Marie-Laurent CORDIER1821 - 1895
- Statut : Vicaire apostolique
- Identifiant : 0551
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Identité
Naissance
Décès
Consécration épiscopale
Biographie
[551]. CORDIER, Marie-Laurent-François-Xavier, vicaire apostolique du Cambodge, naquit le 1er mai 1821 au hameau du Pâquier, commune de Villard-Saint-Pancrace (Hautes-Alpes). Ordonné prêtre le 20 juin 1847 à Gap, il entra le 1er juillet suivant au Séminaire des M.-E., et partit le 29 mars 1848 pour la mission de Cochinchine occidentale, qui comprenait alors le royaume du Cambodge. Ce royaume ayant été érigé en vicariat apostolique en 1850, il fut affecté à cette nouvelle division ecclésiastique.
Il débuta à Battambang, et deux ans après, en 1852, Mgr Miche l'envoya au Laos. Il s'installa avec M. Beuret au village " Queue-de-Buf ", au-dessus de Stung-treng. Etant tombé malade, il se rendit à Phnom-penh et se fixa à Ka-sutin, sur le Mékong, au milieu de Chinois catholiques. Son état ne s'améliorant pas, il revint en France, 1862.
Peu après, complètement guéri, il retourna dans sa mission. Il eut en 1864 la direction du district de Ba-nam, où tout était à créer. Il protégea énergiquement ses chrétiens contre les rebelles, les préserva de la famine et leur enseigna à utiliser leurs ressources. En même temps, pendant plusieurs années, il administra les chrétientés de Battambang et de Meat-krasa (Mot-kresar).
De 1865 à 1869, il fut provicaire sous l'autorité de Mgr Miche, devenu vicaire apostolique de la Cochinchine occidentale, et resté administrateur de la mission du Cambodge. Nommé supérieur de cette mission en 1874, il se fixa à Phnom-penh, dans la paroisse de Rosey-keo (Notre-Dame Auxiliatrice) ; de 1875 à 1878, il résida à Dau-nuoc (Culao Gieng) dans le séminaire ; en 1879, il retourna à Phnom-penh, et en 1881 administra pendant quelque temps le district de Chau-doc.
Le 18 juin 1882, il fut nommé évêque de Gratianopolis, vicaire apostolique du Cambodge, et le 6 janvier 1883, sacré à Dau-nuoc. Il fixa définitivement sa résidence dans la paroisse de Hoa-lang (Immaculée-Conception) à Phnom-penh, où le roi du Cambodge, Norodom, le traitait en ami.
Sous son administration, la mission prospéra, grâce à son zèle, à sa piété, à l'activité et au savoir-faire de plusieurs de ses missionnaires, auxquels il laissa beaucoup d'initiative. Cinq orphelinats et trois hôpitaux indigènes furent fondés par les religieuses de la Providence de Portieux, qui étaient arrivées au Cambodge au mois de janvier 1876. Le séminaire, bien dirigé, vit augmenter le nombre de ses élèves ; presque chaque année eurent lieu une ou plusieurs ordinations sacerdotales. De belles églises furent construites.
En juin 1895, au retour d'une tournée pastorale, Cordier tomba malade et succomba à Phnom-penh le 14 août suivant ; il fut enterré dans la cathédrale (Immaculée-Conception). Il eut longtemps la réputation d'un homme sévère ; de fait, il administra la paroisse de Ba-nam avec une fermeté calme, mais en appliquant strictement le droit ; devenu évêque, il montra souvent une bonté qu'on ne soupçonnait pas.
A l'époque de son sacre, la statistique officielle de la mission du Cambodge était la suivante : missionnaires 18, catéchistes 14, catholiques 14 832, séminaire 1 avec 61 élèves, écoles 31 avec 1 321 élèves, églises ou chapelles 68. A sa mort, 13 ans plus tard, tous ces chiffres avaient notablement augmenté : missionnaires 30, prêtres indigènes 12, catéchistes 70, catholiques 25 200, séminaire 1 avec 66 élèves, écoles et orphelinats 71 avec 3 969 élèves, églises ou chapelles 95.
Nécrologie
NÉCROLOGE
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MGR MARIE-LAURENT CORDIER
ÉVÊQUE TITULAIRE DE GRATIANOPOLIS
VICAIRE APOSTOLIQUE DU CAMBODGE
Né le 1er mai 1821.
Parti le 29 mars 1848.
Mort le 14 août 1895.
M. Janin, provicaire du Cambodge, nous a adressé les détails qui suivent sur la vie de Mgr Cordier :
« Une vie admirablement remplie vient de s’éteindre. Mgr Marie-Laurent Cordier, né le 1er mai 1821, évêque titulaire de Gratiano¬polis et vicaire apostolique du Cambodge depuis 1882, est mort le 14 août dernier, après avoir travaillé 47 ans dans sa Mission.
« Cette longue et belle carrière peut se diviser en deux périodes. Dans la première apparaît surtout l’apôtre pour qui les fatigues et les périls même ont de l’attrait. Dans la seconde, c’est l’évêque qui, mûri par l’âge et les travaux, fait profiter les autres de son expérience, et achève lui-même de se perfectionner dans l’épreuve et la souffrance.
« M. Cordier fit ses débuts avec toute l’ardeur de la jeunesse. Envoyé en 1848 à Battambang, il s’y distingua par son courage et son intré¬pidité, au point de mériter le surnom de « brave des braves ». De fait, il ne savait pas ce que c’était que de reculer devant le danger. Il s’y exposait parfois avec une hardiesse que certains confrères ont taxée de témérité. Il gardait son sang-froid même en face du tigre, et il se défendit un jour avec avantage contre un buffle sauvage : « Nous restâmes indemnes l’un et l’autre, disait-il dans la suite ; mais la force « brutale dut céder au courage intelligent. » Chez lui, l’esprit était à la hauteur du caractère. Il acquit promptement une grande expérience qui ne profita pas à lui seul. Pendant deux ans, il s’occupa de rédiger un directoire pour servir de guide aux jeunes missionnaires qui viendraient après lui. Il mit à cette œuvre son ardeur et sa ténacité ordinaires, et il pâlit sur les livres de la litté¬rature hindoue. Vers la fin de sa vie, il citait encore le Trai-phum et le Trai-phic, qu’il avait étudiés en cette circonstance.
« Après ces deux ans de préparation, il fut envoyé au Laos. Il y rencontra des difficultés presque insurmontables dans la conversion des païens, et l’épreuve la plus sensible, l’insuccès, ne lui fut point épar¬gnée. Il eut le mérite de ne pas se laisser gagner par le découragement, et resta à son poste. Fidèle à l’esprit de sa vocation, il prit toutes les mesures qui étaient en son pouvoir, il dépensa ses forces, laissant à Dieu le soin de procurer le succès. On lui envoya du renfort. Un provicaire apostolique et des missionnaires vinrent cultiver le champ qu’il avait commencé à défricher ; mais il ne consentit à ménager un peu sa santé ébranlée, que quand il eut vu mourir à ses côtés un confrère atteint de la fièvre des bois. Envoyé à Ca-sutin, île du grand fleuve, pour s’y rétablir, il ne resta pas inactif. Ayant rencontré là quelques Chinois, il profita de l’occasion qui s’offrait à lui pour ap¬prendre à bien parler leur langue. Les exercices corporels qu’il aimait tant ne lui manquèrent pas non plus. Obligé de pourvoir lui-même à sa cuisine, il faisait la chasse aux oiseaux et aux animaux sauvages. Il rentrait à la maison toujours content, et dissi¬pait par quelque aimable saillie, quand il en était besoin, l’ennui de revenir bredouille. Mais tout cela ne put lui rendre la santé. Un retour en France finit par s’imposer, et le remède cette fois fut effi¬cace. Il était, quand il partit, complètement exténué ; et sa photo¬graphie, que les frères Germain voulurent alors se procurer, pour¬rait servir de modèle pour peindre un anachorète du temps de saint Antoine. Il revint parfaitement rétabli et florissant de santé.
« Il fut alors placé à Banam, où des chrétiens fugitifs avaient cherché un asile contre la persécution qui sévissait an Cochinchine. Cette chrétienté était de plus menacée par des Cambodgiens révoltés contre leur roi. M. Cordier sut se montrer chevalier dans toute la force du terme. Les chrétiens obligés de se défendre contre la violence et le brigandage, se placèrent sous sa direction. Une forte palissade de bambous, formant carré, les mit bientôt à l’abri d’un coup de main. On se procura quelques canons et un pierrier qui eut son histoire dans la suite. Ces armes, assez parlantes, tinrent l’ennemi en respect par leur seul bruit. C’était l’essentiel. Puis, comme les chrétiens du Cambodge étaient dans la disette, M. Cordier reçut l’ordre d’aller faire une provision de riz pour les ravitailler. Il embarqua son pier¬rier, car il devait traverser une ligne de jonques qui barraient le fleuve. N’étant plus qu’à 300 mètres de ces jonques, il remarqua celle du chef, la visa et, du premier coup, en fit sauter le toit. C’en fut assez pour obtenir libre passage. La paix faite, M. Cordier pouvait se féliciter de n’avoir perdu aucun de ceux qui lui avaient été confiés. Il se livra dès lors sans obstacle au travail d’évangélisation et d’organisation ; car il fallait tout créer, et tout lui incombait. Il fut mission¬naire dans le sens le plus complet du mot. Il s’appliqua d’abord à faire des chrétiens éclairés, solides, exemplaires, suivant, sans rien innover, les règles et traditions de la Mission. Il dut souvent user d’une certaine sévérité dans la correction des défauts ; mais cette sévérité était aussi aimante qu’inflexible, de sorte qu’elle était acceptée et presque aimée. On le connaissait et il n’avait pas besoin de recourir à la contrainte pour faire exécuter ses arrêts.
« M. Cordier s’occupait aussi des intérêts matériels de ses ouailles. Il vint à bout de leur démontrer que le travail et l’économie les tireraient du besoin, et les garantiraient à l’avenir contre la misère. Il leur enseigna à utiliser toutes leurs ressources. Bref, il en fit, non-seulement de bons chrétiens, mais des travailleurs courageux et intelligents. Aussi avait-il sur eux l’autorité incontestée et tout le prestige d’un père. C’est à ce labeur vraiment apostolique qu’il fut enlevé pour être promu à la dignité épiscopale. En 1882, il fut nommé Vicaire apostolique du Cambodge, avec le titre d’évêque de Gratiano¬polis.
« Mgr Cordier sut mettre sa vie et ses habitudes en harmonie avec sa nouvelle situation. Le changement fut sensible. Etabli depuis long¬temps à Banam, il administrait ce poste avec une fermeté tout apos¬tolique, sans se départir de la règle stricte. D’un aspect sévère, il était tout à ses œuvres, et il aimait son « chez soi », d’où étaient bannies l’étiquette et les cérémonies. Devenu évêque, il laissa débor¬der de son cœur la bonté qui s’était cachée jusque-là sous une apparente rudesse. On le vit se prodiguer sans ménagement, se faire tout à tous. Sa figure austère s’adoucit peu à peu ; elle fut même habituellement souriante. Il eut dès lors une affabilité et des prévenances qu’on ne lui soupçonnait point, et que rehaussait une dignité naturelle et sans apprêt. En même temps, il tenait beaucoup à ce qui pouvait honorer la dignité dont il était investi. Il aimait, dans tous leurs détails, les cérémonies du Pontifical romain, et il se laissait faire volontiers quand les chrétiens se portaient à sa rencontre pour lui prodiguer des honneurs et des démonstrations de joie.
« Mgr Cordier appréciait comme il convient les devoirs et les res¬ponsabilités de sa charge. Avec saint Paul, il voyait dans l’épiscopat une tâche et un fardeau redoutable. Sa devise indique d’ailleurs assez l’idée qu’il s’en faisait : Facti forma gregis ex animo, devise qu’il a réalisée à la lettre. Ayant passé sa vie avec les indigènes, il savait comment les prendre et les conduire. Avec ses confrères, il devint comme un serviteur, par suite de son élévation même. L’union fut intime entre les brebis et le pasteur. Celui-ci, donnant l’exemple, était suivi, écouté, aimé. Dévoué avant tout aux intérêts de la Mis¬sion, il s’identifia avec elle et ne vécut pas en dehors de cette sphère. Il se faisait remarquer par sa piété filiale envers le Souverain Pon¬tife.
« Sa piété s’accrut sans cesse avec les années : ses exercices étaient accomplis régulièrement et marqués au coin de la perfection ; et cela même au milieu de ses travaux les plus accablants. Sa foi vive, son humilité sincère édifiaient ceux qui l’approchaient. Ayant toujours travaillé au salut des âmes avec un zèle très pur, il vit venir la mort avec le plus grand calme,
« Mgr Cordier, nous écrit M. Grosgeorge, avait souvent manifesté le désir de mourir un « jour de fête de la sainte Vierge ; la bonne Mère lui a obtenu la faveur de quitter cette terre la « veille de sa plus grande fête, l’Assomption, vers une heure de l’après-midi. J’ai beaucoup « connu Mgr Cordier ; nous avons habité sous le même toit pendant bien des années. Depuis « qu’il avait quitté le séminaire, il venait tous les ans y passer plus d’un mois, et je puis « assurer qu’il menait une vie de privations et de mortifications continuelles. Et, d’ailleurs, sa « vie entière, on peut le dire, n’a été qu’une longue maladie qui ne l’arrêta jamais dans ses « pratiques de pénitence, et sa dernière maladie n’a été qu’une longue et douloureuse agonie « qui a duré du 5 juillet au 14 août.
« A la fin du mois de juin, Monseigneur fit une tournée pastorale à Chaudoc et à Cantho, « pour donner la confirmation et bénir une église. Sa Grandeur voulait travailler jusqu’à la fin, « et estimait comme une des plus grandes grâces, celle de mourir en accomplissant ses devoirs « de Vicaire apostolique : il voulait tomber les armes à la main. Au retour, Monseigneur fut « pris d’une attaque d’influenza. Les premiers jours, il crut que son indisposition n’était « qu’une suite de ce qu’il appelait « son vieux catarrhe ». M. Coudert, qui l’aimait et qui l’a « soigné comme un père, lui conseilla d’appeler le médecin. Sa Grandeur refusa. Le « lendemain, le docteur vit le malade, et reconnut l’influenza à un degré aigu. Bientôt après, il « découvrit une fluxion de poitrine et déclara n’avoir plus aucun espoir de sauver « Monseigneur. M. Coudert, qui réside à l’évêché depuis plusieurs années, se chargea de faire « connaître au vénéré malade l’opinion du médecin. Sa Grandeur répondit avec une sainte « joie : « — Enfin ! voici l’heure de la délivrance : Dieu soit loué ! Laissez-moi seul pendant « quelque temps ; puis vous viendrez et je me confesserai. Avertissez les confrères de Phnom-« Penh pour qu’ils soient présents lorsqu’on m’administrera les derniers sacrements. » « Monseigneur lut sa profession de foi et reçut le saint Viatique et l’Extrême-Onction avec les « sentiments de la piété la plus vive. Les missionnaires et les chrétiens qui purent assister à « cette touchante cérémonie éprouvèrent tous la même impression : « Mgr Cordier n’était pas « surpris par la mort ; il était prêt à paraître devant Dieu.
« Lorsque M. Janin, provicaire, et moi, appelés par dépêche télégraphique, nous « présentâmes à l’évêché, Monseigneur ne parlait presque plus et respirait avec peine. Nous « pleurâmes ensemble sans pouvoir rien dire. Bien des fois, j’avais vu Monseigneur très « malade, condamné par les médecins, jamais je ne l’avais vu alité. « Au lit, on perd le peu de « forces qui vous reste », disait-il. Deux heures après, le docteur venait faire sa visite « habituelle. Les bonnes rela¬tions que nous avions entretenues avec cet excellent médecin « nous permettaient une liberté que nous n’aurions jamais osé prendre avec un autre : « Docteur, lui dis-je, vous croyez donc Monseigneur bien malade ? — Il peut aller un jour ou « deux, mais il est perdu sans espoir, répondit-il. — Vous vous trompez, docteur, notre « évêque a été taillé dans le roc, disaient vos prédécesseurs ; sous un air chétif, il a une « abondance de vie, une résistance à la maladie que vous ne soupçonnez pas et qui a trompé « beaucoup d’autres docteurs avant vous. » Le médecin secoua la tête, sourit tristement et me « dit : « Je désire me tromper. » Le lendemain matin, il revenait à l’évêché : « Comment va « Monseigneur ? — Mieux, beaucoup mieux, docteur, il a été plus calme. — Vous m’en « voudriez si je vous trompais, reprit-il vivement, et vous auriez raison. Eh bien, pour dire la « vérité, je dois vous avertir que ce que vous prenez pour un mieux n’est autre chose qu’un « état comateux qui est le commencement de l’agonie. »
« Cet état de demi-sommeil, interrompu fréquemment par des crises, dura du 5 juilIet au « 12 du mois d’août. Sa Grandeur n’avait pas de délire, mais éprouvait des douleurs intenses « quand l’assoupissement cessait. Survinrent aussi d’énormes anthrax, qui lui rendaient toute « position presque insupportable. Les Sœurs de la Providence de Phnom-penh lui « prodiguèrent leurs soins avec la plus grande cha¬rité. Un missionnaire, un diacre et un clerc « le veillaient jour et nuit avec deux ou trois chrétiens. Les Annamites et les Cambodgiens « s’étaient organisés avec un dévouement admirable pour ne pas quitter leur évêque un seul « instant.
« Les confrères vinrent à tour de rôle recevoir la dernière bénédiction de leur Vicaire « apostolique. Mgr Caspar, Vicaire apostolique de la Cochinchine septentrionale et Mgr « Pineau, Vicaire apostolique du Tonkin méridional, venus à Saïgon pour le sacre de Mgr « Dépierre, l’honorèrent de leur visite. M. Martinet, procureur général, et M. Holhann, « supérieur du sanatorium de Béthanie, firent également le voyage de Saïgon à Phnom-penh « pour donner au Vicaire apostolique du Cambodge un dernier témoignage de leur vénération. « M. Rousseau, gouverneur général de l’Indo-Chine, de passage au Cambodge, tint à venir à « l’évêché, et eut pour Sa Grandeur des paroles touchantes de sympathie. M. le Résident « supérieur du Cambodge le visita deux fois, et fit prendre souvent de ses nouvelles. Une des « visites qui semblèrent produire le plus d’impression sur le visiteur et sur le malade, fut celle « de S. M. Norodom, roi du Cam¬bodge. Le roi et l’évêque étaient de vieux amis. Pendant « quarante-sept ans, leurs jours de joie avaient été les jours de paix du royaume, leurs jours « d’angoisse avaient été les jours de troubles dans le Cambodge. Le vieil évêque retrouva ses « forces pour remercier Sa Majesté. Le roi, de son côté, tout triste de voir son ami au seuil du « tombeau, lui parla longuement, et, quoique païen, il ne voulut pas le quitter sans lui « demander une suprême bénédiction. Le second roi fit aussi une visite à Monseigneur et se « montra plein d’affection pour Sa Grandeur. Tous les européens de Phnom-penh « témoignèrent la plus grande vénération pour l’Evêque mourant, « le plus vieux colon de « l’Indo-Chine ».
« Monseigneur parlait peu. Quand il sortait de son état de somno¬lence, si ses douleurs « n’étaient pas trop vives, il semblait absorbé par la pensée de la mort. Sa figure était calme et « ses lèvres remuaient pour dire quelques prières. Jamais il ne manqua de faire ses prières du « matin et du soir ; jamais, même le jour de sa mort, il n’omit l’Angelus. Chaque jour, il « récitait au moins un chapelet, souvent plusieurs.
« Quand Monseigneur me fit ses dernières recommandations, je lui demandai s’il avait « quelque chose de particulier à dire à sa famille. Il me répondit : « Je n’ai plus qu’une sœur et « des ne¬veux. Vous leur ferez part de ma mort, vous leur direz que je les ai toujours bien « aimés et que je les bénis de tout mon cœur. Lorsque le bon Dieu m’aura reçu dans le « Paradis, je prierai pour eux. — Avez-vous quelque souvenir à leur envoyer ? — Voyez, je « n’ai pas grand’chose qui en vaille la peine. — Un souvenir est précieux, non pour sa valeur, « mais à cause de celui qu’il rappelle. Voulez-vous que nous choisissions parmi les objets qui « ont été le plus ordinairement à votre usage ? — Oui. »
« Les souffrances de Monseigneur semblèrent cesser le 12 août ; mais ses paroles étaient « de plus en plus rares. Nous en étions étonnés. Le soir, il demanda ses lunettes, prit son « mouchoir et se mît à le regarder avec attention. Nous ne savions ce qu’il faisait. Peu à peu, « aux mouvements de la tête, il nous parut qu’il lisait. Nous profitâmes d’un moment où il « semblait plus fatigué pour lui dire : « Pardon, Monseigneur, de vous interrompre ; les « confrères ne sont pas raisonnables de vous envoyer tant de lettres et de vous donner tant de « travail. On va mettre de côté vos lettres ; le médecin vous défend toute tension d’esprit ; « quand vous irez mieux, vous en prendrez connaissance. — Oui, comme vous voudrez. » — « C’était le délire qui avait commencé, délire dans lequel Monseigneur ne voyait que des « choses d’administration, de piété, de religion. Pour le faire passer, nous entrions dans les « idées du malade, mais nous n’arrivions qu’à le distraire pour quelques instants. Le 14, vers 1 « heure du matin, Monseigneur se trouva très calme. Nous espérions un mieux réel. A midi et « demi, la sœur infirmière nous fit avertir que Monseigneur ne pouvait plus rien avaler. Nous « nous réunîmes, récitâmes les prières des agonisants, lui adressâmes quelques exhortations, « et son âme s’envola vers Dieu sans autre signe de souffrance et sans aucune secousse.
« Je manquerais à une de ses principales recommandations, si je ne vous disais pas qu’il « m’a chargé de faire ses adieux au vénéré M. Delpech, supérieur du Séminaire de Paris, à son « ami de cœur, M. Pernot, et à tous les Directeurs : « Vous leur direz adieu ; non... au revoir « dans le ciel..., je prierai bien pour eux, pour le Séminaire, pour toute la Société. Demandez-« leur des prières pour moi : Oh ! j’en ai bien besoin. » La veille de sa mort, après lui avoir « demandé une suprême bénédiction pour moi, mes confrères, notre séminaire, nos œuvres et « notre Mission, je lui dis : « Monseigneur, est-ce que vous oubliez notre Séminaire de Paris ? « — Oh ! non, je demande pour lui tout ce que Notre-Seigneur peut lui accorder de mieux ; je « le bénis de tout mon cœur et de toute mon âme. » Il se recueillit et sa main tremblante traça « un grand signe de croix.
« Le corps de Mgr Cordier fut déposé dans un triple cercueil dont la chrétienté « cambodgienne et les deux chrétientés annamites de Phnom-penh voulurent supporter les « frais. Les funérailles, fixées au dimanche suivant, 18 août, furent présidées par Mgr « Dépierre, entouré de presque tous les confrères de la Mission et de six missionnaires de la « Cochinchine occidentale. Toutes les administrations assistèrent aux obsèques, S. M. le roi « du Cambodge et le second roi, absents de Phnom-penh, s’y firent représenter. Le roi envoya « la musique de la Cour. M. Blanchet, directeur des Messegeries fluviales de Cochinchine, « offrit une magnifique couronne.
« La dépouille mortelle de Mgr de Gratianopolis repose dans la cathédrale de Phnom-penh, « à l’endroit choisi par Sa Grandeur, devant l’autel du Sacré-Cœur.
« Le meilleur éloge qu’on puisse faire de l’administration de Mgr Cordier, c’est de donner « la statistique suivante :
« Quand Monseigneur prit le gouvernement de la Mission, en 1874, il y avait au « Cambodge de 6.000 à 8.000 chrétiens ; il y en a, aujourd’hui, 24.500. Sous son « administration, 12 prêtres indigènes et 4 diacres ont été ordonnés ; en outre, les Religieuses « de la Providence de Portieux sont venues s’établir dans la Mission, où elles ont fondé 5 « orphelinats et 3 hôpitaux indigènes. Ces saintes filles du Vénérable Moye ont déjà ouvert le « ciel à plus de 17.000 petits enfants, et elles baptisent plus de 200 adultes par an.
« Et laudabunt eum opera ejus. »
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Références
[0551] CORDIER Laurent (1821-1895)
Notes bio-bibliographiques
C.-R., 1872, p. 15 ; 1874 (déc.), pp. 24, 25 ; 1875, p. 37 ; 1876, p. 32 ; 1877, pp. 34, 62 ; 1878, p. 38 ; 1879, p. 51 ; 1880, p. 69 ; 1881, p. 81 ; 1882, p. 75 ; 1883, p. 23 ; 1884, p. 9 ; 1885, pp. 102, 169 ; 1886, p. 105 ; 1887, p. 155 ; 1888, p. 147 ; 1889, p. 179 ; 1890, p. 142 ; 1891, pp. 175, 322 ; 1892, p. 191 ; 1893, p. 209 ; 1894, p. 226.
A. P. F., lvii, 1885, Massacre de M. Guyomard, p. 209 ; lxvii, 1895, p. 475. - A. S.-E., xx, 1868, p. 329 ; xxiii, 1872, p. 267 ; xxxi, 1880, p. 171 ; xlvii, 1896, p. 215. - M. C., vi, 1874, p. 190 ; viii, 1876, p. 140 ; xiv, 1882, p. 472 ; xvii, 1885, p. 159 ; xxvii, 1895, p. 408.
A. M.-E., 1913, pp. 250 et suiv., 259 et suiv. - Ann. N.-D. Laus., 1891, p. 140 ; 1892, p. 415. - Le Tour du Monde, 1863, 2e sem., pp. 282, 290.
Lettre de S. G. Monseigneur l'évêque de Gap [Mgr Berthet], 16 août 1895, Sa mort.
Hist. gén. Soc. M.-E., Tab. alph. - Dict. biog. Hautes-Alpes, au nom Cordier. - Arm. des Prél. franç., p. 250.
Notice nécrologique. - C.-R., 1895, p. 333.
Bibliographie
Cochinchine française : les codes cambodgiens / [M. L. Cordier]. - Saigon : Impr. nationale, 1881. - 283 p. ; 8°.
Les Codes cambodgiens / [M. L. Cordier]. - Saigon : Impr. du gouvernement, 1894. - 216 p. ; 24 cm. In : Excursions et reconnaissances, 1894, p. 1-216.
Les Codes cambodgiens / [M. L. Cordier]. - Saigon : Impr. du gouvernement, 1896. - [71] p. ; 24 cm. In : Excursions et reconnaissances, 1896, p. 284-354.
CRÉTIN Paul (1892-1978)
Dictionnaire français-sedang (dak-kang) / P. Crétin, M. E. P. - Saigon : Roné Lua Hông, [19-?]. - 2 vol., 1064 p. ; 33 cm. Polycopié, cartonné. AMEP 3228.1