Paulin ALBOUY1880 - 1954
- Statut : Vicaire apostolique
- Identifiant : 2756
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Identité
Naissance
Décès
Consécration épiscopale
Autres informations
Missions
- Pays :
- Chine
- Région missionnaire :
- 1903 - 1952
Biographie
[2756] Paulin ALBOUY naît le 9 juin 1880 dans le hameau des Tavernes, dans la commune de Carcenac-Peyralès, qui dépend de la paroisse de Camboulazet, diocèse de Rodez (Aveyron). Fils de cultivateur, il est le troisième enfant d'une famille de treize ; une de ses sœurs devient religieuse de la Sainte Famille à Villefranche-de-Rouergue, et un frère a été missionnaire en Arizona. Il fait ses études primaires dans sa région natale ; en1893, les vicaires de la paroisse lui donnent des leçons de latin, et en octobre 1894, le présentent au petit séminaire de St Pierre sous Rodez, où il passe en classe de quatrième.
Le 15 septembre 1898, il entre, laïc, au séminaire des MEP. C’est un aspirant gai, enjoué, parfois caustique, et travailleur acharné. Tonsuré le 22 septembre 1899, minoré le 22 septembre 1900, sous-diacre le 7 mars 1903, diacre le 6 juin 1903, prêtre le 21 juin 1903, il reçoit sa destination pour la préfecture apostolique du Kouangsi, qu'il part rejoindre le 11 novembre 1903.
Chine (1903-1952)
Arrivé dans sa mission, au cours de la première quinzaine de décembre 1903, le P. Albouy commence l'étude de la langue cantonaise à Nanning; puis, en y ajoutant la charge de procureur, il part la continuer à Ou-tcheou (Wuchow), sur la frontière du Kouangsi et du Kouangtong, sur la rive gauche du Sikiang. Grand travailleur, il se familiarise avec les caractères chinois. En 1905, Mgr. Lavest le rappelle à Nanning en qualité de procureur de la mission, chef de district, et curé de la cathédrale inaugurée en 1906.
En juillet 1908, libéré de la procure, où le P. Barrière le remplace, il garde la direction de son district. Il s'initie alors à la littérature chinoise et à la langue mandarine. Malgré les mouvements xénophobes, une certaine malveillance des autorités, les troubles politiques et des tracasseries diverses, au sud de la ville de Nanning, M. Albouy remarque l'intérêt que suscite le message évangélique pour les gens de la campagne. En 1909, il se met à étudier la langue "tou-jen" pour mieux instruire ses catéchumènes de Ou-suen, dans son district.
Vers 1910, il jette son dévolu sur le village de Kiangna, puis sur celui de Soupan (Wuming), chez les "Tho". En 1911, il essaie de s'installer chez eux, mais c’est un échec, et en septembre, il doit aller se reposer quelques temps à Hong-Kong. A son retour, le 20 décembre 1911, déchargé de Nanning, il se fixe à Soupan (Wuming) au début de 1912. Malgré des ennuis de tous ordres, créés par la révolution chinoise, il dote son poste d'une chapelle, et instruit en langue tho ses catéchumènes. Le nombre des baptisés augmente chaque année ; ainsi, la religion chrétienne s'implante chez les "Tho" de Soupan (Wuming).
En 1918, M. Albouy quitte Soupan. Il est envoyé dans la sous-préfecture de Kouypin. Il s'installe d'abord au village de Fongtong, non loin du fleuve, dans une maison louée où il retrouve le monde chinois et a quelques catéchumènes. En 1921, la guerre civile se déclenche entre le Kouangtong et le Kouangsi, ce qui amène anarchie, insécurité, chaos et piraterie générale. Le 13 octobre 1921, il sauve la population de la ville de Paksha en allant à la rencontre du général cantonnais installé dans le marché de cette ville. Le 12 août 1922, il parlemente longuement avec un chef de brigands et sauve sa chrétienté du pillage. Devant tant de courage et de dévouement, les chefs du pays permettent au P. Albouy de s'installer sur le bord du Sikiang, tout près du marché de Paksha (Pecha) qui devient le centre important d'un district comptant 300 baptisés en 1930.
Là, il bâtit résidence, école, dispensaire, couvent de religieuses, maison de formation pour les catéchistes et, en 1926, le probatorium pour le petit séminaire. En effet, en 1923, chargé des groupements "Pounti" et aidé par un prêtre chinois, le P.Kiang, il déplorait le manque de catéchistes. Il entreprend des démarches à Kouipin pour l'enregistrement de son école primaire supérieure de Pecha. En 1928, malgré les manifestations de haine contre l'Eglise, dans la région de Kouyhien, il célèbre, le 21 juin 1928, son jubilé d'argent dans la chrétienté de Kouishien qui, elle, fête le cinquantenaire de sa fondation.
Le 12 avril 1930, parvient à Nanning la nomination, datée du 27 mars 1930, du P. Albouy comme évêque de Cidyessus et vicaire apostolique, successeur de Mgr. Maurice Ducoeur décédé à Marseille le 9 juin 1929. En raison de la lenteur des communications et du fait de la guerre civile, le nouvel élu reçut la nouvelle le 22 avril 1930, et gagne Hong-Kong en juillet 1930.
Le 11 août 1930, une dépêche lui annonce qu'au cours d'un bombardement aérien « son église cathédrale vient d'être détruite, que les morts et les blessés sont nombreux". Le 24 août 1930, dans la chapelle de Nazareth, à Hong-Kong, il reçoit la consécration épiscopale des mains de Mgr. Deswazières assisté de NN.SS. Valtorta, vicaire apostolique de Hong-Kong et Walsh, vicaire apostolique de Kongmoon. (Wuchow).
Il quitte Hong-Kong le 30 septembre 1930, pour rejoindre Paksah, centre de son ancien district où il arrive le 6 octobre 1930. Impossible de se rendre à Nanning soumise au pillage, à des bombardements aériens, et depuis le 21 juillet 1930, assiégée par l'armée yunnannaise dont le plan semble être d'affamer la population et les quatre mille soldats kwangsinais qui sont dans la place. Arrêté à Kouyhien pendant plusieurs mois par la guerre civile, Mgr. Albouy arriva enfin à Nan-ning. le 28 janvier 1931 ; le 2 février 1931, il bénit sa chapelle privée.
A l'occasion de son sacre, il reçoit du délégué apostolique la nouvelle officielle de l'érection du Vicariat apostolique de Wuchow, formé par une quinzaine de sous-préfectures, situées au Sud-Est de la province du Kouangsi, détachées de la mission de Nanning, et confiées à la Société des M.E. de Maryknoll qui travaillait dans cette région depuis 1919.
Le 10 janvier 1933, un décret de la Congrégation de la Propagande ratifie la cession de 16 sous-préfectures civiles de l'extrême Nord-Est de la province du Kouangsi à la mission de Wuchow, confiée aux pères de Maryknoll, auxquels les pères Pélamourgues, Rigal et Madéore remettent leurs établissements et leurs chrétiens.
En 1935, Mgr. Albouy fait appel aux pères espagnols des Sacré-Coeurs d'Issoudun. Il espère que dans un avenir proche, la partie Sud-Ouest du Kouangsi pourra être érigée en mission indépendante, et confiée à cette Congrégation. La guerre civile d'Espagne arrête la réalisation de ce projet. En 1941, le district de Paksha est pris en charge par la mission de Wuchow.
En 1931, la conclusion de la paix entre Canton et le Kouangsi ramène le calme dans la province et, le réseau routier s'améliorant, permet à l'évêque de faire la visite des districts de son vicariat. Mgr. Albouy s'attache à créer des chrétientés dans les villes. Il établit des postes missionnaires à Chengtien, Linchow, Pingyang, Sianghsien, Chungtu.
Le 28 mars 1933, il s'embarque à Hong-Kong, via l'Amérique, pour son voyage "ad limina". Le 11 octobre 1933, avec son frère curé aux Etats-Unis, il reprend le bateau au Havre, repasse par l'Amérique et regagne sa mission.
Il confie aux religieuses canadiennes N.D. des Anges la direction de la congrégation chinoise des sœurs de la Ste Famille fondée en 1903 par Mgr. Lavest. Supérieur de cet Institut, il veille à la formation intellectuelle, humaine et spirituelle. de ses membres, et leur donne une "règle de vie". Il spécialise certaines sœurs chinoises pour le service des dispensaires, la direction des écoles, l'enseignement des catéchumènes, la visite des prisons. Ce sont elles qui assurent la vie spirituelle des communautés chrétiennes où la visite du prêtre est rare. Mgr. Albouy organise l'œuvre des catéchistes d'abord à Paksha, puis à Longnin. Mais la guerre sino-japonaise, puis l'occupation japonaise l'obligent à fermer cet établissement. Il apporte tout son appui à la léproserie de Tingleung, fondée par le P. Maillot.
Le 7 juillet 1937 commence la guerre sino-japonaise ; la ville de Nanning subit de nombreux bombardements aériens ; le séminaire est touché. Outre des dégâts matériels importants, le P.André Martin est tué dans la cour de l'établissement, lors du bombardement aérien du 8 janvier 1938, et le P. Cuénot, supérieur du séminaire, est sérieusement blessé. Les séminaristes sont dirigés sur Paksha.
En novembre 1939, l'armée japonaise occupe la partie sud-ouest de la mission ; de ce fait, cinq districts se trouvent coupés du reste du vicariat. Cependant, le 4 juin 1940, Mgr. Albouy écrit : " Notre situation à Nanning n'est pas trop pénible ; nous pouvons toujours vaquer à notre travail de missionnaires. nous avons eu une belle Fête-Dieu".
A la fin d'octobre 1940, les Japonais ont quitté la région ; Mgr. Albouy fait une tournée pastorale, en décembre , dans tous les districts du Sud-Est et du Nord-Est de la mission. Le 10 juin 1941, il part faire la visite de la région frontière du Tonkin. Le 7 juillet 1941, le ministère chinois de l'Intérieur le décore pour son dévouement et l'accueil fait aux réfugiés au cours des hostilités..
En novembre 1944, l'armée japonaise de retour occupe l'évéché. Mgr. Albouy se retire avec le P.Dalle dans la chrétienté des Cent Mille Monts, non loin de la frontière du Tonkin. Il rentre à Nanning en septembre 1945. Son évêché a brûlé intentionnellement. En 1946, il est nommé archevêque de Nanning. La guerre terminée, les missionnaires regagnent leurs postes, et se mettent à relever les ruines. En septembre 1949, Mgr. Albouy ramène son séminaire à Nanning ; celui-ci avait été, transféré pendant la guerre successivement de Nanning à Paksha, puis à Kweihsien. A la rentrée de septembre 1949, le séminaire compte 37 élèves. Des jeunes missionnaires arrivent ; Mgr. Albouy, toujours optimiste, fait le projet, en 1947, d'ouvrir à Nanning une école industrielle confiée aux pères Salésiens.
Cependant, le 4 décembre 1951, à la nuit, l'armée "libératrice" entra à Nanning. Mgr. Albouy est arrêté par les "nouveaux maitres" le 10 septembre 1952, jugé et expulsé avec le P. Giraud quelques jours plus tard ; une escorte de six gardes les accompagne à la frontière. Ils arrivent, tous les deux, à Hong-Kong le 20 septembre 1952.
Retour en France (1952-1954)
Le 18 novembre 1952, Mgr. Albouy part par avion pour la France où il arrive le 26 novembre 1952.
Il se rend à Rome le 21 décembre 1952, accompagné de son vicaire général ; il est reçu en audience privée par le pape Pie XII, le lendemain de Noël. Le 12 janvier 1953, il arrive à Rodez, dans sa famille. Il va visiter les familles de ses missionnaires. Après avoir passé plus de trois mois au séminaire de la rue du Bac, le 2 février 1954, il retourne au pays natal. Mais le 4 février 1954, dans l'après-midi, il est terrassé par une crise d'urémie et meurt chez une de ses sœurs le 6 février dans la soirée.
Ses obsèques, présidées par Mgr. Dubois, évêque de Rodez, ont lieu dans la cathédrale le 9 février 1954.
Il est inhumé au cimetière de Camboulazet, sa paroisse d’origine.
Nécrologie
[2756] ALBOUY Paulin (1880-1954)
Notice nécrologique
I. – LA VOCATION
« Je voudrais bien aller en Chine et être martyr. »
Le futur archevêque de Nanning était le troisième enfant d’une famille de treize, dont quatre moururent en bas âge. Parmi les neuf autres, trois se consacrèrent à Dieu.
C’est dans la paroisse de Camboulazet, au hameau des Tavernes, commune de Carcenac-Peyralès (Aveyron) qu’il naquit le 9 juin 1880 : petit pays qui devait avoir l’honneur de donner à la Société des Missions-Etrangères deux autres missionnaires, les Pères Antoine et Julien Gombert, partis ensemble pour la Corée en 1900, morts ensemble pour la foi les 12 et 13 novembre 1950.
M. et Mme Albouy étaient des cultivateurs aisés et d’excellents chrétiens. Le jeune Paulin avait été inscrit à l’Œuvre de la Sainte-Enfance : déjà très généreux, il donnait ce qu’il pouvait « pour les petits enfants infidèles ». Il en fut récompensé un jour par M. le Curé, qui lui fit don d’un petit livre parlant de missions et de missionnaires ; les sœurs du futur évêque se souviennent encore de la réflexion de l’enfant, alors âgé d’une dizaine d’années, après la lecture de ce livre : « Je voudrais bien, moi aussi, aller en Chine et être martyr, je me laisserais bien tuer pour défendre ma foi, je serais ainsi certain d’aller au ciel tout droit. »
L’instituteur du village, M. Paillasse, lui enseigna les premières notions de la grammaire et du calcul ; les études n’étaient pas très poussées alors, et l’élève passait pour être d’une intelligence moyenne. Dieu devait se servir d’un petit ami, actuellement curé de Lavergne de la Salvetat, M. l’Abbé Imbert, pour le mettre sur le chemin du sacerdoce. Un jour de l’hiver 1893, celui-ci se rendait au presbytère pour prendre une leçon de latin chez l’abbé Latieulé, vicaire, quand il rencontra le petit Paulin sortant de l’école communale : « Ne serais-tu pas content, toi aussi, lui dit-il, de venir étudier le latin avec moi ? – Mais oui, si papa le permet. » Le vicaire, informé de la nouvelle, en parle à M. Albouy et le lendemain, ils étaient deux à se rendre au presbytère où, d’abord sous la direction de l’abbé Latieulé, puis sous celle de l’abbé Cassagne, ils suivirent des cours préparatoires au petit séminaire. Les vacances de 1894 furent aussi consacrées à des répétitions sous la direction d’un élève de rhétorique, l’abbé Barran, et ils entrèrent dès l’automne en quatrième au séminaire Saint-Pierre de Rodez.
Aspirant missionnaire.
Le départ des deux frères Gombert pour le Séminaire de la rue du Bac eut-il une heureuse influence sur la vocation de Paulin ? C’est possible. Mais nous savons aussi qu’une lecture spirituelle donnée à cette époque par un missionnaire de passage à Rodez y contribua également. Quoi qu’il en soit, dès l’été 1898, Paulin Albouy demandait à M. le Supérieur du Séminaire de lui faciliter son admission prochaine en philosophie aux Missions-Etrangères de Paris. En septembre, il part donc pour la rue du Bac. Et son père, répondant alors à un voisin qui trouvait bien inutiles les dépenses engagées pour l’éducation de son fils, lui disait : « Si c’était à refaire, je le ferais encore, je voudrais qu’il y en eût beaucoup à suivre son exemple. Ce grand chrétien devait mourir six ans plus tard, quelques mois après le départ de son fils aîné pour la Chine, mais Mme Albouy aura l’honneur de voir celui-ci devenir évêque, elle ne fut rappelée à Dieu qu’en 1940.
En 1898, Paulin Albouy âgé de dix-huit ans, devient donc officiellement aspirant missionnaire. Ses années de philosophie et de théologie le montrent travailleur acharné. Il passe tous ses examens avec des notes excellentes.
Sa piété, nourrie par l’étude, se fortifie, elle s’appuie sur le véritable esprit apostolique. Avec ses confrères, il est gai, enjoué, un peu caustique parfois, mais sans manquer à la charité.
Il est fait prêtre le 21 juin 1903 et reçoit sa destination pour le Kouangsi, province de la Chine du Sud, limitrophe du Tonkin, dans laquelle on meurt jeune et où les chrétiens baptisés dépassent à peine le chiffre de 2.000. Mais le Père Albouy est un fort qui résistera au climat débilitant de là-bas, un vaillant qui ne se laissera jamais abattre par les difficultés ou les soucis : à l’exemple de saint Paul, il puisera toujours sa force en Celui qui l’anime et le soutient.
II. – LE MISSIONNAIRE
Il part en 1903. C’est à Wuchow que le Père Albouy débute. Pas de chrétiens en ville, ni même de catéchumènes, mais il va apprendre le chinois tout en rendant service à ses confrères en qualité de sous-procureur. Il étudie d’arrache-pied la langue cantonaise, et il mène tout de suite de front cette étude et celle des difficiles caractères chinois.
Nanning (1905-1 910).
Moins de deux ans plus tard, Mgr Lavest l’appelle à ses côtés pour lui faire tenir la procure et diriger en même temps les néophytes et catéchumènes de Nanning. Voilà donc le Père Albouy curé de la cathédrale, mais quelle cathédrale ! Elle sort à peine de terre, et c’est sous sa direction qu’en 1908, elle sera achevée. Le missionnaire est alors déchargé de la procure, il n’aura plus désormais que la seule direction spirituelle du district.
Les cinq années qu’il vient de passer au Kouangsi l’ont rendu maître de la langue, il lit assez couramment le chinois littéraire, et il s’est attaqué déjà à l’étude du mandarin. Il s’assimile aussi de plus en plus la mentalité de ceux qui l’entourent ; il arrivera à avoir un comportement tout à fait chinois, tant dans ses manières que dans son langage, se faisant « tout à tous, comme saint Paul, pour les gagner à Jésus-Christ ».
Wuming (1910-1918).
Il visite souvent les villages et marchés situés à des dizaines de kilomètres à la ronde, il se rend même plus loin encore. Bientôt il jettera son dévolu sur le village de Kiangna, puis sur celui de Soupan (Wuming), afin d’y établir une chrétienté. Mais que de tracas et de persécutions locales n’aura-t-il pas à subir dans cette région au climat très malsain, avec une nouvelle langue à apprendre, le tho, qui n’a rien de commun avec le chinois ! Et en 1910, il s’y établira à demeure.
L’année suivante, son nouvel évêque, Mgr Ducœur, l’envoie se reposer à Hong-Kong. Quand il en revient au bout de trois mois, il est déchargé de Nanning, et il est de retour à Soupan, pour y demeurer, au début de 1912. L’empire vient d’être renversé en Chine, on est en pleine révolution. Les avanies reprennent de plus belle, mais le Père Albouy veut tenir envers et contre tout, il arrivera à ses fins. Il s’est construit une chapelle où il peut célébrer à partir de Noël, et il continue l’instruction des catéchumènes. Malgré l’absence de livres dans un pays où personne ne sait lire sa propre langue (le tho, dialecte thaï, n’a pas d’alphabet), le Père enseigne oralement la doctrine, tout en prévoyant bien que ce ne sera qu’au compte-gouttes qu’augmenteront ses ouailles : en 1913, il fait 15 baptêmes, 18 l’année suivante, puis 25, puis 27 en 1915 et en 1916, sans compter les baptêmes administrés à l’article de la mort. Au milieu de tribulations incessantes, le Père pose des jalons pour l’avenir, il plante la croix parmi les Thos de Wuming, et en 1918, Mgr Ducœur décide sa mutation pour un pays moins malsain.
Kweiping (1918-1930).
Il se retrouve, avec de vrais Chinois. Il s’installe d’abord à Fongtong, village situé non loin du fleuve, dans une maison louée, et bientôt des conversions se dessinent. Mais la guerre civile se déclenche : le Kouangsi est envahi par les troupes cantonaises, puis c’est une piraterie sans pareille qui devient bientôt générale, sous prétexte de libérer la province. Cela dure près de trois ans, de 1921 à 1924 ! Le Père multiplie les gestes de dévouement.
Une telle charité porte bientôt ses fruits. En reconnaissance, les chefs du pays offrent au missionnaire un bel emplacement, tout près du marché de Paksha, où il bâtira une mission avec ses dépendances : écoles, dispensaire, couvent de religieuses, maison de formation pour catéchistes et école préparatoire pour futurs petits séminaristes.
Le Père Albouy devient de plus en plus populaire parmi les païens. Il parle à tous ceux qu’il rencontre, il s’intéresse à ce que font les travailleurs et les pauvres qu’il aborde. Bientôt il ne peut suffire à la tâche, aussi un aide lui est adjoint en la personne du Père Kiang, prêtre chinois qui mourra confesseur de la foi en 1951 sur le marché de Setsen.
Paksha devient un centre important d’un district de la Mission. On y compte vite quelques centaines de chrétiens baptisés et autant de catéchumènes, chiffres-records pour une province où les conversions sont si difficiles.
Le vicaire apostolique de Nanning, Mgr Ducœur, meurt le 10 juin 1929. Neuf mois plus tard, le 26 mars 1930, le S. Père nommait le Père Albouy vicaire apostolique avec le titre d’évêque de Cidyessus. Quand la nouvelle parvint à Paksha en avril, le missionnaire était absent, il instruisait des catéchumènes dans un village où on eut de la peine à l’atteindre : il fut sans doute le dernier à être instruit de sa nomination.
III. – L’ÉVÊQUE
Le 24 août 1930, Mgr Albouy est sacré à Hong-Kong. A ce moment, Nanning est assiégé par les troupes cantonaises. La guerre civile fait rage dans la province : Mgr Albouy n’y arrive qu’à la fin de février 1931.
Dès sa prise de possession, Mgr Albouy prendra comme règle de conduite l’enseignement de saint Paul, et s’inspirera des directives et de l’esprit de Mgr Pallu. Nous avons vu que Mgr Albouy avait choisi comme devise épiscopale : « Sectare caritatem » : « A la recherche de la charité ».
Apôtre.
Souvent il faisait la visite complète des districts et stations chrétiennes de sa Mission, donnant des directives à ses prêtres, allant souvent voir ceux-ci, parfois à plusieurs reprises dans la même année, s’occupant des plus petits détails. Dans chaque poste, il est arrivé à si bien connaître une partie des fidèles qu’il peut les appeler par leur nom : cela lui donne une popularité extraordinaire et favorise l’acceptation des consignes. Il voyage à pied, à cheval ou dans des camions décorés du nom d’autocars, sous une pluie tropicale ou par un soleil de feu, mangeant n’importe comment et couchant n’importe où.
En 1930, la Mission ne comptait encore que 5.800 chrétiens. Notre évêque exprimait alors à un confrère le souhait de voir un jour atteint le chiffre de dix mille baptisés « après quoi, ajoutait-il, je pourrai chanter mon Nunc dimittis ». Vingt-deux ans plus tard, quand il sera expulsé de Chine, on pouvait dénombrer pour toute la province environ trente mille chrétiens, malgré l’occupation japonaise et l’emprise communiste à partir de 1949, et cela, grâce au zélé concours des missionnaires américains venus prêter leur aide à ceux des Missions-Etrangères de Paris.
Chef.
Homme de devoir, plein de bravoure, toujours confiant en la Providence, il ne s’est jamais départi, même au milieu des plus grandes épreuves, de l’optimisme d’un chef qui sait entraîner ses sous-ordre.
De juillet 1933 à février 1934, un voyage ad limina pendant lequel il accomplit le tour du monde, lui permet d’observer ce qui, du point, de vue de l’apostolat, se passe ailleurs qu’en Chine.
Il revient après plusieurs mois d’absence.
En novembre 1944, les locaux de l’évêché sont occupés par l’armée japonaise. Monseigneur se retire avec le Père Dalle dans la chrétienté des Cent Mille Monts, non loin de la frontière du Tonkin, et les autres Pères se dispersent. Quand ils rentrent à Nanning, en septembre 1945, ils trouvent l’évêché brûlé.
En janvier 1949, grave accident d’auto ; pas de morts, mais Mgr Albouy reste dans le coma, grièvement blessé : on doit lui couper plusieurs doigts d’une main et il restera longtemps incapable de s’habiller seul, il marchera depuis avec difficulté.
Enfin, le 4 décembre 1949, l’armée dite libératrice entre à Nanning ; le peuple fait fête aux communistes ; il devra vite déchanter. Au début, tout se passe assez bien, mais peu à peu les « libérateurs » montrent leur véritable tactique. Mgr Albouy garde son optimisme, cependant sans trop nourrir d’illusions. Les confrères sont molestés, plusieurs ne tardent pas à être expulsés ; de même des prêtres chinois sont jetés en prison et mis à mort. Cependant les chrétiens resteront fidèles malgré tout.
A Nanning, les premières perquisitions communistes commencent le 13 mai 1952. Dès lors les événements vont se précipiter. Mgr Albouy, arrêté dans la nuit du 10 au 11 septembre, est aussitôt conduit dans une maison, prisonnier ; il subit un interrogatoire le 12, puis comparaît le 17 avec le Père Giraud devant un jury populaire, en présence de plus de mille personnes. La sentence d’expulsion est prononcée ; Monseigneur, qui ne peut rester debout pendant la lecture de cette sentence, est affaissé aux pieds de son missionnaire. Le lendemain 18, ils sont tous deux emmenés sous escorte et partent de Nanning en chemin de fer, d’où ils parviennent après deux jours à Hong-Kong. Mgr Albouy est exténué, mais il ne pense qu’aux Chinois qu’il a quittés, et déjà il envisage de travailler à l’évangélisation de ceux qui se sont réfugiés dans l’île sous protection britannique.
Cependant il part pour la France et arrive à Paris le 26 novembre. A peine descendu d’avion, il se rend à Rome avec son vicaire général le 21 décembre. Le lendemain de Noël, il est reçu en audience privée par le Saint Père : Sa Sainteté Pie XII accueille en Père ses fils persécutés qui ont confessé la foi en Chine il s’informe, il bénit, il approuve, et c’est tout réconfortés par le représentant du Christ sur la terre que les deux missionnaires quittent la Ville éternelle le 4 janvier 1953.
Le 12, Mgr Albouy est enfin à Rodez, fêté comme il convient par ses parents et amis qu’il n’a pas revus depuis 1933. Il repart bientôt visiter dans toute la France les familles de ses missionnaires. Dans les derniers jours d’octobre, il est de nouveau à Paris où il pense rester plusieurs mois. Il décide de reprendre le bateau pour l’Extrême-Orient pour évangéliser les Chinois de la diaspora ; il ne pourra y arriver. Il provoque des générosités pour l’œuvre des réfugiés de Hong-Kong.
Il est de nouveau à Rodez le 2 février, apparemment bien remis et marchant normalement : il voudrait rester un mois chez lui. Mais le 4 dans l’après-midi, il est terrassé par une crise d’urémie, et il meurt chez une de ses sœurs le 6 dans la soirée. Mgr Albouy offrit ses souffrances « pour nos chers Chi¬nois prisonniers ».
On célébra ses funérailles le 9 février à la cathédrale de Rodez. Il repose désormais dans son village natal de Camboulazet, parmi les siens.
Avant d’être expulsé de Chine, Mgr Albouy avait nommé administrateur du diocèse un prêtre chinois, Mgr Hôang. Celui-ci est mort le 15 mai 1953 : depuis lors, le diocèse de Nanning fait partie de l’Eglise du silence !
Docteur.
Un évêque doit avoir un tempérament de chef, il faut aussi qu’il soit docteur, or on peut dire que Mgr Albouy l’a été. Il avait compris la consigne du grand Apôtre : « Malheur à moi si je ne prêche pas ! » Il y fut toujours fidèle. Partout, il était disposé à prendre publiquement la parole. Déjà au temps de sa jeunesse missionnaire, nous l’avons vu prêcher à temps et à contre-temps, même dans les écoles païennes, comme à Wuming.
L’habitude acquise, son savoir-faire, sa connaissance des langues mandarine, cantonaise et tho lui permirent de s’adresser à tous les milieux selon le langage et la mentalité de chacun, en ville comme à la campagne, à des lettrés aussi bien qu’à des paysans ou des ouvriers sans culture. Quant à la doctrine et à l’exposé des problèmes d’actualité, il les met à la portée de ses auditeurs, brièvement, mais clairement, et résout les objections qu’il sait deviner dans les âmes.
Il a la hantise du salut à procurer à ceux dont il est chargé. Cet amour des âmes se manifeste dans bien des occasions : il est toujours prêt à se mettre au confessionnal, toujours disposé à prendre la parole. Lors des nombreuses visites pastorales de leur évêque, chrétiens, catéchumènes, voire païens sont avides d’écouter cet Européen si simple mais qui a des connaissances si étendues. Et quand ont lieu les retraites des prêtres chinois ou des confrères missionnaires, c’est le moment pour Mgr Albouy de leur exposer la doctrine paulinienne, la doctrine missionnaire : il le fait à sa manière, bonnement, sans phrases, pleinement.
Enfin, pendant les deux années de persécution 1951 et 1952, tous ont besoin de réconfort, tous attendent des directives fermes. Les consignes que donne Mgr Albouy sont droites et justes. Il a du sang-froid, il n’éteint pas la mèche qui fume encore, il ne craint pas non plus de faire voir le chemin qui conduit au schisme afin de garder le sens catholique au cœur des siens. Docteur, il garde un cœur de père.
L’homme, le père, l’ami.
Charitable et réaliste, Mgr Albouy était aimé, il savait comprendre les besoins de chacun. D’un caractère « soupe au lait », il était énergique et ne gardait pas rancune. Homme de devoir sa volonté n’était animée que par des vues surnaturelles.
Il était vraiment « père » : à l’égard de ses missionnaires, à l’égard de ses séminaristes qu’il suivait d’aussi près que possible, à l’égard de ses diocésains enfin, pour lesquels il avait la plus grande affection.
Il était aussi un véritable ami pour nous, missionnaires. Parce qu’il était profondément humble et surnaturel, aucun n’était tenté de s’opposer à ce qu’il avait décidé ; on le voyait bien quand, le soir venu, il abordait un confrère auquel il savait avoir fait quelque peine, lui montrait sa sympathie et exprimait son regret de l’avoir inconsciemment contristé.
De telles qualités s’appuyaient sur un sens spirituel profond : en voyage comme chez lui, toujours levé avant 4 heures, Mgr Albouy faisait une longue oraison et priait et étudiait encore longuement dans la journée.
C’est pour cela qu’il fut un si bon et si fidèle ouvrier dans la Vigne du Seigneur. Nous garderons le souvenir de ses exemples et de tout son travail pour Dieu et pour les âmes.
Références
[2756] ALBOUY Paulin (1880-1954)
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