Pierre DOURISBOURE1825 - 1890
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 0591
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Identité
Naissance
Décès
Missions
- Pays :
- Vietnam
- Région missionnaire :
- 1850 - 1890 (Qui Nhon)
- 1850 - 1885 (Kontum)
Biographie
[591]. DOURISBOURE, Pierre, le principal fondateur de la mission des sauvages en Cochinchine orientale. Il naquit à Briscous (Basses-Pyrénées) le 19 septembre 1825, fit ses études au petit séminaire de Laressore, entra laïque au Séminaire des M.-E. le 19 octobre 1846, et fut ordonné prêtre le 2 juin 1849. Il partit le 6 octobre suivant pour la Cochinchine orientale, et fut destiné à la mission des sauvages, où pendant 35 ans il devait supporter les plus dures misères, avec un courage apostolique digne de la plus grande admiration. A la fin de 1850, il était à Kon-trang dans la tribu des Se-dang. Il traduisit, dans la langue de cette peuplade, les prières que M. Combes avait composées en bahnar. Le 16 octobre 1853, il baptisa ses deux premiers catéchumènes, Ngui et Pat.
Tous les missionnaires, ses compagnons, moururent ; lui, exceptionnellement résistant, continua son apostolat. Cependant, s'il ne succombait pas, il voyait son uvre paralysée et les difficultés aggravées par l'hostilité et la défiance des sauvages, ainsi que par la maladie. Souvent la fièvre des bois le surprenait en voyage et le forçait d'attendre, loin de tout secours humain, la fin de la crise ou la mort. D'autres fois, elle le clouait sur sa natte dans sa cabane, et il arriva un jour que lui et un autre missionnaire, Besombes, après s'être confessés et s'être mutuellement administré l'extrême-onction, retombèrent l'un près de l'autre sans connaissance. En 1857, il alla remplacer à Ko-xam M. Combes qui venait de mourir. En 1858, il fut nommé provicaire de la mission des sauvages.
Pendant un séjour qu'il fit à Saïgon en 1864, et qui dura plusieurs mois, de février à septembre, il administra la paroisse de Xom-chieu, puis retourna chez les Bahnars. Il finit par fonder cette mission, grâce surtout à la création de villages exclusivement composés de chrétiens. Le premier village de ce genre, installé au milieu d'une forêt que lui et quelques familles de chrétiens défrichèrent, fut Jo-ri-krong.
En 1870, il vint en France réparer ses forces, et y publia un petit ouvrage aussi intéressant qu'édifiant : Les sauvages Ba-hnars, récit de ses travaux, de ses souffrances et des labeurs de ses compagnons ; puis il regagna son poste.
En 1885, il fut rappelé en Cochinchine, mis à la tête du grand séminaire, et nommé provicaire pour toute la mission. Bientôt son épuisement ne lui permit plus aucun travail. Il fut envoyé au sanatorium de Béthanie à Hong-kong ; il y acheva de composer son dictionnaire bahnar-français et le fit imprimer. On espéra qu'un voyage en France lui permettrait de vivre encore quelques années ; mais il mourut à la procure des M.-E. à Marseille, peu de jours après son arrivée, le 8 septembre 1890. La mission des sauvages ne comptait encore qu'un millier de chrétiens ; depuis lors elle a prospéré plus rapidement ; mais c'est bien à la persévérante et apostolique énergie et au tempérament vigoureux de M. Dourisboure qu'elle doit sa naissance.
Nécrologie
M. DOURISBOURE
PROVICAIRE APOSTOLIQUE DE LA COCHINCHINE OCCIDENTALE
Né le 19 septembre 1825.
Parti le 6 octobre 1849.
Mort le 8 septembre 1890.
Au jour où l’Église célèbre la Nativité de la Mère de Dieu s’éteignait sur la terre, et Dieu, nous en avons la confiance, récompensait dans le ciel une existence de quarante années de travaux, de privations et de souffrances. C’est à la procure de Marseille, quelques jours après son débarquement, que M. Dourisboure, l’apôtre bien connu des sauvages Ba-hnars, a terminé sa carrière et s’est endormi dans le Seigneur. Nous empruntons à la Semaine de Bayonne et au Bulletin de l’Œuvre des Partants quelques détails sur la vie du vaillant missionnaire.
« Né à Briscous (diocèse de Bayonne) le 19 septembre 1825, d’une excellente et très chrétienne famille… il fit avec distinction ses premières études en vue du sacerdoce au petit séminaire de Larressore.
« Il avait, tant au moral qu’au physique, une de ces physionomies qui se retiennent, et ses trop rares condisciples d’alors redisent volontiers son esprit ouvert, son caractère rond et franc, et l’entrain débordant qu’il portait partout, au travail aussi bien qu’au jeu. Ils redisent surtout sa foi vive, sa piété profonde, son désir de faire du bien autour de lui. Le futur missionnaire se révélait déjà dans le jeune séminariste. Voici ce que lui-même disait, vingt ans plus tard, de ses sentiments d’alors, dans un livre écrit par ordre de son évêque.
« Je me souviens encore des années de mon petit séminaire à Larressore. Je n’étais qu’un « jeune élève de troisième, mais lorsque pendant le dîner , on lisait au réfectoire les lettres de « M. Miche, écrites dans la prison de Hué, oh alors ! je n’avais plus faim pour manger le pain « que je tenais à la main. Je n’avais des yeux, des oreilles que pour le lecteur, et au plus « profond de mon âme, j’entendais avec délice une voix qui me disait : Et toi aussi tu seras « missionnaire ! Il y a de cela plus de vingt ans, et pourtant les larmes me viennent aux yeux à « ce souvenir. »
« Le jeune séminariste puisait à bonne source ces nobles ardeurs. Ceux qui l’ont connu à cette époque ont gardé le souvenir de sa dévotion particulièrement vive envers la sainte Eucharistie. Sa ferveur au pied des autels était visible ; et souvent il parlait à ses jeunes condisciples de l’amour de Jésus Hostie en termes qui accusaient un cœur plein de ce qu’il disait. L’Eucharistie a été l’objet de la dévotion de toute sa vie ; là était le secret de sa force au milieu des plus dures épreuves ; là, le foyer de son zèle dévorant. Toutes les peines ne lui étaient rien quand, le matin, il pouvait monter au saint autel. » Sur le point de mourir il faisait cette confidence : « Ce qui dans ma maladie m’a fait souffrir le plus, et ce qui a été pour moi l’occasion d’un véritable regret, c’est la privation que j’ai subie depuis longtemps de ne pouvoir célébrer le saint sacrifice de la messe. »
« A cet amour de l’Eucharistie, il joignait, comme son naturel complément, une tendre et confiante dévotion à Marie, à laquelle il s’est toujours cru redevable de faveurs signalées qu’il se plaisait à proclamer.
« Après un an passé au grand séminaire de Bayonne, l’aspirant missionnaire partit en 1846 pour le séminaire des Missions-Étrangères » Il y demeura trois ans.
« Envoyé en Cochinchine orientale (1) il fut destiné à la nouvelle mission que Mgr Cuenot voulait fonder chez les sauvages, habitants des montagnes qui forment la ligne de partage des eaux entre le Mekong et la mer.
« L’année précédente, deux prêtres, le P. Combes et le P. Fontaine, avaient déjà pénétré dans cette contrée inconnue.
« Le P. Dourisboure alla les rejoindre.
« Quinze ans plus tard, il reçut l’ordre de raconter l’histoire de sa mission ; il s’excusa d’abord, que pouvait-il écrire ? et qui se hasarderait à lire le livre d’un pauvre prêtre laissant glisser sous sa plume les formes de la langue sauvage au lieu du français correct ou délicat qu’on exigeait ? L’évêque insista, le missionnaire se rendit et composa un petit volume intitulé : Les Sauvages Ba-hnars, mélange de drames émouvants, d’actes héroïques qu’un poète pourrait enchâsser dans l’or et le diamant .
« Tous ceux qui ont eu l’occation de le lire l’ont admiré, et j’en sais plus d’un qui a relu certaine page, à genoux, les larmes aux yeux, la terminant par la plus fervente prière.
« C’est dans ce livre que nous puiserons, pour esquisser les travaux du P. Dourisboure ; de là-bas, ses compagnons ne nous ont rien écrit depuis sa mort ; ils se contentent de faire l’histoire sans la raconter ; être connus de Dieu seul leur suffit.
« Le P. Dourisboure partit le 11 novembre 1850, à la nuit tombante. Il avait avec lui un vieux missionnaire, dont il a tracé le plus aimable portrait, une de ces natures exceptionnelles qui ont le privilège d’incarner, en quelque sorte, une vertu ou une qualité, le P. Desgouts, ce père si bon, si bon pour tous et en tout, qu’on ne l’appelait que le bon Père Desgouts.
« Le charme et la sécurité de la route qu’ils suivirent avaient été définis par le guide des premiers missionnaires : « Je ne connais pas de route plus difficile, mais les tigres et les « éléphants auront plus pitié de nous que nos frères les hommes. »
« Après cinq semaines de voyage, ils arrivèrent chez les PP. Combes et Fontaire, et à leur vue, la première parole du P. Dourisboure étonné fut celle-ci : « Comment c’est vous qui êtes « le P. Combes, ce n’est pas possible. »
« Hélas ! c’était bien lui, mais usé déjà par la fièvre des bois, cette reine impitoyable des pays sauvages, encore était-il debout, le P. Fontaine était couché, sans forces, sur sa natte d’où il ne devait guère se relever que pour retourner en Cochinchine.
« Ils n’avaient converti personne, ils n’étaient reçus dans aucun village, ils étaient traités comme des criminels, tout au moins comme des suspects. Et depuis une année, ils étaient là, dans une petite hutte de feuilles, qu’ils avaient construite eux-mêmes, grelottant de fièvre, n’ayant d’autre nourriture que du riz sec, des herbes et des racines trouvées à grand’peine dans la forêt. Ils seraient fidèles au poste cependant et Dieu finirait par exaucer leur persévérance ; d’ailleurs il leur restait de pouvoir mourir.
« Tout ému de ces récits, mais vigoureux et résistant, ayant au cœur ces belles envolées d’espoir si faciles à la jeunesse et à la force, le P. Dourisboure se jeta dans les bras de ses confrères, murmurant avec un sourire cette noble et touchante parole de poète :
Nous souffrirons ensemble et nous souffrirons moins.
« Elles furent bien dures pourtant ces souffrances, quoique supportées ensemble, aux portes du petit village de Ko-lang, et aucun récit ne vaudrait celui-ci si doucement écrit.
(1) Extrait du Bulletin de l’Œuvre des Partants
« Nous étions d’ordinaire étendus, chacun sur sa natte, aux quatre coins d’un foyer creusé « au milieu de la cabane. Ceux que l’accès de fièvre avait saisis se débattaient avec lui « comme ils pouvaient ; les autres qui avaient un moment de relâche, priaient, riaient, « chantaient des cantiques, entretenaient conversation ou fumaient la pipe. Pendant le jour, « ceux que la fièvre laissait en repos, pour le moment, allaient chercher dans la forêt des « pousses de bambou, de la « fougère tendre ou d’autres herbes bonnes à manger ; rentrés au « logis, ils les faisaient cuire dans une marmite de terre, pour servir d’assaisonnement au riz « qui constituait notre seule nourriture. Un jour, nous fîmes fête. Un de nos Annamites avait « pris dans le ruisseau un poisson gros comme une sardine, ce fut un événement. M. Combes, « en qualité de supérieur, le partagea en quatre « portions égales, et chacun de nous plaça « solennellement un pouce de poisson « dans son écuellée de riz. En revanche, il nous est « arrivé de jeûner complètement, faute de quelqu’un pour cuire le riz, tout le monde étant « malade à la fois. »
« Et le dernier mot de ce grand courage, de cette patience héroïque, le mot qui revient sans cesse, sous une forme ou sous une autre, comme le refrain chanté par chaque battement du cœur : « Nos misères étaient des misères bien-aimées, car le Seigneur Jésus les parfumait « d’une inappréciable douceur. »
« Cependant les semaines et les mois s’écoulaient et la situation ne changeait pas.
« Moins affaibli que ses compagnons, le P. Dourisboure partit avec M. Combes explorer le pays : ils réussirent à obtenir un petit terrain à Kon-Ko-xam ; à Ro-hai, ils achetèrent une maison qui leur coûta cinq francs, puis ils trouvèrent un protecteur dans un chef sauvage, Hmur, qui, plus d’une fois, interposa son autorité pour empêcher leur expulsion ou sauver leur vie.
« Ils commencèrent alors à défricher la forêt ; en suite sur l’ordre de Mgr Cuénot, le P. Dourisboure alla s’établir dans la tribu des Se-dang, à Kon-trang, centre du commerce entre les Ro-ngao, les Se-dang et les Laociens.
« Sa première joie fut un baptême d’enfant : c’était le 1er janvier 1852 ; il était triste, il sentait son âme s’affaisser sous la croix plus lourde, lorsque voyant les sauvages se précipiter vers un même point, il demanda quel était l’objet de leur curiosité : Un enfant qui va mourir, lui répondit-on. Rapide comme la pensée, il saisit une gourde pleine d’eau et court baptiser le petit moribond. Et tout de suite son âme redevient chantante, son sort l’enthousiasme, il plaint ceux dont la vie ne ressemble pas à la sienne. Oh ! célestes allégresses, quelle suavité merveilleuse vous répandez dans le cœur de l’homme, de quelles chaudes et resplendissantes clartés vous l’illuminez et le fortifiez !
« Pourtant ce ne fut pas et ce ne pouvait être le plus grand bonheur du missionnaire.
« Un baptême d’enfant ne fonde pas une chrétienté, les conversions d’hommes faits sont nécessaires, elles étaient le but ardemment poursuivi ; ce but fut atteint le 16 octobre 1853 ; en ce jour qui peut être regardé comme la date de la fondation de la mission des sauvages, le P. Dourisboure baptisa ses deux premiers catéchumènes, deux jeunes gens, Joseph Ngui et Jean Pat.
« Trois ans s’étaient écoulés depuis son arrivée au pays des sauvages ; en ces trois ans, il avait baptisé deux païens ; deux mois plus tard, le P.Combes en baptisa un, Hmur, le chef de Kon-Ko-xam. Telle est la naissance des Eglises, dure et lente, subissant, comme tout changement, la loi de la préparation, comme tout enfantement, celle de la douleur !
« Je n’étonnerai aucun de ceux qui connaissent les labeurs de l’apostolat en disant que le plus difficile était fait. Trouver cent catéchumènes lorsqu’on en possède dix est une œuvre pénible, trouver le premier de tous est le labeur par excellence. C’est une sorte de création : le génie ne suffit pas, il y faut la sainteté, et la sainteté n’est le fruit que de grandes souffrances et de longs combats.
« Est-ce à dire que tout allait devenir facile ? Assurément non ; et le P. Dourisboure dut traverser encore bien des heures sombres et supporter de rudes assauts.
« La défiance des sauvages ne s’affaiblissait que lentement, les missionnaires se heurtaient presque partout à une hostilité aussi tenace qu’au début ; en vain s’étaient-ils montrés doux et résignés, en vain avaient-ils convaincu de calomnies leurs accusateurs et donné,au temps de la disette, leur riz et leur argent ; rien n’avait éclairé les esprits ni adouci les cœurs.
« Dans ses courses à la recherche des âmes, le P. Dourisboure était exposé aux mêmes affronts.
« Un jour, il avait entrepris une excursion lointaine, il marchait depuis le matin, dans les grandes herbes et la boue des marais, il était cinq heures du soir, il avait faim, il avait soif, et sur sa route il ne trouvait ni une source, ni un grain de riz ou de maïs ; enfin il aperçut la hutte d’un sauvage, il s’approcha et demanda humblement un verre d’eau.
« Une femme parut sur le seuil et refusa brusquement, le chassant avec un geste de menace.
« Le missionnaire courba la tête et continua sa route.
« La fièvre le prit, ses jambes tremblèrent refusant de le porter ; il s’égara, essaya de grimper sur un arbre afin de s’orienter, il n’en eut pas la force ; haletant il s’arrêta pour écouter ; rien, aucun bruit humain ne lui indiquait vers quel point se diriger, partout le grand silence de la forêt, à peine troublé par la chute de quelques feuilles, et par les tourterelles qui roucoulaient leur prière du soir. » La nuit vint, et à cette date, son journal de souvenirs porte cette page, que l’âme pieuse et vibrante de l’apôtre semble avoir empruntée à saint François d’Assise.
« Il y avait à côté de moi un arbre déraciné et couché par terre, je m’assis tout auprès. Si « j’avais au moins, pensai-je, un peu de feu pour sécher mes habits et empêcher mon corps en « sueur de se glacer ! Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! si j’avais un peu de feu ! » Dans ma hotte « se trouvaient mon bréviaire, ma pipe, mon «briquet et un petit morceau d’amadou. Je « ramassai avec soin quelques feuilles sèches, je les broyai bien menu et tremblant de ne pas « réussir, car j’étais encore novice dans le métier, je battis le briquet, l’amadou prit feu, mais « il était en trop «petite quantité et il se consuma avant d’avoir pu communiquer le feu à mes « feuilles. Avec la dernière étincelle s’évanouit ma dernière espérance. Alors en voyant que « tout me faisait défaut, je ne sais quel transport de joie surnaturelle s’empara dé tout mon « être. Ne pouvant contenir mon bonheur, je me lavai et me mis à chanter de toutes mes forces :
Bénissons à jamais
Le Seigneur dans ses bienfaits !
« et les échos répétèrent : « …à jamais…ses bienfaits. » J’invitai tous mes compagnons de la « forêt, les animaux sauvages, à s’unir à moi pour louer Dieu, parce que sa miséricorde est « éternelle. « Oh ! mon Dieu ! répétai-je plusieurs fois, dans cet absolu dénûment me « reconnaissez-vous un peu pour votre missionnaire ? »
« Au milieu de ces souffrances dont nous pouvons à peine ébaucher le tableau, les années passaient ; tous ses compagnons mouraient ou retournaient en Cochinchine pour ne plus revenir ; il n’avait plus avec lui qu’un prêtre annamite. N’importe, il ne se décourageait pas.
« Il conçut un nouveau plan d’évangélisation simple et pratique qui n’eut pas été bon en Annam, mais qui était excellent chez les Ba-hnars.
« Ce plan tient dans une ligne : fonder des villages exclusivement composés de chrétiens. Le P. Dourisboure commença à l’exécuter en 1865.
« Groupant les fidèles éparpillés au milieu des hameaux païens, il les conduisit dans un terrain bien choisi, les y installa, leur fournit des pioches, des charrues, des buffles, des semences, leur apprit à cultiver avec soin et méthode, les obligea à conserver des provisions pour les jours de disette, en un mot il les civilisa en les christianisant de plus en plus.
« Le plan réussit, depuis lors il fait loi, il a valu au P. Dourisboure le titre de fondateur de la Mission des Ba-hnars.
« Mais pour connaître la valeur d’un homme, il ne suffit pas de savoir ce qu’il fait, il est nécessaire de savoir avec quoi il le fait.
« Le P. Dourisboure évangélisait des sauvages, c’est-à-dire de grands enfants défiants, hostiles, légers, inconstants, orgueilleux, d’une ignorance absolue, d’une culture intellectuelle nulle.
« Pour s’imposer à eux, les amener à croire en sa parole, il avait, avec la grâce de Dieu, le don rare et superbe d’une inébranlable volonté. L’arme est de bonne trempe, mais combien la possèdent ?
« La volonté n’est cependant pas tout le secret de son succès final, il faut y ajouter sa robuste constitution, capable de supporter les maladies qui tuaient les autres.
« Cependant, s’il ne succombait pas, il voyait son action paralysée et les difficultés aggravées. Souvent la fièvre des bois le surprenait en plein voyage et le forçait d’attendre, loin de tout secours humain, la fin de la crise ou la mort ; d’autres fois, elle le clouait sur sa natte, dans sa cabane que partageait le P. Besombes nouvellement venu et il arriva un jour que les deux missionnaires, après s’être confessés et s’être mutuellement administrés l’extrême-onction, retombèrent l’un près de l’autre sans connaissance.
« N’est-ce point là, en vérité, le sommet de la souffrance et du délaissement ?
« L’austère grandeur de cette scène défie toute description, un peintre pourrait seul la représenter avec le double sentiment d’angoisse et d’admiration qu’elle provoque.
« Deux Français, deux prêtres jeunes encore, hâves, décharnés, mourants, penchés l’un vers l’autre pour se donner une suprême absolution ; autour d’eux, des sauvages muets d’étonnement devant la mort de ces étrangers vénéres ou haïs, mais toujours redoutés, et appendus au treillis de la hutte de bambou, expliquant le tableau, l’éclairant plutôt, le crucifix des missionnaires.
« Assurément, ce n’était pas ce martyre que les vingt ans du P. Dourisboure avaient rêvé, mais c’était bien le martyre sans éclat, sans cangue, sans rotin, sans tortures et sans effusion de sang, martyre non moins douloureux cependant et beaucoup plus prolongé.
« A la fin, ce martyre usa son vigoureux tempérament de montagnard pyrénéen et Mgr Charbonnier lui ordonna de revenir en France reprendre de nouvelles forces.
« Ceux qui eurent alors le bonheur de le rencontrer et de l’entretenir ont gardé vivant le souvenir du pieux et vaillant apôtre des Ba-hnars, dont la souffrance n’avait ni altéré la gaieté, ni diminué l’énergie.
« Avec quel intérêt on l’entendait raconter ses joies et ses périls, et de quel accent de tristesse affectueuse il redisait la mort de tous ses compagnons d’armes, car ils étaient tous morts ; Arnoux mort, Desgouts mort, Fontaine, Verdier, Suchet, Besombes morts, et le meilleur de tous, Combes, mort aussi. On eût dit l’appel d’un bataillon d’élite, au soir d’une victoire meurtrière. Seul, le P. Dourisboure restait. Dieu lui accordait une longue vie, un de ces longs règnes qui sont de grandes grâces, disait le cardinal Pie.
« Il demeura environ une année en France et alla continuer son œuvre.
« Quinze années s’écoulèrent, nous ne les raconterons pas, elles ressemblent, mais en mieux, aux premières, elles sont moins douloureuses et plus fécondes. Un millier de sauvages embrassèrent le christianisme ; leur vieux missionnaire devint leur grand chef, presque leur roi, jugeant les procès, empêchant les guerres, fondant des villages, fixant les lois.
« En 1885, il était complètement épuisé, sans forces pour voyager, évangéliser, supporter les multiples labeurs de la vie apostolique ; il fut rappelé en Cochinchine et nommé supérieur du Grand-Séminaire. La besogne était encore au-dessus du peu de vigueur qui lui restait. Il se rendit au sanatorium de Hong-kong où il acheva de composer et fit imprimer un Dictionnaire de la langue Ba-hnar, travail de haute valeur.
« Toujours accablé par la maladie, il fut envoyé en France. Ce fut sa dernière étape. Il mourut presque en arrivant à Marseille. Il avait soixante-cinq ans d’âge, quarante et un ans de sacerdoce et d’apostolat.
« Au point de vue humain, l’homme est grand dans la mesure où il crée ; lorsque son œuvre est divine, plus qu’humaine, sa grandeur croît de toute la hauteur qui sépare la terre du ciel. Le P. Dourisboure a fait, autant qu’il est permis à l’homme, une œuvre divine. »
Références
[0591] DOURISBOURE Pierre (1825-1890)
réf. biblio :Les Sauvages Ba-Hnars (Cochinchine orientale). Souvenirs d’un missionnaire, Paris, Editions de Soye, rééd. 1875, Paris Lecoffre, rééd. 1929, Paris, P. Téqui Ed. & Missions Etrangères, rééd. augmentée d’une lettre du P. Dourisboure du 12 déc. 1871, + une lettre de M Combes-Can-Keusan du 29 sept. 1853, + l’article “ Où en est la Mission Bahnar en 1929 ”, XVI + 336 p. - Dictionnaire Bahnar-français, Hong-Kong, Imprimerie des Missions Etrangères de Paris, 363 p. prénom : signature photo : P. X. registre baptême : unique prénom : Pierre
Bibliographie. - Les sauvages Ba-hnars (Cochinchine orientale). Souvenirs d'un missionnaire. - Lecoffre fils et Cie successeurs, 90, rue Bonaparte, Paris ; 2, rue Bellecour, Lyon, 1873, in-12, pp. 449.
Id., 2e édit. - Lecoffre, 90, rue Bonaparte, Paris, 1875, in-16, pp. vii-316.
Comp.-rend. : M. C., xv, 1883, p. 528.
Id., 3e édit. [précédé d'une notice sur l'auteur, avec portrait]. - Téqui, libraire-éditeur, 33, rue du Cherche-Midi, Paris, 1894, in-16, pp. xvi-334.
Les trois ouvrages suivants ont été imprimés à l'imprimerie de Nazareth, Hong-kong.
Alphabet bahnar. - 1888, in-12, pp. 8.
(Catéchisme et prières). - 1888, in-12, pp. 134.
Dictionnaire bahnar-français. - 1889, in-8, pp. xlv-363.
Comp.-rend. : Journ. asiat., 8e sér., xvi, 1890, p. 69.
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1874 (janv.), p. 19 ; 1875, p. 35 ; 1877, p. 60 ; 1878, p. 35 ; 1884, p. 102 ; 1910, p. 350. - A. P. F., xxxvi, 1904, pp. 471, 479, 481. - A. S.-E., xviii, 1866, p. 110. - M. C., xxvi, 1894, p. 232. - B. O. P., 1891, Notice, pp. 340 et suiv. - Miss. Quinhon. Mém., 1907, pp. 8, 17, [32] ; 1909, p. 101.
Bull. rel. Bayonne, 1885, p. 699 ; 1890, Sa mort, p. 765 ; 1896, p. 20. - Sem. rel. Lorraine, 1885, p. 793. - Sem. rel. Nantes, 1885, pp. 921, 947. - Sem. rel. Séez, 1885, p. 640. - Echo de N.-D. de la G., 1890, Sa mort, p. 831. - Le Monde, 1885, n° du 26 sept.
Hist. gén. Soc. M.-E., Tab. alph. - La Coch. rel., ii, p. 147.
Notice nécrologique. - C.-R., 1890, p. 297.
Portrait. - Voir Bibliographie.
Bibliographie:
DOURISBOURE Joseph (1825-1890)
Vocabularium apud barbaros Bahnar / par P. X. Dourisboure. - 1870. - 268 p. ; 20x26 cm.
Vocabulaire bahnar-annamite-français. Manuscrit original signé, AMEP 0591.1
[Hlabar abo] / [P. Joseph Dourisboure]. - Hongkong : Nazareth, 1888. - (8) p. ; 19 cm.
Syllabaire bahnar.
Dictionnaire bahnar-français / par P . X. Dourisboure de la Société des Missions Etrangères, ancien missionnaire des Bahnars. - Hongkong : Imprimerie de la Société des Missions Etrangères, 1889. - XLV-363 p. ; 19 cm - AMEP 0591.