ! ». Ses embarras de prononciation, il essayait de les dominer afin de ne pas les montrer ; il faisait beaucoup d’efforts pour se faire comprendre. Mais à la messe du matin, il n’était pas besoin de l’entendre : il suffisait de le regarder célébrer l’eucharistie pour se sentir en communion avec lui, plein de foi et d’amour. En fait, la souffrance était devenue sa compagne de tous les instants, souffrance morale plus encore peut-être que souffrance physique, mais jamais il ne se départit de sa sérénité, ni n’exhala la moindre plainte au sujet de ses misères pourtant nombreuses. Qui l’entendait rire pouvait deviner qu’il était profondément heureux.
Il rejoint à nouveau la France, le 20 avril 1979, mal en point encore, et est mis en observation à l’hôpital de Kremlin-Bicêtre ; mais il repart le 25 octobre de la même année. De nouveau, le 7 avril 1983, il revient, mais repart le 8 septembre. En 1986, il fête ses 70 ans, en priant spécialement pour les confrères auxquels n’est pas interdit un ministère actif, au milieu des vieux et des vieilles que sa gentillesse ravit. En 1987, il prend encore un petit bain de France : parti le 2 mai, il est de retour le 7 novembre, pour regagner sa place parmi les amis qu’il confie au Seigneur, et retrouver ses chères et diverses lectures, sur fond de musique raffinée. Les Petites Sœurs ne tarissent pas d’éloges à son sujet, particulièrement en ce qui concerne ses rapports avec les hôtes de leur maison. «Il n’hésitait pas à faire l’impossible pour les réconcilier avec Dieu. Il nous répétait souvent que, quelle que soit l’heure, et fût-il éveillé ou endormi, il ne fallait pas hésiter à l’appeler quand l’un ou l’autre se trouvait en danger de mort. Et de cela, maintes fois, nous avons été témoins nous-mêmes : lorsqu’il nous arrivait de l’appeler au milieu de la nuit, il passait vite sa soutane et se hâtait pour rencontrer le Seigneur souffrant dans la personne du mourant, puis, après lui avoir donné les saintes onctions, il restait là, courbant la tête, à prier en silence que cette âme soit accueillie dans l’éternelle demeure».
De retour une fois encore pour un petit séjour, le 23 juillet 1991, malgré tout son désir, il ne pourra plus regagner l’Inde. Il est chez son frère, prêtre lui aussi, à Saint-Christophe-du-Luat, et poursuit inlassablement une rééducation qui lui permet de faire des progrès notables. Il est heureux de les faire constater aux Pères Raymond Rossignol et Roland Lefèvre venus le voir en mai. On lui suggère un séjour à Montbeton, mais il décline, quitte à en faire la demande plus tard, en novembre, « pour y passer l’hiver » dira-t-il. Le P. Gilbert Kongs l’y conduit, mais à peine arrivé, il y est victime d’une attaque et doit être transporté à l’hôpital. Le pronostic des médecins n’est guère favorable, et bientôt il n’y eut plus d’espoir : il décède le 2 décembre dans l’après-midi.
Effacement, discrétion, simplicité : telles furent les constantes de l’existence de celui qui avait prévu : « Pour l’enterrement, pas de discours ». Vie tout inspirée, semble-t-il, des vertus de pauvreté et d’humilité de sa compatriote la bienheureuse Jeanne Jugan ; toujours il les a cultivées d’une manière presque naturelle, mais combien édifiante pour tous ceux qui ont eu la chance de vivre à ses côtés.
Références
[3859] LESSARD Étienne (1916-1992)
Références bibliographiques
CR 1949 p. 153. 1950 p. 123. 1960 p. 86. 1961 p. 89. 1962 p. 103. 1963 p. 808. 1964 p. 71. 1965 p. 136. 1966 p. 182. 1967 p. 128. 1969 p. 147. 1974-76 p. 194. AG80-81 p. 213. 82 p. 212. 85 p. 223. 91 p. 269. BME 1948 p. 377. 1949 p. 536. 1950 p. 638. 639. 1952 p. 187. 642. 1953 p. 113. 596. 1958 p. 655. 1959 p. 553. 888. 1960 p. 264. 839. 1961 p. 768. EPI oct. 1967 n° 32 p. 269 (hindouisme). Enc. PdM. 12P4. EC1 N° 464. 469. 470. 473. 660. 673. NS. 7P193. 8P249. 23/C2. 36P308. 57P312. 79/C2 p. 307. 81P19. 82P45. 83P75. 86P176. 91/C2. 130/C2 p. 186. 135/C2. 174/C2. 178/C2. 182/79. 224/C2. 762/C2.