René BOISGUÉRIN1901 - 1998
- Statut : Vicaire apostolique
- Identifiant : 3368
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Identité
Naissance
Décès
Consécration épiscopale
Autres informations
Missions
- Pays :
- Chine
- Région missionnaire :
- 1928 - 1952 (Yibin [Suifu])
Biographie
[3368] BOISGUÉRIN René est né le 29 octobre 1901 à Falaise (Calvados).
Admis aux MEP en 1924, il est ordonné prêtre le 29 juin 1928 et part le 16 septembre suivant pour la mission de Suifu (Chine).
Après avoir étudié le chinois à Tse Lieou Tsin, il se rend à Tchou-kentan (1933) puis il rejoint le district de Mapien. Pendant la guerre sino-japonaise, il est supérieur du petit séminaire de la mission (1938-1942).
En 1946, il est nommé évêque de Calenderi et vicaire apostolique de Suifu. Il n’exerce sa charge que peu de temps : arrêté et emprisonné en 1951, il est expulsé de Chine le 24 mars 1952.
Il part alors pour l’Angleterre, où il est chargé par le cardinal Griffin de la communauté catholique chinoise. Il assume cette charge pendant trente ans.
Il revient ensuite à Paris, où il apporte son aide à la bibliothèque asiatique pour le classement des livres chinois, avant de se retirer à Lauris en 1988.
Il meurt le 13 février 1998.
Nécrologie
[3368] BOISGUÉRIN René (1901-1998)
Notice nécrologique
René Désiré Romain Boisguérin est né le 29 octobre 1901 à Falaise, Calvados, cette belle ville normande qui vit naître Guillaume le conquérant au XIème siècle. Selon la petite histoire, Guillaume fut surnommé «le bâtard conquérant» car il naquit d’une union irrégulière entre Robert le magnifique, fils du duc de Normandie, et la «belle Arlette» dont il tomba folllement amoureux en la contemplant fouler le linge au lavoir dans le val d’Ante sous le donjon du château. Guillaume, vainqueur de Hastings, n’en sera pas moins bon prince. Lui et la reine Mathilde offriront à l’Eglise les superbes fondations religieuses de Caen, l’abbaye aux hommes et l’abbaye aux Dames. Plongeant ses racines dans un pareil terroir, René Boisguérin ne pouvait que manifester un esprit conquérant qu’il a mis au service de l’Eglise.
Ses parents étaient Paul Désiré Henri Boisguérin, âgé de 24 ans, mécanicien, et Marie Lucie Caroline Céline Delaunay, âgée de 25 ans. Il les perdit très jeune, son père quand il avait six ans et sa mère quand il avait 11 ans. Il fut élevé par sa grand-mère paternelle.
Evoquant ses souvenirs d’enfance alors qu’il avait dépassé les 90 ans dans la maison de repos de Lauris, Mgr Boiguérin s’est plu à éclairer lui-même les origines de sa vocation et sa formation première.
Sa mère, se rappelait-il, était très pieuse comme sa grand-mère maternelle. Celle-ci étant perclue de rhumatismes, elle avait acheté une maison juste en face de l’Eglise. Faute de pouvoir s’y déplacer elle pouvait ainsi au moins la regarder. Son petit fils y était enfant de choeur. René goûtait les cérémonies et c’est là que l’idée lui prit d’être prêtre.
Après la mort de sa mère, c’est la grand mère paternelle qui le prit en charge. Celle-ci était moins pieuse et se contentait à la rigueur de la messe du dimanche. Mais elle respectait les volontés de la maman défunte qui approuvait la vocation de son fils. Elle dit donc au jeune René: «Voilà, ta mère avait accepté que tu fasses des études pour être prêtre, ma foi, comme c’est l’opinion de ta mère...» Lorsqu’il eut terminé ses études primaires au Collège municipal de Falaise, elle le plaça en 1913 au petit séminaire Ste Marie à la Maladrerie de Caen, dépendant du diocèse de Bayeux.
René avait été baptisé le surlendemain de sa naissance. Il est confirmé le 13 mai 1911. Jusqu’en classe de quatrième, il souffre de mauvais résutats scolaires. Puis il remonte la pente grâce à un professeur qui le prend en charge et il obtient quelque succès au moins en grec sinon en latin.
Lors de ses études au petit séminaire, il correspond avec un missionnaire du diocèse de Bayeux devenu évêque en Inde, Mgr Prunier de Salem. Cet évêque lui fait connaître les Missions étrangères. De son côté, le père Baron, vicaire de sa paroisse, devenu missionnaire de la Délivrande, encourage ses projets missionnaires. Plus tard, à chacun de ses séjours en France, il sera reçu chez les missionnaires de la Délivrande et participera en août aux fêtes du couronnement de la Vierge.
À la fin de ses études secondaires en 1920, sa décision est prise. Il envisage d’ entrer aux Missions Etrangères de Paris, mais il hésite encore et demande conseil à cause de sa situation familiale. Dans une lettre à Paris datée du 15 mai 1920, il précise son projet tout en signalant les obstacles qu’il doit surmonter: «Depuis longtemps, j’ai le désir de me consacrer aux missions...J’ai 18 ans. Je fais ma philosophie au Petit séminaire Sainte Marie de Caen... J’ai perdu mes parents très jeune. Je n’ai plus que ma grand-mère âgée de 71 ans. C’est elle qui s’est occupé de moi. Aussi lui suis-je très affectionné. Mon départ lui causerait un très grand chagrin....» Le 9 septembre, il fait une demande plus explicite et officielle dans une lettre au supérieur. Il entre aux Missions étrangères le 14 septembre 1920. Ses études sont coupées par le Service militaire en 1922-23. Ayant repris ses études de théologie, il est officiellement admis dans la Société le 25 mai 1924, ordonné diacre le 17 septembre 1927 et prêtre le 29 juin 1928. Il reçoit alors sa destination pour Suifou (Yibin) dans l’ouest de la Chine.
24 ans en Chine
Il est envoyé dans les montagnes de Chine «en raison de sa santé délicate» aimait-il à dire avec une pointe d’humour, faisant sans doute allusion aux conditions physiques particulièrement éprouvantes qu’il éprouva plus tard ches les Lolos.
Il part le 16 septembre 1928 pour Suifu (Yibin) centre de la mission du Sichuan méridional.
A son arrivée, le vicaire apostolique Mgr Fayolle le place à Tse Lieou Tsin (Ziliujing ‘Puits d’eau courante’, un quartier de l’actuel Zigong) pour qu’il y étudie de langue chez le vieux père Pierrel. La région est riche en mines de sel et en gaz naturel. Le sous-sol cache également des dinosaures fossilisés aujourd’hui déterrés et exposés dans un vaste musée. La cuisine est gorgée de piment rouge. De quoi faire rêver le jeune missionnaire...
Initiation à la culture chinoise
Il s’entend bien avec ce vieux père chargé de l’initier à la vie missionnaire. Les relations sont moins bonnes par contre avec son professeur de langue, un ancien séminariste qui parlait un peu de latin. Ce maître chinois l’agace. D’esprit indépendant, il décide d’apprendre le chinois lui-même. Il se procure alors les manuels de l’école primaire et suit les cours avec les enfants. C’est ainsi qu’il apprend à lire et à écrire en même temps. Il poursuivra ensuite avec les manuels de l’école secondaire. La méthode était bonne sans doute et il ne cessera de se perfectionner dans l’écriture des caractères en maniant le pinceau avec dextérité. Quant à la langue parlée, il se débrouillera finalement très bien. Lors de son procès par les communistes, un juge lui reprochera de ne pas savoir le français mais ne fera aucune remarque sur son chinois. Bien au contraire, sa connaissance de la langue lui attirera les sympathies même des communistes qui pourront dire en privé: il parle notre langue, il aime la Chine. Ce qui lui vaudra quelques faveurs. On s’en prendra violement à l’Institution qu’il représentait mais rarement à sa personne même. Il dira lui-même dans ses vieux jours: «j’aimais le chinois et la Chine, et je dois dire que ça m’a beaucoup aidé.
Sa première initiation à la langue, en tous cas, dure à peine deux ans, puisqu’en 1930, il est ‘envoyé en district’, à Tchoukentan (Jugentan, ‘Plage des tiges de bambou’), à un vingtaine de kilomètres au sud de Kiating, l’actuel Leshan. Il se donne à fond à sa tâche pastorale et les baptêmes d’adultes sont en progression. Aujourd’hui, la communauté catholique de Wutongqiao voisine de Zhugentan connaît un essor qui surprendrait les premiers semeurs de l’Evangile. Mais dès l’année suivante, son activité risque de tourner court. Le vieil évêque Mgr Fayolle étant mort, son coadjuteur Mgr Renault vient lui dire: «Voilà, on va faire quelque chose pour les autochtones, est-ce que vous en seriez?» Il s’agissait de soutenir un apostolat entrepris chez les Lolos par le père Biron. Le père Boisguérin n’aurait pas forcément à s’occuper directement lui-même des Lolos... Cette perspective n’était pas faite pour l’enchanter, lui qui aimait les chinois et qui venait à peine de s’initier à leur langue. Il dira plus tard: ‘J’ai accepté, mais pas de grand coeur, parce que j’aimais la Chine’. Les autochtones Lolos avaient toujours lutté contre les chinois pour préserver leur autonomie et ils avaient leur propre langue et leurs coutumes. Lorsque Rome nommera le père Boisguérin vicaire apostolique, une certaine embellie sera aportée à sa mission chez les Lolos si l’on en croit la presse catholique de l’époque, soucieuse d’accumuler les mérites sur qui devait porter la mitre: «Son zèle le poussa bientôt à demander à Mgr Renault, son évêque, d’aller prêter assistance au père Biron pour l’évangélisation des Lolos»
Mais que diable allait-il faire dans cette galère?
L’aventure Lolo
La ‘Lolotie’, écrit-on alors, est un un plateau à 2600 m.,entouré de chaînes de montagnes culminant à 6000m. Ce territoire est peuplé d’une ethnie d’origine tibéto-birmane, quelques dizaines de mille, qui préserveront leur indépendance jusqu’en 1949. En République populaire, les divers groupes Lolo seront intégrés à l’administration chinoise et on les appellera ‘les Yis’, le terme ‘lolo’ étant jugé péjoratif. Ces Lolos n’étant pas de race chinoise jouissaient d’une certaine autonomie. Ils portaient l’ancien manteau birman, une espèce de capuchon. Leur langue était difficile et leur écriture avait un caractère sacré. Les livres étaaient pratiquement des rituels en possession des chamans.
Le père Boisguérin se consacre à sa nouvelle mission en 1933. Il reste alors à la frontière du territoire Lolo, à Guadengping, afin d’assurer contact et soutien logistique au P. Biron. Mais pour comprendre les Lolos et leur porter l’Evangile, il fallait bien vivre avec eux et composer un catéchisme élémentaire dans leur langue faite d’expressions très matérielles, comme l’avaient tenté d’anciens missionnaires en d’autres régions, en particulier le père Vial et Liétard au Yunnan. Les deux missionnaires s’installent en 1934 à Mapien, aujourd’hui centre de la Région autonome Yi de Mabian, environ 200 kilomètres à l’ouest de Yibin. Ils vivent alors dans une ‘cabane’ construite sur un terrain que le père Biron a acheté aux Lolos pour un lingot d’argent. Et quelle cabane! avec autant de fougères à l’intérieur qu’à l’extérieur. En utilisant les fougères comme litière, les missonnaires s’aperçoivent bientôt qu’elles abritent de toute petites sangsues. Ils ont du mal à fermer l’oeil, craignant que ces petites indésirables ne viennent s’introduire dans leurs oreilles. Au dire de Mgr Boisguérin, le père Biron, ‘un peu simplet’, s’était fait rouler. Ses souvenirs du père Biron ne seront d’ailleurs pas très enthousiastes. Il en parle come d’un ‘vieux missionnaire de l’Aveyron qui ne pouvait pas voir les Chinois et qui aimait s’occuper des Lolos qui étaient beaucoup plus simples, moins compliqués que les Chinois’.
Le chef Lolo ami du père Biron avait 300 esclaves chinois. Car les Lolos faisaient des razzias de Chinois qu’ils vendaient comme esclaves aux Tibétains. Ils faisaient aussi des razzias de Tibétains qu’ils vendaient comme esclaves aux Chinois. Les chefs Lolo savaient parler chinois, mais pas leurs femmes. Le père Boisguérin instruit alors en chinois le chef Lolo ami du père Biron. C’est finalement le seul Lolo qu’il ait baptisé. Les quelques autres baptêmes qu’il fait dans la région sont ceux d’esclaves chinois que les bons pères rachètent aux Lolos, tout en sentant au fond d’eux-même que le procédé n’est peut-être pas très catholique. Rappelant ces événements dans ses vieux jours, Mgr Boisguérin ajoutait: « On sentait que ce n’était pas tout à fait normal. C’était un pis-aller. Vous savez, franchement, c’était extrêmement intéressant». Les deux pères parviennent aussi à ouvrir une école qui formera quelques chrétiens. Mais les difficultés abondent à cause des rivalités entre Chinois et Lolos et sans doute aussi entre les deux missionnaires, l’un favorable aux Chinois et l’autre aux Lolos. Leur service des Lolos comporte aussi quelques soins médicaux, en particulier pour guérir les opiomanes qui achetaient l’opium aux Chinois . Ils leurs préparent une sorte de potion magique faite de gouttes d’opium dissoutes dans du vin. Ils augmentaient progressivement le nombre de gouttes jusqu’à 150 puis faisaient l’opération inverse jusqu’à guérison complète. Leur soin des malades n’était pas toujours suivi de gratitude. Un Lolo en état d’ivresse avait reçu un coup sur la tête et avait le crâne fracturé. Le père Biron l’avait hébergé et finalement guéri. Comme il s’incrustait dans la maison et devenait très exigeant, les pères durent l’écarter. Mécontent il revint avec une troupe de brigands piller la maison et faire prisonnier le personnel chinois. Les pères durent payer une rançon pour récupérer le personnel. En évoquant ces souvenirs, Mgr Boisguérin ajoutait non sans humour: «Si bien que j’ai gardé un souvenir idyllique de cette époque là».
L’idylle comporte aussi quelques souvenirs alimentaires peu appétissants. Les pères mangeaient peu de riz et se nourrissaient de maïs comme les ouvriers chinois. Ils avaient des galettes de maïs cuites sous la cendre. Quant au riz, ils le faisaient passer, comme les chinois, avec des légumes salés conservés plusieurs mois dans un jarre. Le sel étant cher, on ne changeait guère l’eau de la jarre et l’odeur était épouvantable.
Lorsque le père Biron est assassiné le 20 août 1935, le père Boisguérin reste seul à Mapien, il est entouré d’une vingtaine de catholiques chinois. Il assure en même temps le service de deux petites communautés: Pingshan sur la rivière Jinsha ‘rivière des sables d’or’ à 4 joursde marche en direction de Yibin et Leibo, également proche de la rivière Jinsha, à 8 jours de marche, soit plus de 150 kilomètres en direction du sud-ouest. Situation précaire. Son poste est assailli par des brigands et pillé. En 1936, son logement est détruit par un tremblement de terre qui se fait sentir par intermittence pendant deux mois.
Sous les bombes japonaises
L’année suivante, la Chine est secouée par une nouvelle catastrophe, cette fois causée par les hommes. La guerre sinon-japonaise est déclarée en 1937. Pendant ces années de guerre, le père Boisguérin se voit confier la tâche difficile de supérieur du Petit Séminaire. Il s’y consacre de 1938 à 1942. Après quoi, faute de ressources, les séminaristes doivent être renvoyés dans leurs familles. Le père Boisguérin est alors chargé du district de Loutchéou (Luzhou), ville prospère sur le Fleuve bleu à l’est de Yibin, célèbre pour son petit vin blanc qui présente des qualités proches de l’alcool à brûler. L’époque ne se prête pourtant guère aux réjouissances. La ville est bombardée par les avions japonais, puis les troupes américaines font leur apparition et le père Boisguérin fait office d’aumônier militaire.
Evêque de Suifu
Avec le retour de la paix, la vie de l’Eglise peut reprendre de plus belle. Le 10 janvier 46
le père Boisguérin est nommé évêque de Calenderi et Vicaire apostolique de Suifu. Il est sacré le 1 mai 1946 à l’église de la Porte Ouest de Yibin par Mgr Dérouineau, assisté de Mgr Valentin et du père Ouan (Leou) ? de Kiating. en présence du consul de France M. Landy.
Lorsqu’il prend en charge le diocèse, il a pour collaborateurs quarante prêtres chinois et une trentaine d’Européens. Cinquante ans plus tard, il fera cet aveu: «Je dois dire que ne m’entendais beaucoup mieux avec les Chinois. Les Français sont impossibles. C’est pas facile.» Ce jugement général à l’emporte-pièce doit être attribué à l’humour souvent caustique dont Mgr Boisguérin aimait à émailler sa conversation. Les confrères français l’ont en fait efficacement soutenu dans sa tâche d’évêque, en particulier le père G. Montillon qu’il alla chercher dans sa chère ville de Neijiang pour lui confier l’administration matérielle du diocèse. C’est grâce au concours de ce confrère qu’il put construire une nouvelle aile à l’hopital de Suifu avec maternité, dispensaire et jardin d’enfants à la Porte Sud.
D’après l’annuaire de l’Eglise catholique publié à Shanghai en 1949, le diocèse de Suifou comptait en 1948 un total de 13.846 baptisés pour une population globale de 7 millions. Le personnel d’Eglise comptait une trentaine de missionnaires et 39 prêtres chinois. Les religieuses étaient, semble-t-il peu nombreuses: 5 Chinoises et 9 étrangères. Ces chiffres ne tiennent peut-être pas compte des vierges chinoises pour lesquelles Mgr Bois guérin avait une grande estime. En 1983, il écrira ceci à leur sujet:
«Lorsque je suis arrivé en misssion en 1928, elles formaient le noyau de notre corps enseignant. Pendant plus de 150 ans, habitant dans les familles, elles ont formé des générations chrétiennes. En 1932, on a voulu les ‘institutionnaliser’ pour en faire des religieuses. Ce fut peut-être regrettable du point de vue apostolat.... Pendant les dix ans de ma vie en district, j’avais des vierges chinoises dans mes écoles de doctrine...Elles avaient une sérieuse formation doctrinale et un dévouement sans borne à l’Eglise... Ne vivant pas en communauté, elles étaient disponibles à tout moment. Elles ont rempli un rôle éminent dans l’évangélisation du Sichuan.»
Le nouvel essor de la vie de l’Eglise va bientôt tourner court avec l’arrivée des troupes communistes et l’établissement d’un nouveau régime mettant en avant l’indépendance totale du peuple chinois et la lutte contre toute ingérence ‘impérialiste’ de la part des étrangers
En décembre 1949 la ville de Suifu est occupée par l’armée de la libération.
La mainmise communiste
Le 1er janvier 1951 est jour de fête à Yibin. Les fenêtres sont pavoisées du drapeau rouge à 5 étoiles. Un interminable défilé s’allonge dans les rues. Les organisations officielles, les syndicats ouvriers et paysans, les métiers, les professions, les écoles alternent avec des troupes de danse. La foule est dominée par des portraits géants de Marx, Lénine,Staline, du général Zhude et du grand libérateur de la Chine nouvelle Mao Zedong . Des mannequins grotesques représentent Truman, Marshall, et MacArthur. L’armée victorieuse défile à son tour en chantant, car cette fête suit l’intervention chinoise en Corée.
L’atmosphère est moins festive à la mission catholique. Quelques confrères sont réunis autour de leur évêque. L’un d’eux note sur le front de l’évêque «le pli caractéristique des jours mauvais». La Guerre de Corée et la Réforme agraire ont été accompagnés de nombreuses exactions contre des prêtres et des propriétiares fonciers. Pour payer les impôts de plus en plus lourds, il a fallu épuiser les dernières réserves de la mission en or, en argent ou en filé de coton. Les maisons de l’Eglise, le séminaire et l’évêché lui-même ont dû être vendus. Il faut rendre aux fermiers de l’Eglise les cautions qui leur sont dues de par la loi. Les millions fournis aux nouvelles autorités ont aiguisé leur appétit. Les amendes s’ajoutent aux amendes. La somme exigée devient astronomique. Presque tous les jours, l’évêque seul ou avec quelques prêtres doit comparaître devant le syndicat des paysans et entendre leurs rugissements contre les «exploiteurs du peuple».
Autre souci encore plus préoccupant pour des missionnaires: l’annonce de la ‘réforme religieuse’ avec la complicité plus ou moins avouée de quelques prêtres et chrétiens chinois.
En plus, l’évêque est menacé d’arrestation: il a remis à la police des fusils en dépôt chez lui deux mois après le délai fixé. Il a aussi remis un appareil militaire américain récepteur et on lui réclame maintenant l’appareil émetteur qui doit, pense-t-on, nécéssairement l’accompagner. En déménageant l’évêché, on a découvert un caisse contenant des bijoux déposés là par un grand propriétaire...
Le 17 janvier 1951, la police notifie à l’évêque l’ordre de quitter sa résidence à l’église du nord pour se rendre à la paroisse centrale où il est gardé par deux sentinelles. Comme l’évêque ne peut fournir l’appareil émetteur qu’il n’a jamais possédé, les menaces se font plus pressantes. Deux policiers viennent le chercher le 10 mars. Il est transféré à la prison commune. Dans cette prison de la ville, il reste deux mois dans un cachot individuel de 2m50 sur 2. Il est d’abord soumis au régime alimentaire des prisonniers. Au bout de trois jours il souffre du foie et des intestins. Après trois semaines de dysenterie, ses geoliers commencent à améliorer son ordinaire. Il dispose d’une plus grande cellule pour lui seul et peut sortir dans la cour de la prison. Il paie lui-même sa pension et prend ses repas à la table des gardiens.
Durant cette détention, il ne reçoit aucune nouvelle de l’extérieur et ne dispose d’ aucun livre sinon marxiste. Il reçoit cependant trois fois la visite de ses confrères et des religieuses franciscaines missionnaires de Suifu. A l’extérieur tout la population est ameutée par les chefs de quartier pour dénoncer les menées subversives de ‘l’impérialiste Lin Mengde’ (nom chinois de Boisguérin).
Le 10 avril, le journal publie la liste de ses crimes: «recel de fusils, d’un browning et d’un poste récepteur et émetteur de radio - espionnage au compte du Vatican- , recel de bijoux appartenant à un propriétaire terrien, relations avec des séides du ‘faux gouvernement de Tchiang Kaishek’, exploitation de ses fermiers qu’il traitait comme des serfs, sabotage du mouvement de l’Eglise indépendante, et pour épicer le tout, moeurs scandaleuses attentatoires à la dignité de la femme chinoise car il a en plusieurs lieux des ‘filleules’ (gannu) destinées à satisfaire ses passions.» Il s’agissait en fait des orphelines recueillies par l’oeuvre de la Sainte Enfance. A titre de preuves, on affichait au jardin public la photo de Lin Mengde à Leibo avec les pères Levrel et Gorissen et le mandarin du lieu, un ‘bandit’ exécuté plus tard. Une autre photo présentait l’évêque entre les propriétaires M.et Mme Tsin et la caisse contenant leurs bijoux.
Toutes ces accusations outrancières, fruit d’interprétations fallacieuse des faits, pouvaient avoir quelque effet dans l’esprit des jeunes mais très peu chez les personnes d’âge mûr et encore moins chez les chrétiens. Un petit fait en témoigne: une chrétienne commentait le journal avec une amie païenne et ne cachait pas son indignation. Un soldat se joint à elles et regarde le journal à son tour. La chrétienne lui dit: regarde les mensonges que dit le journal. L’évêque Lin, je le connais, moi, c’est un honnête homme; jamais il n’a pu faire de pareilles choses. Et le soldat de répondre: «peuh, ne m’en parlez pas! Maintenant, ce ne sont plus que mensonges et calomnies»
Le 16 septembre 1951, un tribunal de 6 membres notifie à l’évêque sa condamnation à deux ans de prison suivis d’expulsion. Il est alors embarqué sur le vapeur qui fait le service du Fleuve bleu et arrive menottes aux mains à Chongqing le 18 septembre. Il est conduit aussitôt à la prison politique peuplée de 300 détenus à une trentaine de kilomètres de la ville.
Il partage une cellule de 4m sur 4 avec 6 prisonniers: deux colonels, un commandant, deux étudiants et un pilote d’une compagnie de navigation accusé d’avoir coulé un navire chargé de matériel de guerre. Seul parmi les étrangers, il est autorisé à faire une heure d’exercice physique chaque matin avec les détenus chinois.
Il est alors soumis à trois ou quatre interrogatoires par semaine. Son juge était une fille de 18 ans. Juchée sur une estrade, elle s’adresse à l’évêque qui était assis à ses pieds à terre ou sur un petit tabouret.
Les 3 premiers interrogatoires portent sur la Légion de Marie. La légion n’existait pas à Yibin, mais Mgr Boisguérin se trouvait à Chengdu en septembre 1949 lorsque le père Mac grath vint l’y établir. : «quelles consignes vous a données le p. Macgrath?» Comme il ne s’en souvient plus, il finit par dire «Eh bien, je vais tout simplement inventer»
Au sujet de l’espionnage pour le Vatican: «Avouez. Si vous êtes sincère, on pourra vous garder en Chine comme évêque, et même on fera de vous un archevêque.»
Début février 1952, les interrogatoires se font plus pressants, au moins 5 heures par jour, soit par les policiers, soit par ses compagnons de prison.
Fin février, on lui met pendant deux jours les menottes aux mains et de lourdes chaînes aux pieds. C’est ainsi qu’il doit faire 500 mètres à pied pour se rendre au tribunal. Le premier jour, l’interrogatoire dure de 10 h. à 18h., le deuxième jour, de 10h à 22 h., toujours debout, les jambes écartées à bout de chaîne, les mains liées dans le dos. A 15h. cependant, on l’autorise à s’asseoir. L’unique question revient sans cesse: «avouez votre organisation d’espionnage».
Le 4 mars, on lui présente les texte en chinois des accusations portées contre lui, on le lui fait traduire et écrire en français et on l’enregistre sur disque. On fait traduire d’ailleurs le même texte par le père Juignier MEP, détenu dans une autre cellule.
Le dernier jugement prend place le 12 mars 1952: «Avoue, réfléchis!... et choisis: dix ans de travaux forcés, ou bien l’expulsion immédiate si tu avoues. - Je choisis dix ans de travaux forcés, répond l’évêque.»
Le juge se lève alors: «Toi, si vieux, si faible, si impuissant, que peux-tu contre la grande Chine et contre la force du communisme. Le gouvernement du peuple en a assez de toi. Fous le camp, on ne veut plus de toi.»
L’évêque regagne alors sa cellule, mais une jeep l’attend pour le conduire au bateau. Accompagné d’une escorte militaire, Il voyage dans des conditions convenables jusqu’à Canton. Mais il doit y subir une fouille en règle, complèrement déshabillé et on l’enferme pour la nuit dans un affreux cachot où il partage sa paillasse avec un rebutant «mouton».
Le 24 mars après-midi, il passe enfin les barbelés de la frontière avec Hongkong. Surprise, il se trouve en comagnie de Mgr Larrart, archevêque de Guiyang, lui aussi expulsé de Chine.
Mgr Boiguérin, âgé de 51 ans, termine ainsi sa carrière d’évêque en Chine. Conscient d’être toujours responsable de ce diocèse d’où il a été arraché, il ne démissionnera que 32 ans plus tard, le 1er janvier 1984.
De retour en France le 6 mai 1952, il est accueilli à bras ouverts par Mgrs Picaud et Jacquemin du diocèse de Bayeux. Il leur offre ses services Il assure souvent la confirmation. Il préside le pardon de Saint Roch à Saint Mards d’Ouilly. Les curés et les fidèles admirent en lui un «confesseur de la foi»
33 ans en Angleterre
Etaitce la résurgence d’un vieil atavisme normand? En décembre 1952, il part pour l’Angleterre, ‘pour y parfaire son anglais’ et s’occuper des Chinois émigrés. A la demande de Mgr Bernardini, secrétaire de Propaganda Fide, il reçoit en fait la mission de faire une enquête sur la population chinoise catholique du Royaume Uni. A la suite de cette enquête, il est chargé par Rome de s’occuper des catholiques chinois du Royaume Uni.
Son travail est rendu difficile en raison d’une certaine hésitation du clergé anglais à laisser des étrangers s’occuper des affaires de l’Eglise catholique anglaise. De nombreux Chinois étaient en effet suffisamment intégrés à la vie des paroisses anglaises. «Ils s’y montraient généreux à la quête» comme l’évoquera Mgr Boisguérin lui-même dans l’une de ses remarques caustiques.
Il séjourne d’abord dans le diocèse de Clifton, au service d’une communauté de religieuses françaises puis fait une brève période en Cornwall comme aumônier d’une école. Il est alors nommé par le cardinal Griffin en charge de la communauté catholique chinoise en Angleterre et au pays de Galles.
Après des essais à Bristol, à Aberdeen, il s’installe finalement à Liverpool en 1956. «C’est là que j’avais été le miieux reçu, dira-t-il plus tard, c’est là que je me suis installé». Il loue un appartement chez un curé anglais et bénéficie des services de la bonne jusqu’au transfert de ce curé. Il se trouve alors seul et fait sa propre cuisine, «parfaitement heureux» Sa tâche est sociale autant que pastorale.
Ce ministère lui est rendu plus difficile lorsque l’archevêque de Liverpool nomme un prêtre de son diocèse pour s’occuper de la pastorale des Chinois catholiques de la ville, alors que Rome l’avait chargé de cette mission. Parmi les archevêques qui se sont succédé à Liverpool, seul Mgr Heenan l’a totalement soutenu dans son travail auprès de catholiques chinois.
En France, les réconforts ne lui manquent pas. Le 15 mai 1959, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur. Il sera promu officier de la Légion d’honneur le 9mai 1985. En 1980, il a la joie de participer à un voyage organisé en Chine avec des touristes, mais il n’a malheureusement pas la possibilité de passer par Yibin. Cette Chine qu’il aime lui demeure toujours présente à l’esprit car il oeuvre à la traduction de nombreux poèmes chinois. Un chinois de Londres, M. Brian Wang Taisheng le conseille dans le choix des textes. Il s’agit d’une anthologie ou plutôt d’un florilège recueilli tout au long de l’histoire chinoise depuis Li Bai sous les Tang jusqu’à Mao Zedong. ‘ensemble des poèmes traduits est publié en décembre1985 aux editions Nord-graphique sous le titre Fleurs de Printemps, Lune d’automne, Florilèges de poésie lyrique chinoise. 172 auteurs sont cités avec un ou deux de leurs poèmes. Une petite introduction historique les situe à chacune des grandes périodes de l’histoire chinoise. L’avant propos permet de comprendre les motivations qui ont poussé le vieil évêque à mener à bien cet ouvrage ardu: «Dans cette recherche de la ‘connaissance de l’Est’, comme dirait Claudel, l’étude de la poésie chinoise, en même temps qu’elle nous aide à mieux comprendre l’âme de ce peuple, nous conduit aussi à une perception plus intime de nous-même. C’est ainsi que la poésie nous permet d’avancer d’un pas de plus dans l’étude du mystère des êtres et de l’univers». Le titre qu’il choisit pour son livre est la première ligne d’un poème de Li Yu (937-978), un fervent bouddhiste d’époque Song, imprégné de l’impermanence des choses: «Fleurs de printemps et lune d’automne, êtes-vous éternelles?» Les poèmes qui composent ce recueil, explique-t-il, se font l’écho des pensées de Li Yu: joies et peines, réunions et abandons, amours et regrets, en un mot, tout ce qui fait la trame d’une vie humaine.
Après trente années en Angleterre, Mgr Boisguérin atteint l’âge de 86 ans. Il se dit alors, suivant ses propres termes, «Demain, tu peux être dans la petite voiture, en Angleterre, je n’aurai personne pour pousser la voiture, je reviens en France aux Missions étrangères. Aux Missions étrangères, je trouverai quelqu’un pour pousser la voiture.» Il a d’ailleurs déjà fait l’expérience des soins médicaux en France, ayant été tiré d’une grave affection qui l’empêchait pratiquement de manger.
Dernières années à Paris et dans la maison de Lauris
En décembre 1986, Mgr Boisguérin rentre en France. Il travaille assidument à la bibliothèque asiatique MEP où il offre de précieux services en classant les livres chinois. Il s’applique à faire les fiches des livres chinois et même de livres japonais dont les titres sont en caractères chinois. Un vrai plaisir de calligraphe en compagnie d’une bibliothécaire aux petits soins qui sait apprécier sa culture et sa conversation.
L’ouverture progressive de la Chine depuis 1978, lui permet de se tenir au courant des destinées de son ancien diocèse. Il s’en considère d’ailleurs toujours un peu responsable. Lorsque, sur les conseils de Rome, il donne sa démission en janvier1984, il a largement dépassé l’âge de la retraite pour un évêque. Il est vrai que le nouvel évêque Mgr Chen Shizhong n’est guère plus jeune. La nièce de cet évêque réside à Paris en tant que championne de ping-pong chargée d’une école d’entraînement. Bien payée, elle va voir son oncle en Chine et transmet les nouvelles. Mgr Chen doit d’ailleurs faire face à bien des difficultés, en particulier au grand séminaire de Chengdu dont il est supérieur pendant quelques années.
À l’approche de ses 90 ans, Mgr Boisguérin se retire à Lauris le 22 mars 1988. Sachant apprécier la vie, il n’est pas pressé de disparaître et va jouir encore dix ans du beau soleil de Provence, gardant tous ses esprits et bonne mémoire. Une équipe de télévision va le trouver dans ses dernières années pour l’inviter à évoquer ses souvenirs de Chine. Il s’agit d’un programme intitulé ‘Les canonnières du Yangzi’. On y voit paraître un René Boisguérin rayonnant, la casquette sur la tête, avec pour toile de fond la vallée lumineuse de la Durance. Il est visiblement heureux de parler de ce grand pays qu’il a toujours aimé.
Il quitte ce monde paisiblement le 13 février 1998, sortant d’un bel automne pour entrer dans l’éternel printemps.