Yves CROC1829 - 1885
- Statut : Vicaire apostolique
- Identifiant : 0653
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Identité
Naissance
Décès
Consécration épiscopale
Missions
- Pays :
- Vietnam
- Région missionnaire :
- 1854 - 1885 (Vinh)
Biographie
[0653] Yves-Marie CROC a été vicaire apostolique du Tonkin méridional, Vietnam, au milieu du XIXe siècle.
Originaire de Pouldouaran, commune de Coatréven (Côtes-du-Nord), il vient au monde le 30 juin 1829. Il fait ses études au petit séminaire de Tréguier et au grand séminaire de Saint-Brieuc. Entré tonsuré au Séminaire des MEP le 27 décembre 1851, il est ordonné prêtre le 17 décembre 1853, et part le 22 mars 1854 pour le Tonkin méridional.
Tonkin méridional (1854-1885)
Ses premières années de missionnaire se passent cachées tantôt dans des maisons de chrétiens, tantôt dans des forêts, ou dans des barques sur les bords de la rivière Gianh.
En 1859, alors que la persécution bat son plein, il accompagne Mgr Gauthier auprès de l'amiral Rigault de Genouilly, qui l'attache comme interprète à son état-major. Les services rendus à l'expédition française, lors de la prise de Saigon et de la bataille de Chi-Hoa où il se tient constamment aux côtés de l'amiral Charner, ainsi qu'au moment de l'expédition de Ba-ria où il accompagne l'amiral Bonnard, lui valent les croix de chevalier de la Légion d'honneur et de l'ordre d'Isabelle-la-Catholique (1862).
A la suite du traité du 5 juin 1862, il fait partie de la délégation de missionnaires envoyés pour sonder les intentions de la cour de Hué et de ses mandarins, au sujet du libre exercice du catholicisme en Annam. Il ne peut aller plus loin que Dong-Hoi, province du Quang-Binh, où on le garde pendant trois mois. Finalement, l'autorisation de rentrer dans sa mission lui est refusée. L'année suivante,1963, après une seconde tentative plus heureuse, il retourne à Saigon sur l'ordre de son évêque, qui craint un renouveau de persécution. Il prend les fonctions d'aumônier au Carmel et à la Sainte-Enfance. A son retour au Tonkin méridional, il administre l'arrondissement du Bo-Chinh. En 1866, pendant le voyage du vicaire apostolique en France, il gouverne la mission en qualité de provicaire.
Choisi pour coadjuteur par Mgr Gauthier en 1868 et nommé évêque de Laranda, il est sacré à Xa-Doai le 7 juin de la même année. Il travaille aux procès apostoliques pour la béatification des martyrs de la mission. De ce fait, en 1870, il se rend à Rome, assiste au concile du Vatican convoqué par Pie IX et aux réunions tenues par les évêques de la Société des Missions pour l'étude du Règlement général. Il retourne au Bo-Chinh l'année suivante. En 1873, il visite les principales chrétientés de cette région, délivre du joug d'un apostat la chrétienté de Con-Ngua, ramène à la foi les apostats de Lu-Dang et élève une église à Huong-Phuong. Lors des démêlés de la France avec l'Annam au Tonkin méridional, il a un long entretien, au chef-lieu du Bo-Chinh, avec le premier ambassadeur annamite, ainsi que trois conférences avec les ministres de l’empereur Tu Duc, à Hué. Il leur démontre les avantages que leur pays retirerait d'une alliance avec la France, et ne néglige rien pour dissiper leurs préjugés à l'égard des chrétiens.
Mais les événements se précipitent à la suite de l'expédition de F. Garnier. En 1873, le Tonkin méridional souffre à nouveau de l'hostilité des mandarins lettrés, qui soulèvent les populations locales contre les chrétiens et contre les missionnaires. Croc fait une seconde fois le voyage à Hué. Grâce à l'intervention du résident de France dans cette ville, Rheinart, il obtient l'envoi d'un commissaire royal dans les chrétientés dévastées, et, par exception, celui-ci fait donner quelques indemnités.
Après la mort du Mgr Gauthier, le 8 décembre 1877, Croc devient vicaire apostolique du Tonkin méridional. La famine et le choléra viennent compliquer la situation. L'évêque prodigue généreusement ce qu'il possède pour secourir les malheureux, chrétiens ou non-chrétiens. Sorti de cette période difficile, il fait édifier à Nghie Dien (Xa Doai) une église et un séminaire (Église et séminaire actuels, grav., M. C., xxxiii, 1901, p. 353 ; xxxv, 1903, pp. 233, 235), et entreprend l'évangélisation du Laos. Lorsque la guerre du Tonkin éclate en 1883, sa santé est déjà lourdement mise à l’épreuve. La récurrence des hostilités indigènes ne fait qu’aggraver son état physique et mental. Il se rend au sanatorium de Béthanie à Hong-Kong, où il succombera le 11 octobre 1885. Ses restes mortuaires, rapportés au Tonkin méridional, seront déposés dans l'église de Xa-Doai à Nghie Dien.
Nécrologie
MGR CROC
ÉVÊQUE DE LARANDA ET VICAIRE APOSTOLIQUE
DU TONG-KING MÉRIDIONAL.
Né le 30 juin 1829.
Parti le 22 mars 1854.
Mort le 11 octobre 1885.
Né à Coaetreven, le 30 juin 1829, le futur Vicaire Apostolique du Tong-King fut mis le jour de son baptême sous le patronage de saint Yves, son compatriote, et de la très sainte Vierge envers laquelle il eut toujours une filiale dévotion.
Après sa première communion, il fut envoyé au Petit-Séminaire de Tréguier où il fit de très bonnes études ; et, en 1849, il entra au Grand-Séminaire de Saint-Brieuc.
« Il était toujours gai, plein d’entrain, nous dit un de ses amis les plus intimes, d’une fidélité exemplaire au règlement. A peine entré dans la cléricature, il fut chargé du catéchisme des pauvres . Deux cents pauvres venaient, le dimanche et le jeudi, au Séminaire recevoir, avec l’aumône matérielle l’aumône infiniment plus précieuse de l’instruction religieuse : l’abbé Croc eut là une belle occasion d’exercer son zèle ; mais bientôt la lecture des Annales de la Propagation de la foi et, si je me rappelle bien , la parole éloquente d’un évêque missionnaire , le décidèrent à se consacrer aux Missions-Étrangères ; et, en 1854, il partait pour le Tong-King. »
La mission du Tong-King Méridional comptait alors 70.000 chrétiens , 4 prêtres européens, 44 prêtres indigènes, 90 élèves dans les séminaires ; chaque année le nombre des baptêmes d’adultes s’élevait de 200 à 300, et le nombre des baptêmes d’enfants de 2.500 à 3.000.
M. Croc passa les premières années de son ministère caché tantôt dans une maison de chrétiens dévoués, tantôt dans les forêts, ou sur une barque au bord du fleuve Gianh. Plus d’une fois, il faillit être pris par les satellites de Tu-duc ; mais la Providence lui réservait de plus longs combats et de plus nombreuses victoires.
En 1859, à l’apparition de la flotte franco-espagnole, sur les côtes de l’Annam, Mgr Gauthier répondit à l’appel de l’amiral Rigault de Genouilly et se rendit près de lui : M. Croc accompagna le vénérable prélat. Dans leur pensée, tous les deux ne devaient rester éloignés de leur mission que pendant une vingtaine de jours . C’était, hélas ! un exil de plusieurs années qui commençait.
Cet exil, M. Croc l’employa au service de la France. Voici ce que Mgr Bouché, évêque de Saint-Brieuc et de Tréguier, dit à ce sujet : « L’amiral demanda un missionnaire pour l’adjoindre à son état-major comme interprète et en même temps pour se faire renseigner par lui sur la véritable situation du pays. M. Croc fut désigné par ses supérieurs pour ce poste important. Il apporta dans ces fonctions nouvelles l’intelligence et l’énergie qui le distinguèrent toujours , et il rendit de réels services au corps expéditionnaire, Le bon amiral, heureux de rencontrer dans son interprète un compatriote, en fit son commensal et bientôt son ami. »
« Pendant les sanglantes journées de la bataille de Ki-Hoa, M. Croc ne quitta pas l’amiral Charner, et partagea les mêmes dangers. Nous avons souvent entendu le cher amiral, lorsqu’il rappelait avec son héroïque modestie, les épisodes de ce grand fait d’armes, qui valut à la France la conquête de la Cochinchine, parler de l’entrain et de la gaîté communicative de son petit Breton. C’est ainsi que le vainqueur de Ki-Hoa aimait à désigner M. Croc. L’amiral demanda et obtint pour son interprète la croix de chevalier de la Légion d’honneur ; le corps expéditionnaire applaudit à cette distinction si bien méritée. »
Après le traité du 5 juin 1862, conclu entre l’amiral Bonard et les plénipotentiaires annamites, Mgr Gauthier, Mgr Pellerin, M. Herrengt, provicaire de la Cochinchine Orientale, envoyèrent trois missionnaires sonder les dispositions de Tu-Duc et ses intentions au sujet du libre exercice de la religion catholique et de l’entrée des missionnaires en Annam. Les trois missionnaires choisis étaient M M. Croc, Roy et Desvaux. L’amiral Bonard, tout en regrettant de ne pouvoir, avant la ratification du traité, leur donner une recommandation offcielle, leur avait cependant donné une recommandation officieuse près du ministère et quelques présents pour les mandarins venus autrefois à Saïgon. Le colonel Palanca, commandant les forces espagnoles, avait fait de même . Mais la veille du départ, l’amiral craignant, dit-il, de se compromettre, redemanda lettre et présents. Dès lors l’insuccès de la tentative parut certain. Néanmoins les trois missionnaires partirent le 23 juillet. Le 5 août, ils arrivaient à l’embouchure de la rivière de Hué. Le capitaine du port fit administrer cinquante coups de rotin aux matelots qui les conduisaient. Le lendemain , un mandarin vint de la capitale pour recevoir leurs lettres ; ils n’avaient que celle du colonel Palanca.. On les prit pour des Espagnols. « Nous sommes Français », dirent-ils. « Alors pourquoi n’avez-vous pas de papier du grand Chef des Français ? » Les missionnaires durent répondre que venus uniquement pour prêcher la religion et nullement pour s’occuper de politique, ils n’avaient pas cru cette formalité essentielle. Ce fut après bien des instances seulement qu’ils obtinrent en partie ce qu’ils demandaient. M. Roy fut conduit à Binh-Dinh ; mais MM. Croc et Desvaux, débarqués à Dong-Hoi, restèrent en quelque sorte prisonniers : une garde d’honneur, ainsi appelée parce que les soldats qui la composaient faisaient les fonctions de geôliers, empêcha les missionnaires de se mettre en rapport avec les Annamites chrétiens ou païens. Malgré les promesses des mandarins, M. Croc n’eut point l’autorisation de rentrer dans sa mission .
Enfin, en 1863, il rentra au Tong-King en même temps que Monseigneur Gauthier. Tous les deux, cette fois, étaient munis de passeports ; cependant les mandarins les arrêtèrent et les consignèrent dans un petit village de la rive gauche du Sông-Gianh. Quelques semaines plus tard, Mgr Gauthier écrivait : « La persécution recommence déjà sous mes yeux avec une « violence inouïe. Je renvoie le P. Croc à Saïgon afin de le conserver pour des temps « meilleurs, car nous sommes à la veille d’un massacre général ». Mgr Gauthier avait en effet discerné les hautes qualités qui distinguaient M. Croc, et songeait à l’élever à la dignité épiscopale. Heureusement les craintes du vénérable évêque ne se réalisèrent point, et M. Croc après avoir rendu à la Sainte-Enfance et au Carmel des services dont on se souvient encore , rentra bientôt dans sa mission ; il fut alors chargé de l’arrondissement du Bô-Chinh. Ce pays, situé entre le Tong-King et la Cochinchine, arrosé par le fleuve Gianh, est une vallée d’environ 120 lieues carrées, où l’on reléguait au siècle dernier les criminels de tout l’Annam. C’était un lieu d’exil mal famé et fort redouté. Cependant les missionnaires n’avaient pas craint de venir y prêcher la doctrine de Jésus-Christ , et de ce petit enfer d’Annam, comme on appelait le Bô-Chinh, leur zèle avait fait le vestibule du ciel
A l’arrivée de M. Croc, on y comptait 18,000 chrétiens ; la plupart avaient courageusement supporté les malheurs de la persécution , quelques-uns cependant avaient reculé devant les supplices. M. Croc tourna vers ces derniers ses efforts les plus constants. Une chrétienté surtout l’attirait, celle de Lu-Dang, où près de 1,500 fidèles avaient apostasié. Il s’y rendit, et y resta deux mois, priant, conjurant ces malheureux de revenir à la foi de leur enfance ; la plupart le désiraient vivement , mais ils craignaient les menaces du maire et des lettrés. Tout chrétien en effet eut défense, sous peine de trente coups de rotin, d’assister à la messe ou même de parler au missionnaire ; malgré ses instances M. Croc ne put rien obtenir. L’affaire fut portée à la préfecture, de la préfecture à la capitale ; les mandarins s’empressèrent de déclarer que le bon droit et la justice étaient du côté de M. Croc, puis ils élevèrent à la dignité de chef de canton le maire de Lu-Dang, cause de tout le mal. Heureusement M. Croc trouva dans d’autres parties de son district de puissantes consolations, et bientôt , sous son active impulsion, il vit les œuvres se multiplier et la ferveur des chrétiens augmenter.
Lorsqu’en 1867 Tu-Duc pria Mgr Gauthier d’aller en France plaider sa cause et préparer la fondation d’un collège à Hué, M. Croc alors Provicaire fut chargé de la direction de la mission . Les circonstances étaient difficiles ; la haine des lettrés n’était point assouvie, de temps à autre, quelques chrétiens étaient massacrés, quelques villages brûlés ; des conjurés s’assemblèrent même pour préparer l’extermination des chrétiens : avant de se séparer, ils jurèrent de commencer leur œuvre par M. Croc, de faire rôtir son cœur et de le dévorer
« Le jour de Pâques, à Hôi-Yên, une troupe de gens armés, au nombre de 300 ou 400, et conduite par les lettrés, envahit l’église pendant la célébration des Saints Mystères, dépouille les femmes et les enfants et brûle le village. Quinze jours après , les malfaiteurs enhardis par l’impunité, se divisent en plusieurs bandes et promènent partout leurs torches incendiaires. Dans l’espace de trois jours , trente-deux villages deviennent la proie des flammes. D’après l’estimation de M. Croc, c’était une perte de 50,000 fr. environ. L’épouvante est partout, et l’ennemi s’approche de la résidence du Provicaire. Tous les établissements de la mission allaient être anéantis et les missionnaires étaient à la veille d’être massacrés par ces forcenés quand le vice-roi se résolut à envoyer des troupes pour sauvegarder leur vie et leur propriétés. Le mandarin n’agissait pas par pitié ; il craignait d’avoir un jour à répondre devant son gouvernement et devant la France du sang versé, au mépris des traités récemment conclus, »
Dans ces circonstances difficiles, le vénéré Provicaire s’acquitta de sa tâche avec une habileté qui mit plus que jamais ses qualités en relief. Aussi, à son retour de France, Mgr. Gauthier s’empressa de le choisir pour coadjuteur et de le sacrer le 7 juin 1868, sous le titre d’Évêque de Laranda ; in sudore et sanguine, telle fut la devise du nouvel élu. Quelques mois plus tard, Mgr. Croc partait pour Rome, où le Souverain-Pontife appelait les évêques du monde entier. Il interrompit son voyage pour faire un pèlerinage aux Lieux-Saints ; lui qui commandait à tant de fils et de petits-fils de martyrs, il voulut, puisque la Providence lui en donnait l’occasion, aller se prosterner sur la terre arrosée par le sang du Roi des Martyrs.
Bientôt il arriva dans la Ville Éternelle où se trouvèrent réunis quinze évêques de notre Société. Lorsqu’un de nos plus grands écrivains catholiques vit passer dans les rues de Rome ces vétérans de l’Apostolat venus de toutes les parties du monde, il ne put retenir le cri de son enthousiaste foi. « De loin dans leur sublime travail, écrivait Louis Veuillot en parlant des Vicaires Apostoliques, il nous apparaissent couronnés de toutes les auréoles vraiment augustes que peut conquérir le labeur de la vie. De près comme de loin, ils soutiennent le regard du monde, eux qui se sont éloignés du regard du monde pour vivre et mourir sous le regard de Dieu . Ils sont la poésie, l’enthousiasme et l’honneur de nos jours abaissés. Ils sont la folie de la croix dans l’humanité appauvrie de cette reine des puissances et des vertus. Ils jettent vers le ciel le parfum de la prière choisie, ils purifient l’air par l’encens du sacrifice suprême. Dieu avance chez les nations à naitre sur les traces de leurs pieds saignants. »
Au concile, Mgr Croc fut trop heureux d’affirmer sa foi et celle de ses chrétiens en l’Infaillibilité du Pontife suprême. « J’ai fait quatre mille lieues, écrit-il, pour venir apposer mon nom au bas du postulatum qui demande la proclamation du dogme de l’Infaillibilité. Ce sera ma consolation à la vie et à la mort. En arrivant à la porte du Paradis, je dirai à saint Pierre : mon nom y est, ouvrez ! »
Il prit part à tous les travaux de nos vénérés Vicaires Apostoliques sur la révision de notre Règlement. Au mois d’octobre, Mgr Croc reprenait le chemin de sa mission . La situation du Tong-King Méridional était loin d’être florissante : la famine portait partout la désolation et la mort. « Nous sommes assiégés par la famine, écrivait-il, la seconde récolte de l’année dernière était presque nulle ; celle du commencement de cette année est encore perdue ; le commerce est empêché par les pirates. Nos 80,000 chrétiens vont avoir à passer une rude année, et nous sommes dans l’impossibilité de venir à leur secours. Nous avons dû diminuer de moitié le nombre des élèves de notre petit collège. La tranquillité dont nous jouissons nous eût permis d’étendre le cercle de nos œuvres et il faut le rétrécir de tous côtés. C’est poignant pour le cœur d’un missionnaire . Nous sommes cependant bien éloignés de nous plaindre. Nous savons que notre patrie souffre et nous joignons nos souffrances aux siennes, espérant ou plutôt croyant très fermement qu’elle va se relever, plus glorieuse que jamais et surtout plus zélée pour la propagation de la religion du Dieu qui l’aura sauvée. »
A cette époque, Mgr Croc commença à travailler pour la canonisation des martyrs, c’était encore un moyen de procurer la gloire de Dieu . Mgr Croc le comprit. Aussi, profitant d’un moment de loisir, il se mit avec ardeur à faire les procès apostoliques exigés pour procéder à la béatification du Vénérable Mgr Borie, des prêtres indigènes et des fidèles mis à mort en haine de la foi dans ce Vicariat. Ce travail qui demande de patientes recherches et une exactitude rigoureuse ne le rebuta jamais . « J’ai du bonheur, disait-il, à tresser la glorieuse couronne du Tong-King Méridional.
Au commencement de 1873, il visita tout le Bô-Chinh, en remontant la branche septentrionale du Sông-Gianh. Les douze cents chrétiens de ces sauvages régions l’accueillirent avec toutes les démonstrations de la joie la plus vive, les païens eux-mêmes lui firent partout la meilleure réception.
A son retour,il délivra du joug d’un apostat la chrétienté de Con-Ngua, et par ses exhortations réitérées, rendit à la paroisse de Vinh-Phuoc, son antique ferveur. Ces travaux étaient à peine achevés qu’il repartait vers un autre point ; remontant la branche méridionale du Sông-Gianh, il passait un mois à visiter plusieurs chrétientés « habitées par des pauvres gens venus de toutes parts et qui trouvant des bois à exploiter et des rizières à cultiver, avaient fini par établir leur résidence en ces parages. » Puis, avec cette persévérance d’apôtre qui ne se lasse jamais , il faisait une nouvelle tentative pour ramener à la foi les apostats de Lu-Dang. Cette fois, l’heure de Dieu avait sonné, et les malheureux qui, six ans auparavant , avaient chassé le missionnaire de leur village, le reçurent avec empressement; cependant Mgr Croc ne put obtenir que les terres volées à l’Église pendant la persécution fussent restituées. De retour chez lui, le Prélat commença les travaux d’une église « que mes amis, disait-il, appellent pompeusement la cathédrale de Laranda. »
Vers le milieu de juillet, il fut prié par les mandarins de s’occuper des démêlés de la France et de l’Annam. M. Senez venait de faire sur le Bourayne son expédition de Hà-Nôi ; M. Dupuis affirmait son droit de remonter le fleuve Rouge, jusqu’au Yun-Nan .
Le gouvernement annamite voulait se débarrasser de M. Dupuis et ne point avoir à subir la présence des navires français dans les eaux du Tong-King. Une ambassade devait être envoyée à Saïgon ; le premier ambassadeur, Lê-Tuân, désira voir Mgr Croc. L’évêque se rendit au chef-lieu du Bô-Chinh, il eut un long entretien avec le haut mandarin et le quitta après l’avoir éclairé sur le véritable état des choses et emportant l’assurance des bonnes dispositions du gouvernement pour les chrétiens .
Quelques jours plus tard, il recevait une dépêche du Conseil royal, le pressant de se rendre à la capitale dans le plus bref délai. Il se mit aussitôt en route et arriva à Hué le 2 août.On lui avait préparé un appartement à l’hôtel des ambassadeurs ; il refusa, préférant l’humble mais cordiale hospitalité de Mgr Sohier. Il eut trois conférences avec les ministres ; de multiples questions lui furent adressées sur l’état de l’Europe et de la France, sur les moyens à prendre pour reconquérir les six provinces de la basse Cochinchine, chasser M. Dupuis du Tong-King, etc., etc. « J’ai tâché, en vue du bien général, dit Mgr Croc, de satisfaire nos mandarins, et surtout de les amener à subir un traité qui semble leur tant coûter. Je me suis efforcé de leur faire comprendre que le sacrifice qu’on exige d’eux sera amplement compensé par les avantages qu’ils peuvent tirer, s’ils sont sages, d’une alliance sincère avec le noble royaume de France. Je leur ai expliqué que les difficultés présentes provenaient surtout de leur système d’exclusion de tout étranger, de la persécution suscitée par Minh-Mang, fils de Gia-Long, qui fut replacé sur son trône, grâce au concours d’un grand évêque , dont le monument funèbre, près Saïgon, a été jusqu’à ce jour entouré du respect des païens comme des chrétiens . Bref, j’ai essayé, dans mes rapports avec les dignitaires du royaume d’Annam, d’être à la fois patriote et missionnaire , et je suis certain d’avoir dissipé certains préjugés. » On le pria instamment d’accompagner l’ambassade à Saïgon. « Mais , dit-il, ayant appris de la bouche même du premier ambassadeur, qu’il n’était pas encore question de faire de traité, parce que le roi n’avait pas voulu accorder de pleins pouvoirs à ses envoyés, j’ai cru que mon devoir m’appelait au milieu de nos chrétiens . J’ai donc demandé à retourner dans ma mission , après avoir fait comprendre aux ministres, que lorsqu’il s’agirait sérieusement de faire un traité à Saïgon, les missionnaires seraient toujours disposés à prêter leur concours pour aboutir à cette heureuse paix si désirée de tous les amis des intérêts annamites. »
A peine Mgr Croc était-il de retour dans sa mission que les événements les plus graves venaient changer la face des choses. En quelques jours , on apprit au Tong-King Méridional l’arrivée de M. Francis Garnier, la prise de Hà-Nôi, de Nam-Dinh, de Ninh-Binh, etc., puis la mort de l’héroïque commandant des forces françaises, enfin le traité signé par M. Philastre, qui livrait sans défense les chrétiens et les amis des Français à la haine des mandarins et des lettrés.
L’agitation fut bientôt à son comble ; les lettrés parcoururent le pays, soulevant le peuple contre les missionnaires. Mgr Croc s’attendait à mourir : « Ici, écrivait-il, nous sommes en très grand danger. Nous n’avons sans doute que quelques jours à vivre. » Mais les mandarins n’osèrent toucher à aucun missionnaire ; ils se contentèrent de multiplier les vexations contre les fidèles. Dans l’impossibilité d’obtenir justice des mandarins, l’Évêque se rendit à Hué pour plaider auprès de Tu-Duc la cause des chrétiens , et faire la lumière sur les événements.
« C’est le lieu, écrit M. Frichot, de rendre hommage au dévouement sans bornes de M. Rheinart, résident de France à Hué. Esprit droit et sincère, ami de la justice, il sut parler haut et faire valoir auprès des mandarins la légitimité de nos réclamations. Grâce à cette énergique intervention, Mgr Croc obtint qu’un commissaire royal fût envoyé sur les lieux pour régler cette affaire. Ce commissaire, la chose est assez rare pour le dire bien haut, homme intègre et loyal, fit largement indemniser plusieurs de nos chrétientés. Malheureusement la mort le surprit avant que sa mission fût terminée.»
L’année suivante, le vénérable Mgr Gauthier rendait sa belle âme à Dieu , et Mgr Croc devenait le seul chef du Tong-King Méridional.
La mission comptait alors 11 prêtres européens, 54 prêtres indigènes, 95 catéchistes et 160 religieuses ; 31 paroisses et 72,000 chrétiens .
Aux incendies et aux massacres, la famine, le choléra et la fièvre typhoïde vinrent ajouter leurs ravages. Plus de trois mille chrétiens et plus de soixante mille païens furent emportés en quelques semaines . Dans ces circonstances, Mgr Croc montra toute la générosité de son cœur ; il donna sans compter aux païens comme aux chrétiens . La Providence lui rendit au centuple, car en échange des aumônes si largement distribuées aux malheureux, elle lui donna des âmes à baptiser. « Plus de 4,000 païens ont étudié la doctrine, écrivait-il. Trois nouveaux villages de chrétiens ont été formés. Nous avons baptisé 8,266 enfants. Je ne pense pas qu’il y ait de mission où l’on puisse faire plus de bien si nous avions des ressources suffisantes. Mais force est de nous arrêter, nous n’avons plus rien. »
Alors, au milieu de tous ces désastres sans cesse renaissants Mgr Croc tourna ses regards vers la toute-puissante Protectrice des affligés ; il promit, s’il recevait assez de secours pour aider ses chrétiens, d’élever à Marie une statue, sous le nom de Notre-Dame du Tong-King . La prière du pieux Évêque fut exaucée ; la France que nos pères nommaient avec tant de bonheur le royaume de Marie, se chargea d’être la trésorière de la Reine du ciel, elle envoya son or pour sauver d’une mort inévitable les affamés du Tong-King .
« Lorsque cette terrible épreuve fut passée, le prélat conçu le projet d’édifier à Xa-Doai, sa résidence habituelle et le centre de toutes les œuvres, une église plus magnifique encore que celle qu’il avait construite à Huong-Phuong, quelques années auparavant . Grâce au généreux concours des chrétiens , les premiers travaux furent poussés activement. L’intérieur de l’église reste encore à faire en grande partie, mais le corps de l’édifice est achevé. Le monument est dans un style sévère et sobre d’ornements. Le portail est dominé par trois dômes qui lui donnent un aspect imposant.
« La mission saura encore gré à Mgr Croc, de l’avoir dotée d’un collège, sinon magnifique, du moins solide et spacieux. Pour favoriser la santé des élèves, si nécessaire au succès de leurs études, il y a réuni, autant que possible, le confortable et l’agréable. Les bâtiments principaux sont terminés en grande partie. Les sinistres événements de ces derniers temps ont empêché de mettre la dernière main aux travaux.
« Il fit quelque chose de mieux que ces constructions matérielles ; sous son administration , il resserra la discipline dans le Collège et dans le Grand Séminaire , grâce à d’heureuses modifications, et rehaussa le niveau des études tant latines que théologiques. »
Enfin, il tenta la réalisation d’une œuvre à laquelle il songeait depuis longtemps : l’évangélisation du Laos.
Après avoir pris sur cette partie de son Vicariat tous les renseignements désirables, il envoya trois prêtres avec un certain nombre de catéchistes. Au bout de quelque temps , le succès couronna le zèle des missionnaires, et déjà de nombreux néophytes venaient écouter les instructions, lorsque, pendant l’année 1882, les brigands dévastèrent toute la contrée. Mgr Croc eut la douleur de voir disparaître en peu de jours , les premiers germes de la chrétienté laotienne. Cependant , ni son courage ni celui de ses missionnaires ne fut abattu par ce coup imprévu, et une nouvelle expédition allait être organisée lorsque éclata la guerre du Tong-King .
L’Évêque dut porter son attention sur d’autres points. Les appréhensions les plus vives agitèrent son cœur pendant toute la durée des hostilités.
« Le Tong-King Méridional va passer encore une fois par le creuset des souffrances, lisons-nous dans une de ses lettres ; les derniers événements de Hué, la prise de Son-Tây, et la défaite des Pavillons-Noirs font craindre à nos lettrés l’arrivée prochaine des Français. Ils ont juré de ne laisser que des ruines, et ne voulant pas que les chrétiens puissent se réjouir de leur victoire, ils sont résolus à nous exterminer.
« Quelle horrible situation, les païens s’arment, s’assemblent, hurlent, menacent. Notre petit troupeau prie, offre sa vie à Dieu . Que faire ?…à la grâce de Dieu !…Je vous écrirai après le dénouement qui ne peut tarder, si Dieu me laisse vivre. Si je suis pris, ma mort ne sera pas douce. Je l’accepte d’avance comme il plaira à Dieu de me l’envoyer. »
Cependant les craintes du vénérable Évêque ne se réalisèrent pas complètement . Dieu sembla avoir pitié de la mission du Tong-King Méridional. Ce ne fut, hélas ! pas pour longtemps . Affaibli depuis longtemps par trente années d’une vie de privations continuelles, Mgr Croc ne se soutenait que par l’énergie de son caractère ; un jour pourtant, il dut céder à la souffrance, ses missionnaires l’engagèrent à aller se reposer à Hong-Kong; il refusa, ils le lui demandèrent comme une grâce ; il fallut bien consentir, et Mgr Croc quitta pour ne plus la revoir sa bien-aimée mission ; il se rendit à Hong-Kong, et bientôt nous avions la douleur de recevoir de M. Patriat la lettre suivante :
« Il y a quelques jours seulement , le 2 de ce mois, fête des Saints-Anges, arrivait à Béthanie Mgr Croc, Vicaire Apostolique du Tong-King Méridional. Son état de santé nous fit peine, et de prime abord je conçus les craintes qui viennent de se réaliser ; hier, à 4 heures 40 minutes de l’après-midi, l’âme de sa chère et vénérée Grandeur a quitté sa dépouille mortelle pour entrer dans son éternité. Si le divin Maître éprouve parfois rudement ses élus, il leur réserve pour leurs derniers moments des grâces bien signalées. Tous les jours l’état de Monseigneur s’aggravait, mais nous ne pensions pas que la fin arriverait si vite. Samedi soir, sans doute guidé par son bon ange, et profitant d’un moment lucide, car notre vénéré malade délirait souvent, je lui demandai s’il ne serait pas bien content pour mieux fêter la Maternité de sa Patronne, de se confesser et de recevoir la sainte Communion aussitôt après minuit : « – Oui, merci, avec le plus grand plaisir, répondit-il. » – Il se confessa aussitôt avec toute sa présence d’esprit et la plénitude de sa raison, et je puis vous dire en toute sincérité que je voudrais pouvoir me confesser comme cela à l’article de la mort. « – Quant à la communion, ajouta-t-il, non, ce n’est pas une simple communion que je veux faire ; c’est le Saint-Viatique qu’il me faut » – , et comme je lui disais que je ne croyais pas qu’il en fût encore là, il me répondit : « – Ceci, c’est mon affaire, je vous le demande comme une faveur, ne me refusez pas cette grâce, je vous en prie » – « Rassurez-vous, Monseigneur , je le ferai du plus grand cœur » – Il m’en remercia avec une effusion de charité difficile à exprimer et que je n’oublierai jamais. Après quelques instants de repos, je lui donnai le Saint-Viatique, qu’il reçut dans un profond recueillement et avec calme, malgré les souffrances que lui causait sa maladie. Il était grand temps ; à partir de ce moment, le bien cher et vénéré malade n’a eu que du délire jusqu’à sa mort ; mais dans son délire, il bénissait le Seigneur, Te Deum ! Deo gratias ! Amen ! et d’autres mots de la sainte Liturgie, exprimant la joie et l’action de grâces, comme si sa belle âme, impatiente de voir Dieu dans sa gloire, eût voulu le louer avant de quitter son enveloppe terrestre, trouvant la mort trop lente pour venir lui ouvrir les portes de l’Éternité »
Références
[0653] CROC Yves (1829-1885)
Notes bio-bibliographiques
C.-R., 1874 (déc.), p. 19 ; 1875, p. 30 ; 1877, p. 28 ; 1878, pp. 30, 78 ; 1879, pp. 42, 78, 79, 82 ; 1880, p. 55 ; 1881, p. 66 ; 1882, p. 62 ; 1883, p. 137 ; 1884, p. 93 ; 1905, p. 123.
A. P. F., xlvi, 1874, Excursion au Bo-chinh, p. 255 ; Ib., Etat des pertes des vicariats (Tonkin mérid. et occid.), p. 336 ; xlvii, 1875, pp. 343 et suiv. ; li, 1879, Etat du vicariat du Tonkin méridional, p. 187 ; Ib., p. 377 ; lvi, 1884, Révolution politique au Tonkin méridional, p. 153 ; lviii, 1886, p. 61. - A. S.-E., xxii, 1870, p. 75 ; xxix, 1878, p. 165 ; xxxvi, 1885, p. 403. - M. C., i, 1868, Son sacre, p. 101 ; ii, 1869, Son voyage en Europe, p. 134 ; Ib., p. 307 ; iv, 1871-72, La famine, p. 31 ; vi, 1874, Noms des villages incendiés, p. 286 ; vii, 1875, pp. 273, 485 ; viii, 1876, Violences des lettrés, p. 2 ; x, 1878, pp. 53, 232, 498 ; xi, 1879, pp. 301, 307, 330 ; xii, 1880, p. 79 ; xiv, 1882, pp. 4, 136 ; xvi, 1884, p. 86 ; xvii, 1885, p. 515 ; xviii, 1886, p. 144. - B. O. P., 1892, p. 584. - A. M.-E., 1912, p. 247. - P. M. M., 1880-81, p. 9.
Sem. rel. Saint-Brieuc, 1869, pp. 345 et suiv., 525 ; 1871, p. 525 ; 1872, pp. 217, 232 ; 1875, p. 333 ; 1880, p. 265 ; 1884, p. 91 ; 1885, Circulaire de Mgr Bouché annonçant sa mort, p. 521 ; Ib., Service pour lui, p. 539 ; 1886, Notice, pp. 269, 297, 320, 356. - Sem. rel. Bayeux. 1880, p. 310. - Sem. rel. Nantes, 1881, p. 1083. - Sem. rel. Poitiers, 1879, p. 517. - Sem. rel. Séez, 1879, p. 527. - Voix de N.-D. Chartres, xiii, 1869, p. 179 ; xviii, 1874, p. 136 ; xxviii, 1884, p. 194. - L'Univers, 1879, Lettre, n° du 3 juill.
Le Tonk. de 1872 à 1886, p. 555. - Hist. gén. Soc. M.-E., Tab. alph. - Nos miss., Notice, p. 135. - La Coch. rel., ii, pp. 306 et suiv., 398 et suiv. - Mgr Bouché. Lett. et Docum., pp. 196, 199. - Act. et hist. du Conc., v, Notice, p. 134. - Croq. annam., p. 172. - Arm. des Prél. franç., p. 251.
Collect., 8 août 1870 : n° 707 ; 18 août 1870 : n° 2119 ; 20 août 1870 : n° 1154.
Notice nécrologique. - C.-R., 1885, p. 155.
Portrait. - A. P. F., lvi, 1884, p. 125. - M. C., x, 1878, p. 235. - Act. et hist. du Conc., v, p. 92.