Bernard DÉCOMPS1848 - 1925
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 1169
Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Chine
- Région missionnaire :
- 1873 - 1925 (Chongqing [Chungking])
Biographie
[1169] Bernard, Herménégilde DECOMPS naquit le 24 décembre 1848, à La Guenillé, hameau de la paroisse de Montirat, sur les rives du Viaur, diocèse d'Albi, département du Tarn. Ses parents possédaient quelques terres, et exploitaient un moulin où les gens du pays venaient faire moudre leur grain. Son père choisit comme parrain pour son premier enfant, le maire de la commune. Ce dernier, à cette occasion, dit au curé : "Et surtout, fais-en un bon républicain et un bon chrétien " ! La révolution de 1848 venait d'avoir lieu. La mère de Bernard était la tante des deux frères Boussac, l'un Jean-Gervais missionnaire apostolique à Canton, membre de la Société, l'autre, curé dans le diocèse d'Albi. Très tôt, elle perdit son époux, et se remaria.
Bernard fit ses études secondaires au petit séminaire de Lavaur. Celles-ci achevées, il se dirigea vers le séminaire des Missions Étrangères, où il entra laïque, le 5 juillet 1869. Pendant la guerre de 1870, il repartit dans sa famille, et alla prendre les eaux, dans les Pyrénées. Tonsuré le 11 juin 1870, minoré le 23 décembre 1871, sous-diacre le 25 mai 1872, diacre le 21 décembre 1872, ordonné prêtre le 7 juin 1873, il reçut sa destination pour le vicariat apostolique du Sichuan oriental (Chongqing [Chungking]), qu'il partit rejoindre le 16 juillet 1873.
A bord d'un vapeur, il remonta le Fleuve Bleu jusqu'à Hankeou, puis sur une jonque, il arriva à Chongqing [Chungking], le 22 novembre 1873, accueilli par Mgr Desflèches. Ce dernier, frappé par la maigreur de M. Décomps l'envoya en consultation chez un médecin anglais qui, lui trouvant une "maladie de cœur et la poitrine faible", lui donna des conseils de prudence. Durant toute sa vie, M. Décomps fut obligé de se ménager.
Envoyé à Ho-pao-tchang, ancienne chrétienté, il étudia la langue chinoise et fit sa formation pastorale, sous la direction de M. Blettery, dont il fut vicaire en 1874 et 1875. En 1876, Mgr Desflèches le nomma titulaire du vaste et montagneux district de Tong-hiang Hiên. Ses chrétiens mirent souvent sa patience à l’épreuve ; ils lui suscitèrent de nombreux tracas refusant même de venir à la messe. En outre, l'année 1877 fut marquée par une terrible famine. Très sensible de nature, le cœur plein d'amertume, M. Décomps demanda son changement.
En 11878 ; il fut mis à la tête du district de Iuin-tchouan hien (Yun-tchouan), vieille chrétienté remontant à l'époque de M. Moye vers 1780. Là, il fut heureux, prêchant, catéchisant, s'occupant activement des écoles, aidé par de jeunes missionnaires ou des vicaires chinois. Il établit l'usage de la communion solennelle, et organisa l'apostolat de la prière.
Vers Pâques 1892, Mgr Chouvellon l'envoya à Ta-tsiou. Ce district venait de subir deux persécutions ; par deux fois, les oratoires avaient été brûlés et une vingtaine de chrétiens massacrés. On pouvait s'attendre à une nouvelle tempête. M. Décomps demanda son changement, quatre mois après son arrivée.
En 1893, il fut nommé à Siu-tin, seconde préfecture du Sichuan oriental, où le christianisme avait été introduit vers la fin du XVIIIème siècle. En 1815, un prêtre chinois, Benoit Sen, y confessa la foi et mourut en prison. Le noyau principal des chrétiens étaient groupés autour de l'oratoire, et il y avait des stations dans la campagne. M. Décomps entretint les œuvres existantes : écoles, Sainte Enfance, pharmacie, développa la vie spirituelle de ses fidèles, et créa la confrérie du Rosaire. En 1898, il fut mis à la tête du district de Koui-fou, qu'il dirigea pendant deux ans environ.
En 1900, il revint à Siu-tin qui comptait environ 580 chrétiens. Son évêque lui confia la formation pastorale de plusieurs jeunes missionnaires. En 1901, gardien du tombeau du Bx. Thaddée Lieou, étranglé le 30 novembre 1823, et béatifié le 27 mai 1900, il organisa un triduum en l'honneur de nos martyrs; vers 1906, il établit l'apostolat de la prière; en 1908, il dota son église de deux nouveaux autels. En 1910, un don important lui permit de commencer, avec l'aide de M. Giraux, la reconstruction de son église. Mais survinrent la révolution de 1911 et bien des difficultés. Le clocher bâti trop rapidement s'effondra sur l'église. Tous ces soucis altérèrent la santé de M. Décomps.
A Siu-Tin, pendant la terrible famine de 1904, M. Décomps fit tout son possible pour en atténuer les horreurs. Il entretint des relations cordiales avec les autorités chinoises qui s'associèrent aux fêtes organisées en son honneur en 1908, lors de ses soixante ans. En 1905, à leur demande, il ouvrit dans sa résidence une école de français qui prospéra jusqu'à la révolution de 1911.
En 1913, rappelé à Chongqing [Chungking], il devint aumônier de l'Ecole des Frères. En 1914, en raison de la guerre, et par interim, il géra le consulat de France, à Chongqing [Chungking], pendant l'absence de son titulaire mobilisé. Au retour de ce dernier, M. Décomps fut chargé de l'aumônerie des Sœurs Franciscaines et de l'hôpital. En 1922, il reçut les palmes d'Officier d'Académie. Le mardi 24 avril 1923, il fêta ses noces d'or sacerdotales.
Pendant les cinq dernières années de sa vie, sa santé s'altéra peu à peu. Le samedi 26 septembre 1925, il demanda à recevoir les derniers sacrements. Le lendemain, à six heures du soir, à l'hôpital catholique, en présence de plusieurs confrères et des Sœurs Franciscaines, paisiblement et avec toute sa connaissance, il rendit son âme à Dieu.
Les obsèques eurent lieu le mercredi 30 septembre 1925, à la chapelle de l'hôpital. Puis sa dépouille mortelle fut conduite au cimetière des missionnaires à Chongqing [Chungking].
Nécrologie
M. DÉCOMPS
MISSIONNAIRE DE TCHONGKING
M. DÉCOMPS (Bernard-Herménégilde), né à Montirat (Alby, Tarn), le 24 décembre 1848. Entré laïque au Séminaire des Missions-Étrangères le 5 juillet 1869. Prêtre le 7 juin 1873. Parti pour le Setchoan Oriental le 16 juillet 1873. Mort à Tchongking, le 27 septembre 1925.
Bernard Herménégilde Décomps naquit le 24 décembre 1848 à La Guenillé, petit hameau de la paroisse de Montirat, devenue aujourd’hui canton de Saint-Christophe, dans le diocèse d’Albi. Ses parents possédaient quelques terres et un moulin où les gens du pays venaient moudre leur grain. Son père dirigeait lui-même l’exploitation ; c’était un bon chrétien et un brave homme, aimé de ses concitoyens, à l’encontre du dicton populaire qui range les meuniers dans une catégorie à part. Il se piquait d’une vague et lointaine parenté avec les Cavaignac, famille célèbre dans les annales de la République ; aussi voulut-il que son premier-né fût tenu sur les fonts baptismaux par le maire de la commune. La Révolution de 1848 venait d’avoir lieu : « Et surtout, dit le magistrat au curé, fais-en un bon républicain et un bon chrétien. »
La mère de Bernard, tante des deux frères Boussac — l’un missionnaire à Canton, l’autre curé dans le diocèse — était une sainte femme qui inculqua à son enfant les principes qui la dirigeaient elle-même : une foi vive, une piété sincère, la crainte de Dieu. Un grand deuil vint la frapper de bonne heure : le chef de famille succomba prématurément à une maladie de cœur. Pour continuer l’exploitation de ses biens et du moulin, elle dut se remarier.
Le nouveau père, traita le petit Bernard comme son propre fils. Comme celui-ci, doué d’une intelligence ouverte, montrait des dispositions pour l’état ecclésiastique, il l’envoya faire ses études au petit Séminaire de Lavaur. Les palmarès de l’époque ont été perdus ; mais on peut conjecturer que l’élève remporta des succès.
Ses humanités terminées, le jeune Décomps alla frapper à la porte du Séminaire des Missions-Étrangères. Lui-même racontait que, dès son enfance, il rêvait « des îles » ; mais il est permis de croire que l’exemple et les lettres de son cousin, Jean-Gervais Boussac, qui devait partir en 1868 pour le Kouangtong, ne furent pas étrangers à sa détermination.
Survint la guerre de 1870. Plusieurs aspirants restèrent à Paris pen¬dant le Siège et la Commune. Pour M. Décomps, qui n’eut jamais rien de bien guerrier, il fut renvoyé dans sa famille. Comme il était de complexion assez faible, il profita de ces vacances pour aller « prendre les eaux » dans les Pyrénées. Plus tard, il sera intarissable quand il entamera ce sujet des excursions dans les Pyrénées et des incidents plus amusants les uns que les autres qu’il y rencontra.
Revenu à la rue du Bac, après la tourmente, il reçut la prêtrise le 7 juin 1873 et un mois après, s’embarqua pour le Setchoan Oriental. Il ne devait plus revoir la France. Il eut pour compagnon de voyage M. Roland, de Besançon, destiné à la même Mission et qui allait mourir prématurément, deux ans après, en 1875, à Lytoupa . A cette époque déjà lointaine, les vapeurs en remontaient le fleuve Bleu que jusqu’à Hankeou. Là les jeunes missionnaires eurent à s’embarquer sur une jonque fort lente et incommode ; ils finirent par arriver indemnes à Tchongking, terme de leur voyage, le 22 novembre 1873.
La pénurie des ouvriers apostoliques se faisait vivement sentir dans la Mission du Setchoan Oriental ; trois missionnaires, MM. Mabillaud, Rigault, Hue et un prêtre indigène venaient d’être massacrés dans la région de Yeouyang : aussi, Mgr Desflèches qui en ce moment gouvernait la Mission, reçut-il à bras ouverts les deux jeunes recrues. Mais remarquant les traits pâles et l’extrême maigreur de M. Décomps, il lui fit prendre une consultation auprès d’un médecin anglais qui, à cette époque, se trouvait dans ces parages. L’esculape ausculta le nouveau venu et lui trouva « une grave maladie de cœur et la poitrine faible ». Tout en lui indiquant quelques mesures de prudence, il lui prédit qu’il ne ferait pas « long feu » en Mission. Deux autres confrères, dont M. Roland aux larges épaules et à la mine florissante, assistaient à la consultation ; depuis longtemps ils ont été ravis par la mort et couchés dans la tombe, tandis que notre valétudinaire, condamné par la Faculté, fournira une carrière de plus d’un demi-siècle. O infaillibilité de la Science !
Cependant, à cause de sa frêle santé et de sa « grave » maladie de cœur, M. Décomps fut toute sa vie obligé à de continuels ménagements. « Qui veut aller loin, ménage sa monture », dira-t-il souvent à ses vicaires. Il dut forcément s’interdire les chevauchées si chères aux jeunes missionnaires et les émotions violentes ; même le palanquin ne lui disait rien qui vaille, à cause des chutes auxquelles l’on est exposé. Disons que chez lui, le physique influant sur le moral, il fut nécessairement ami de la paix et de la tranquillité.
Qu’on nous pardonne ces détails que d’aucuns peut-être jugeront quelque peu déplacés. Ce n’est pas notre avis ; une notice nécrologique n’est pas un panégyrique, et si parfois le petit côté humain d’un missionnaire ressort dans toute sa belle simplicité, cela rend évidente une vérité que voile un préjugé assez tenace et dont l’oubli peut tarir des vocations à leur source : Dans nos missions — nos vieillies missions surtout où la vie chrétienne est déjà si intense — on peut être un excellent apôtre du bon Dieu, même si l’on n’a pas le tempérament ou l’allure d’un « chevalier ».
M. Décomps dut se résigner à être un de ces héros obscurs qui se confinent dans l’accomplissement journalier du travail sans gloire, de la tâche où il ne faut que de la conscience, de la ponctualité et un soin méticuleux du devoir. Sa longue carrière s’écoulera sans bruit, dans le silence et la pratique des vertus sacerdotales.
Mgr Desflèches l’envoya à Hopaotchang, chez de vieux chrétiens, s’initier au langage, us et coutumes du pays. On prétend que les « artistes en musique » apprennent très facilement le chinois ; il faut en effet une grande finesse d’oreille pour percevoir et distinguer les différences des tons et des aspirations qui font de cette langue, une langue très harmonieuse mais difficile à prononcer pour les étrangers. M. Décomps n’était pas musicien ; il avait bien pris, à Lavaur, des leçons spéciales de solfège, « mais, disait-il, en pure perte ». Il ne fut jamais fort sinologue, cependant, comme, il possédait une belle intelligence et de la mémoire, il arriva à parler assez correctement pour se faire comprendre.
Dès lors, l’évêque le donna comme vicaire à M. Blettery. Ce sage Mentor, qui a laissé dans cette Mission un souvenir impérissable de sainteté et qui devait, en 1884, refuser l’épiscopat à cause de sa vieillesse, était la condescendance, la bonté, la mansuétude personnifiées. La chronique a retenu de ces temps lointains un épisode qu’on nous permettra de relater ici pour la récréation des « broussards ».
Or donc, notre vicaire — on l’a dit — était maigre et décharné ; mais il avait bon estomac, un estomac d’autruche, qui aurait digéré des clous. C’est d’ailleurs ce qui le sauva et lui assura longue vie. Le curé, saint homme, tout mortifié, suivait un régime de chartreux ; une patate douce suffisait, paraît-il, pour son dîner et son souper. Le vicaire ne démaigrissait pas ; son estomac criait famine. Un jour, n’y tenant plus, il réclame à son curé quelque chose de plus substantiel, un bon bouillon, par exemple. On était en carême et en ce temps le nouveau Codex n’avait pas encore été promulgué.. — « Y pensez-vous ? Un bouillon gras ? Que diront les chrétiens ? » — Cependant le bon curé, se rappelant que nécessité ne connaît pas de loi, donne ordre à son « maître d’hôtel » d’acheter des os chez le boucher, mais rien que des os bien propres et de préparer avec cela un bouillon pour le vicaire. Ce jour-là il y eut des os dans la marmite et le vicaire eut son bouillon... gras, oh ! combien !
Or, ajoute la chronique, les plaintes continuèrent ; la soupe était trouvée lamentablement maigre... pas la moindre trace de graisse... pas même le brouet des Spartiates ! Le curé devint perplexe. Il avait sans doute lu, dans les Fioretti, l’histoire de la fameuse soupe du Frère Junipère : de nouveau, il appelle son cuisinier et lui ordonne, fermement mais sans se fâcher, — il ne se fâchait jamais — de faire une soupe avec de la graisse, mais rien qu’avec de la graisse... Midi, à table, le vicaire voit poser devant lui une imposante écuelle de soupe, remplie jusqu’au bord ; il l’expédie sans broncher. « — Eh bien, fait le curé, la face épanouie, y a-t-il assez de graisse cette, fois ? — Oh ! lui fut-il répondu d’un air désintéressé, on aurait pu en mettre davan¬tage. »
En 1876, l’évêque jugeant que notre confrère pouvait voler de ses propres ailes, le nomma titulaire du district de Tonghiang. Pas très commodes les gens de ce pays ! Ventres pigri... semper mendaces... Ils firent la vie dure à leur curé, sans compter que le district très vaste et montagneux en rendait l’administration difficile et fatigante. Pour comble de malheur, l’année 1877 fut marquée par une terrible famine. M. Décomps parlera toujours avec épouvante des misères dont il fut témoin. Les chrétiens le récompensèrent mal de son dévouement et de ses aumônes : ils lui suscitèrent mille tracas, se mirent en grève et s’abstinrent de venir à la messe. Le cœur débordait d’amertume, car il avait une nature extrêmement sensible, il demanda à partir de ces rives inhospitalières.
Il fut envoyé alors (1880) au district de Uintchouan. Là il fut heureux. Les chrétiens, presque tous de vieille souche, y sont pleins de prévenances pour leur pasteur ; ils observent bien les commandements de Dieu : ils ont fourni à l’Église plusieurs prêtres bien zélés. M. Décomps resta là douze années, remplissant tous les devoirs d’un pasteur vigilant, prêchant, catéchisant et s’occupant activement des écoles. Il établit l’usage des premières communions solennelles et s’employa à promouvoir l’Apostolat de la prière. Ses voisins de district étaient M. Pons, son grand ami, et M. Zeller. Touts les trois s’entendaient à merveille et ils établirent des réunions « à roulement » où ils se délassaient mutuellement des fatigues de l’apostolat.
Vers Pâques de 1892. Mgr Chouvellon le retira de Uintchouan et l’envoya s’occuper de Tatsiou. Or ce district venait de subir coup sur coup deux persécutions : par deux fois les oratoires avaient été brûlés et une vingtaine de chrétiens massacrés ; l’excitation des païens ne se calmait pas, et l’on pouvait s’attendre à de nouveaux troubles. M. Décomps, nous l’avons dit, n’aimait pas les tempêtes ; il ne possédait ni le sang-froid ni l’intrépidité nécessaires ; quatre mois après son arrivée, il demandait grâce.
L’évêque l’envoya à Sutin, où lui-même avait travaillé durant douze années avant son élévation à l’épiscopat. Sutin se range parmi les pre¬miers postes de la Mission. Le christianisme y fut introduit vers la fin du XVIIIe siècle. En 1815, un prêtre indigène, Benoît Sen, y confessa la foi et mourut en prison ; son tombeau existe encore, orné d’une belle stèle, à quelques distances de la ville. Il y a des stations de chrétiens dans la campagne, mais le principal noyau est groupé aux environs de l’oratoire.
Le rôle de M. Décomps à Sutin sera de diriger ces bonnes gens dans les voies de la perfection, et à entretenir les œuvres déjà existantes, Sainte-Enfance, écoles, pharmacie. Ce travail facile lui plaisait ; il n’avait pas son pareil pour entendre les confessions : à tous les premiers vendredis du mois, à toutes les fêtes, les chrétiens venaient en foule se régénérer au Saint Tribunal. Malgré ses infirmités, il passait des journées entières au confessionnal et il se croyait amplement récompensé lorsque le matin il passait et repassait devant la Sainte Table, distribuant la Communion à ses fidèles.
Homme d’Eglise dans l’âme, sa grande joie, sa passion, pourrait-on dire, était de présider à l’autel les différentes cérémonies du culte : il ne pensait jamais à inviter ses vicaires ou ses hôtes à le remplacer. Au reste, sa tenue à l’autel respirait la dignité et un grand respect pour la Sainte Eucharistie.
Cette piété qui paressait si manifestement à l’autel était également éloignée du rigorisme des anciens et du mysticisme nouveau des modernes ; elle suivait tout bonnement le chemin battu par le commun des chrétiens, le chemin de saint François de Sales ; elle se réduisait en trois points : observation des Commandements de Dieu et de l’Eglise, amour envers la Sainte Eucharistie, confiance filiale en la Sainte Vierge ; il ne voulut qu’une seule confrérie : le Rosaire. Il s’en tint là et pour lui et pour ses fidèles.
Ses vicaires travaillaient à l’extérieur et visitaient les stations éloignées. Pour lui, une fois son service achevé, il utilisait ses loisirs à lire les orateurs sacrés, l’histoire ecclésiastique, la vie des saints ; en conversation il discourait pertinemment sur tous les sujets ; on ne s’ennuyait pas en sa compagnie.
Il entretenait des relations cordiales avec les autorités. A l’automne, quand son jardin était en fleurs, il invitait les mandarins et les principaux chefs de la ville et les retenait à dîner. En 1905, sur la demande de quelques païens influents, il ouvrit dans sa résidence une école de français qui prospéra jusqu’à la révolution de 1911.
Avec les nouveaux confrères que Monseigneur lui donna à former, sa longanimité fut plus d’une fois mise à l’épreuve : on est si ardent quand on arrive de France ! Mais il avait une formule-recette pour la paix et la concorde dans la vie de communauté : « En Chine, disait-il, il faut arrondir les angles. » On se mit donc à arrondir les « angles », et beaucoup disparurent dans le frottement, il faut le croire, car curé et vicaires restèrent toujours d’accord.
Les chrétiens de Sutin n’étaient pas tous fortunés. Une clientèle, invariablement la même, rôdait souvent autour de la chambre du curé, attendant la manne qui les faisait vivre. M. Décomps, accablé d’œuvres, élevait bien la voix pour la forme, mais jamais il ne renvoyait quelqu’un les mains vides. En 1904, il connut de nouveau les horreurs de la famine ; les morts et les mourants encombraient les rues de la ville et les routes de la campagne ; avec tristesse il se vit impuissant à sauver tant de monde et à grand’peine il arriva à faire vivre ses œuvres.
Les années s’accumulaient ; en 1908, ses fidèles, qui le respectaient et l’aimaient pour sa dignité de vie, voulurent fêter sa soixantaine ; plusieurs confrères et les mandarins prirent part à la fête. Instabilité des choses humaines ! trois ans après, la révolution balayait ces mêmes mandarins si fiers et si arrogants, et plongeait les missionnaires dans de graves embarras. Quand se produisit la tempête, M. Décomps, aidé de M. Giraux comme architecte, élevait une belle église sur l’emplacement de l’ancienne. Il passa des moments bien critiques ; on pouvait tout craindre au milieu du désarroi général. Pour soustraire aux pillages éventuels l’argent des bâtisses, il le jeta, dit-on, dans son puits ; l’alerte passée il le retrouva intact. Presque en même temps, le clocher bâti avec trop de hâte, s’écroula en partie sur l’église ; il fallut recommencer les travaux. Ces soucis secouèrent sa frêle constitution ; ses yeux s’altérèrent et il fut menacé de perdre la vue. Une fois rétabli, il demanda un auxiliaire. Il aurait désiré finir sa carrière à Sutin et dormir son dernier sommeil à côté du Confesseur de la foi, Benoît Sen et du tombeau du Bienheureux Thaddée Lieou. Mais il pouvait encore se rendre utile ; son évêque l’appela, en 1913, à Tchongking. Ce ne fut pas sans une grande émotion qu’il quitta Sutin : il est dur de changer ses habitudes et, à soixante ans, de commencer un autre genre de vie.
A Tchongking, il resta quelques mois aumônier de l’Ecole des Frères. A la déclaration de guerre de 1914, M. le Consul Baudez, atteint par la mobilisation l’invita à gérer le Consulat de France pendant son absence. Il remplit à merveille cette délicate fonction et mérita bien de la République. « Fais-en un bon républicain et un bon chrétien », le Maire de Montirat, son parrain, qui avait fait cette recommandation au Curé qui lui conférait le baptême en 1848, n’avait certainement pas prévu pour son filleul des destinées si glorieuses.
Au retour de M. Baudez, notre consul intérimaire rentra dans le rang et reçut la charge plus modeste d’aumônier des Sœurs Franciscaines et de l’hôpital. Jovial jusqu’à la fin, il appelait ces fonctions un « métier de gagne-petit ». Cependant les chrétiens des environs avec le personnel de l’hôpital formaient une petite paroisse très intéressante.
Pendant les cinq dernières années de sa vie, sa santé s’altéra pro¬gressivement ; il se fractura un bras dans une chute malheureuse, puis vint une attaque d’apoplexie ; il guérit de ces deux graves accidents, grâce à la science des docteurs et aux bons soins des Sœurs. Les insomnies et les cauchemars qui le minaient depuis longtemps, s’accentuèrent et rendirent tout repos impossible ; l’appétit disparut ; son estomac, dont la robustesse était notoire et quelque peu célèbre, ne put plus supporter de nourriture.
1923 lui apporta la joie de ses noces d’or sacerdotales ; confrères et chrétiens le fêtèrent de leur mieux. Depuis ce beau jour, prélude des triomphes de l’éternelle Patrie, il traînera encore deux ans une vie ¬languissante.
La mort ne le surprit pas. Deux jours avant de s’éteindre, il disait : « La mort ne me surprendra pas ; voilà cinq ans que je la vois venir ; elle ne m’effraie pas non plus, car je compte sur les miséricordes de Dieu. » Il mourut les armes à la main, comme un vrai soldat du Christ. Huit jours seulement avant la fin, il quitta son service ; mais chaque matin il descendait à la chapelle assister à la Messe et recevoir la Sainte Communion.
Le samedi 26 septembre, il demanda et reçut l’Extrême-Onction, malgré une amélioration sensible et rassurante de son état ; il pressen¬tait le dénouement. Le lendemain, à six heures du soir, en présence de plusieurs confrères et des Sœurs Franciscaines, sans secousse, paisible-ment et — rare privilège — avec toute sa connaissance, il rendit son âme à son Créateur.
Les obsèques eurent lieu le mercredi 30 septembre. Après la messe de Requiem chantée à la chapelle de l’hôpital, les confrères réunis au complet pour la retraite, la colonie française et de nombreux chrétiens l’accompagnèrent au cimetière des missionnaires.
Beati qui in Domino morientur.
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Références
[1169] DÉCOMPS Bernard (1848-1925)
Références bibliographiques
AME 1910 p. 265. 267. 271. 313. 314. 320. 1922 p. 154. 1926-27 p. 39. 40. CR 1874 p. 47. 1883 p. 60. 1884 p. 52. 1885 p. 48. 1887 p. 75. 1888 p. 244. 1892 p. 352. 1896 p. 112. 1901 p. 94. 1904 p. 99. 1905 p. 64. 1906 p. 79. 1908 p. 83. 1909 p. 92. 1910 p. 87. 1911 p. 79. 1912 p. 98. 1913 p. 111. 112. 1924 p. 169. 216. 1925 p. 184. BME 1922 p. 172. 1923 p. 383. photo p. 33. 1925 p. 717. 1926 p. 495. EC1 N° 9. 97.