Jean-Joseph COSSERAT1840 - 1897
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 0847
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Identité
Naissance
Décès
Missions
- Pays :
- Vietnam
- Région missionnaire :
- 1864 - 1897 (Hanoi)
Biographie
[847]. COSSERAT, Jean-Joseph, né à Haillainville (Vosges) le 5 février 1840, fit ses études au petit séminaire de Senaide et au grand séminaire de Saint-Dié. Il entra minoré au Séminaire des M.-E. le 7 février 1861, fut ordonné prêtre le 10 janvier 1864, reçut sa destination pour la mission du Thibet, et partit le 15 mars de la même année. A peine était-il arrivé à Hong-kong, que sa destination fut changée par suite de la persécution qui sévissait au Thibet ; il alla au Tonkin occidental. Il fut secrétaire de Mgr Jeantet, travailla dans le district de Ke-so, et devint secrétaire de Mgr Theurel qui en octobre 1868, un peu avant sa mort, choisit le jeune missionnaire pour provicaire.
Le 2 octobre 1872, il fut nommé supérieur du petit séminaire de Hoang-nguyen qu'il agrandit et transforma ; et, quand, en 1881, la plupart des constructions eurent été détruites par le typhon, il le réédifia. Il perfectionna l'enseignement et rendit la maison très prospère.
Pendant un séjour qu'il fit au sanatorium de Béthanie, à Hong-kong en 1891, et un autre en France en 1893, afin de restaurer sa santé grandement affaiblie, il fit imprimer plusieurs petits ouvrages pour l'instruction et l'édification des séminaristes.
De retour au Tonkin, tout en continuant de diriger le petit séminaire de Hoang-nguyen, il travailla aux Procès apostoliques des martyrs béatifiés en 1900, et aux Procès ordinaires des autres martyrs de la mission.
Il mourut à Hanoï le 20 août 1897 ; son corps repose dans la chapelle du petit séminaire de Hoang-nguyen. Homme de jugement droit, de vertu forte, de régularité absolue avec un sens pratique développé, et une grande bonté sous des dehors parfois rudes, J.-J. Cosserat a accompli beaucoup de bien dans la mission du Tonkin occidental.
Nécrologie
M. COSSERAT
PROVICAIRE APOSTOLIQUE DU TONKIN OCCIDENTAL
Né le 5 février 1840.
Parti le 15 mars 1864.
Mort le 20 août 1897.
Au mois de juillet dernier, le cher P. Cosserat étant venu passer quelques jours de vacances à Ke-so, nous avions remarqué avec plaisir qu’il semblait plus robuste et mieux portant que les années précédentes. Et voilà que juste un mois après, il était brusquement enlevé à notre affection par une maladie dont le dénouement a été aussi rapide qu’imprévu.
Cette mort est une grande perte pour le Vicariat et surtout pour le collège de Hoang-nguyen que notre vénéré Provicaire dirigeait depuis vingt-cinq ans. On peut dire en toute vérité qu’il a été universelle¬ment regretté ; mais puisque c’est le Divin Maître qui nous envoie cette douloureuse épreuve nous devons nous soumettre et adorer sa sainte volonté qui dirige toutes choses pour le plus grand bien de ses Élus.
M. Jean-Joseph Cosserat était né à Hallainville (Vosges) le 5 fé¬vrier 1840, d’une famille foncièrement chrétienne qui a offert plusieurs de ses membres au service de Dieu et de son église. Les parents de notre confrère jouissaient d’une large aisance, et ce qui vaut mieux encore, leur droiture, leur honnêteté leur avait acquis l’estime générale.
Dès son premier âge, Jean-Joseph montra un caractère posé, tran¬quille, peu porté aux jeux bruyants de l’enfance. Par contre, on remarqua vite chez lui un vif attrait pour s’instruire et une inclina¬tion encore plus vive pour les choses de piété et les cérémonies reli-gieuses.
Aussi n’est-il pas surprenant qu’il ait senti naître en lui le désir d’être prêtre. Sa famille, heureuse de favoriser ces excellentes dis¬positions, le plaça au petit séminaire de Senaides, d’où, ses études classiques achevées, il passa au grand séminaire de Saint-Dié. Là aussi, il fut toujours un élève laborieux, régulier et très pieux. Ses belles qualités jointes à une intelligence peu ordinaire, le faisaient grandement apprécier de ses maîtres et de ses condisciples. De son côté, il n’oublia jamais les soins dont il avait été l’objet ; il aimait à parler des établissements où il avait été élevé et à rappeler notam¬ment le souvenir du vénérable M. Morquin, pour lequel il avait gardé la plus profonde et la plus respectueuse reconnaissance.
Peu après son entrée au grand séminaire, ses pensées commen¬cèrent à se tourner vers les Missions. D’après ce qu’il a raconté lui-même, ce serait la lecture des lettres de saint François-Xavier qui aurait allumé dans son âme, la première étincelle de la vocation apostolique. Il réfléchit, pria, et après avoir mûri son projet pendant deux ans, il demanda son admission au Séminaire des Missions-Étrangères. Il voulut y arriver sous les auspices de la sainte Vierge et choisit la fête de la Purification : c’était le 2 février 1861, juste le jour où le Vénérable Vénard recevait au Tonkin la palme du mar¬tyre. Serait-il téméraire de voir dans cette coïncidence la main de la bonne Providence qui destinait le nouvel aspirant à prendre la place de celui qui, en ce moment-là, offrait si généreusement son sang pour le salut de ses chers Annamites ?
A la rue du Bac, M. Cosserat continua d’être ce qu’il avait été à Saint-Dié et ce qu’il est resté depuis : grave dans tout son extérieur, scrupuleusement fidèle à la règle, peut-être un peu rigide dans ses idées, mais dévoué, modeste et d’une piété exemplaire.
Appelé à la prêtrise à la fin de 1863, il faisait partie de la nombreuse ordination qui dut être interrompue par suite de la fatigue du Prélat consécrateur et qui fut recommencée pour les prêtres le 10 janvier 1864. Le même jour notre confrère recevait sa destination ; il était envoyé au Thibet avec trois compagnons : M. Félix (aujourd’hui Mgr) Biet, et MM. Dubernard et Landais. Le 15 mars suivant, les quatre mis¬sionnaires s’embarquaient pour leur chère Mission ; ils comptaient bien y arriver ensemble, mais parfois Dieu dérange les plans humains même les plus sagement conçus, lorsqu’il le juge nécessaire pour l’accomplissement de ses desseins.
Quand ils abordèrent à Hong-kong, le procureur venait de recevoir de mauvaise nouvelles du Thibet. Il crut donc prudent de garder avec lui M. Cosserat et M. Landais, en attendant que les événements prissent une meilleure tournure.
Sur ces entrefaites arrivèrent des lettres du Tonkin demandant à grands cris du renfort : ce pauvre pays commençait enfin à respirer, il était urgent de relever les ruines amoncelées par trente années de persécution. Les quelques missionnaires, échappés aux poursuites des mandarins, s’y employaient de leur mieux, mais la tâche était immense et, vu leur petit nombre (ils étaient cinq en tout), il leur était impossible d’y suffire. Aussi, peu de jours après, une circons¬tance favorable s’étant présentée pour le Tonkin occidental, M. Libois, y envoya les deux jeunes missionnaires avec ordre, s’ils ne pouvaient pénétrer dans le pays, de revenir à Hong-kong, afin d’être dirigés sur une autre mission.
Plus tard, M. Cosserat a confessé que ce changement de destination l’avait d’abord affecté et qu’il en avait ressenti un réel chagrin. Mais son esprit de foi et d’obéissance eut vite réprimé ce premier mouve¬ment de la nature, et il fit généreusement le sacrifice de ses goûts personnels pour suivre la volonté de Dieu qui se manifestait par la bouche de ses supérieurs.
Sur la jonque qui reçut M. Cosserat et M. Landais, s’embarquèrent aussi deux dominicains espagnols, destinés au Tonkin central, les RR. PP. Cezon (devenu plus tard vicaire aposto-lique) et Barquers. La plus grande cordialité s’établit entre les quatre voyageurs qui depuis lors restèrent toujours fraternellement unis.
La traversée dura plus d’un mois. A un moment, les missionnaires coururent de sérieux dangers, les Chinois ayant comploté de les jeter à la mer pour piller leurs bagages. Heureusement qu’en fouil¬lant les caisses, ils ne découvrirent pas le viatique de la Mission, consistant en feuilles d’or qui avaient été cachées au milieu des livres ; c’est ce qui sauva les passagers ; ils en furent quittes pour la peur.
Le 18 juin 1864, M. Cosserat et son compagnon touchaient enfin le sol de leur nouvelle mission. Ils débarquèrent à Yen-ninh, chré¬tienté située en face de la ville de Hung-yen. De là, on les conduisit à Ké-tru, où résidait alors Mgr Jeantet, vicaire apostolique. Peu de jours après, ils y étaient rejoints par Mgr Theurel, coadjuteur. M. Puginier, qui se trouvait à trois heures de là, se mit également en route pour venir souhaiter la bienvenue aux nouveaux arrivants. C’est à cette occasion que se produisit l’incident de son arrestation et de sa délivrance si mouvementée dont il est fait mention dans sa vie.
La première année au Tonkin se passa pour M. Cosserat à étudier l’annamite et à servir de secrétaire à Mgr Jeantet. Il alla ensuite s’exercer au saint ministère sous la direction de M. Puginier. En 1867, il travaillait dans le district de Ké-so, lorsque Mgr. Theurel, qui l’avait en grande estime, l’appela auprès de lui comme secrétaire et conseiller. Le jeune missionnaire fut d’autant plus sensible à cette marque de confiance, que de son côté il avait voué à son évêque l’affection la plus filiale et la plus dévouée. Pendant la longue et douloureuse maladie du prélat, il se constitua son infirmier et le soigna avec un zèle et un empressement infatigables. Il désirait tant que le vénéré malade échappât à la mort ! Il avait même offert sa vie à cette intention. Mais tout devait être inutile, et le 13 novembre 1868, Mgr Theurel allait recevoir au ciel la récompense due à ses admi¬rables labeurs apostoliques.
Un de ses derniers actes administratifs (puisqu’il date de la fin d’octobre 1868) fut la nomination de son secrétaire comme provicaire de la Mission.
Cette nomination fut confirmée par Mgr Puginier, successeur de Mgr Theurel, qui avait vu M. Cosserat à l’œuvre, et avait pu appré¬cier le riche ensemble de ses qualités. Comme on venait de recevoir de Rome les Lettres rémissoriales pour le Procès des Martyrs déclarés Vénérables, c’est au jeune provicaire que fut confié cet impor¬tant et difficile travail. Malgré le peu de renseignements mis à sa disposition, ce dernier comprit si bien la marche à suivre et les règles à observer, que Mgr Puginier le chargea de commencer en même temps le Procès ordinaire de tous nos autres martyrs. M. Cosserat se mit vaillamment à l’œuvre ; aidé seulement de deux secré¬taires, il parcourut les paroisses, recueillit les dépositions de plu-sieurs centaines de témoins. Finalement, grâce à son activité et à son ardeur, le Procès apostolique était presque achevé, lorsque le 2 octobre 1872, il fut nommé supérieur du collège de Hoang-nguyen, poste qu’il devait garder jusqu’à sa mort.
Sa véritable vocation commençait. Il avait alors 32 ans. Les divers emplois qu’il avait remplis, et les nombreuses relations qu’il avait dû entretenir avec le personnel indigène, lui avaient acquis l’expé¬rience des hommes et des choses. Aussi se montra-t-il, dès les premiers jours, à la hauteur de la charge qui lui était confiée.
Le petit séminaire de Saint-Pierre de Hoang-nguyen est le plus ancien de nos établissements encore existants. Détruit en 1858 par la persécution, on songea à le relever, dès que la tranquil¬lité commença à poindre, c’est-à-dire à la fin de 1862. Les classes furent d’abord installées provisoirement à Cham-ha, chez un riche chrétien dont l’influence protégeait maîtres et élèves contre les vexations des païens. En 1863, la situation s’améliorant peu à peu, les missionnaires purent sortir de leur retraite, et M. Saiget vint prendre la direction du collège. C’est lui qui reçut MM. Cosserat et Landais à leur arrivée dans la mission, au mois de juin 1864.
L’année suivante, il fut décidé que les élèves seraient ramenés à Hoang-nguyen, siège de l’ancien petit séminaire. On construisit donc les bâtiments nécessaires : classes, réfectoire, chapelle, etc. Toutes ces maisons étaient en bois ou en bambous avec toiture en paille. Le manque de ressources obligeait de se borner à ce qui était strictement indispensable. La nouvelle installation s’en res¬sentit ; tout y était pauvre, étroit, de sorte que, même en se gênant, on pouvait recevoir tout au plus une centaine d’élèves.
Après la mort de M. Saiget (1868), plusieurs améliorations, qui donnèrent une grande impulsion à l’établissement furent introduites par son successeur, M. Lesserteur. Au bout de deux ans, celui-ci ayant été rappelé au Séminaire de Paris, il fut remplacé par M. Beau-jean, qu’une mort prématurée enleva au mois de septembre 1872.
C’est sa succession que recueillit M. Cosserat. Dès qu’il eut pris possession de son poste, il se sentit dans son élément, et, comme il l’a répété plus tard, il nagea dans la joie. Quelques années lui suffi¬rent pour tout transformer autour de lui.
Le collège fut agrandi sur un plan régulier, représentant un rectangle, avec la chapelle et l’habitation du supérieur au mi¬lieu ; les salles, les cours de récréation devinrent plus vastes et plus aérées. Grâce à des terrassements intelligemment compris, une rizière voisine fut convertie en un jardin potager qui a rendu depuis les plus grands services. L’infirmerie fut transférée dans un endroit plus élevé, à l’écart des autres bâtiments ; elle se composait de six chambres que l’on aménagea de manière à protéger les malades contre le froid et l’humidité.
A mesure que ces modifications se réalisaient, le nombre des élèves augmentait d’année en année : en 1880, il arrivait déjà à 150. Mais au moment où les travaux étaient à peu près terminés, le terrible typhon du 5 octobre 1881 vint tout détruire. Dans l’espace d’une heure, sauf la chapelle, le logement des missionnaires et la classe de sixième, toutes les constructions furent disloquées, renversées, broyées. Il fallait se remettre à l’œuvre. Au milieu de ce désastre, M. Cosserat, loin de se décourager, fit preuve d’une activité et d’un savoir-faire qui lui valurent les éloges de Mgr Puginier.
Il envoya acheter des matériaux, appela plusieurs escouades de charpentiers ; en un mot, il agit tant et si bien qu’au bout de trois mois tous les bâtiments étaient reconstruits à neuf. Bien plus, les larges aumônes recueillies en France par le dévouement de M. Les¬serteur avaient même permis de faire ce travail dans des conditions meilleures qu’auparavant : les nouvelles salles étaient plus élevées, plus spacieuses et partant mieux éclairées, ce qui était un avantage d’autant plus grand que dans l’installation de nos collèges, les mêmes salles servent tout à la fois d’études, de classes et de dortoirs.
Depuis sa reconstruction, le petit séminaire de Hoang-nguyen compta, chaque année, environ 190 élèves.
Tout en travaillant à améliorer la situation matérielle, M. Cosserat ne négligeait rien pour faire progresser les études et continuer le mouvement déjà donné par ses prédécesseurs. Il se mettait en rapports avec les supérieurs des séminaires de Pinang, de Saïgon, afin de se renseigner sur tout ce qui était de nature à perfectionner l’instruction de ses élèves. Des cours d’histoire, de littérature, de rubriques furent créés : plusieurs ouvrages classiques déjà en usage furent remaniés, d’autres furent composés ; des examens, des concours publics furent établis. Pour stimuler l’émulation des élèves, le résultat des compo¬sitions était proclamé au réfectoire devant tout le personnel du col¬lège. De temps en temps, M. Cosserat visitait les classes inférieures, afin de s’assurer que les professeurs indigènes s’acquittaient conscien-cieusement de leur devoir.
Mais il ne cherchait pas seulement à mettre la science en honneur dans son petit séminaire ; avant tout et par dessus tout, il s’attachait à y faire fleurir la piété ; c’était là sa grande affaire, le but suprême où il visait, et il avait raison : former des élèves pieux, fervents, bien affermis dans leur vocation, c’était en effet le meilleur moyen de fournir plus tard des ouvriers véritablement utiles à la Mission.
Chaque année, il expliquait soigneusement à ses enfants le règle¬ment de la Maison de Dieu, afin de leur en inspirer l’estime et le respect. Il leur expliquait aussi la méthode d’oraison et pour les y habituer plus vite, il méditait lui-même à haute voix avec eux, tâchant toujours d’attirer leur esprit vers le côté pratique. C’était d’ailleurs l’un des points qui revenaient le plus souvent dans ses avis de direc¬tion spirituelle : ne pas se contenter de désirs vagues, de résolutions générales, mais tout ramener à l’utilité et au profit de son âme. Il insistait notamment sur les devoirs d’état, sur l’esprit de foi, sur l’exercice de la présence de Dieu, fondements de toute piété vraiment généreuse et forte. Ses instructions hebdomadaires étaient claires, pré¬cises, méthodiques, toujours à la portée de ses auditeurs. Profitant de toutes les occasions pour cultiver les jeunes plantes et les tourner vers le ciel, il prêchait tantôt sur la fête ou le mystère que l’on célé¬brait ce jour-là, tantôt sur le temps de l’année liturgique où l’on était arrivé : Avent, Carême, Pâques, Pentecôte, tantôt sur les dévotions particulièrement chères à la Mission : dévotion aux martyrs, aux apôtres, à saint François-Xavier, à saint Joseph, à l’Ange gardien et principalement à la sainte Vierge et au Sacré-Cœur. L’apostolat de la prière qui fonctionnait déjà au collège, fut réorganisé par lui sur de nouvelles bases, et il fit entrer tous les élèves dans cette croisade pacifique si agréable à Dieu. On se souviendra longtemps des exhor¬tations vives, enflammées qui s’échappaient de son cœur lorsqu’il proclamait les résultats du mois écoulé et qu’il proposait les inten¬tions à suivre pour le mois suivant ; ces intentions étaient d’ordinaire de prier pour l’Église, pour le Pape, la Mission, les bienfaiteurs, l’Œuvre de la Propagation de la foi et le soulagement des âmes du Purgatoire.
Sachant par expérience quels grands avantages procurent aux jeunes gens la confession et la communion fréquentes, c’est de ce côté sur¬tout qu’il dirigeait la piété de ses chers enfants. Il y revenait cons¬tamment, soit en public, soit en particulier, et ne laissait passer aucune circonstance favorable sans parler de ce sujet qui pour lui primait tous les autres. Ses paroles furent entendues et grâce à son zèle, le bonheur de communier souvent fut de plus en plus apprécié à Hoang-nguyen.
Esprit éminemment catholique, il avait un amour ardent pour la sainte Église, et cet amour il ne négligeait rien pour le faire partager autour de lui.
Lorsque Mgr Puginier fonda la Mission du Laos, il n’eut pas d’auxiliaire plus actif, plus dévoué que son Provicaire. Celui-ci se constitua pour ainsi dire avec son collège comme le pourvoyeur du nouveau district et son représentant auprès de Dieu. Il lui fournit des aides en suscitant des vocations parmi ses élèves ; en même temps, chaque mois, une classe était déléguée pour prier aux intentions de ceux qui évangélisaient cette partie si intéressante de la vigne du Seigneur. Aussi bien ce rôle a été dépeint par M. Cosserat lui-même dans une lettre pittoresque dont on ne regrettera pas de nous voir reproduire ici quelques extraits.
« Vous m’interrogez, écrivait-il en 1882, sur le ministère que j’exerce au Tonkin : on a, « comme supérieur du petit séminaire, un appointement de consolations spirituelles, double de « ce que l’on peut recueillir dans les meilleurs diocèses de l’Europe. Ici, je suis à la fois « supérieur du séminaire, maître des novices, voire même depuis quelque temps, directeur « d’une école apostolique, j’allais presque dire d’un nouveau séminaire des Missions-« Étrangères. Voici comment. En novembre 1878, Mgr Puginier envoya un mis¬sionnaire faire « une tentative d’évangélisation du côté du Laos. En février 1880, notre Évêque voulant « expédier une nouvelle et nombreuse caravane, songea à prendre quelques élèves du « séminaire. La proposition que le Prélat me fit à ce sujet, me tint deux jours dans des « perplexités incroyables. Je résolus d’attendre quelques mois, afin de préparer mon choix « avec maturité. Ma lettre n’était pas à moitié chemin que voici deux petits cinquièmes qui « viennent me trouver, demandant spontanément à partir pour le Laos. Le soir c’étaient quatre « élèves de seconde et un de troisième. Le lendemain trois rhétoriciens, puis plusieurs autres. « En trois jours, quinze postulants pour le Laos, et cela sans que j’eusse dit un mot des « intentions de l’Évêque. Sept furent acceptés ; je les conduisis à Monseigneur, la veille de « l’Immaculée-Conception. Ils partirent comme à une fête. Dès lors, tout le séminaire pense « au Laos et prie pour le Laos avec beaucoup de ferveur... «
Toujours rempli de sollicitude pour ses élèves, on voyait M. Cosserat sans cesse sur pied, allant et venant à travers le collège, ins¬pectant et surveillant toutes choses ; son principe était que rien ne vaut la présence du supérieur pour maintenir l’ordre et faire respec¬ter la règle.
Le soir, après le couvre-feu, il recommençait encore sa ronde, le chapelet, son arme favorite, à la main, et tout en priant, il parcou¬rait les allées, les vérandas, afin de voir si ses prescriptions hygié¬niques et autres étaient fidèlement observées.
A l’approche des vacances, il multipliait ses recommandations pour prémunir ses chers enfants contre les dangers qui se rencon¬trent parfois dans ces occasions. Il leur indiquait la conduite à tenir, la vigilance à garder, les compagnies à éviter. Il leur traçait un petit règlement au sujet de leurs exercices de piété de chaque jour, de leurs confessions, de l’emploi de leur temps. Dans ces avis, le corps n’était pas oublié : précautions à prendre en voyage contre la pluie, le soleil, pendant le jour, pendant la nuit ; il entrait dans les plus petits détails, répétant les choses sans se lasser, seul moyen, d’ail¬leurs, à employer avec les enfants, si l’on veut qu’ils s’en souviennent et le mettent en pratique.
Au surplus, la santé des élèves le préoccupait continuellement, et l’un de ses plus grands soucis était de voir la maladie empêcher un si grand nombre d’entre eux d’achever leurs études. Quels essais n’a-t-il pas tentés pour faire cesser cette véritable épreuve ? Amé-lioration de la nourriture, diminution des petites corvées en usage, distribution de couvertures et de vêtements ; il employait tous les moyens dont il pouvait disposer. Les rhumes, en particulier, l’ef¬frayaient, et avec raison, car chez nos Annamites, ces affections dégénèrent trop facilement en maladies de poitrine.
Entendait-il un élève tousser à la chapelle ou dans les classes, il demandait son nom et l’appelait chez lui pour le soigner. Peu à peu, en effet, aidé par les connaissances qu’il avait acquises pendant qu’il exerçait les fonctions d’infirmier au Séminaire de Paris, il s’était fait médecin dans l’espoir de rendre service à ses chers malades, et il les traitait avec des remèdes achetés à ses frais, employant à cette bonne œuvre tout son modeste avoir, sans rien réserver pour ses besoins personnels.
Sa vigilance s’étendait à tous ; il voulait que les élèves fussent convenablement habillés et qu’ils s’habituassent d’eux-mêmes aux règles de la politesse et de la bonne tenue. Avant leur départ pour les promenades, il les passait en revue, examinant si leurs vêtements étaient propres, si leur turban était mis comme il fallait. Aucune négligence n’était tolérée sur ce point, pas plus que sur les autres.
Les élèves redoutaient ses réprimandes ; et de fait, elles étaient sévères, parfois même le ton en était assez rude. On craignait donc M. Cosserat à Hoang-nguyen, mais on l’aimait encore davantage, parce que l’on comprenait qu’il se dépensait tout entier pour le bien de ses enfants ; aussi était-il devenu véritablement 1’âme du collège. Obéi, aimé, respecté, l’impul-sion donnée par lui entraînait toutes les volontés et tous les cœurs. Quant à lui, il avait concentré là toutes ses affections, toute sa vie. C’était, comme il l’a dit et écrit, « son paradis terrestre, son petit paradis ».
En entrant à Hoang-nguyen il avait demandé au bon Dieu de le laisser dans ce poste jusqu’à sa mort. Cette prière a été exaucée. Toutefois, son action s’étendait bien au-delà de l’enceinte du petit séminaire. Il était si accueillant pour ceux qui lui demandaient conseil, que les prêtres, et surtout les catéchistes, recouraient très souvent à lui dans leurs difficultés ou leurs tentations de décourage¬ment. Ses avis, quels qu’ils fussent, étaient suivis avec confiance, et ils le méritaient, car ils étaient marqués au coin de la sagesse et de l’expérience. Combien d’âmes n’a-t-il pas ainsi secourues, relevées, raffermies dans leur vocation !
Si le regretté défunt jouissait d’une si grande autorité, c’est qu’on le voyait donner l’exemple de toutes les vertus qu’il proposait aux autres. Comme régularité, comme piété, comme gravité de tenue, il pouvait servir de modèle à tous.
Il célébrait la sainte messe avec une dignité et un recueillement qui frappaient les assistants. Il appréciait tellement le bonheur de monter à l’autel que, malgré la fatigue ou les maladies, il n’y renonçait jamais, à moins d’être dans l’impossibilité de se tenir debout. En 1889, il était si affaibli qu’il devait passer ses journées étendu dans son hamac. Et pourtant, on le voyait chaque matin se traîner à la chapelle, afin d’offrir le saint sacrifice. Une fois revêtu des ornements sacrés, il paraissait tout changé, faisant les cérémonies et récitant les prières, posément, sans se presser, absolument comme s’il n’eût plus ressenti son état d’épuisement et de langueur.
De même, il affectionnait beaucoup la récitation du bréviaire. Il s’en acquittait lentement, savourant certains versets, comme le Deus in adjutorium, le Gloria Patri où il trouvait un aliment inépuisable pour sa piété. Il n’aimait pas qu’on se hâtât avec le Bon Dieu. Aussi donnait-il toujours le temps convenable à ses exercices de piété. Malgré son austérité prover-biale, il était large et en même temps très pratique dans la direction des âmes, exigeant très peu, mais ame¬nant insensiblement ses pénitents à faire d’eux-mêmes plus qu’il ne leur demandait.
Il avait un culte spécial pour toutes les dates importantes de sa vie : baptême, première communion, confirmation, ordination, arrivée au Tonkin ; il en célébrait ponctuellement l’anniversaire avec joie et amour, et il s’y préparait souvent par des neuvaines ou des triduums de prières.
Une de ses grandes dévotions était de prier pour les agonisants et les âmes du Purgatoire. Il ne sortait guère de sa chambre sans son Rosaire, et Dieu seul connaît le nombre de chapelets qu’il récitait par jour. Ce qui brillait principalement en lui, c’était une foi vive, ardente, qui le faisait recourir aux moyens surnaturels dans toutes les circonstances graves ou difficiles.
Très pauvre dans son habillement, il ne dépensait à peu près rien pour son entretien personnel. Mortifié dans ses goûts, il avait su réprimer le penchant de la nature pour s’habituer à l’alimentation annamite ; il pratiquait à la lettre le Manducate quœ apponuntur vobis ; ne se plaignait jamais de la nourriture ni de la manière dont elle était préparée.
Autant il était compatissant aux maladies d’autrui, autant il était sévère pour lui-même ; il traitait son corps durement et lui imposait des pénitences qui ne sont pas restées toutes cachées.
Sauf une indisposition survenue en 1879, notre cher Provicaire avait joui d’une robuste santé jusqu’au mois de mai 1889. A cette époque, il fut atteint d’une anémie si profonde que Mgr Puginier estima nécessaire de l’envoyer au sanatorium de Béthanie où il resta deux ans. Il en revint si peu rétabli qu’il fallut, en février 1892, le faire partir pour France. Pendant son séjour à Hong-kong et en Europe, il continua, malgré sa faiblesse, à travailler pour son bien-aimé séminaire de Hoang-nguyen. Il édita deux recueils intitulés : Flores historiœ ecclesias-ticœ et Rosœ annamicœ, renfermant, le pre¬mier un choix des légendes les plus intéressantes du bréviaire, le second les notices des martyrs les plus connus de l’Annam et du Tonkin. Il fit aussi imprimer les psaumes et plusieurs cartes géogra¬phiques à l’usage des élèves annamites.
Rentré parmi nous à la fin de 1894, sa santé était demeurée assez longtemps chancelante ; mais il allait beaucoup mieux depuis quel¬ques mois, et ce renouvellement de forces nous donnait l’espoir de le posséder de longues années encore. Au commencement d’août, il fut profondément impressionné par la mort de M. Thiriet avec lequel il était intimement lié, depuis leur séjour commun au Séminaire de Paris. Leur correspondance, dont j’ai vu quelques extraits, était celle de deux belles âmes très près du cœur de Notre-Seigneur, et s’ex¬hortant mutuellement à poursuivre leur œuvre de prédilection : la sanctification de leurs élèves. Le 16 août, je recevais de notre vénéré Provicaire un billet ainsi conçu : « Je crois que le P. Thiriet « veut m’attirer avec lui ; depuis quelques jours, j’ai une dysenterie qui me fatigue ; « cependant rien de grave. » Malgré son ton rassurant, cette lettre m’inspira de l’inquiétude à cause de l’âge et de l’état du malade. Je m’apprêtais à lui envoyer notre dévoué infirmier, M. Schlicklin, lorsqu’une dépêche m’annonça qu’il s’était décidé à venir lui-même consulter les médecins de Hanoï. Il nous arriva le 19 août, au matin ; il paraissait fatigue du voyage, il est vrai, mais le docteur qui vint le visiter, ne trouva aucun symptôme alarmant ; au contraire, il avait bonne confiance et comptait le remettre prompte¬ment sur pied.
Quant au cher malade, il ne se faisait pas illusion. Déjà avant de quitter le collège, il avait voulu réunir une dernière fois les élèves à la chapelle, et il leur avait dit : « Vous apprendrez bientôt ma mort ; quand vous recevrez la nouvelle, je vous demande de prier pour moi. »
Le 20, dans la matinée, les confrères qui le soignaient, remarquè¬rent qu’il s’affaiblissait peu à peu ; on lui administra les derniers sacrements qu’il reçut dans les plus vifs sentiments de piété et de confiance en Dieu. Bientôt après il tomba dans un état comateux et ne sembla plus reprendre connaissance.
A 7 h. ¼ , il rendait le dernier soupir. Un courrier partit aussitôt pour annoncer la pénible nouvelle à Hoang-nguyen. Lorsque M. Schlot¬terbek la communiqua à la communauté le lendemain matin, ce fut une explosion de gémissements et de sanglots qui montraient com-bien le regretté défunt était aimé de ses enfants. Le 21, après un service solennel célébré à la cathédrale de Hanoï, le corps fut déposé sur une barque et reconduit à Hoang-nguyen où il arriva à la tombée de la nuit. Toute la population du village s’était jointe aux élèves pour aller l’attendre au débarcadère. Là on le plaça sur un brancard que l’on transporta procession-nellement à la lueur des torches, jus¬qu’à la chambre des morts préparée d’avance pour le recevoir. Pen¬dant le trajet, les chrétiens récitaient le chapelet ; beaucoup pleuraient. C’est escorté de ces prières et de ces larmes venant du cœur que le corps de notre vénéré Provicaire rentra dans ce cher collège où il avait usé ses forces et sa vie. Ses enfants se remplacèrent mutuel¬lement toute la nuit pour veiller et prier auprès de celui qui, vivant, avait tant veillé et tant prié pour eux.
Le lendemain, les chrétiens des environs reçurent l’autorisation de venir prier, eux aussi, auprès de la dépouille mortelle de notre regretté confrère. A 5 heures du soir, le cercueil fut transféré à la chapelle : l’office de porteurs fut rempli par les élèves qui avaient demandé à rendre ce dernier témoignage d’affection à leur père bien-aimé. Après le chant de l’office des morts, l’on continua à prier et à réciter le rosaire, comme la nuit précédente. Enfin, le 23 août, eurent lieu les obsèques auxquelles assistaient douze missionnaires, huit prêtres indigènes et une foule immense de fidèles. M. Groleau, résident de Phuly, qui estimait beaucoup le cher M. Cosserat, avait tenu à s’y faire représenter. Comme une assez douloureuse indisposition me condamnait alors à l’immobilité, M. Dumoulin, l’un des plus anciens amis du regretté défunt, avait bien voulu aller, à ma place, présider la cérémonie que la tristesse et les gémissements des élèves rendirent particulièrement émouvante.
Les prières achevées, on descendit le corps dans la tombe creusée au milieu de la chapelle. C’est là que notre très cher confrère et ami repose, non loin de MM. Castex et Saiget, ses prédécesseurs à Hoang-nguyen et de M. Landais, son ancien compagnon de route.
Mais s’il nous a quittés, ses exemples nous restent ; mort, il prê¬chera encore à ses enfants, et avec ses leçons son souvenir restera gravé dans tous les cœurs. Defunctus adhuc loquitur.
† P. M. GENDREAU,
Vic. ap. du Tonkin occid.
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Références
[0847] COSSERAT Jean (1840-1900)
Bibliographie. - Flores Historiæ ecclesiasticæ, seu Sanctorum historicæ lectiones, e variis Brevariis excerptæ et juxta ordinem chronologicum dispositæ. - Typis Societatis Missionum ad Exteros, Hong-kong, 1891, in-16, pp. xiii-479.
Comp.-rend. : M. C., xxiii, 1891, p. 480.
Rosæ annamicæ seu vitæ LXX Venerabilium Dei servorum, qui pro fide catholica, in Cocincina et Tunkino sunt passi. - Typis cartusiæ Mariæ de-Pratis, Monsterolii (Imprimerie N.-D. des Prés), Ern. Duquat, directeur, Neuville-sous-Montreuil, Pas-de-Calais, mdcccxciii, in-16, pp. viii-250.
Comp.-rend. : M. C., xxv, 1893, pp. 348.
La même année et à la même imprimerie de Montreuil, il fit imprimer les psaumes en latin. Chaque psaume était précédé d'un petit résumé également en latin des principales idées qu'il renfermait.
< AUT > (Vie de saint François Xavier et neuvaine en son honneur [neuvaine de la grâce]). - Imprimerie de la mission, Ke-so, 1908, in-8, pp. 211.
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1882, pp. 54 et suiv. ; 1892, p. 159. - M. C., i, 1868, Troubles à Nam-dinh, p. 171 ; xiv, 1882, Procès de Béatification des martyrs annamites, p. 591 ; xv, 1883, p. 389 ; xxiii, 1891, p. 480 ; xxv, 1893, p. 348.
Sem. rel. Saint-Dié, 1877, p. 281 ; 1883, pp. 504 et suiv. ; 1884, pp. 682, 685 ; 1892, p. 332 ; Ib., Ses publications, pp. 532, 534 ; 1893, p. 741 ; 1897, Son décès, p. 684.
Le culte de N.-D. de Lourd., p. 167. - Hist. miss. Thibet, Tab. alph.
Notice nécrologique. - C.-R., 1897, p. 348.