Jean PIAULT1845 - 1896
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 1078
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Biographie
[1078]. PIAULT, Jean, né le 15 décembre 1845 à Charost (Cher), fit ses études classiques au petit séminaire de Saint-Gaultier, et commença ses études théologiques au grand séminaire de Bourges. Il entra laïque au Séminaire des M.-E. le 28 septembre 1867, et reçut le sacerdoce le 11 juin 1870. Destiné au Se-tchoan méridional, les troubles de ce pays l'empêchèrent de s'y rendre ; il fut envoyé le 3 août 1870 dans la Cochinchine occidentale. Il débuta à Mi-tho, puis devint professeur au séminaire de Saïgon, d'octobre 1871 à février 1873. Il reçut ensuite la direction du district de Thu-dau-mot.
Au début de 1874, sa santé s'altéra profondément ; il fit un séjour en France, et partit ensuite pour la mission du Se-tchoan méridional (1877). Il resta près de quatre ans à Tie-lou-se, petit district de la sous-préfecture de Kien-ouy ; en 1881, il eut à diriger les chrétientés de la sous-préfecture de Min-chan, et ensuite tout le Ya-tcheou. En 1890, il fut nommé professeur au séminaire, et en 1896, chef d'un district ; il s'était rendu à Su-tcheou fou, à la résidence épiscopale, et faisait ses préparatifs de départ, lorsque, raconta-t-il, saint Joseph lui apparut en songe et lui dit d'un ton de paternel reproche : " Pourquoi ces vains soucis de t'approvisionner pour aller en district ? Tu as si peu de temps à vivre ! " Quelques jours plus tard, frappé d'apoplexie, il mourait à Su-tcheou fou (Soui fou), le 5 novembre 1896.
Nécrologie
M. PIAULT
MISSIONNAIRE APOSTOLIQUE DU SU-TCHUEN MÉRIDIONAL
Né le 15 décembre 1845.
Parti le 3 août 1870.
Mort le 5 novembre 1896.
M. Jean Piault naquit le 15 décembre 1845, à Chârost, au diocèse de Bourges, d’une famille bien chrétienne et jouissant d’une modeste aisance. Il était l’aîné de trois autres fils. A l’âge de douze ans, il fit une maladie très grave, pendant laquelle M. le curé de Chârost lui fit faire sa première communion. Tout espoir était perdu et l’enfant était sur le point d’expirer, quand sa pieuse mère eut la pensée d’appliquer sur sa poitrine un morceau de la croix du champ de sainte Solange, justement vénérée par les pèlerins. Il revint aus¬sitôt à la vie, au grand étonnement du médecin, qui croyait le trouver mort le lendemain matin. Le pieux enfant et sa famille gar¬dèrent toujours le souvenir de cette grâce extraordinaire et ne ces¬sèrent d’en témoigner leur reconnaissance à la sainte Patronne du Berry.
Jean Piault entra au petit séminaire de Saint-Gaultier en octobre 1860, à l’âge de quatorze ans, en classe de sixième. Il avait « renoncé au monde », dit-il dans une de ses lettres, à douze ans, sans doute au moment de sa première communion ou bien en action de grâces de sa guérison. Sa conduite d’écolier fut toujours édifiante. Il était un élève intelligent et appliqué au travail.
Après un an de grand séminaire à Bourges, M. Piault entra au Séminaire des Missions-Étrangères, en 1867, et y resta trois ans. On y remarqua son entrain, sa gaieté et son savoir-faire. Son esprit de foi, nous dirons sa sainteté, apparaît dès ce moment de pré¬paration aux missions, par le combat qu’il eut à soutenir envers ses parents si chers et si chrétiens pourtant, afin d’obtenir leur consen¬tement à son départ. Ils ne pouvaient se résigner à croire à sa vocation ; tant d’intérêts de famille, par rapport à l’éducation des trois frères surtout, devaient se trouver atteints par l’absence de l’aîné ! Il n’avait pas besoin sans doute de leur assentiment, mais c’était chez lui une question de cœur : il préférait associer son père et sa mère à son sacrifice et leur en faire partager le mérite. Voici une lettre qu’il leur écrivait à ce sujet, du Séminaire des Missions-Étrangères ; elle montre son âme tout entière :
« Mes bien-aimés parents, je n’ai jamais douté de votre affection pour moi, et, en ce moment, je l’avoue, j’en doute encore moins que jamais. Vous me dites, en effet, que vous êtes dans un grand ennui depuis mon départ pour Paris, et cet ennui assurément ne peut venir que de la crainte que je ne sois malheureux. Mais, tranquillisez-vous : je suis le plus heureux du monde. De mon côté, croyez que je vous aime bien tendrement ; mon cœur, vous l’avez tout entier, je ne vou¬drais pas vous causer la moindre peine ; oui, je vous aime et je vous aimerai toujours. S’il est quelqu’un à qui je désire faire plaisir ici-bas, oh ! c’est bien à vous, n’en doutez pas, mes bien-aimés parents. Avant de chercher mon bonheur, je chercherai toujours le vôtre, soyez-en bien persuadés. Après Dieu, vous êtes tout pour moi. Et ce Dieu, je l’aime plus que vous, parce que c’est lui qui vous a donné l’existence ainsi qu’à moi ; parce que c’est lui seul qui peut donner la paix, la joie de l’âme, le bonheur enfin. N’est-ce pas ce que vous m’avez appris à faire dès l’âge le plus tendre ? « Fais toujours la volonté de Dieu, « me disiez-vous, et tu seras heureux, mon enfant. » Et cette parole est restée gravée dans le fond de mon âme ; elle a été depuis mon enfance le mobile de ma vie. C’est pour faire cette sainte volonté de mon Dieu, en effet, qu’à douze ans je renonçai au monde, parce que la voix de mon Jésus m’appelait ailleurs. C’est pour faire cette sainte volonté de Dieu que je suis venu à Paris, parce que sa voix s’est fait entendre et m’a dit : « Viens là, c’est là que je te veux. » Et fidèle aux enseignements que vous m’avez donnés, obéissant à notre Maître du ciel, je suis en ce moment où il veut. Et maintenant, vous qui m’avez conseillé toujours de faire sa volonté, vous ne voudriez pas, j’en suis persuadé, me donner un conseil contraire. Aujourd’hui, comme autrefois, je le sais, vous auriez également en horreur de me voir agir contre la volonté de ce Dieu que vous aimez. Il en serait ainsi pourtant, bien-aimés parents, si par vos conseils je ne répondais pas aux vues qu’il a sur moi et si je ne suivais pas ma vocation : car, vous le savez, la vocation n’est autre chose que la volonté de Dieu manifestée à une âme... Comme je vous l’ai dit en commençant, je vous aime de tout mon cœur, je n’ai qu’un désir : faire la volonté de Dieu. Dites-moi donc dans votre prochaine lettre ce que je dois faire, si Dieu m’appelle à la vocation de missionnaire. Me conseillerez-vous de lui obéir ou non, de faire sa volonté ou non ? Pensez-y sérieusement, priez et vous me répondrez ensuite. Je vais prier pour vous. Mais avant tout sachez que mon cœur est tout à vous. »
Sa tendre mère, dans sa désolation, son désespoir, et dans sa sim¬plicité admirable, imagine alors un moyen extraordinaire, et qui lui paraît à coup sûr efficace, de ramener son fils en Berry, c’est de prier Dieu de changer sa vocation, et elle demande que son fils lui-même prie avec elle dans ce sens. Que va répondre enfin ce fils si cher et si affectueux ?
« Ma chère mère, je t’avais promis une réponse, la voici. Dieu, tu le sais, ne veut que ce qui peut contribuer à notre plus grand bien. S’il veut donc que je me fasse missionnaire, c’est que ce sera mon plus grand avantage ainsi que le vôtre. Laisser faire Dieu, lui laisser diriger la barque, n’est-ce pas sage ? Evidemment Dieu sait mieux que nous ça qu’il nous faut. Je ne veux pas dire par là qu’on ne peut rien lui demander. Mais sais-tu bien ce que nous pouvons lui demander ? Le voici : c’est qu’il veuille bien nous faire connaître sa volonté sur nous et nous donner la force de l’accomplir... J’unirai très volontiers dans cette intention mes prières aux tiennes. Si je ne veux pas faire directement la demande que tu m’as proposée, tu en comprends la raison. Ce n’est pas que je craigne que Dieu change ma vocation ou que je veuille à tout prix partir pour les missions ; non, tu sais ce que je t’ai dit aussitôt que Dieu me dira, soit inté¬rieurement, soit par l’organe de mes directeurs, que je ne suis pas appelé aux missions, je reprendrai le chemin du Berry. Aimons bien le bon Dieu, ma chère mère. C’est là le principal, vois-tu. Dieu et sa volonté ! » Il termine en conseillant de réciter à cette intention le Souvenez-vous à la sainte Vierge, l’invocation à saint Joseph et l’invocation à Notre-Dame du Sacré-Cœur.
La mère inconsolable se résigna et souffrir, mais ne répondit pas. Le missionnaire, après une attente inutile, n’espérant plus obtenir de consentement formel de ses parents, ne cessera pas, du moins, dans ses lettres, très fréquentes, de vouloir, par un redoublement d’affection, les consoler et leur montrer que le disciple de Jésus-Christ, quand, selon l’Évangile, il sacrifie ses parents, les aime pour¬tant de tout son cœur. Toutes ses lettres de Chine, comme de Paris, font voir ainsi que l’amour de Dieu vivifie le saint amour de la famille : son père et sa mère, Marien, Célestin, Louis, ses frères, sont des noms qui, sans déranger son rôle d’apôtre, se mêlent à ses pen¬sées, appellent et obtiennent ses conseils pour les intérêts raison¬nables de cette terre souvent, mais toujours en vue de la patrie céleste, où ceux qui s’aiment, répète-t-il, se reverront. Ce sont des sermons ardents où l’esprit chrétien des parents et des frères se retrempait, et où d’autres personnes s’édifiaient en admirant cette foi vive, ce détachement généreux qui inspiraient le saint mission¬naire.
Au mois de mai 1869, il avait été ordonné sous-diacre ; il fut ordonné prêtre le 11 juin 1870, veille de la Trinité, et aussitôt dési¬gné pour la mission du Su-tchuen méridional. Il écrivit à ses parents : « En me faisant prêtre, Dieu pouvait-il nous faire, à vous et à moi, un plus grand honneur ? Je dis à vous, car mes gloires ne sont-elles pas vos gloires ? Eh bien ! chers parents, puisque Dieu nous aime tant, aimons-le, nous aussi ; n’ayons au cœur qu’un seul désir, celui de faire sa sainte volonté. Les Chinois vont être vos enfants, puisqu’ils vont être les enfants de votre fils. Vous allez bien prier Dieu pour eux, n’est-ce pas ? » Il leur annonce qu’il a permis¬sion d’aller passer huit jours dans sa famille, à Châtrost, et qu’il s’arrêtera à Bourges pour dire une de ses premières messes à la cathédrale, à l’autel de sainte Solange, en reconnaissance de sa gué¬rison à l’âge de douze ans. Le voyage de Chârost se fit au grand contentement de tous. Les supplications maternelles redoublèrent ; elles aggravèrent le sacrifice du fils et son mérite, elles ne purent ébranler sa résolution. Quand il fut de retour à Paris, sa mère, espé¬rant encore, alla l’y rejoindre avant son départ. Il y eut là de nou¬veaux déchirements et une nouvelle séparation. Le père était plus calme dans sa douleur, il était confiant en la sagesse de son fils en même temps que doucement soumis à Dieu. C’est ainsi qu’il s’est montré pendant toute la durée de l’apostolat de ce si cher enfant qui l’avait quitté, mais dont il recevait et écoutait les conseils venus de Chine pour le gouvernement même de la famille, avec une sorte de respect.
Le missionnaire, presque aussitôt après la visite de sa mère, partit de Paris et alla s’embarquer à Marseille. Le canal de Suez était ouvert depuis près d’un an. Il sert à la religion, pour laquelle on n’a pas songé à le faire, aussi bien qu’au commerce, et les apôtres sont heureux d’aller par là plus vite à la conquête des âmes. Le bateau qui portait l’humble missionnaire berrichon relâchait à Singapour le 29 août, et était à Hong-kong le 18 septembre. Les massacres de Tien-tsin survenus quelques semaines auparavant, et la difficulté, pour la France, en guerre avec la Prusse, de réclamer réparation et protection pour les missions de la part du gouvernement chinois, empêchèrent les missionnaires de se rendre dans les provinces de l’intérieur où ils avaient été envoyés, et leur destination fut changée. La Cochinchine occidentale échut à M. Piault. Nous le trouvons donc d’abord à Mi-tho, en juin 1871, puis au sémi¬naire-collège Saint-Joseph de Saïgon, d’octobre 1871 à février 1873. Cette maison avait une soixantaine d’élèves indigènes, auxquels on enseignait le latin et le français. « J’y resterai, écrit-il à ses parents, tant qu’il plaira à Notre-Seigneur de m’y laisser. Je suis toujours très content et très heureux. Surtout ne vous inquiétez pas de moi. Voyez-vous, rien ne me manque. Seulement vous me trouvez un peu loin de Chârost, vous avez parfaitement raison. Vous voudriez que je me rapproche et que je revienne au pays. J’avoue que, si je n’écou¬tais que mon affection pour vous, il y a longtemps que j’y serais, m’efforçant de vous rendre le plus de services possible pour tous ceux que vous m’avez rendus jusqu’au jour où le Seigneur m’a appelé à lui. Cette vie de famille me plaisait beaucoup, car Dieu sait si je vous aime tendrement ! Mais Dieu, qui est notre maître à tous et qui dispose de nous comme il lui plaît, me tient un langage bien opposé à mes affections et aux vôtres... »
Sous le climat de Saïgon sa santé s’altéra vite. Après un peu plus d’un an on l’envoya se reposer à Shang-haï, puis peu après on lui donna en Cochinchine un poste où il devait avoir de l’exercice : c’était Thu-dan. Il avait là à gouverner 800 à 900 chrétiens, dispersés dans six chrétientés, dont une était à dix lieues au moins de sa rési¬dence. Ils sont au milieu de 15.000 infidèles. « Pauvres païens, écrit-il à ses parents, comme ils sont à plaindre et dignes de compassion ! Quand viendra le jour où la lumière brillera à leurs âmes ? Vous parler de mes chrétiens, vous parler de mes païens, c’est les recom¬mander à vos prières ».
Enfin, au commencement de 1874, l’état de sa santé s’aggravant, le missionnaire, si heureux d’être à l’œuvre de Dieu, a le chagrin de se voir obligé de quitter, momentanément au moins, sa chère mission pour revenir en France. C’est sur l’ordre seul de ses supérieurs qu’il put se résoudre à cette extrémité. Dans son voyage de retour, il a la joie de s’arrêter à Rome ; il aborde à Marseille au mois d’avril. A Chârost le bonheur de le revoir se mêle d’espérances auxquelles il opposait des espérances contraires : il avait bien la pensée, la volonté ferme même de repartir, s’il le pouvait, et ce n’était que pour se rendre capable de poursuivre son apostolat qu’il était revenu au pays natal. Il reçoit d’abord pendant cinq ou six mois à Chârost, de cette mère si aimée et si aimante, tous les soins imaginables ; puis, sa santé étant déjà par là devenue meilleure, le Séminaire des Missions-Étran¬gères lui procure pour l’occuper, le distraire et achever sa guérison, un préceptorat dans une excellente famille du Maine. C’était pour lui, avec tous les bons soins, une vie douce, tranquille, agréable pour l’esprit et le cœur, mêlée d’exercice suffisant pour le corps. Elle lui fit beaucoup de bien, et ses forces revinrent complètement. Mais, les combats allaient recommencer. Tout paraissait être cette fois à l’avantage de la famille et non plus du missionnaire. Les parents semblaient bien avoir raison : c’était la prière de la mère exaucée, c’était la vocation du fils changée par la Providence elle-même, qui s’était prononcée ouvertement contre son séjour dans le pays des missions, car la même cause ramènerait les mêmes effets. Que répondait le missionnaire ? Tout se traita dans des conversations intimes à Chârost ; nous n’avons pas de lettre sur cette question. Ce qui pouvait rassurer tout le monde, au moins faire espérer, c’est qu’il était définitivement destiné cette fois au Su-tchuen, pays plus sain que la Cochinchine. Et de fait l’avenir montra qu’il avait raison d’avoir confiance. Sa santé se maintiendra bonne pendant de longues années d’apostolat (1).
(1) Semaine Religieuse du diocèse de Bourges.
Cette seconde partie de la vie apostolique de M. Piault va donc se dérouler en Chine ; nous allons la faire connaître en suivant prin¬cipalement la notice envoyée par le Vicaire apostolique du Su-tchuen méridional.
« Quoiqu’il restât à M. Piault, dit Mgr Chatagnon, de son ancienne maladie, une certaine lenteur d’esprit qui lui rendait le travail de tête difficile, il apprit assez vite le chinois. A force d’application et de patience, il parvint même à posséder assez bien la langue parlée et à obtenir de la langue écrite une connaissance plus qu’ordinaire. Il débuta dans le ministère apostolique par un petit dis¬trict situé dans la sous-préfecture de Kien-oui, entre Kia-tin et Su-fou. Les commencements furent un peu pénibles. Les Chinois ne sont pas comme les Annamites : ils sont moins dociles, plus diffi¬ciles à conduire. Il fallut changer de méthode. Le bon M. Piault n’était point opiniâtre dans ses idées, il entendait volontiers conseil ; s’il avait de l’opiniâtreté, c’était dans le travail et la volonté de bien faire. Avec cette précieuse qualité il devait réussir. En effet, après quatre années de ministère à Kien-oui, Mgr Lepley le jugea capable de gouverner le grand district de Ya-tcheou, aujourd’hui divisé en deux. ll devait me succéder un peu plus tard. Je commençai par lui céder la sous-préfecture de Min-chan, où se trouvaient les plus nombreuses et les meilleures chrétientés. Il les gouverna parfaitement, se fit aimer et estimer de tous. Ce fut alors que j’appris à le connaître plus particulièrement : bon jugement, sens droit et pra¬tique persévérance dans ses entreprises, patience et longanimité à toute épreuve, telles étaient ses principales qualités. Simple et maniable entre les mains des supérieurs, doux et gai avec les confrères, il animait souvent nos réunions par ses chants joyeux. Que de beaux exemples de vertu il m’a été donné d’admirer pendant deux ans que j’ai passés avec lui ! Je lui étais bien peu supérieur en âge ; néanmoins, parce que j’avais un peu plus d’expérience et d’ancienneté dans la mission, il me consultait en tout, et je l’aurais mené comme un enfant si je l’avais écouté. Mais il était capable de se conduire tout seul. Un petit malheur, fréquent en Chine, qui lui arriva sur ces entrefaites, vint achever son éducation. Sa résidence fut dévalisée en son absence par des voleurs de nuit. De là un procès qui dura un an. Il eut alors tout le temps d’exercer sa patience et de s’instruire dans la science de la chicane, sans laquelle toute éducation en Chine est imparfaite. L’étude de cette science ne plaît guère au missionnaire. Néanmoins, vu le génie du peuple au milieu duquel nous vivons, elle est presque indispensable, soit pour défendre nos droits et ceux de nos néophytes, trop souvent méconnus, soit pour arranger les diffé¬rends de nos chrétiens qui se querellent parfois comme des enfants. Bref, M. Piault gagna son procès grâce à son opiniâtre persévérance. Il fut à peu près indemnisé, ce qui est merveilleux en Chine, où les mandarins et leurs satellites profitent des procès, mais où le plaignant ne reçoit presque jamais une réparation. Je cédai alors à M. Piault tout le district de Ya-tchéou-fou, comprenant la préfecture de ce nom et quatre sous-préfectures. Il y resta jusqu’en 1890. Une relation de ses travaux qu’il m’adressa en 1889 a été publiée dans les Annales de la Propagation de la Foi. ll affermit une petite chrétienté que j’avais fondée dans la sous-préfecture de Lou-tchan. Il travailla surtout à ressusciter les vieilles chrétientés de Tien-tsuen-tcheou et laissa dans tout le district des traces dura¬bles de son passage. »
Dans cet intervalle, en 1883, il perdit sa mère. Il est touchant de voir avec quelles expressions de tendresse filiale, se sentant menacé de ce malheur, il lui écrivit. Son père, lui aussi, était très souffrant et la famille endurait alors de grandes privations. « Pauvre père, pauvre mère ! leur disait-il, que je souffre de vous voir souf¬frir ! Ah ! que mon cœur est gros d’être loin de vous en ce moment. Je n’ai pas pleuré, quand je vous ai quittés pour me rendre en Chine. Dieu m’en avait donné la force. Maintenant je vous sais malades et dans les privations, je ne peux plus retenir mes larmes. Ma bonne chère mère, puisses-tu, quand cette lettre arrivera, recevoir ce dernier témoignage de l’affection de ton pauvre enfant. Bien tendre mère, pardon de toutes les peines que je t’ai causées. Quelle épreuve, quel dur sacrifice ! Oui, te voilà bien sur la croix. Bonne mère, songe à Jésus sur le Calvaire. Pour te soutenir, pense au ciel. Te voilà rendue à l’entrée. Mère bien-aimée, courage ! Mon Dieu, soutenez-la, consolez-la. Célestin me dit que vous souffrez tout en silence sans murmurer, sans vous plaindre. Votre piété fait grande impression sur mon cœur. Je veux aussi désormais à votre exemple être très courageux, résigné et dire de bouche et par mes actions : Tout à Dieu, tout pour Dieu, que la très sainte volonté de Dieu soit faite en nous complètement. Mon bon père, que votre cœur doit être navré ! Mais vous souffrez tout sans mot dire, toujours confiant dans le bon Dieu ! Oh ! mon bien-aimé père, que je suis attendri et réjoui tout ensemble, en considérant votre généreux sacrifice. Bon courage, toujours. Ce n’est pas en vain que nous espé¬rons en Dieu. » La bonne Providence, en effet, pourvut à tout, et l’ancienne aisance revint dans la famille résignée et confiante. Le père jouira d’une vieillesse tranquille et sans souffrance, et mourra six mois seulement avant son fils missionnaire (1).
En 1890, M. Piault fut appelé à aider M. Moreau, son compatriote et son ami, dans la charge de professeur et directeur du séminaire de la Mission. « Dans cette nouvelle position, peut-être plus appropriée à son caractère, sinon à ses goûts, dit Mgr le Vicaire apostolique, M. Piault fut, comme il avait été partout, un modèle de fidélité au devoir. Je ne songeais pas, en l’appelant au séminaire, que ce dût être sa dernière étape dans la carrière apostolique. Dieu, pour le récompenser de ses travaux et de sa bonne volonté, permit qu’il vînt là, dans une vie moins agitée, se préparer au dernier passage.
(1) Semaine Religieuse.
« La persécution de 1895 le trouva fidèle au poste ; il fut un des derniers à abandonner la position, quand elle ne fut plus tenable. Il roula même dans un précipice en se sauvant de nuit ; il en fut quitte pour quelques contusions. » Le missionnaire a donné lui-même dans une lettre d’autres détails intéressants : « Les méchants se jettent sur le séminaire, où ils volent tout et brûlent une partie de la maison ; puis, comme le feu avait épargné l’autre, une foule énorme s’acharne à démolir et à emporter bois, tuiles, briques ; ils auraient même emporté les soubassements en pierre, si les satellites du mandarin n’étaient arrivés sur les lieux... Pendant ce temps-là nos élèves étaient à courir dans différentes directions pour se rendre chez eux. A deux endroits ils ont été arrêtés, insultés, pillés, battus. Pour nous, M. Moreau et moi, nous nous sommes réfugiés dans une famille païenne qui n’a consenti à nous recevoir qu’après promesse d’une forte récompense. C’est dans un grenier, sous les tuiles, par les plus fortes chaleurs, que nous avons été forcés de nous installer avec quelques élèves ; encore bien heureux d’avoir ce refuge pen¬dant que tout le pays était en effervescence. C’est là, jour de la Tri¬nité, que j’ai fait mes noces d’argent sans pouvoir dire la sainte messe et en vivant bien sobrement, car nos hôtes païens ne nous donnaient que du riz et des légumes salés... »
« La santé du missionnaire, ajoute Mgr Chatagnon, fut dès lors ébranlée et je l’aurais envoyé se reposer tout de suite dans un petit district, si j’avais pu le remplacer. Impossible ; je dus attendre encore un an et ce fut seulement après les vacances de 1896, que je pus lui accorder son congé. N’étant pour ainsi dire pas sorti du séminaire pendant cinq ans, il commença par faire une visite aux confrères du voisinage. Tous le trouvèrent charmant ; jamais on ne l’avait vu aussi gai. On était en octobre. Qui aurait dit alors qu’il était si près de la mort ? Cependant, l’époque à laquelle il devait prendre posses¬sion de son nouveau district, le mois de novembre approchait. Il était avec nous à la procure de Su-fou, faisant ses préparatifs de départ, remontant sa chapelle et sa garde-robe dont il n’avait pas eu grand souci au séminaire, lorsqu’une nuit saint Joseph lui apparut en songe avec deux autres saints qu’il ne put désigner : « Pourquoi ces vains soucis de t’approvisionner pour aller en district ? lui dit-il d’un ton de reproche paternel. Tu as si peu de temps à vivre ! » Ce songe et ces paroles frappèrent notre confrère. Comme on ne voyait en lui aucune apparence de maladie, on le plaisanta ; mais lui, sans y croire absolument, se mit à prendre des précautions. Il retourna au séminaire et y passa les fêtes de la Toussaint dans une demi-retraite. Le 5, il employa sa journée à mettre ses affaires en ordre ; le soir, à souper, on lui apporta encore un cachet chinois qu’il venait de faire sculpter ; il 1e montrait à ses voisins de table, lorsque tout à coup il porte sa main à la tête comme pour chasser une idée importune. Il ouvre la bouche et fait de vains efforts pour parler. Deux fois il renou¬velle son geste et ses efforts. Inutile. Alors il s’affaisse entre les bras de ses confrères voisins, qui l’emportent dans sa chambre. On s’em¬presse autour de Iui, on met tout en œuvre pour le rappeler à la vie, lui rendre au moins la parole ; rien n’y fait. La paralysie est complète. On lui administre les derniers sacrements, et six heures après il avait cessé de vivre. Malgré cette mort si soudaine, suite d’une apoplexie vraiment foudroyante, nous n’avons pas été effrayés, nous n’avons conçu aucune crainte pour lui. Prévenu par saint Joseph, patron de la bonne mort, il était prêt. Son corps repose avec nos autres chers défunts, près du séminaire où il avait passé les dernières années de sa vie ; mais son âme s’est envolée dans le sein de Dieu pour recevoir la récompense promise au bon et fidèle serviteur. »
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Références
[1078] PIAULT Jean (1845-1896)
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1888, p. 77 ; 1890, p. 76 ; 1894, p. 126. - A. P. F., lxi, 1889, p. 98. - A. M.-E., 1909, pp. 36, 38, 39. - Sem. rel. Bourges, 1872, p. 557 ; 1897, Notice, pp. 725, 738, 763.
Notice nécrologique. - C.-R., 1897, p. 282