Mathurin GUÉGO1843 - 1897
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 0941
Identité
Naissance
Décès
Missions
- Pays :
- Thaïlande
- Région missionnaire :
- 1868 - 1897
Biographie
[0941] GUÉGO, Mathurin-François, Marie naît le 12 mai 1843 à Lainfains dans les Côtes-du-Nord. Il fait ses études au Petit et au Grand séminaire de Versailles et est incorporé à ce diocèse. Il entre laïc au Séminaire des Missions Étrangères le 28 septembre 1864, est ordonné prêtre le 15 juin 1867 et part le 15 juillet suivant pour la mission du Siam.
Siam (1868-1897)
Il est d'abord affecté à Petriou aux côtés et sous la direction du P. F. Schmitt. Puis, Mgr Dupond lui confie peu après le district de Bang Pla Soi.
En 1872, il s'établit avec quelques chrétiens et catéchumènes dans la plaine qui s'étend entre Muang Phanat et Petriou, plaine inculte qui n’est peuplée que d'éléphants. Le missionnaire ne recule devant aucune fatigue. Après quelques années, ayant réussi à grouper autour de lui à Bang Pla Soi de nombreuses familles d'agriculteurs, il remplace le modeste hangar qui sert de chapelle par une église plus convenable.
Le P. Guégo construit également à Muang Phanat une église sous le vocable de la Visitation. Elle est bénite le 3 juillet 1879. Depuis lors, elle a été remplacée par une autre plus grande et plus solide, dédiée à Saint Joseph. Le missionnaire fonde aussi les chrétientés de Kho Karieng et de Hua Phai. Il demande alors et obtient la division de son district devenu trop vaste pour un seul ouvrier apostolique. Il garde pour lui Muang Phanat et Hua Phai.
Il meurt à Bangkok le 1er octobre 1897 après une carrière bien remplie pendant que son frère, François-Marie, continue son apostolat au Laos. Il est enterré dans l'église de N.-D. du Rosaire appelée aussi église du Calvaire.
Nécrologie
M. GUÉGO
MISSIONNAIRE APOSTOLIQUE DE SIAM
Né le 12 mai 1843.
Parti le 15 juillet 1867.
Mort le 1er octobre 1897.
Le 4 octobre 1897, l’église du Calvaire à Bangkok était impuissante à contenir la foule qui s’efforçait de pénétrer dans sa large enceinte.
Pourquoi ce concours extraordinaire de peuple ? Pourquoi cette tristesse peinte sur tous les fronts ? Pourquoi ce recueillement qu’on n’avait jamais vu plus profond, et cette prière ininterrompue qui de tous les cœurs montait vers le Maître de toutes choses ? Parce qu’en ce jour la capitale du Siam rendait les devoirs suprêmes à un de ces apôtres, à un de ces hommes qui, renonçant à tout ici-bas, excepté à servir Dieu et les âmes, vont, exilés volontaires, peiner et mourir loin des leurs et du sol qui les vit naître.
Le regretté défunt était né cinquante-quatre ans auparavant à Lan¬fains, diocèse de Saint-Brieuc. Orphelin de père dès sa douzième année, il était devenu l’enfant adoptif de son oncle maternel, M. l’abbé Lebarbu.
Cet excellent prêtre, alors curé de Jeufosse, au diocèse de Versailles, mit tout ce qu’il avait de zèle industrieux et de sainte affection à faire germer dans son jeune cœur les plus nobles et les plus belles vertus. Ses efforts furent couronnés de succès.
Mathurin Guégo comprit les soins attentifs dont il était l’objet, apprécia les précieux exemples qu’il avait continuellement sous les yeux, et se sentit doucement incliné vers le sacerdoce.
Joyeux de ces dispositions naissantes qui percèrent bientôt dans toute sa conduite, M. Lebarbu envoya son neveu, d’abord au petit, puis au grand séminaire de Versailles.
Cette seconde maison qui répondait aux aspirations de Mathurin enfant ne répondit pas longtemps à celles de Mathurin grandi et déjà enrôlé dans la sainte milice. Son amour des âmes lui montrait comme trop étroites les limites d’une paroisse. Il rêvait un champ plus vaste à défricher, un poste de plus rudes labeurs, de privations plus continuelles, peut-être même de mort.
Mais l’apostolat est une chose difficile entre toutes. Il serait témé¬raire de s’y croire appelé à la légère et sans motifs sérieux. Mathurin le savait parfaitement bien. Afin d’éviter toute démarche inconsidérée, il se mit à prier et à réfléchir. Sa pieuse méditation dura deux ans. A la fin, sa vocation mûrie était fixée sans retour. Il n’y avait plus qu’à partir, et en septembre 1864, le nouvel aspirant frappait à la porte du Séminaire des Missions-Étrangères.
Trois ans après il s’embarquait pour le Siam.
Tout à sa mission, il ne songe désormais qu’à faire beaucoup et vite. Pas de temps à perdre. La vie, surtout celle du missionnaire, est si courte ! D’abord, il faut se rendre maître de la langue, le pre¬mier et le plus indispensable instrument pour un apôtre. Son désir de la posséder est tel qu’il devance même le moment régulier de l’étude. En chemin, à Singapour, il rencontre un jeune Siamois dont il sollicite avec empressement les utiles leçons. Il lui tarde tant de pouvoir remplir son rôle d’apôtre qu’il ne perd plus un instant. Ses progrès sont en raison directe de sa bonne volonté. Aussi, en débar¬quant à Bangkok fit-il l’étonnement de tous ses confrères, édifiés et ravis. En fort peu de temps il compléta si bien ses connaissances que quelques mois après son arrivée il se livrait à toutes les fonctions du saint ministère dans le district de Pétriu.
Bientôt même il pouvait être utile aux chrétiens chinois dissé¬minés dans la région. A la langue nationale, il venait d’ajouter celle que parlaient ces nombreux étrangers.
N’ayant plus aucune difficulté pour s’exprimer, parfaitement initié d’ailleurs aux us et coutumes du pays et aux besoins de la popu¬lation, M. Guégo pouvait se passer de guide et marcher seul. En conséquence, ordre lui fut donné de s’éloigner de M. Schmitt, sous la direction duquel il avait fait ses premières armes, de sortir du district de Pétriu et d’aller planter sa tente à Bamplacoi, chef-lieu de la province de ce nom.
C’était une lourde tâche pour un missionnaire arrivé depuis un an à peine ; car il faudrait lutter contre un gouverneur bouddhiste aussi malintentionné que puissant. Toute sa vie, ce haut fonctionnaire avait guerroyé contre le Christ et ses représentants. Fécond en ressources, il inventait chaque jour quelque nouveau genre de vexa¬tion. La variété lui était facile. Il était le maître. Or, à Siam comme ailleurs, le plus fort trouve toujours des hommes de bonne volonté, quand il s’agit de tourmenter le faible et de persécuter la vertu. On pouvait donc s’attendre à tout. Puisque la vue d’un missionnaire lui faisait mal, il ne négligerait rien pour l’empêcher de se fixer à côté de lui. A tout prix il fallait contrecarrer ses plans et le tenir à dis¬tance. Mais comment s’y prendre et quels moyens employer ? Il ne le savait trop. Sa longue expérience lui avait appris que le missionnaire catholique ne se rebute jamais ; si on le chasse, il revient ; si on lui ferme la porte, il entre par la fenêtre ; si on l’égorge, un autre le remplace aussitôt ; mais quand il a résolu de planter quelque part une croix, il faut que la croix soit plantée en réalité. Or, à Bamplacoi l’Église avait besoin, non de croix ou de chapelles (il y en avait déjà), mais d’un modeste presbytère, mais d’un vaste catéchuménat et de spacieuses maisons d’école.
Sollicité en secret d’autoriser ces diverses constructions, le ministre des Affaires Étrangères réfléchit longtemps, prit conseil, fit des objections, se rendit enfin à la requête du Père et désigna le terrain à occuper. Tout semblait aller pour le mieux. On espérait avoir tourné toutes les difficultés. Il n’en était rien. Furieux de cette décision, le gouverneur prend possession de l’endroit concédé, répète je ne sais quelle vieille rengaine contre la religion chrétienne, et quel danger les constructions projetées feraient courir à la sûreté de l’État.
Force fut au P. Guégo de recourir encore une fois aux chefs supé¬rieurs et de redire ce qui a été prouvé des milliers de fois, que le christianisme fait du bien à tout le monde et du mal à personne.
La victoire demeura au bon sens et à la vérité. Vaincu, le gouver¬neur lâcha prise, et les constructions marchèrent rapidement.
Enhardi par ce premier succès, le laborieux missionnaire ne voulut pas se borner à ces bâtiments bientôt terminés. Son district était immense, il comprenait deux provinces : celle de Bamplacoi était pourvue pour longtemps ; celle de Muangphanat n’avait encore rien. Cependant cette dernière comptait déjà plusieurs familles entièrement chrétiennes, et nombre d’autres semblaient à la veille de se courber à leur tour sous le joug de l’Évangile.
Pour favoriser les conversions qui s’annonçaient et fortifier les néophytes dans la foi, il fallait là encore église, presbytère, catéchuménat, écoles... Vite à l’œuvre. Un magnifique emplacement est choisi à quelque distance de toute habitation, sur la lisière d’une épaisse forêt, d’un défrichement très difficile et partant à l’abri de toute revendication gouverne-mentale ou particulière. Le mission¬naire fait ses plans, donne ses ordres, utilise toutes les bonnes volon¬tés, est le premier sur le chantier le matin, le dernier le soir. Chré¬tiens et païens rivalisent d’ardeur, les arbres sont abattus, le terrain nivelé et avec une rapidité qui semble tenir du prodige, les édifices s’élèvent solides, gracieux et coquets.
Tous ces travaux ont été conçus et exécutés en moins de quatre ans. Un pareil résultat, tout surprenant qu’il soit en lui-même, ne doit pas nous étonner outre mesure. Le missionnaire travaille pour Dieu. A servir un tel maître, les forces humaines se décuplent, la fatigue devient légère, j’allais dire une douce nécessité. Ne lui parlez pas de journée de 8 heures de travail, de surmenage à éviter, de repos à prendre. Son délassement consistera à passer d’une occupation à l’autre : aujourd’hui architecte, demain prédicateur.
Tel fut le P. Guégo. Pendant les quatre années que lui prirent les constructions de Bamplacoi et de Muangphanat,il trouva encore moyen de parcourir son district en tous les sens, de multiplier ses instruc¬tions et de jeter partout la semence de salut et de vérité. Sans doute, sa parole ne produisait pas toujours des fruits immédiats. Il est plus difficile d’implanter la vertu dans une âme que d’élever un monu¬ment superbe ; mais Dieu ne demande pas le succès à ses ministres. Il leur paye chacun de leurs actes, non d’après les résultats apparents, mais d’après l’effort qu’ils ont coûté, la bonne volonté et l’amour dont ils sont la preuve. Convaincu de cette vérité consolante, le zélé mis¬sionnaire allait sans se décourager jamais. Ici, il déblayait le terrain et rendait possibles les conversions ; là, il recueillait dans le sein maternel de l’Église quelques âmes mieux disposées et ouvrait aux mourants les portes du ciel ; ailleurs, il jetait les fondements de nou¬velles chrétientés.
Ainsi, allant un jour d’un village dans un autre, il est frappé de l’aspect du sol qu’il foule sous ses pieds. « Pourquoi toute cette région qui sem¬ble cependant si fertile, est-elle inculte et sans habitants ? », demande-t-il à un indigène » — « Parce qu’elle est hantée par une multi-tude d’esprits malfaisants », lui est-il répondu. « Bon ! se dit intérieurement le missionnaire, libre à ces naïfs d’avoir peur des esprits ; à moi de les déloger. » Et aussitôt de jeter son dévolu sur tout ce terrain inoc¬cupé et de s’en regarder comme le maître. De fait, quelques jours après, les travaux de construction recommençaient de plus belle et un village surgissait comme par enchantement, au milieu de cette plaine hier encore déserte ; et la terre pour la première fois remuée et ensemencée laissait espérer une abondante moisson de riz. A la stupéfaction des païens, les esprits n’avaient pas gardé rancune aux envahisseurs ; ils s’étaient retirés sans faire éclater leur courroux.
Ce nouveau village, appelé Khokarieng, était exclusivement com¬posé d’orphelins et d’orphelines élevés par le missionnaire et récem¬ment mariés entre eux, auxquels s’étaient joints des esclaves arrachés, au prix des plus grands sacrifices, à la tyrannie de leurs maîtres barbares. Malheureusement sa situation à un niveau inférieur aux terrains avoisinants l’exposait aux inondations, et devait l’empêcher de répondre aux espérances du missionnaire. C’est ce qui explique que M. Guégo ait, peu de temps après, dédoublé sa colonie et transporté ailleurs la majorité de ses habitants.
En effet, au cours de ses voyages apostoliques, il avait découvert une nouvelle plaine, de tous points préférable à la précédente. Malgré sa merveilleuse fécondité, nul homme n’affirmait avoir des droits sur elle. Il fallait cependant la conquérir, car elle avait des propriétaires. C’était une troupe d’éléphants qui y avaient élu domicile de temps immémorial, en gardaient les limites avec un soin jaloux et mettaient à mort quiconque se hasardait à en franchir l’étendue. Impossible de vivre côte à côte avec des hôtes si peu accommandants. D’autre part, comment les expulser ? Le problème n’était pas aisé à résoudre. D’abord, il n’y avait pas à compter sur le concours des païens. Leur religion leur défend de traquer cet animal. Elle leur enseigne qu’il fut la dernière incarnation de leur Bouddha, alors que de transmi¬gration en transmigration il avait atteint la dernière perfection comme animal, et qu’il était à la veille de se réveiller homme en attendant qu’il devînt Dieu. De plus, l’éléphant est très dangereux quand on l’irrite. Ceux qui lui font la chasse savent combien, dans ces circons¬tances, les accidents sont nombreux, faciles et graves. Pour ces motifs, on résolut d’agir avec beaucoup de prudence et de ne rien brusquer. Peu à peu l’effroi se répandit au sein des ennemis ; ils levèrent le camp et disparurent pour toujours dans la forêt voisine. Huaphai était fondé.
Voilà désormais notre infatigable confrère avec quatre principaux centres d’action : Bamplacoi, Muangphanat, Khokarieng et Huaphai.
Avant d’atteindre ce but que d’efforts incessants, que de luttes sans trêve ni merci !
Sa dernière acquisition surtout lui fut disputée pied à pied. Autant les païens avaient été résignés et lâches en présence des éléphants, autant ils devinrent arrogants et prétentieux après leur disparition. Ils se jetèrent avec avidité sur les champs déjà occupés par les chrétiens. Pour évincer ceux-ci, on employa comme toujours le mensonge, la ruse et la violence. De là, pour l’ardent missionnaire, des procès à soutenir et de longues courses à faire. Toujours à la hauteur de la situation, et prêt à faire face à tous ses ennemis, il triompha de ses derniers, comme il avait triomphé du gouverneur de Bamplacoi, aux jours de ses premiers combats.
Resté maître incontestable d’un terrain qu’il n’avait conquis que pour ses bien aimés chrétiens, le P. Guégo put reprendre ses courses apostoliques. Sous ses pas les conversions se multiplièrent à un tel point que, bien qu’il n’eût encore rien perdu de son incroyable activité, il fallut diviser son district désormais trop grand pour un seul. Il ne garda plus que Muangphanat et Huaphai.
C’est là qu’il a passé ses dernières années, élevant à Huaphai autant de bâtiments que nous l’avons vu en construire ailleurs, mais surtout préoccupé de perfectionner ses chrétiens et de faire fleurir toutes les vertus parmi eux. Dans ce but, il a vécu au milieu d’eux comme un père au milieu de ses enfants.
Père, il l’était par le dévouement, puisque pour eux il avait tant travaillé, tant souffert et tant combattu ; il l’était par les améliora¬tions qu’il avait introduites dans leurs moyens d’existence et par la vie naturelle qu’il avait sauvée à nombre d’entre eux ; il l’était par la vie spirituelle dont il avait déposé le germe dans leur âme, au moyen de ses prédications fréquentes et des exemples sans cesse renouvelés d’une foi qui ignore les défaillances et d’un amour pour Marie qui ne se démentit pas un instant.
Les chrétiens le comprenaient si bien que, dès qu’ils s’aperçurent que sa santé était ébranlée, ils le supplièrent de suspendre le travail, de prendre des précautions et d’aller chercher à la capitale les soins que réclamait son état.
Il céda à leurs instances.
C’était trop tard. Son organisme, prématurément usé par trente ans de labeurs excessifs, ne pouvait supporter une médication énergique. Le 1er octobre, il demandait les sacrements des mourants et les rece¬vait avec une piété touchante et dans la pleine lucidité de son intelli-gence. Quelques instants après, il promenait un regard d’adieu sur ses confrères agenouillés autour de sa couche ; puis, comme si le ciel s’était entr’ouvert pour lui faire entendre ces rassurantes paroles : Qui multos erudierint fulgebunt tanquam stellœ in perpetuas œtern-itates ; euge, serve bone, intra in gaudium domini tui, un angélique sourire vint errer lentement sur ses lèvres défaillantes. La mission du Siam comptait un ouvrier de moins sur la terre, un protecteur de plus au ciel...
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Références
[0941] GUÉGO Mathurin (1843-1897)
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1874 (janv.), p. 13 ; 1874 (déc.), p. 27 ; 1876, p. 34 ; 1892, p. 199 ; 1904, p. 213. - A. M.-E., 1913, pp. 195 et suiv. - Sem. rel. Saint-Brieuc, 1897. Notice, p. 725.
Notice nécrologique. - C.-R., 1897, p. 365.