Pierre PRIEUR1824 - 1898
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 0562
Identité
Naissance
Décès
Missions
- Pays :
- Inde
- Région missionnaire :
- 1849 - 1898 (Pondichéry)
Biographie
[0562] PRIEUR Pierre, né le 11 août 1824 à Nolay en Côte-d'Or, entre tonsuré au Séminaire des Missions Étrangères le 18 avril 1846. Ordonné prêtre le 17 juin 1848, il part le 6 juillet suivant pour la mission de Pondichéry.
Un prédicateur hors pair
En 1854, nous le trouvons à Attipakam (1) dont il reconstruit l'église ; en 1860, il est curé de la cathédrale à Pondichéry et chargé de la direction des religieuses de Saint-Louis de Gonzague ; en 1864, il est à Covilour-Tiroupatour (2). Il se fait très vite remarquer par ses talents pour la prédication. Aussi, vers 1865, Mgr Godelle le prie de prêcher des missions dans les principaux districts du vicariat.
Un supérieur de séminaire à l’esprit indépendant
En 1871, il est à Kumbakonam (3), en 1874 de nouveau à Pondichéry comme supérieur du grand séminaire. Quoique excellent missionnaire, il refuse, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre, de procéder dans l’établissement aux réformes que Mgr Laouënan juge nécessaires. Aussi l’évêque le nomme-t-il supérieur de la maison, décision qu’il estime utile au bon fonctionnement de la Mission. En 1877, Prieur retourne à Attipakam où il reste 14 ans, autant que ses forces lui permettent d'administrer ce district. En 1883, Mgr Gandy, coadjuteur à Pondichéry, en tournée pastorale, l'emmène avec lui pour prêcher dans les paroisses qu’il visite. En 1891, il est affecté à Ariancoupam (4), en 1896, complètement épuisé, il se retire à Pondichéry. Résidant à l'évêché, il emploie tout son temps à la prière.
Le P. Prieur est incontestablement le plus grand prédicateur de la mission de 1860 à 1890 et Mgr Laouënan ajoute à son propos "un des prêtres des plus zélés, des plus intelligents et des plus laborieux". Il meurt presque aveugle le 15 juillet 1898 à Pondichéry.
1 – A l’ouest de Pondichéry.
2 – Entre Pondichéry et Bangalore.
3 – A l’ouest de Karikal, l’un des cinq comptoirs français en Inde
4 – Quartier de Pondichéry.
Nécrologie
M. PRIEUR
MISSIONNAIRE APOSTOLIQUE DE PONDICHÉRY.
Né le 11 août 1824
Parti le 6 juillet 1848
Mort le 15 juillet 1898
J’ai connu dans l’Inde un bon nombre de confrères. J’ai connu le missionnaire ardent, héroïque, au corps de fer, à l’âme de feu, qui ne se donne ni trêve ni repos, qui va toujours de l’avant, ne reconnais¬sant à aucun obstacle au monde le droit d’arrêter son cours torrentueux.
J’ai connu le confrère au zèle tout pétri de suavité et d’amour, qui sait conquérir les cœurs des chrétiens et des idolâtres par sa ten¬dresse de mère, par un dévouement sans borne à leurs intérêts tant spirituels que temporels. Les bons chrétiens le vénèrent ; les méchants n’osent pas lui résister en face ; les païens admirent le bon pasteur et se disent l’un à l’autre : « Un jour ou l’autre, il faudra bien nous placer sous sa houlette. »
J’ai connu le missionnaire aussi distingué par ses talents naturels que par sa vertu. Il est d’une habileté incomparable ; son ingéniosité le fait réussir, là où tout autre aurait échoué. Ses manières sont pleines de distinction ; il parle une langue imagée et très correcte, comme celle des hindous de haute caste. En chaire, il a le don séduisant de l’éloquence ; et comme il a beaucoup étudié les livres sacrés du pays, il sort toujours victorieux des discussions amicales qu’il a avec les païens.
J’ai connu le missionnaire au cœur mystique. Il est plein d’un amour tendre et fort pour le doux Seigneur Jésus. On l’aurait cru destiné à la vie contemplative. Il se répand peu au dehors ; il se plaît dans la soli¬tude, passant une bonne partie de ses jours et même de ses nuits en communication intime avec son Dieu. Il convertit les idolâtres et ra¬mène les mauvais chrétiens dans le bon sentier, plutôt par la force de la prière, du jeûne et de l’abstinence, que par celle des arguments. Il est le grand bénisseur du village ; il chasse les démons du corps des possédés. On le croit en communication avec les esprits angéliques, et tout le monde se dit : « Celui-là est un saint ! »
J’ai connu le missionnaire au zèle robuste, mais calme et pondéré, ferme de caractère, solide de jugement. Celui-ci marche à sa conquête d’une allure plus pacifique. Il ne s’avance qu’après avoir sondé le terrain ; il observe les hommes et les connaît à fond. Il est tolérant, parce qu’il tient compte de l’esprit qui les anime, et des circonstances de temps et de lieu où ils se trouvent. Quand il rencontre un obsta¬cle, il s’arrête pour réfléchir, et se sent plutôt porté à le tourner qu’à le renverser.
Ces divers types de missionnaires, et d’autres encore, m’ont passé sous les yeux. Ils sont remarquables, chacun dans son genre. Je les admire ; mais n’ayant pas ce qu’il faut pour les suivre, je les salue et je passe. Au contraire, j’ai toujours été persuadé qu’avec la grâce de Dieu et une forte dose de bonne volonté, il ne me serait pas impossible d’imiter M. Prieur qui, lui aussi, était un grand missionnaire. Et quel était son genre ? Ce cher et vénéré confrère n’était exactement ni l’un ni l’autre des types dont j’ai parlé ci-dessus. Il n’avait pas de spécialité ; ou, s’il en avait une, c’était d’avoir réuni, amalgamé et harmonisé en sa personne une grande partie des qualités et des aptitudes énumérées plus haut, sans toutefois en posséder aucune en un degré éminent.
Son intelligence était robuste, sans être brillante ; mais comme il était appliqué et tenace à l’étude ! Très versé dans la théologie dog¬matique et morale, doué d’un rare bon sens, il était l’homnne de conseil ; à force de persévérance, il avait acquis une connaissance plus qu’ordinaire des langues anglaise, télinga et tamoule, car il se consi¬dérait comme le serviteur de tous. Son zèle et son dévouement pour les âmes étaient grands mais dépourvus de fougue, quoique non d’une certaine brusquerie, et même d’âpreté en queques circonstances. Ce zèle ne lui venait pas de la nature, mais de la raison éclairée par la foi ; aussi n’avait-il ni déclin ni éclipse. Ce qu’il était en 1848, alors que le cher Père faisait ses premières armes de missionnaire, il l’était en 1898 dans sa vieillesse, alors qu’il se plaignait d’avoir été retiré de son district et de n’avoir plus rien à faire. « Voilà ! s’écriait-il de ce ton que chacun lui connaissait, voilà ! Mgr Gandy n’a plus en moi la même confiance qu’auparavant. Sa Grandeur m’a rappelé à Pondichéry. Pourtant il me semble que je pourrais encore travailler. » Or, à ce moment-là, le vénéré vieillard avait non seulement perdu la vue presque entièrement, il était encore si écrasé physiquement et moralement par le poids des ans, qu’il faisait vraiment pitié à voir. Il n’était plus qu’une ombre de lui-même, une ruine.
Le regretté M. Prieur n’avait en son extérieur rien de mystique, ni d’austère en sa manière de vivre. Il était venu en mission, non pour se macérer, mais pour se dépenser au service des âmes ; et cependant, d’un bout de l’année à l’autre, sa table était si commune qu’à peine un trappiste aurait-il pu s’en accommoder. De caractère, il était peu ex¬pansif ; mais il s’était tant appliqué à être aimable envers tous, surtout avec ses confrères, qu’il était un de ceux dont la compagnie plaisait davantage. Sans qu’il parût rien d’extraordinaire en sa conduite, on ne pouvait vivre avec lui plus d’un jour ou deux, sans être frappé de sa solide vertu, de la droiture de son cœur, de sa prudence, de sa charité envers le prochain, de son entière soumission à ses supérieurs, de sa modestie et de son humilité.
Le cher Père n’avait-il donc aucun défaut ? Qui oserait le dire ? La perfection absolue n’est pas de ce monde. Il y avait donc des lacunes en la sienne, car l’homme paraissait quelquefois dans l’apôtre. Mais la plupart étaient moins des défauts que des exagérations et déforma¬tions de ses vertus. Par exemple : son esprit de pauvreté apostolique se tournait trop souvent en négligence des règles de la propreté. Son profond mépris du monde l’entraînait parfois à un manque de bonnes manières et de savoir-vivre qui faisait sourire et gémir ses meilleurs amis. La droiture de son caractère l’exposait à être dominé par ceux qui l’approchaient de plus près, car il ajoutait trop facilement foi à ce qu’ils lui disaient.
Le talent extérieur qui brilla le plus dans le cher Père et lui attira le plus d’éloges était celui de la prédication. Il a été sans contredit le plus grand prédicateur de la mission dans ces 40 dernières années. Il prêchait bien, et il aimait à prêcher. Pourtant à l’exception de la voix, qui était forte et vibrante, je crois pouvoir dire que la nature ne l’avait pas créé orateur ; il le devint à force de labeur et d’applica¬tion. Il préparait ses discours avec un soin extrême. Quand il les avait écrits, retouchés, mis au net, il s’exerçait d’une manière si opiniâtre à les bien débiter ; il était avec cela si pénétré de la sublimité de son ministère et de ce qu’il devait aux Hindous, que souvent il en devenait éloquent et remuait profondément les masses. Au reste, sa doctrine était sûre, son langage correct, son débit plein de feu, et son exposition toujours claire et à la portée de son auditoire.
Les supérieurs mirent souvent son beau talent à contribution. Vers l’année 1864 ou 1865, Mgr Godelle, de sainte mémoire, le nomma prédicateur apostolique, chargé de parcourir les principaux districts de son vicariat, et d’y prêcher les exercices de retraites régulières, en com¬pagnie des PP. Balcou, Mathian et Pierre. Avec quelle joie M. Prieur accepta cet office ! Avec quel soin il se prépara à le dignement rem¬plir ! car l’honneur est aussi une charge, et il ne l’ignorait pas. Bientôt nous apprîmes que les succès de nos chers confrères avaient dépassé toute attente. Les populations chrétiennes accouraient en masse aux saints exercices. Remuées profondément par la parole divine, elles se convertissaient à la voix des apôtres. On peut dire de M. Prieur en particulier, ce que Notre-Seigneur dit de saint Jean-Baptiste : « Il était une lampe ardente et brillante. » — Ses instructions étaient solides, et les ingéniosités de son zèle pour attirer les chrétiens et les gentils n’avaient pas de borne. Il avait fait exécuter des tableaux représentant les principaux mystères de notre sainte religion : la création, la chute de nos premiers parents, la passion du doux Sauveur, la mort du juste, celle du pécheur, le ciel, l’enfer, le retour de l’enfant prodigue, et d’autres encore. Ces peintures naïves faites par un artiste indien et exposées en public, parlaient aux yeux des gens, tandis que notre infatigable confrère, d’une voix tonitruante, faisait pénétrer en leurs âmes les grandes vérités du salut, dans un langage aussi simple que lumineux.
Qui pourra jamais dire le nombre incalculable des confessions revalidées, des restitutions faites, des ennemis réconciliés, des unions coupables brisées ou régularisées à l’occasion de ces retraites ? Une pluie de grâces et de bénédictions célestes tomba sur la Mission tout entière. Une nouvelle vie circula dans les cœurs chrétiens.
Quand j’arrivai dans l’Inde en 1860, M. Prieur occupait la haute situation de curé de la cathédrale, il était alors dans la maturité de son âge et de son talent. Les belles qualités qui ornaient son esprit et son cœur faisaient de lui un missionnaire fort remarquable. Tous les yeux étaient tournés de son côté ; et cela ne gênait en rien cet homme de Dieu, dont la modestie était pleine de simplicité et de naturel ; il avait même l’air de ne pas s’en apercevoir. Il me fut donné de rester avec lui plus d’un mois. L’ayant beaucoup examiné, je l’admirai et le pris dès lors pour le modèle que je devais m’efforcer de suivre. Je fus confirmé en cette manière de voir par M. Dupuis, alors supérieur de la Mission. Je me souviens que dans les instructions qu’il jugea utile de nous donner, le Vénéré Provicaire ne craignit pas de proposer à notre imitation le cher Père curé, comme le type du missionnaire pieux, zélé, instruit et laborieux, l’honneur du Vicariat de Pondichéry. J’acceptai de bon cœur ; et, arrivé maintenant au déclin de ma carrière, je n’ai qu’un regret, c’est de n’avoir pas imité avec autant de soin que j’aurais dû, les beaux exemples de vertu, de zèle apostolique et d’application au travail que m’a montrés le regretté P. Prieur.
Dix ans plus tard, j’eus le bonheur de lui être provisoirement adjoint comme aide en un temps où il était un peu malade, dans le district d’Attipakam. Je le retrouvai tel que je l’avais vu autrefois. Voici comment alors il employait sa journée. Tous les matins il était debout à quatre heures. Il. faisait une heure de méditation, puis il célébrait le saint sacrifice. Pendant la messe, il prêchait, très assidû¬ment, non seulement les dimanches et jours de fête, mais encore chaque fois qu’il voyait devant lui un certain nombre de chrétiens. Je célébrais ensuite, et quand après mon action de grâces, je retournais au presbytère, je le trouvais occupé ordinairement à faire frire une sorte de beignets qu’il servait ruisselants de beurre, et dont le principal mérite était de nous exposer à la mort par suffocation, s’il n’y avait eu là du café en abondance pour nous aider à ingérer et à digérer. Les jours de fête, quand il poussait l’amabilité jusqu’à les saupoudrer de sucre noir, il croyait avoir atteint l’extrême limite de ce qu’un missionnaire peut se permettre en fait de gourmandise. Après le déjeuner, il se retirait dans sa chambre pour étudier la théologie, l’Écriture sainte et les langues du pays. Pendant ce temps-là, son catéchiste avait parcouru le village, et, de gré ou de force, avait amené à 1’écoIe les petits gar¬çons et les fillettes qu’il avait pu rencontrer. Vers dix heures, le cher Père leur faisait un peu de catéchisme, il regardait ce point comme très important, et il s’acquittait de sa fonction avec un zèle qui ne se lassait jamais.
Chaque année, dans les deux ou trois mois qui précédaient la première communion, les enfants de tous les districts étaient tenus de venir au chef-lieu, et alors, du matin au soir, le maître d’école leur faisait répéter mot à mot la lettre du catéchisme, distribuant libéra¬lement des coups de rotin aux plus étourdis des deux sexes. Le Père faisait alors deux instructions par jour, le matin et le soir. A onze heures et demie, il retournait en sa chambre, fumait un cigare pour se distraire, faisait son examen particulier et prenait son repas.
L’après-midi était consacré à la prière, à la visite au Saint-Sacrement, à la lecture spirituelle et au rosaire. La. soirée était réservée aux confessions. Il y mettait tous ses soins. Quand les aïtta-cârers étaient réunis à l’église, il s’y rendait un gros cahier sous le bras. C’était l’état des âmes contenant les noms des chrétiens par familles et par villages. Des colonnes marginales indiquaient la caste, l’âge, le nombre de confessions faites dans l’année. Le bon pasteur était très soigneux de ses brebis, il les connaissait, et elles le suivaient quand il les appelait. Après avoir constaté la personnalité et l’état des pénitents, il leur faisait l’aïttam , c’est-à-dire l’examen de conscience et la prépa¬ration à la contrition, puis il les confessait.
Les lundis de chaque semaine, de bon matin, il se rendait dans quelques-uns des villages les plus éloignés de sa résidence. Il arrivait à l’improviste, visitait les malades, baptisait les petits enfants, reprenait ceux qui donnaient du scandale et, autant que possible, se mettait en rapport avec les gentils.
C’est ainsi que prêchant et catéchisant les chrétiens ; reprenant les uns et encourageant les autres ; bâtissant des églises et des écoles ; s’efforçant par tous les moyens en son pouvoir (quoique sans succès bien notables) d’amener les païens à la vérité, cet homme de Dieu a passé les cinquante ans pendant lesquels il a plu au Ciel de le garder en Mission. Oui, cinquante ans au service de ses frères indiens pour l’amour de Notre-Seigneur Jésus ! cinquante ans sans retourner en France, la belle France qu’il aimait tant ! cinquante ans à manger une nourriture grossière, à coucher sur la dure, à voyager sous les rayons d’un soleil ardent ! cinquante ans, la charrue à la main, sans jamais regarder en arrière, il a cultivé le champ du Seigneur, dans l’obscurité, dans la patience et la pauvreté ! Et puis, il a rendu sa belle âme à Dieu.
Qui n’admirerait pas cette magnifique existence ? Qui ne souhaiterait d’avoir à son habet, au moment de la mort, les mérites qu’il avait acquis ? Qui donc ne voudrait être à sa place ? Pour moi, je garde et garderai toujours le souvenir du cher et vénéré Père, n’oubliant pas que c’est dans sa régularité aux exercices spirituels de chaque jour qu’il a puisé la grâce de rester fidèle à tous ses devoirs de prêtre et de missionnaire, et d’obtenir de Dieu la sainte mort promise à ceux quos prœscivit et prœdestinavit conformes fieri imaginis Filii sui.
H.-M. BOTTERO,
Missionnaire apostolique.
M. Pierre Prieur était né à Nolay (Côte-d’Or) ; il appartenait donc au diocèse de Dijon. Il était clerc tonsuré quand il entra au séminaire des Missions-Étrangères le 18 avril 1846.
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Références
[0562] PRIEUR Pierre (1824-1898)
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1884, p. 132 ; 1885, pp. 120, 122, 123 ; 1886, p. 124 ; 1889, p. 214 ; 1891, pp. 217, 219. - A. P. F., xxxviii, 1866, p. 100. - M. C., iv, 1871-72, p. 204 ; xvii, 1885, pp. 207, 255. - Chron. rel. Dijon, 1866-67, p. 294.
Vingt ans dans l'Inde, p. 53. - Hist. miss. Inde, Tab. alph.
Notice nécrologique. - C.-R., 1898, p. 328.