Zéphyrin MAURY1859 - 1893
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 1573
Identité
Naissance
Décès
Missions
- Pays :
- Japon
- Région missionnaire :
- 1884 - 1891 (Tokyo)
- 1891 - 1893 (Hakodate)
Biographie
[1573]. MAURY, Zéphyrin-Pierre-Marie, neveu du précédent, né à Rivière (Aveyron) le 24 mars 1859, fit ses études au petit séminaire de Belmont, et entra laïque au Séminaire des M.-E. le 8 septembre 1879. Ordonné prêtre le 22 septembre 1883, il partit le 21 novembre suivant pour le Japon septentrional. Il débuta à Tôkiô et passa ensuite à Sendaï, où il réussit à convertir plusieurs centaines de païens et un certain nombre d'hérétiques et de schismatiques ; il fit construire une vaste école primaire, ainsi qu'une école supérieure pour les filles. Il publia en japonais plusieurs écrits dont le plus remarqué fut une brochure intitulée : L'Eglise orthodoxe n'est point orthodoxe.
En 1891, il travaillait à Hakodaté au moment de la création de ce diocèse dont il fit partie. Il tomba malade en 1892, et vint en France en juillet 1893 ; le 11 novembre suivant, il mourut à Paris, chez les Frères de Saint-Jean-de-Dieu, et fut enterré au cimetière Montparnasse.
Nécrologie
M. MAURY
MISSIONNAIRE APOSTOLIQUE DE HAKODATÉ
Né le 24 mars 1859.
Parti le 21 novembre 1883.
Mort le 11 novembre 1893.
« Zéphirin Maury naquit à Rivière-de-Peyreleau (diocèse de Rodez). Ce petit bourg de près « de 700 habitants est coquettement assis sur la rive gauche du Tarn, aux pieds du Causse « noir. La beauté du site mille et mille fois décrit depuis que les touristes, avides d’émo¬tions, « ont fait connaître au monde entier l’existence de ce petit coin de terre comparable aux « stations les plus renommées de la Suisse, la beauté du site, dis-je, donna-t-elle à notre futur « apôtre une âme plus particulièrement poétique ? C’est probable ; car plusieurs fois, au cours « de ses humanités, Zéphirin fit preuve d’une richesse de poésié très remarquable.
« Au sein de sa famille, chrétienne avant tout, le jeune enfant puisa des sentiments de piété « et de vertu qui s’enracinèrent profondément dans son âme. C’est là aussi que prit naissance « son désir de se vouer à l’œuvre de l’apostolat. Un frère de son père, M. Maury, mort « directeur du Séminaire des Missions-Étrangères, évangélisait alors la Mission du Mayssour. « Les lettres de l’oncle lues le soir autour du foyer enflammaient le cœur généreux du jeune « enfant. »
« Ainsi grandit notre cher ami comme une plante rare qu’on pré¬serve de toute tache « poussiéreuse ; son âme gardée par les exemples et les enseignements de la famille se « développa semblable au lys de la vallée, douce et belle, poétique et pieuse.
« Se reportant à ses premières années, Zéphirin écrira un jour:
O toi doux souvenir, viens redire à mon cœur
Ces plaisirs innocents de l’innocent bonheur.
Redis-moi mon pays, ce vallon de Rivière,
Où mon âme exhala sa première prière,
Redis-moi la maison où je reçus le jour,
Où j’ai grandi sous l’œil du maternel amour...
Mais redis-moi surtout cette Maison de Dieu
Où dès mes jeunes ans, disciple du saint lieu
J’étais fier de servir au très saint sacrifice.
« Vint le moment de quitter le toit paternel ; car tout jeune encore notre futur apôtre avait « demandé à s’instruire dans une maison reli¬gieuse. Ne voulant pas contrarier un désir si « légitime, ses parents ne se préoccupèrent que d’une chose : trouver une maison où l’âme de « leur enfant fût à l’abri de tout danger ; en même temps que son esprit s’embellirait à la « lumière de toutes les sciences.
« L’embarras ne fut pas long. Il existe dans notre cher Rouergue, dans « cette Bretagne du « Midi », comme l’a appelé un jour le pape Pie IX, « dans cette tribu de Lévi », comme on « l’appelle encore, il existe une maison d’éducation ayant un siècle d’existence et d’où sont « sorties plusieurs générations de prêtres et d’apôtres : j’ai nommé Belmont. Il n’est pas un « élève de ce séminaire qui n’en ait gardé un souvenir délicieux, embaumé.
« C’est là que fut envoyé, à la fin de « l’année terrible », le petit Maury. Il passa 8 ans dans « cette maison bénie et il y fut toujours remarqué par sa douce piété et son bon caractère. Il « était pieux ; il le sera jusqu’au dernier jour de sa trop courte vie. Tous les dimanches on le « voyait s’asseoir à la table eucharistique, et jamais il ne sortit de sa bouche un mot qui pût « faire douter de sa vertu.
« Zéphirin aimait Marie, sa bonne Mère du Ciel ; il l’invoquait souvent et il se fit recevoir « de la Congrégation de la très sainte Vierge, qui se composait de l’élite des élèves.
« Son caractère heureux lui attachait tous les cœurs . Gai, voire même un peu folâtre, il se « liait avec tous ses condisciples et leur rendait service quand il en trouvait l’occasion. Sans « s’en douter ou du moins, sans le laisser paraître, il prit vite sur eux un certain ascendant, et « plus d’une fois son avis prévalut dans leurs petites discusions.
« Il fut toujours laborieux et nulle branche de l’enseignement ne le laissa indifférent. « D’une force intellectuelle égale en toutes choses, il parut cependant avoir un véritable talent « pour la poésie. Il ne fut jamais, il est vrai, à la tête de sa classe, mais il y occupa toujours un « bon rang.
« Ainsi se passèrent ses huit années d’études, huit années de doux souvenir pour ceux qui « l’ont connu. Je dois encore ajouter que l’ensemble de ses qualités lui avait fait confier la « charge d’aumô¬nier des pauvres.
« Arriva la rhétorique ; c’est l’heure critique et décisive pour les étudiants ; c’est l’heure « d’orienter sa vie et de choisir une carrière. A Belmont, la majorité se dirige vers le Grand « Séminaire et il est d’usage qu’au dernier jour, après le Te Deum chanté à la chapelle, les « élèves qui vont quitter la maison se réunissent une dernière fois pour se faire part de leurs « projets. Ainsi fut-il fait en l’année 1879. Nous étions là 27 ; la joie était sur tous les visages, « mais bientôt un nuage assombrit les fronts. Maury nous déclare qu’il n’ira pas au séminaire « de Rodez et qu’il va aux Missions-Étrangères de Paris.Un autre, le Père Solassol, mort « depuis au Tanganika, nous annonce qu’il part pour les Missions d’Afrique.
« On s’aimait trop pour ne pas être affligé de la séparation ; mais on était heureux tout de « même de pouvoir se dire l’ami de tels apôtres et on se sentait pénétré d’admiration pour les « deux braves.
« A partir de ce moment, on a vu tous les ans plusieurs rhétoriciens quitter Belmont pour « la rue du Bac, sans passer par le grand séminaire de Rodez. C’est donc à M. Maury qu’on « doit faire remonter cette heureuse tradition : il était digne de l’établir.
« Comme il se disposait à entrer au Séminaire des Missions-Étrangères, il voulut aller à « Lourdes pour y consacrer à la sainte Vierge les prémices de sa vocation. Il partit en « compagnie de deux de ses camarades ; l’un — dont je tairai ici le nom — est actuellement « en mission. Arrivés à Lourdes, et après avoir fait leurs dévotions, à l’église et à la grotte, les « trois pèlerins tinrent conseil pour décider ce qu’il serait expédient de faire ensuite. L’argent « du voyage de retour mis de côté, il ne leur restait à eux trois qu’une cinquantaine de sous : « aller à l’hôtel, il ne fallait pas y songer ; s’en retourner de suite, semblait peu honorable, « d’autant plus qu’un pèlerinage était annoncé. Ils convinrent donc de demeurer à Lourdes au « moins trois jours ; restait à savoir comment on allait y vivre.
« Après maintes réflexions, il fut entendu qu’on achèterait du pain et des pommes ; l’eau « de la grotte remplacerait le vin, et quant au gîte, les bancs disposés dans l’allée qui borde le « Gave serviraient de couchettes avec les grands arbres pour ciel de lit. Ainsi fut fait ; et « pendant trois jours on put voir les trois jeunes gens s’employant à transporter les malades à « la piscine ou priant aux pieds de la Vierge pour leur guérison, n’interrompant leurs pieux « exercices que pour prendre, comme à la dérobée, leurs modestes repas. Les trois jours « écoulés (je ne sais s’il leur restait même un sou), ils reprirent le train, le corps un peu « affaibli par ce régime sévère, auquel ils s’étaient astreints, mais l’âme singulièrement « réconfortée par les grâces que la bonne Vierge leur avait obtenues.
« Il quitta ses parents le 4 septembre de la même année.
« Le 4 septembre 1879, au matin, je m’arrache aux embrassements de toute ma famille, et « je pars pour Paris, le cœur gros, mais content d’aller où le Seigneur m’appelle. J’arrive au « Séminaire des Missions-Étrangères le 8 septembre au soir. Nativité de la sainte « Vierge. » « (Son cahier de notes.)
« Dans ce milieu où les Aspirants rivalisent de piété, d’application à l’étude et d’entrain « apostolique, M. Maury ne dut pas rester en arrière sur les autres, et il fut toujours rangé « parmi les « bons sur toute la ligne ». Fallait-il rire et amuser les confrères : il avait une « histoire à raconter. Fallait-il courir à travers bois à Notre-Dame des Aspirants pour redire à « Marie un cantique du cœur, il marchait joyeux et alerte. Une question ardue et épineuse se « présentait-elle à résoudre, il parlait avec feu et lucidité.
« Une chose qui frappait ses amis intimes à cette époque, c’était la soif qu’il avait du « sacrifice. Malgré les avis fraternels qu’il recevait, il tenait à s’imposer des mortifications « pénibles.
« Avide du salut des âmes, il préludait à son apostolat en offrant à Dieu des immolations « volontaires. Dans cet esprit il brigua et obtint la charge de « ministre » (tous les aspirants me « comprennent) ; il demanda en outre la permission de rester à Paris pour soigner les malades « pendant une épidémie de petite vérole, tandis que le gros de la communauté était envoyé à « Meudon. En un mot, l’âme de M. Maury s’enrichit pendant son noviciat de toutes les grâces « qui devaient en faire un saint et généreux missionnaire. A la fin de 1883, il fut appelé par « ses supérieurs à l’honneur d’aller évangéliser le Japon (1). »
Il trouva parmi les Directeurs son digne oncle, M. Maury, qui l’accueillit avec une affection toute paternelle. Pendant le séjour de son neveu au séminaire, le vénérable Directeur s’appliqua, dans le secret de l’intimité, à le former à la vie apostolique. Et quand sonna le moment douloureux de la séparation, il résuma les précieux con¬seils qu’il lui avait donnés, pendant quatre ans, dans la formule bien connue : Ne rien demander, ne rien refuser.
Dès le séminaire, Zéphirin se montra docile aux sages avis de son oncle. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil sur un petit cahier de notes, dans lequel se reflètent les nobles aspirations du futur missionnaire. On y trouve des sentences morales et philosophiques tirées des auteurs chrétiens et profanes, des traits édifiants de la Vie des Saints, des paroles héroiques de nos martyrs, des cita¬tions d’entretiens ou d’instructions de Retraite, et voire même, quelques petites pièces de vers, où brille encore plus que la poésie, l’âme tendre et élevée du jeune aspirant. Une de ses plus charmantes compositions, adressée à sa sœur religieuse, a eu les honneurs de la reproduction dans l’ouvrage Martyrs et poètes.
Destiné à la Mission du Japon septentrional, il arriva à Tokyo en janvier 1884. Il comprit vite que pour faire quelque bien il lui était nécessaire de se japoniser. Aussi avec quelle ardeur et quel succès l’avons-nous vu s’appliquer à l’étude de la langue ! Doué d’une heureuse mémoire, d’un organe souple, d’une facilité d’élocution plus qu’ordinaire, il parvint à s’exprimer en japonais avec une aisance qui faisait l’admiration de tous. Japonais par le cœur , par le nom, et un peu par la physionomie, avec cela d’un caractère liant, ouvert et plein d’entrain, d’une humeur que son enjouement faisait paraître égale, il sut conquérir tous les cœurs, et à Tokyo où il débuta, et à Sendai où il passa la plus grande partie de sa vie de mission.
A Sendai, il eut le bonheur de baptiser plusieurs centaines de païens et de convertir un bon nombre d’hérétiques et de schis¬matiques.
(1) Nous devons les détails qui précèdent, à la plume d’un des meilleurs amis de M. Maury, à Belmont.
En commençant, il eut à lutter contre l’esprit de clan, qui est un vieux reste, et encore bien enraciné, de la féodalité japonaise. Tout bon vassal doit être tellement attaché à son seigneur, que si celui-ci vient à périr, il doit être disposé à s’ouvrir le ventre avec un poignard pour le suivre au-delà de la vie. Ce sentiment de fidélité excessive trouve encore un écho, affaibli il est vrai, dans la religion, et parmi les chrétiens peu instruits, on en rencontre qui croient faire acte de fidélité en se suicidant moralement lorsque le missionnaire qui les a baptisés, vient à être changé de district. Ils désertent en s’écriant : « Moi je suis disciple de Paul, moi je le suis « d’Apollon ! »
M. Maury connut cette épreuve, mais la plupart de ceux qui lui faisaient opposition, se laissèrent gagner et bientôt il n’y eut qu’un troupeau sous un seul pasteur. Une citation de la lettre de condo¬léance des chrétiens de Sendai aux parents de notre cher défunt, montrera quel souvenir il laisse parmi eux. « Pendant plus de six ans, il accomplit sa tâche parmi nous avec « une bonté et un zèle au-dessus de tout éloge. Ni les chaleurs brûlantes de l’été, ni les frimas « de l’hiver ne parvinrent à ralentir son ardeur un seul instant. Quelle douceur et quelle « patience il mettait dans son enseignement ! Et lorsque parfois, il était obligé de nous faire « entendre des paroles de réprimande, c’était toujours avec une douceur inaltérable. Le Père « possédait une grande science, et il parlait avec élégance notre langue, cependant si difficile « pour les étrangers. De plus, il était orné de toutes les vertus, jointes à un grand zèle pour la « propa¬gation de la Foi. C’est pourquoi son souvenir est et restera parmi nous plus profond « que l’océan et plus élevé que les montagnes. »
Une fois le troupeau rangé sous sa houlette, M. Maury s’appliqua à multiplier ses relations avec l’extérieur, épiant toutes les occasions de gagner des âmes à Jésus-Christ. S’il n’y réussit pas au gré de ses désirs, du moins eut-il la consolation de faire estimer la religion partout où il passa. Des officiers de la garnison, comme aussi plusieurs personnes influentes cultivaient son amitié ; le Préfet de Sendai l’invitait à sa table, et dans ces circonstances, il donnait à notre confrère la préséance sur les autres européens de l’endroit.
Pour étendre l’action de sa prédication, M. Maury publia différents écrits en japonais, entre autres une thèse suivie contre les schisma¬tiques russes à laquelle il donna pour titre : L’Église orthodoxe n’est point orthodoxe. Ses preuves assaisonnées d’esprit gaulois, eurent le mérite de provoquer l’ire des schismatiques ; leur revue répondit par des injures. Mais M. Maury n’était pas homme à se laisser intimider, et ses répliques n’ont pas peu contribué à élargir la brèche ouverte dans la citadelle du schisme.
Notre confrère s’occupa aussi spécialement de l’éducation de la jeunesse. Une petite école avait bien été installée depuis plusieurs années par M. Lemaréchal, mais le local ne répondait pas suffisam¬ment aux besoins de l’œuvre . M. Maury s’ingénia pour trouver des ressources qui lui permissent de parer à cet inconvénient, et la Providence bénit ses efforts en le mettant en relation avec M. Bertin, directeur des constructions navales au Japon. Grâce au concours de ce généreux bienfaiteur des missionnaires, une école spacieuse fut construite sur le terrain de la Mission : ce fut le signal de son déve¬loppement, et elle compte aujourd’hui 135 élèves. Après l’école primaire, il travailla à la fondation d’une école supérieure pour les filles. Mgr Osouf fit des démarches auprès de la communauté des Sœurs de Saint-Paul de Chartres et la création d’un établissement à Sendai fut décidée. Un beau terrain fut trouvé par M. Maury ; la construction de l’école se fit sous sa surveillance et les travaux furent menés à bonne fin.
Au commencement de 1892, à l’époque même où notre confrère se préparait à recevoir les religieuses et négociait l’autorisation néces¬saire pour ouvrir leur établissement, la maladie l’obligea à s’aliter. Mais dans son désir de se donner tout entier à la nouvelle entreprise, il ne voulut pas croire à la gravité de son mal ; pour le décider à en¬treprendre le voyage de Hong-kong, on dut lui rappeler la devise recommandée par son oncle : « Ne rien demander, ne rien refuser ». Le sacrifice était dur ; il partit quand même et se livra aux médecins.
Malade à Béthanie, sa bonne humeur ne se démentit pas. Qu’on en juge par ce témoignage de M. Gaztelu qui faisait alors l’intérim du sanatorium : « En nous envoyant M. Maury, vous « nous avez procuré un excellent infirmier. Sa présence a mis de la gaieté dans la maison, et la « gaieté est le meilleur des remèdes pour toutes les maladies. »
Après bien des alternatives, la maladie resta rebelle aux soins et aux traitements. Une circulaire portant la date du 9 novembre 1892, un an avant sa mort, fut adressée aux missionnaires du diocèse de Hakodaté pour demander leur avis au sujet d’un voyage en France. « Le règlement de la Société, y est-il dit, exige bien que nul congé de retour ne soit accordé à un missionnaire que sur sa demande, mais j’espère que notre cher malade surmontera la répugnance que lui inspire la pensée d’un retour en France, si les confrères sont una¬nimes à le lui conseiller pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. » Les missionnaires consultés votèrent en ce sens, mais l’intéressé fit des objections et ne partit pas ; c’était son droit. Il passa l’hiver 1892-1893 à Tokyo pour y recevoir les soins d’un habile médecin allemand, professeur à la Faculté impériale. Par le beau temps, notre malade se disait mieux, il eut même plusieurs fois l’illusion — et une illusion opiniâtre — de la guérison. Mais après une ou plusieurs semaines, les chutes et les rechutes se multipliaient et le niveau de la santé baissait, quoique insensiblement. Seul le niveau de la joie demeurait fixe, et on le vit bien le 25 décembre 1892, jour où on célébra les noces d’argent de son vénéré compatriote, M. Vigroux. A cette occa¬sion, M. Maury composa un chant pétillant d’esprit pour célébrer son héros, et il l’exécuta lui-même de sa plus belle voix en présence de tous les confrères qui prenaient part à la fête. A le voir, on ne l’eût pas cru malade. Hélas ! il l’était de plus en plus, et le 18 juillet suivant, il dut s’embarquer pour la France.
Il a noté, sur son carnet, les impressions qu’il éprouva le jour même de son départ de Hakodaté :
« Hakodaté, 18 juillet.
« Mon coeur est partagé entre la tristesse et la joie. Quitter le Japon que j’aime tant, et les « chrétiens qui me sont si chers ! Douloureuse séparation... les enfants pleurent ; je ne puis « rien dire, tant mon cœur est serré. La seule joie que j’éprouve, c’est de penser au bonheur « qu’auront mon père, ma mère, mon frère, ma sœur , ma belle-soeur, de me revoir encore une « fois sur la terre. Je pense aussi à mes petites nièces que je ne connais pas et qui ne me « connaissent pas : c’est un petit rayon de soleil au milieu des nuages des adieux.
« A midi, le bateau part. Je jette un dernier coup d’œil sur la ville, sur l’église où le Bon « Maître veille ; je le prie du fond du cœur , lui demandant la grâce d’un prompt retour. »
Avant d’arriver à Aden, il écrivit à la date du 28 août 1893 : « Depuis Singapore, la mer a « été d’une malice inconcevable. Outre les danses et les contre-danses qu’elle nous a « imposées à tous, elle m’a spécialement gratifié d’un rhume de poitrine que le bon docteur « appelle du nom de bronchite et qui résiste à toutes ses injections. Mes entrailles sont bien « plus raisonnables ; elles se font oublier depuis que je suis en voyage... Le médecin dit que ce « n’est pas très grave, et qu’un séjour au pays natal fera disparaître tous mes malaises. La « partie la plus faible, paraît-il, c’est le poumon droit qui n’aurait pas l’élasticité requise. »
Les médecins qui précédemment avaient ausculté notre cher con¬frère, ajoute Mgr Berlioz n’avaient jamais parlé d’une affection des pou¬mons ; c’est le docteur de 1’« Oxus » qui fit le premier cette constatation. Hélas ! c’était bien par les poumons que la mort devait faire son œuvre . A la date du 19 septembre 1892, M. Maury écrivit de Marseille une bonne et longue lettre toujours pleine d’espérances. Mais quelques jours plus tard, un de ces messieurs du Séminaire de Paris m’écrivait : « Le 23 septembre au soir, notre cher malade, que nous avions placé, sur sa demande, chez les Frères de Saint-Jean de Dieu, fut pris de vomissements de sang très violents. Le dimanche, il ne cessa pas d’expectorer de gros caillots de sang noir. Le lundi, vers midi, survint une nouvelle crise ; M. Maury vomit toute une cuvette de sang. Le danger était évident. Je le lui déclarai. Il fit sa confession générale et reçut l’extrême-onction. Je passai toute la nuit auprès de son lit, et, le mardi matin, je lui administrai le saint Viatique. Cependant la blessure du poumon ne se fermait pas, et le pauvre malade crachait toujours du sang. L’hémorragie ne s’arrêta que le mercredi. Depuis lors, M. Maury a eu une très forte fièvre (40º) pendant quatre jours, et après la fièvre est venue la faiblesse : c’est cette faiblesse qui nous inquiète aujourd’hui. Pas de sommeil, pas d’appétit. Notre cher confrère m’a demandé, ce matin, de lui donner la bénédiction apostolique. Je la lui donnerai ce soir. Il dit lui-même que c’en est fait, qu’il va mourir. »
27 octobre : « La patience et la résignation de M. Maury édifient tous ceux qui « l’approchent ; il voudrait mourir, parce que, dit-il, je ne serai plus jamais qu’un propre à « rien. »
Le bulletin de santé du 10 novembre était ainsi conçu : « Aujourd’hui M. Maury est très « mal ; je l’ai vu à midi, il ne pouvait presque plus parler. Je l’ai exhorté à se confesser de « nouveau ; il l’a fait avec bonheur, mais non sans difficulté. Son frère est venu passer « quelques jours avec lui. Sa patience et sa résignation sont toujours les mêmes ; il est prêt à « partir pour le ciel dès que le bon Dieu vou¬dra. »
Le lendemain samedi, 11 novembre, c’était l’annonce de la fatale nouvelle.
« M. Maury vient de mourir. Il s’est éteint sans agonie, ce soir à 3 heures. M. le Supérieur « était allé le voir pendant la récréation de midi ; il avait encore toute sa connaissance. Je me « disposais à lui faire visite moi-même, quand les Frères de Saint-Jean de Dieu m’ont envoyé « chercher ; le malade se trouvait plus mal. Il était trop tard, car l’agonie n’a duré que deux ou « trois minutes, et je ne suis arrivé qu’après la mort. J’avais entendu sa dernière confession « hier à deux heures du soir ; M. Maury n’avait qu’un désir : aller au ciel puis-qu’il ne pouvait « plus retourner en mission. Ses vœux ont été exaucés. »
Nous aimons à croire que Notre-Seigneur a récompensé ce bon serviteur qui avait tout quitté pour le suivre, et qui a dû sacrifier jus¬qu’au désir, tant de fois et si sincèrement exprimé, de mourir dans sa Mission. Du sein de la gloire, puisse-t-il nous conserver les sentiments consignés dans une de ses chères lettres : « Je prie le bon Dieu de changer en « bénédictions toutes les misères et les soucis dont vous êtes abreuvés. Que notre chère petite « Mission, après avoir passé par les épreuves, goûte enfin les joies célestes, pour la gloire de « Dieu et le salut des âmes ! »
A cette notice déjà un peu longue, qu’il nous soit permis d’ajouter quelques détails édifiants sur la maladie de notre regretté confrère, à Saint-Jean de Dieu : ces détails sont fournis par celui qui était plus spécialement chargé de prendre soin de M. Maury.
A son arrivée en France, M. Maury était persuadé qu’il souffrait d’une maladie de foie, comme le lui avaient déclaré, à maintes reprises, les médecins de l’Extrême-Orient. L’avis du docteur de l’Oxus (paquebot des Messageries qui ramenait le missionnaire à Marseille) n’avait fait, pour ainsi dire, aucune impression sur l’esprit de notre cher confrère. Aussi, à peine débarqué, écrivait-il à sa sœur, religieuse de l’Adoration Perpétuelle, au couvent de Saint-Laurent d’Olt : « J’irai tout d’abord me guérir à Paris, mais ce ne sera pas long : un « coup de bistouri suffira pour me débarrasser le foie. »
C’est avec cette persuasion que M. Maury vint à Paris : de fait, il portait sur sa figure les symptômes ordinaires du mal dont il se disait atteint. Il éprouvait en outre une douleur continuelle au côté droit. Il passa deux jours avec nous au Séminaire et n’eut ensuite rien de plus pressé que de se rendre à Saint-Jean de Dieu pour y consulter un spécialiste et se faire opérer au besoin : c’était le 21 sep¬tembre. Le docteur le vit, dès le lendemain, mais demanda huit jours pour se prononcer. M. Maury, toujours pressé de guérir, fut quelque peu surpris de rencontrer cette hésitation chez un médecin de Paris. Il patienta néanmoins, et se mit à écrire des lettres.
Le 23, vers 4 heures de l’après-midi, l’hémoptysie se déclare sou¬dain, et le malade vomit une énorme quantité de sang. Le docteur, appelé en toute hâte, reconnaît de suite la maladie, et la traite d’après toutes les prescriptions de l’art. De leur côté, les Frères de Saint-¬Jean de Dieu font l’impossible pour arrêter le sang, sans y parvenir complètement. C’est alors que le cher malade crut devoir renoncer àla vie et se préparer à la mort. Cette préparation dura 50 jours et ne fut qu’un long martyre. M. le Supérieur étant allé le voir, il lui dit : « Je veux « mourir, parce que je ne suis désormais bon à rien. »
Il pensait à sa Mission et à son Évêque, Mgr Berlioz : « Dites-lui, me recommandait-il, que « si je meurs, ce n’est pas lui qui en est cause, c’est le bon Dieu qui le veut. » Sa grande délicatesse de sentiments lui faisait craindre que son supérieur ne se reprochât d’avoir trop insisté pour le déterminer à revenir en France. « Quelle commission me donnez-vous pour « Mgr Berlioz ? lui demandai-je, la veille de sa mort. « Dites à Monseigneur que je n’ai peut-« être pas été toujours assez obéissant et que je le supplie de me pardonner. »
Il pensait à sa famille :— « J’espérais revoir mes bien-aimés parents... je ne les reverrai pas. Le bon Dieu me demande encore ce sacri¬fice : Eh bien, je suis content ! que je suis content ! ! » — Il me chargea de leur faire ses adieux, et exprima le désir de recevoir une lettre de sa bonne mère. La lettre vint : la voici dans sa touchante simplicité.
« Mon cher fils,
« Je ne puis t’écrire à cause de la faiblesse de ma vue, mais je veux du moins te faire savoir « que je t’aime toujours en Dieu ; que je prie sans cesse pour toi, en immolant ce que mon « cœur a de plus cher. Si je ne te revois pas sur la terre, nous nous retrouverons au ciel, et ce « sera alors sans crainte d’une séparation. Vive Jésus, même quand il nous fait pleurer !
« Ta mère qui t’aime et qui continue de te donner à Dieu.
« ROSALIE MAURY. »
N’est-elle pas tout simplement admirable cette mère d’un mission¬naire mourant, qui puise dans sa foi une telle énergie et de tels accents pour dire à son fils le suprême adieu ?
Il pensait à ses chrétiens le jour et même la nuit. Dans ses rares moments de délire, il s’imaginait parfois faire le catéchisme aux petits enfants japonais ; il appelait successivement Pierre, André, Claire, Caroline, Marguerite, et leur adressait des questions sur la doctrine chrétienne.
Il pensait au Sacré-Cœur ; oh ! comme il l’aimait ! Il disait et redisait avec une onction ineffable : « Divin Cœur de Jésus, donnez-moi pour partage, de vous aimer toujours et « toujours davantage. »
Il pensait à la sainte Vierge : « Elle va venir au-devant de vous, lui dis-je quelques jours « avant sa mort. — Oh ! non, répondit-il, ce n est pas possible, pour un misérable comme moi. « Y songez-vous ? » Et il versait des larmes d’attendrissement.
La statue de Notre-Dame de Lourdes était toujours devant ses yeux, sur une petite table, à côté de son lit. Son chapelet ne le quittait pas ; ne pouvant le réciter, il se contentait de l’égrener. Il mettait son crucifix dans une des poches de son gilet de flanelle et son cha¬pelet dans l’autre, et me disait résolument : « Avec cela, je n’ai pas peur. »
Il pensait au ciel ; il désirait le ciel, répétant très souvent : Cupio dissolvi et esse cum Christo. Mihi vivere Christus est mori lucrum.
On lui annonça un jour, qu’on avait demandé pour lui la bénédic¬tion de Son Éminence le cardinal Bourret : « Encore un retard ! »dit-il, dans un premier mouvement et sans y prendre assez garde.
« A demain, Père, lui dis-je un soir. — « Non, non, reprit-il vivement, dites-moi donc plutôt adieu. »
Une nuit que je veillais dans sa chambre, je l’entendis pousser un gros soupir. Je m’approche aussitôt : « Qu’y a-t-il, cher Père ? — « Les médecins ne veulent pas me laisser « partir ; je ne sais pas ce qu’ils me donnent pour me fortifier. Il y a quelques jours, j’allais « m’en aller, et puis rien... Tout est tombé à l’eau. »
Le matin, je lui dis : « Vous n’êtes pas encore parti ? — Hélas ! non », répondit-il tristement.
Il édifiait tout le monde par sa patience. Cependant, s’étant permis une petite vivacité en ma présence, à l’égard du bon Frère qui le soignait, il s’en humilia immédiatement : « Je suis « devenu bien diffi¬cile ; pardon, mon Dieu ! »
Il ne dormait presque point, et souffrait beaucoup, car son corps était tout écorché, dans les derniers jours de sa vie. Un confrère, ému de compassion à la vue de ses souffrances, ayant laissé échapper cette exclamation : Pauvre Père ! le cher malade l’en reprit : « Allons, ne dites pas pauvre Père, dites heureux Père. »
Son esprit de foi n’était pas moins remarquable que sa patience. Prenait-il quelque chose, une potion ou même une simple pomme cuite, il faisait le signe de la croix avant de le prendre et après l’avoir pris.
Quant à sa délicatesse de conscience, elle allait jusqu’au scrupule, quoiqu’elle restât toujours en deçà. Ne s’est-il pas reproché un jour devant moi d’avoir éprouvé trop de plaisir de la visite que son frère aîné vint lui faire au nom de toute la famille, et à laquelle il ne s’attendait pas.
Il demandait presque chaque jour qu’on lui parlât du bon Dieu, de Notre-Seigneur, de la très sainte Vierge : c’était son oraison, la seule qu’il pût faire. Incapable de réciter son bréviaire et son chapelet, il me priait, de temps en temps, de les réciter à haute voix, auprès de son lit, et il s’unissait à moi d’intention.
Pour tout dire en un mot, le cher malade se prépara à la mort et mourut comme un saint. Je remercie Dieu de la grâce qu’il m’a faite d’être le confident d’une âme aussi belle que celle de notre bien-aimé confrère, M. Zéphirin Maury.
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Références
[1573] MAURY Zéphyrin (1859-1893)
Bibliographie. - Nous n'avons pu nous procurer d'indications bibliographiques sur les opuscules publiés par Z. Maury.
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1889, p. 39 ; 1891, p. 42. - Rev. rel. Rodez et Mende, 1883, Son départ, p. 765 ; 1884, p. 534.
Notice nécrologique. - C.-R., 1894, p. 338.