Augustin PIERRE1820 - 1903
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 0539
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Identité
Naissance
Décès
Missions
- Pays :
- Inde
- Région missionnaire :
- 1848 - 1865 (Pondichéry)
- 1866 - 1903 (Pondichéry)
Biographie
[0539] PIERRE Augustin, né le 8 août 1820 à Fontaine-Etoupefour dans le Calvados, entre laïque au Séminaire des Missions étrangères le 7 novembre 1844. Ordonné prêtre le 29 mai 1847, il part le 1er août de la même année pour la mission de Pondichéry.
Après un court séjour à Pratacoudi (1), il passe à Periavalatchéri (2). Il occupe ensuite successivement les postes d'Atur(4), Paleam(1), Cottapaleam (1), Vadouguerpatti (3), Yeriour (2), Panikancoupam (6), Conancouritchy (6), Akkravaram (4). En 1851, il élève un oratoire dans le district de Paleam. En 1855, il s'occupe de l'évangélisation du Colimaley (7), mais atteint de la fièvre il doit s'éloigner quelque temps de cette région insalubre. Quand il y retourne en 1863, le même mal le frappe à nouveau.
De retour en France en 1865 pour reprendre des forces, il se met à la disposition de son diocèse et exerce provisoirement son ministère à La Cressonnière, puis dans la paroisse Saint-Julien de Caen. Il lance un appel en faveur de sa mission Dans une brochure écrite par un de ses amis et intitulée : ‘‘Pacifiques conquêtes au XIXe siècle’’ relatant les bienfaits de l’activité missionnaire, il lance un appel en faveur de sa mission en Inde. Il repart de France pour l'Inde en juin 1866.
Il renouvelle ses tentatives d'apostolat parmi les habitants des montagnes, d'abord dans le Patchimaley (2) en 1869, puis dans le Colimaley en 1872. L'insalubrité du climat le force une fois de plus à s'éloigner. Il passe ensuite dans de nombreux districts. Nous ne pouvons les citer tous ; en voici quelques-uns : Panikancoupam (6), Kokudi (3), Akkravaram, Cortampet (8), Irundai (2), Salem, Nelliancoulam (2), Eraiyur (5).
En 1902, il tombe gravement malade et se rend à Pondichéry où il languit pendant plus d'un an. Le 21 octobre 1903 au soir, on lui fait comprendre qu'il va paraître devant Dieu : "Je vous remercie, dit-il, pour combien de temps pensez-vous que j'en ai encore ? - On ne peut pas savoir, vous pouvez aller jusqu'à demain matin. - Entendu, murmure-t-il, vous êtes bien bon, je vous remercie. " Le lendemain 22 octobre, il expire.
Avec lui s'éteignait un missionnaire d’une belle piété et d’une grande imagination, montrant plus d’allant pour lancer ses initiatives que d'habileté et de persévérance à les faire aboutir ou à les prolonger dans la durée.
1 – Au nord-ouest de Tiruchirappalli
2 – Non identifié.
3 – Au nord deTiruchirappalli.
4 – A l’est de Salem
5 – A l’ouest de Pondichéry.
6 – Au sud de Pondichéry.
7 – Dans les Kolli Hills, hauteurs des Ghats orientaux, au sud de Salem.
8 - Au nord-ouest de Pondichéry.
Nécrologie
M. PIERRE
Né le 8 août 1820
Parti le 1er août 1847
Mort le 22 octobre 1903
La mission de Pondichéry vient de se voir ravir par la mort bon nombre de ses vétérans : MM. Giraud, Godet, Féron, Poirault et Pierre.
Ces quatre derniers avaient célébré leurs noces d’or sacerdotales, et leur verte vieillesse, qu’animait toujours un zèle ardent, faisait l’admiration de leurs jeunes frères d’armes.
M. Auguste Pierre naquit à Fontaine-Etoupefour (Bayeux, Calvados), le 8 août 1820, d’une famille foncièrement chrétienne, qui a fourni au sacerdoce et au cloître plusieurs saintes âmes. Il arriva dans l’Inde en 1847 ; Mgr Bonnand était alors vicaire apostolique de Pondichéry
Lorsque, en 1845, les vicariats du Maïssour et du Coïmbatour furent détachés de la mission de Pondichéry, celle-ci ne garda qu’une poignée de missionnaires ; mais quels hommes que Mgr Bonnand, MM. Dupuis, Méhay, Lehodey, Mousset, Bardouil, Roger, Mathian, Godelle et Gouyon !
En 1847, arrivaient MM. Laouënan et Ligeon, et, l’année suivante, MM. Deléage, Pierre, Mauduit, Brisard et Grimault. Tous ces noms resteront à jamais célèbres dans les fastes de notre chère mission.
A son arrivée dans l’Inde, M. Pierre fut envoyé à Pratacoudy, où le vénérable M. Legoust, en lui inculquant les premières notions de la langue tamoule, fit passer dans son âme le feu apostolique qui dévorait la sienne. Bientôt, le jeune missionnaire, qui avait hâte de se donner tout entier à l’évangélisation des Indiens, demanda à aller travailler seul à Périavalatchéry. En peu de temps, son église devint trop petite ; il dut l’agrandir. Les pauvres pallers venaient en masse écouter la chaude et vibrante parole du jeune apôtre. Celui-ci réglait leurs différends, partageait avec les pauvres son modeste avoir, et la bonne Providence le lui rendait au centuple, en répandant sur son district les grâces les plus fécondes.
Nous n’entreprendrons pas de raconter par le menu sa vie de mis¬sionnaire, et encore moins d’énumérer les postes qu’il a administrés. Lui-même eût été embarrassé peut-être pour les nommer tous. Périavalatchéry, Attour, Paléam, Cottapaléam, Vadougarpatty, Yercour, Pannicancoupam, Conancouritchi, Akkravaram n’oublieront pas de sitôt M. Pierre, partout original, mais partout et toujours mission¬naire ardent et généreux. Nous ne mentionnerons que pour mémoire les districts de Karikal, Salem, Mandjacoupam, Erayur et tant d’autres, où il ne fit que passer.
En 1851, il construisit l’église de Sattiram, dans le district de Paléam.
En 1855, il apprit que M. Grimault venait de succomber à Trichino¬poly, victime de la fièvre pernicieuse contractée sur le Colimaley. Vite, il supplia Mgr Bonnand de lui confier la chrétienté naissante des Maleyalis. Ce poste dangereux tentait M. Pierre. Il avait dans le cœur la noble passion du sacrifice. Le vicaire apostolique, qui connaissait sa vaillance, mais qui en redoutait les excès dans une œuvre si péril¬leuse et hérissée de tant de difficultés, lui permit néanmoins de partir, après lui avoir donné quelques conseils de prudence.
M. Pierre crut faire merveille en emmenant avec lui une famille chrétienne des Shevaroy’s Hills. Il espérait que les exemples de ces montagnards, qui étaient de même caste que ceux du Colimaley, auraient une salutaire influence sur les néophytes. Il n’en fut rien. Rayappen, le chef de cette famille, divisa entre eux les Maleyalis, parvint à supplanter le maire du pays, qui se fit l’ennemi acharné des chrétiens. Bientôt M. Pierre, que la fièvre minait depuis longtemps, demanda un aide. M. Brisard arriva de Cottapaléam et lui ordonna de redescendre dans la plaine pour refaire sa santé délabrée. M. Brisard lui-même dut bientôt retourner à son poste, laissant l’ad¬ministration des montagnards à MM. Badenier et Roger. Ces der¬niers visitèrent toutes les familles des néophytes et s’en retournèrent tout joyeux ; mais M. Roger emportait les germes de la terrible fièvre et mourait, quelques jours après, à Trichinopoly.
Deux fois encore, en 1863 et en 1872, M. Pierre tentera de reprendre l’évangélisation de la montagne fatale ; en 1869, il essaiera, avec M. Verdier, d’évangéliser le Patchémaley, mais chaque fois l’insalu¬brité du pays l’empêchera de s’y fixer.
Il avait un talent extraordinaire pour amener les âmes à Jésus-Christ. Il connaissait le caractère des Indiens, les savait curieux comme des enfants ; aussi cherchait-il, avant tout, à les émerveiller. Son éloquence avait des apostrophes émouvantes, des objurgations qui forçaient les pécheurs à rentrer en eux-mêmes, des suspensions qui jetaient l’effroi dans les âmes. Puis, quand les pécheurs étaient suffisamment terrifiés par la pensée de l’enfer, l’orateur jetait à ses enfants l’appel miséricordieux du divin Crucifié à la pénitence et au pardon.
Quand M. Pierre arrivait dans un village, il faisait arrêter sa char¬rette à bœufs, s’asseyait sous un arbre touffu, banyan ou tamarinier, ou bien il se mettait à genoux pour prier. Les gens accouraient en foule. Son catéchiste rangeait tout ce monde en cercle, et le Père entrait en conversation avec l’assistance, parlant le langage du peuple, faisant rire les uns, réfléchir les autres, intéressant tout son auditoire. Bientôt, il tirait des profondeurs de sa malle une longue boîte en fer ¬blanc qu’il posait à ses pieds. Que pouvait-elle bien renfermer ? On le suppliait de l’ouvrir et d’en étaler les secrets. Le Père se faisait un peu prier, pour la forme, puis finissait par céder. Cette boîte conte¬nait un peu de tout : verres de couleur, prismes, toiles peintes. Les verres de couleur rouge montraient la nature tout en feu : c’était l’image de l’enfer ; les prismes éblouissaient les yeux avec les rayons de l’arc-en-ciel : c’était l’image des splendeurs du paradis. Puis, venaient les tableaux représentant la mort de Notre-Seigneur, la mort du pécheur et celle du juste, les tourments de l’enfer et les béatitudes du paradis. A cette vue, les Indiens étaient frappés d’étonnement, de crainte ou de surprise. On n’entendait, pendant un moment, que ces cris : Ayeyo-Appa ! Adheappa-Ammammâ !... Oh ! là ! voyez donc !
Le Père expliquait alors les attitudes de tous les personnages, leur donnait des noms connus, racontait des paraboles naïves, faisait com¬prendre ce que chacun avait fait pour tant jouir ou pour tant souffrir. Il révélait alors à ces pauvres gens qu’ils avaient une âme immortelle, destinée à un éternel bonheur, et leur demandait ce qu’ils faisaient pour le lui assurer. Ces procédés si simples produisaient leur effet et les conversions étaient nombreuses.
Ce qui frappait également les Indiens, c’était la simplicité du missionnaire, sa bonhomie et surtout son genre de vie. Il priait beaucoup, et sa nourriture était celle des plus pauvres Indiens.
Par suite de ce régime, M. Pierre ne tarda pas à tomber malade. Mgr Godelle, qui venait de succéder à Mgr Bonnand, lui conseilla d’aller se reposer en France. Il refusa d’abord, sous prétexte que n’ayant que peu de chances de guérir, il aimait mieux mourir sur le champ de bataille que d’aller en France s’ennuyer et ennuyer les autres ». Mais, comme on lui démontra ensuite la nécessité absolue d’un changement de climat et l’utilité qu’il y avait à l’envoyer quêter au pays natal, il se soumit et partit.
A son retour, il commença par distribuer aux lépreux les aumônes et les pièces de toile qu’il avait recueillies pour eux, et reprit ses tra¬vaux apostoliques, comptant toujours sur la Providence, mais, cette fois, un peu sur sa bourse, que les amis de France avaient bien garnie ! La fameuse bourse, hélas ! diminua bien vite, et le missionnaire eut tôt fait d’en voir le fond.
L’idéal, évidemment, serait de convertir les Indiens par l’emploi des seuls moyens surnaturels. On devrait n’avoir qu’à convaincre, puis à aider la grâce divine en faisant entrer dans la mémoire les formules de la prière, l’énoncé des principaux mystères et la série des lois de Dieu et de l’Église. Mais ces procédés demandent, chez le catéchu¬mène, une abnégation, un amour de la vérité, un désintéressement des préoccupations élevées, qu’on ne trouve guère chez les païens ignorants et pauvres.
Absorbés qu’ils sont par la lutte pour la vie, ils tournent toutes leurs énergies vers ce seul but. Leurs efforts, leurs calculs, leurs ruses tendent à extorquer un emprunt à intérêts fabuleux, à esquiver les ennuis de l’échéance. Cela leur permet de faire, une fois ou l’autre, de véritables folies, de célébrer un mariage avec apparat, etc. etc.; mais, quand vient le quart d’heure de Rabelais, ils sont cités devant les juges ou forcés de se louer comme de vrais esclaves, pour des années entières. Promettez d’abord un peu de paix à ces déshérités de la fortune, emplissez leur écuelle d’une poignée de ce beau riz blanc qu’ils récoltent pour leurs maîtres mais dont ils ne goûtent presque jamais, rapprochez ceux qui sont désunis, désintéressez les créanciers les plus féroces ; alors vous pourrez faire de beaux parallèles entre les splendeurs transcendantes de la religion chrétienne et les ignominies du culte des faux dieux.
M. Pierre comprenait cela. Aussi s’appliquait-il, de tout son cœur, à poser ces prolégo-mènes de la foi.
On a dit et répété qu’il a dépensé beaucoup d’argent, gaspillé des trésors qui auraient pu servir à fonder des œuvres durables. C’est que, pour lui, rien ne valait le bonheur d’une âme jetée dans le sein de Dieu. Financier médiocre, quoique Normand, M. Pierre s’est aventuré dans des entreprises hasardeuses ; il a commencé des travaux qui ne devaient pas aboutir ; il a prêté de l’argent qui ne lui a pas été rendu ; mais il n’avait qu’un but, le salut des âmes. Jamais il n’a songé à s’entourer d’un peu de confortable. S’il cherchait à se pro¬curer des ressources, c’était pour avoir plus d’aumônes à faire et pour multiplier ses moyens d’action. Il voulait, de plus, amener ses Indiens à se créer un travail rémunérateur et indépendant, il n’a pas toujours réussi, il a même échoué souvent, mais qui oserait l’en blâmer ?
La légende racontera longtemps ses prouesses d’éleveur de canards, de dindons, de moutons ; elle parlera de ces fameux ballots de toiles, — il y en avait pour 500 roupies, — qu’on eut toutes les peines du monde à revendre à perte ; de ces métiers à filer le coton, qui devaient créer une grande industrie à Attour ; de ces écoles de nattiers, qui devaient enrichir les gens de Yercour. Des rives du Ponnéar à celles du Cavery, il n’est guère de terrain inculte dont il n’ait rêvé de faire une terre de rapport, une rizière, un champ de menus grains, une plantation d’arbres fruitiers ; il n’est pas de pic dans les Gâthes, où il n’ait songé à planter la croix victorieuse.
Il faudrait un volume pour raconter ses démêlés avec les collecteurs, et les travaux qu’il accomplissait pour la mise en valeur de ses ter¬rains. Il creusait des étangs, nivelait le sol, défrichait la jungle, semait, plantait, récoltait, trafiquait, et, en fin de compte, il se trouvait sans le sou. Mais il avait donné du travail à ses chrétiens, il les avait dotés d’un petit avoir, les avait arrachés à un milieu païen, à la paresse, à l’esclavage. Pendant qu’il les occupait ainsi, il leur avait fait prendre des habitudes de vie chrétienne. Son argent s’en était allé dans les mains des pauvres, c’est-à-dire dans celles de Dieu : il ne le regrettait pas.
Quand on critiquait ce qu’il faisait, M. Pierre convenait de tout : « Il y a deux hommes en moi, disait-il, le bon Pierre et le mauvais Pierre. Le mauvais Pierre ne fait que des sottises ; l’autre fait de son mieux, mais, hélas ! il n’est pas toujours assez habile pour corriger ce que fait son camarade. » Mgr Laouënan admirait le bon Pierre, mais par¬fois, grondait le mauvais.
Pendant longtemps, M. Pierre garda les fonctions de missionnaire ambulant que Mgr Godelle lui avait confiées. Il allait alors d’un dis¬trict à l’autre, d’une station à une autre, y prêchait une retraite et se remettait en route, vivant comme il pouvait, mangeant ce qu’il trouvait, dormant n’importe où. On le vit même s’installer, pour y passer plusieurs jours, en un wagon de troisième classe, resté au dépôt dans une gare. Jamais il ne fit de plus beaux rêves que lorsqu’il était cahoté la nuit dans sa charrette à bœufs. Il pouvait aller impunément nu-tête au soleil. Il ne buvait pas de vin et se contentait de l’eau de l’étang voisin, quand il y en avait un ; mais si vous vouliez le régaler, vous n’aviez qu’à lui servir sans sucre une tasse de café noir bien fort. Obligé de voyager continuellement, il ne pouvait emporter un trousseau bien garni, ce qui ne laissait pas que de l’embarrasser pour certaines visites officielles.
Un jour, c’était en 1897, il était venu à Pondichéry à l’occasion de la retraite annuelle. On lui fit remarquer que 1847 et 50 faisaient juste 1897 et qu’on allait profiter de la présence des confrères pour célébrer ses noces d’or. « A quoi bon ? s’écria-t-il. Laissez-moi donc mourir en paix. Je ne suis pas venu à la retraite pour cela. » Mgr Gandy insista, mais sans succès. M. Pierre, toujours original, mais cette fois au delà des bornes permises, déclarait que ce serait un gaspillage d’argent tout à fait inutile. Les confrères furent désappointés. Cependant, à l’issue de la retraite, on servit un petit verre de vin en l’honneur du jubilaire récalcitrant, et Sa Grandeur, dans un toast charmant, célébra quand même les mérites du « bon Pierre ».
Celui-ci avait alors bien d’autres soucis en tête. Songez donc, un brahme du nord venait de se convertir au catholicisme ; il avait fondé une revue, et parlait de faire des conférences contra¬dictoires dans toute l’Inde, auxquelles seraient conviés les païens instruits. M. Pierre était enthousiasmé. Il correspondait avec le zélé néophyte, l’encourageait, lui cherchait des adhérents. Hélas ! en peu de temps, la Sophia, « la Sagesse », revue du nouveau converti, eut le sort auquel il fallait s’attendre : ses théologiens et ses philosophes, un peu trop précoces, la conduisirent en des voies qui ne concordaient guère avec son titre. M. Pierre, quoiqu’il n’y fût pour rien, en demeura inconsolable.
La carrière de notre vaillant confrère allait finir. Il était destiné à chanter son Nunc dimittis sur un krach ; la bonne Providence ne vou¬lait pas sans doute que sa vie si méritante fût gâtée par des pensées de vaine gloire.
Envoyé à Akkravaram, il eut une idée de génie : créer une caisse, ou plutôt, des caisses rurales. Il réunit, je ne sais comment, des capi¬taux, fit des avances, lança l’idée dans les journaux pour la propager ; mais, un beau jour, sa caisse fut complètement vidée par des gens, qui tenaient sans doute à lui emprunter, mais qui ne voulaient pas que leurs noms parussent sur ses registres. L’œuvre ne se releva pas.
A ces déboires de tout genre, Dieu ajouta, pour consommer l’œuvre de sa sanctification, une longue et pénible maladie qui força l’intrépide soldat à rendre les armes.
Vers le mois de mars 1902, ses jambes enflèrent d’une façon extraor¬dinaire, ses pieds se couvrirent de plaies et lui refusèrent à peu près tout service. Mgr Gandy crut devoir le rappeler à Pondichéry, où il trouverait plus facilement les soins que réclamait son état. M. Pierre ne s’y résigna qu’avec peine, craignant de voir lui échapper la faveur qu’il avait toujours espérée, de finir ses jours en vrai missionnaire, dans quelque grotte sauvage, ou le long de quelque grande route. Mais il savait que l’obéissance vaut mieux que le sacrifice et il fit ses paquets. L’opération n’était pas difficile : il possédait une soutane, un crucifix, un bréviaire qui semblait remonter au moyen âge, et c’était à peu près tout. Cette fortune fut placée au fond d’une petite caisse, et M. Pierre débarqua avec son mobilier à Pondichéry, dans les premiers jours du mois d’août. En le voyant arriver si débile, si usé, M. Giraud, notre vénéré vicaire général, ne put s’empêcher de lui dire : « Du coup, Monsieur Pierre, je crois que c’est pour de bon ; on peut creuser la fosse. — Oh ! oh ! pas si vite !... Après la vôtre, s’il vous plaît. » Et le vieillard, qui, ce jour-là, fut bon prophète, se mit à entonner, de sa plus belle voix, la chanson de la Normandie. Si le corps était usé, l’âme qu’il renfermait était restée jeune et vivante, comme celle d’un partant de vingt-cinq ans.
Pendant les quinze mois qu’il vécut encore, il fut condamné à une immobilité presque absolue et sentit sos forces décliner chaque jour. Mais l’esprit gardait toute son activité. Le vénérM. GÉRARDIN
MISSIONNAIRE APOSTOLIQUE DU KOUANG-TONG
Né le 13 janvier 1841
Parti le 15 février 1865
Mort le 29 août 1906
« M. Joseph Gérardin, originaire du diocèse de Nancy, naquit le 13 janvier 1841 à Baccarat (Nancy, Meurthe). Sur sa première enfance et son éducation, il y aurait à dire des choses qui ne seraient pas sans intérêt, car la famille Gérardin, excellente à tous égards, se distinguait par ses sentiments religieux et la tendre affection qui unissait tous ses membres entre eux. Quelques traits échappés au missionnaire, dans l’intimité, donnent à penser que jamais intérieur ne fut plus uni, ni plus heureux. C’est dans cette douce atmosphère du foyer domestique que grandit le jeune Joseph, et que se développèrent en lui les qualités d’esprit et de cœur dont il fit preuve toute sa vie.
« Étant donné la vivacité de son intelligence, il y a lieu de croire qu’il comprit de bonne heure que Dieu le voulait apôtre. De plus, de la notion bien nette de sa vocation à la résolution de la suivre, dans une âme aussi résolue que la sienne, on se figure aisément qu’il n’y eût pas loin. Il avait d’ailleurs sous les yeux l’exemple de vaillants missionnaires, ses compatriotes, et la voie lui était, en quelque sorte, tracée par les Schœffler, Krick et autres, dont plusieurs vivaient encore à cette époque.
« La meilleure preuve qu’il n’hésita pas longtemps, c’est qu’à l’âge de vingt-trois ans, au printemps de l’année 1865, il était déjà à son poste de combat. A cause du bon témoignage qu’on lui en avait rendu, le préfet apostolique de Canton, Mgr Guillemin, lui confia, presque aussitôt après son arrivée, la direction des travaux de la cathédrale de Canton, alors en construction. M. Gérardin donna toute satisfaction à celui qui l’avait choisi.
« Quelques années plus tard, alors que le district du Loui-tchao était en butte à la persécution, Mgr Guillemin, ne sachant plus à qui recourir, eut la pensée d’y envoyer M. Gérardin et s’en ouvrit au consul de France, dans une lettre où il faisait du jeune missionnaire un éloge presque sans réserve. Les circonstances ne permirent sans doute pas à Sa Grandeur de mettre son projet à exécution.
« Ce ne fut pas, en effet, à Loui-tchao qu’il envoya, un peu plus tard, son missionnaire, mais à l’est de la mission, dans le district de Tchiou-tchao, le plus important de tous après celui de la ville de Canton.
« Arrivé à Tchiou-tchao à un moment où l’œuvre de Dieu était gravement compromise, M. Gérardin justifia la confiance de son supérieur et vint à bout de toutes les difficultés. Les chrétiens du district ont conservé de lui un souvenir ineffaçable.
« Rappelé à Canton pour y succéder, comme pro-préfet, à M. Joly, il laissait au missionnaire de Tchiou-tchao une résidence convenable et une chapelle, qui a suffi jusqu’au 25 décembre 1906, jour où a été inaugurée la nouvelle et magnifique chapelle bâtie par M. Roudière. En 1879, M. Gérardin passa à un autre la procure et la paroisse de la cathédrale, et prit la direction du poste de Ho-un. Là, comme précédemment à Tchiou-tchao et à Canton, comme plus tard à Kit-yeung et à Wai-tchao, il laissa un excellent souvenir de son passage. Grâce à son zèle, à sa connaissance des hommes et des choses, et à un ensemble de qualités, qui ne se rencontrent pas toujours en un seul homme, à peine installé, il ne tarde pas à gagner la confiance des chrétiens et à se les attacher, tout en prenant sur eux un ascendant auquel personne ne pense à se soutraire. D’un autre côté, et pour les mêmes raisons, il n’est pas sans imposer aux païens du voisinage et aux mandarins eux-mêmes.
« Avec ses confrères, il est toujours aimable et gai. Pétillant d’esprit, il a des saillies qui, après de longues années, ont encore le don d’égayer ceux qui se les rappellent. Aucun des missionnaires qui ont vécu avec lui en 1884, durant notre long et douloureux exil à Hong- kong, ne lui refusera ce témoignage.
« A l’époque où la région de l’est du Kouang-tong se vit sillonnée en tous sens par des bandes de voleurs, recrutés en grande partie dans le pays même, la cour de Pékin chargea le général Fong de mettre fin à ce triste état de choses. Ce chef militaire, énergique mais un peu trop cruel, fit saisir tous ceux qui lui furent désignés par les mandarins et les notables comme coupables de brigandage. En quelques mois, des milliers d’individus se virent ainsi appréhendés, mis en prison et décapités.
« Or, dans un pays où les chrétiens vivaient mêlés aux païens, il était impossible qu’on n’en saisît pas quelques-uns, soit qu’ils fussent en réalité compromis, soit parce que des notables hostiles les avaient faussement accusés. A la nouvelle de ces arrestations, grande fut la terreur des néophytes et des missionnaires, et Mgr Chausse se demanda qui avait chance de réussir à protéger les chrétiens et les catéchumènes menacés. Son choix se fixa sur M. Gérardin, qu’il nomma, sans plus attendre, missionnaire de Kit-yeung en lui conservant son titre de pro-préfet. Le choix était des plus heureux. En effet, le missionnaire parvint à se mettre en rapport avec le redoutable général, qui lui fit bon accueil et poussa même la condescendance jusqu’à lui faire part des accusations portées contre certains chrétiens. M. Gérardin sut habilement profiter de ces bonnes dispositions et s’en servit pour venir en aide à plusieurs, qui, sans lui, auraient peut-être difficilement échappé à la mort. Le résultat fut que le passage du général Fong, dont on avait tout à redouter, eut plutôt pour effet d’augmenter le nombre des catéchumènes. L’année qui suivit, il y eut, dans le district de Kit-yeung, 242 baptêmes d’adultes.
« Cette affaire était terminée depuis longtemps, quand il s’en pré¬senta une seconde, moins grave sans doute, mais qui ne fut cependant pas sans causer au missionnaire bien des soucis. Un des principaux articles du traité conclu après la prise de Pékin entre la France et la Chine stipule que les chrétiens sont dispensés de contribuer aux frais du culte des idoles. Or, en 1891, les païens, jaloux des progrès de la religion dans le district de Kit-yeung, sans se soucier des engage¬ments pris par leur gouvernement, demandèrent aux chrétiens de prendre à leur charge une partie des dépenses à faire pour certaines cérémonies superstitieuses. N’ayant rien obtenu, ils eurent recours à la violence, maltraitant et pillant partout où ils rencontraient un refus. Ils se flattaient d’être protégés par les mandarins, dont ils connaissaient le mauvais vouloir à l’égard des chrétiens, et ne désespéraient pas d’empêcher les réclamations du missionnaire d’aboutir. De fait, M. Gérardin dut lutter fort longtemps pour obtenir gain de cause. Mais par son habileté et sa patience, à force d’instances sans cesse renouvelées, le vaillant missionnaire finit par triompher, et fit établir une jurisprudence dont profitèrent les districts voisins de Kit-yeung.
« En 1882, M. Gérardin avait bâti une fort jolie chapelle et une résidence à Ta-kam-hang, mais cette chapelle disparut en 1884, au moment de la tourmente qui causa tant de ruines dans les différents districts de la mission. En 1893, il éleva une autre chapelle à Swa-tow, port où l’on débarquait toutes les caisses venues de Hong-kong et de France à l’adresse des missionnaires de l’est. A côté de la chapelle, il établit une procure dont tout le monde reconnaissait la nécessité. Inutile de dire que le pro-préfet prit à sa charge une partie notable des dépenses.
« Cependant la santé de M. Gérardin déclinait visiblement. A lui, jadis si robuste, l’administration du district de Kit-yeung était devenue un trop pesant fardeau, qu’aggravait encore l’obligation, à titre de pro-préfet, de venir en aide assez souvent aux autres mission-naires. Aussi accepta-t-il volontiers d’être déchargé de ses fonctions de pro-préfet, et de se rendre à l’autre extrémité de la province, dans l’île de Wai-tchao, dont la population chrétienne, qui est d’environ 1.600 âmes, se trouve répartie entre deux paroisses. La principale paroisse, confiée alors au zèle de M. Ferrand, comptait plus de 1.000 chrétiens ; la seconde, fondée jadis par M. Houery, en comptait à peu près 500. C’est cette dernière qui échut à M. Gérardin. Ce ne fut d’ailleurs pas pour lui le repos, car, sans parler des fatigues du ministère pastoral, il lui fallut, dans les premières années, veiller constamment à la garde de l’île, que les innombrables pirates qui croisaient à cette époque dans le golfe du Tonkin avaient juré de prendre d’assaut pour la livrer au pillage et à l’incendie. Pendant de longs mois, il n’eut, pour ainsi dire, de repos ni jour ni nuit. « Que de nuits blanches passées sur le « rivage, écrivait-il alors, c’est à en devenir fou ! Ma santé en est fort ébranlée. » Plus tard, sans cesser de faire bonne garde, il eut moins sujet de se préoccuper, les canonnières de la flotte française d’Extrême-Orient lui ayant fourni des armes et des munitions. Mais ce n’était pas encore la sécurité complète, et en 1902 le missionnaire n’osait pas s’éloigner de son île, par crainte d’une incursion soudaine des pirates. En huit ans, il n’a fait qu’une fois le voyage de Pa-khoi à Hong-kong et à Canton. Quand il se sentait plus fatigué, il allait passer quelques jours à Pa-khoi, auprès du missionnaire qui y résidait.
« M. Gérardin avait toujours été d’une très grande régularité. Même dans ses voyages, il portait avec lui ses livres et ne négligeait aucun exercice de piété. Aussi Dieu, auquel il se tenait habituellement uni par le recueillement et la prière, lui fit-il la grâce de se rendre compte de son mal, et, après avoir bien vécu, de se préparer de longue main à bien mourir.
« Dès le commencement du mois d’août, écrit M. Marqué, son voisin à Wai-tchao, M. « Gérardin s’affaiblissait à vue d’œil. Un jour qu’il se sentait plus faible, il me dit qu’il « craignait de ne pas pouvoir supporter les fortes chaleurs de l’été, qu’il allait écrire pour faire « ses adieux à Monseigneur et aux confrères ; ce qu’il fit aussitôt, demandant pardon à tous de « la peine qu’il avait pu leur causer, et leur demandant de l’aider de leurs prières. Depuis ce « jour, la pensée de la mort ne l’a pas quitté : « Qu’il est donc difficile de mourir ! » disait-il « de temps en temps. Enfin, dans les derniers jours du mois, il manifesta le désir de recevoir « l’extrême-onction. « Je veux, dit-il, recevoir les derniers sacrements en pleine connaissance. « J’ai déjà tout fait préparer, je sens que ma dernière heure approche. » Dès le lendemain, il « reçut les derniers sacrements avec une piété angélique, et deux jours après le cher malade « entrait en agonie. C’est le 29 août, à 2 h. ½ de l’après-midi, le sourire sur les lèvres, qu’il a « rendu sa belle âme à Dieu. »
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~~~~~~~able malade trouvait toujours quelque idée nouvelle ; il concevait un projet auquel nul n’avait encore songé, et, dans l’enthousiasme de sa découverte, il appelait aussitôt le confrère voisin et lui faisait part de son inspiration. Il ne le laissait partir qu’après en avoir obtenu la promesse qu’il se consa¬crerait tout entier à ces œuvres, qui devaient donner au royaume de Dieu le plus splendide essor. Tout était là pour le vénéré vieillard, et ses derniers jours ne démentirent pas la devise de sa vie entière : Étendre le règne de Notre-Seigneur, convertir les âmes. — « Allez de l’avant, s’écriait-il, il faut coûte que coûte gagner des âmes. Ne regar¬dez pas aux moyens ; il suffit qu’ils ne soient pas contraires à la théologie. » Il est vrai que la théologie de M. Pierre comportait bien quelques idées personnelles, mais Dieu, qui voit le fond des cœurs, devait se complaire dans le spectacle de la droite et profonde pureté d’intention de son vieux serviteur et lui pardonner certains écarts d’esprit.
Vint le moment où Il jugea bon de rappeler à Lui l’ouvrier qui l’avait servi avec tant d’amour et d’abnégation. M. Pierre, sentant sa fin prochaine, demanda et reçut l’extrême-onction, avec les sentiments de la foi la plus vive et de la plus profonde humilité. Dès lors, il ne songea qu’à se préparer à la mort. Le 21 octobre, on lui fit comprendre qu’il allait paraître devant Dieu : « Je vous remercie, dit-il ; pour combien d’heures pensez-vous que j’en aie encore ? — On ne peut pas savoir ; vous pouvez aller jusqu’à demain matin. — Entendu, murmura-t-il, vous êtes bien bon, je vous remercie. » A partir de ce moment, il ne cessa de prier, répétant avec ferveur les pieuses invocations qu’on lui suggérait. Ses dernières paroles furent : « Jésus, je vous aime. » Ce fut pour ainsi dire en les prononçant qu’il s’éteignit doucement, à 4 h. ½ du matin, le 22 octobre. Une demi-heure après, les cloches de la cathédrale annonçaient aux chrétiens de la ville que le vieux missionnaire était mort, et les confrères présents, en célé¬brant pour lui le saint sacrifice, demandaient à Dieu d’allumer dans leurs propres cœurs le zèle ardent qui avait, toute sa vie, embrasé l’âme qu’il venait de rappeler à Lui.
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Références
[0539] PIERRE Augustin (1820-1903)
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1889, p. 210. - M. C., xxv, 1893, p. 42. - Sem. rel. Bayeux, 1866, pp. 55, 66, 101, 286, 338, 506 ; 1867, p. 7 ; 1868, p. 725 ; 1869, p. 699 ; 1877, p. 553 ; 1878, p. 89 ; 1892, pp. 53, 215, 359 ; 1903, p. 734. - Sem. rel. Rennes, 1865-66, p. 209.
Hist. miss. Inde, Tab. alph - Vingt ans dans l'Inde, p. 135.
Notice nécrologique. - C.-R., 1904, p. 342.