Félix MAGNIN1906 - 1994
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 3432
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Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Chine
- Région missionnaire :
- 1931 - 1933 (Kunming [Yunnanfu])
- 1946 - 1951 (Kunming [Yunnanfu])
- Pays :
- Malaisie - Singapour
- Région missionnaire :
- 1952 - 1994 (Malacca)
Biographie
[3432] Félix, Louis Magnin a été missionnaire en R. P. de Chine et en Malaisie au milieu du XXe siècle.
Il naît le 11 août 1906 à Challonges, diocèse d'Annecy (Haute-Savoie). Il fréquente d'abord l'école de son village et passe sept ans au Petit séminaire de La Roche-sur-Foron. Il passe deux ans au Grand séminaire de Tessy-Metz et entre aux Missions étrangères le 3 mai 1928. Il est ordonné prêtre le 28 février 1931. Il part pour la mission du Yunnan le 7 septembre 1931.
Chine (1931-1933)
Son évêque, Mgr de Gorostarzu lui demande d'apprendre le chinois au Petit séminaire de Ben Long (Pelongtan-les sources du dragon bleu) à 10 km de Kunming. Puis en février 1932, il est envoyé à Longki (la rivière du dragon) dans le Bas-Sichuan, comme vicaire du Père Eugène Burger. Il ne reste pas longtemps dans ce poste, car le Bas-Sichuan devint la préfecture apostolique de Zhaotong (Caotung), confiée au clergé chinois. Alors le Père Magnin regagne la capitale, et on lui demande d'enseigner le latin aux petits séminaristes.
France (1933-1944)
En 1933, on le rappelle au Yunnan, pour venir en France enseigner au Juvénat de Menil-Flin, un nouvel établissement destiné à aider les jeunes postulants à se préparer aux missions. Mais la guerre de 1939 éclate et le Père Magnin est mobilisé dans l'armée des Alpes. Une fois libéré, il redevient professeur jusqu'en octobre 1944.
R. P. de Chine (1945-1951)
En janvier 1945, il demande son retour en mission, et il s'embarque sur le « Maréchal Joffre » le 2 mars 1946. C’est le premier départ après la guerre. Après un long voyage par Tamatave, il arrive à Kunming le 21 juin en compagnie du Père Le Du. Mgr Derouineau, l'archevêque de Kumming, l'envoie dans la paroisse de Hai Yi (Haiyi), à deux jours de marche au sud de la capitale, Kumming, pour s'occuper de 300 chrétiens chinois et lolo. Mais bientôt le régime communiste se met en place et établit des restrictions aux missionnaires. C'est en 1949 que le Père Magnin, dans un moment de découragement, aurait fait le projet de devenir trappiste en Savoie, à Tamié. On l'en dissuade et il finit par accepter le poste de Yi-ho-fong, sur la route carrossable de Kunming à Guiyang (Kweiyang). Survint alors l'expulsion des missionnaires par les communistes : le Père Magnin quitte la mission pour Hongkong le 2 novembre 1951.
Malaisie (1951-1994)
En 1952, ses supérieurs le nommèrent à Malacca. C'est une région bien différente pour lui. Son archevêque, Mgr Olçomendy, le nomme à Klang, à 30 km à l'ouest de Kuala Lumpur, comme aumônier de l'école technique des Frères de St Gabriel à Batu Tiga. L'aumônier est le catéchiste et le confident des élèves. Il prépare au baptême un bon nombre d'élèves, vit en communauté avec les Frères et est toujours prêt à rendre service.
De 1966 à 1968, il est transféré à Singapour, comme aumônier des Petites-Sœurs des Pauvres.
De 1968 à 1975, on le nomme vicaire à la Paroisse de la Sainte-Famille à Katong. En 1975, il quitte cette paroisse pour devenir prêtre résidentiel, sans aucune responsabilité pastorale officielle, dans la paroisse St François-Xavier. C'est là qu'il fêtera ses noces de diamant de prêtrise, en 1991, entouré de la sympathie de toute la communauté catholique. Dans cette paroisse, il entend surtout les confessions, se faisant le prêtre miséricordieux, toujours près des petits et des malades. Il est généreux et discret avec les pauvres. Il s'émerveille de ce que les paroissiens lui donnent, car à l'occasion de Noël et du Nouvel An chinois, il reçoit beaucoup de "ang pows", somme d'argent dans une enveloppe rouge offerte par ses paroissiens chinois. Sans doute il vieillit, mais peut encore participer au pèlerinage en Terre-Sainte en 1990.
Le 1er janvier 1994, on le trouve paralysé dans sa chambre et on le conduit à l'hôpital catholique de Singapour. Il rend son âme à Dieu le 6 février 1994. Le jour des funérailles, il y a plus de mille personnes autour de l'archevêque et soixante prêtres venus concélébrer l'Eucharistie de sa Pâque. L'église, décorée pour le nouvel An chinois, a une note de fête, une note de joie, pour conduire à sa demeure éternelle le prêtre qui rayonna la joie durant toute sa vie missionnaire.
Nécrologie
[3432] MAGNIN Félix (1906-1994)
MAGNIN, Félix, Louis, né le 11 août 1906 à Challonges (Haute-Savoie), au diocèse d’Annecy ; entré au séminaire des Missions Etrangères le 3 mai 1928, ordonné prêtre le 28 février 1931, destiné à la mission du Yunnan (Chine) le 29 juin 1931 ; rappelé en France le 30 mars 1938, reparti en Chine le 23 mars 1946 ; sorti de Chine par Hongkong le 2 novembre 1951 ; affecté à Malacca le 15 février 1952 ; décédé à Singapour le 6 février 1994.
« Ah ! Misère ! », s’écrie notre doyen en se versant un verre de whisky. Et se laissant aller dans un fauteuil, il part d’un grand éclat de rire en regardant les confrères rassemblés pour leur repas du lundi. Lui est arrivé en avance. Une heure à faire les mots croisés de « Paris-Match », histoire de se garder l’esprit éveillé, un petit somme, et il est prêt à se lancer avec fougue dans quelque discussion que ce soit. Il peut alors user de son don de contre-pied : Ego autem contra. C’est sa manière de se détendre, et de nous amuser.
Il est notre doyen d’âge, d’ordination, de présence en mission. « Oui, mon cher, j’ai battu tous les records de durée en Malaisie-Singapour». Un titre dont il est fier et que son aîné de quelques mois, le P. Cyprien Huc, lui a fait attendre bien longtemps. Il y est arrivé ! Numéro huit par ancienneté dans l’état de la Société, ce n’’est pas rien !
Enfance et jeunesse
Né en Haute-Savoie, à Challonges, Louis Magnin est le second d’une famille qui compta onze enfants. Le curé de la paroisse, l’abbé J.M. Séchaud, lui délivre un certificat, en 1928, indiquant qu’il a été baptisé le 15 août 1906 dans l’église de Challonges, en la fête de l’Assomption. Ses parents sont agriculteurs. Sa mère est née Clémentine Duchène. Son père Victor, qui un temps a pensé au sacerdoce, a quitté le petit séminaire pour raisons de santé Un oncle et un cousin paternel sont prêtres. Deux tantes sont religieuses. Plus tard, deux de ses sœurs les rejoindront. Bref, une famille chrétienne fervente au cœur de laquelle il se sent aimé.
Après avoir fréquenté l’école du village, il passe sept ans au petit séminaire de La Roche-sur-Foron, où il reçoit la confirmation le jour de Pentecôte 1918, puis deux ans au grand séminaire, à Tessy-Metz, près d’Annecy. Le service militaire ne l’éloigne guère. Il est sapeur radio à Grenoble. Depuis l’âge de douze ans, il pense aux missions, mais la maman ne veut pas laisser partir son petit Louis. Lui, l’impatient, s’impose d’attendre.
En première année du grand séminaire, il fait connaissance avec un diacre des Missions Etrangères qui n’a pas pu aller en Asie à cause de sa santé. Louis décide alors de prendre sa place et, sans autre délai, au printemps de 1928, il demande son admission à Paris. La réponse signée « Père Henri Sy » lui fait conclure émerveillé qu’il aura un supérieur chinois. Avec un nom pareil … De l’inculturation avant la lettre. Et comme il rit, soixante après, en racontant sa méprise !
Dans la lettre où il fait part de son désir «d’entrer dans votre séminaire à la prochaine rentrée d’automne», il signale son souci «de régler auparavant les questions financières avec M. le supérieur du grand séminaire d’Annecy. Car, ajoute-t-il, je dois vous dire que j’ai été aidé par les œuvres du diocèse durant le cours de mes études».. Trois jours plus tard, l’abbé F. Cuttaz, écrivant à Paris pour recommander la démarche de son élève, dissipait en même temps ces inquiétudes : Mgr Florent Michel-Marie du Bois de La Villerabel laissait son diocésain quitte et libre de toute dette. Aussi était-il admis sans autre forme de procès le 11 mars 1928.
Un de ses condisciples plus âgé de quelques années nous rappelle des souvenirs : « Petit, malingre, un peu voûté, « Magna » - ainsi l’appelait-on ici, de magnanimus, surnom inventé par notre professeur de sixième –ne faisait pas grand bruit au collège de La Roche. A l’arrivée de l’hiver, il était le premier à voir ses doigts enfler sous les engelures. Rien ne laissait prévoir son avenir. Quand il nous quitta pour les Missions Etrangères, certains pensaient – « Oh ! Dans les missions il y a toujours des petits boulots à faire ! » l’avenir démentira tout cela … Louis Magnin aura donné tout jusqu’au dernier jour à ces missions auxquelles il restait totalement consacré ! »
Après quelques mois à Bièvres, il arrive à Paris en septembre 1928. Ayant déjà reçu les ordres mineurs, il est d’entrée de jeu doyen de la communauté. Il le reste jusqu’à la fin de son séminaire. Mais c’est surtout comme cérémoniaire qu’il s’affirme durant trois ans. Gare à ceux qui, alors et plus tard, en prennent à leur aise avec les rubriques ! Les réformes de Vatican II n‘entameront pas son assurance … Ordonné prêtre le 28 février 1931 pour le service de la communauté, il reçoit sa destination le 29 juin pour le Yunnan. Lui qui rêvait d’aller en Chine, il est comblé !
Premier séjour au Yunnan (1931-1938)
Il part de Paris pour Yunnanfu le 7 septembre, et embarque à Marseille le 16 sur l’ »Azay-le-Rideau », accompagné entre autres des PP. Pierre Blivet, Vincent Millacet, Georges Dedeban … Il débarque à Haïphong et, depuis Hanoï, gagne le Yunnan par chemin de fer. Trois jours de voyage, avec arrêt dans les stations pendant la nuit :il y a des bandits ! Mgr Charles de Gorostarzu, monté sur sa mule, patrouille sur le quai de la gare et a vite fait de répérer le nouveau. Il l’embarque sur un pousse en direction de l’évêché. L’arrivant déjà proteste ; il ne veut pas se laisser tirer par un homme ! Mais le vieil évêque est formel « : »faites comme en Chine ! » Quelques mois d’étude de langue au petit séminaire de Pelongtan – les sources du dragon bleu -, à 10 km de Kunming, et en février 1932 le voilà parti pour Longshi – la rivière du dragon -, à vingt et une étapes de l’évêché. C’est ce qu’on appelle le Bas-Yunnan. « j’y suis vicaire du P. Eugène Burger, précise Louis Magnin, mais je réside seul dans un village à quatre heures de route de mon curé. Aussi faisons-nous excellent ménage, nous rencontrant ne fois par semaine ». Et ils ne sont qu’à deux jours de Suifu !
Toutefois, cet apostolat aux frontières ne se prolonge guère. Le Bas-Yunnan devient la préfecture apostolique de Chaotung, confiée au clergé chinois. Notre confrère regagne la capitale et y enseigne le latin aux petits séminaristes Il est aussi cérémoniaire de Mgr Georges de Jonghe d’Ardoye. Toujours pointilleux sur l’exactitude et l’observance des rubriques, il n’hésite pas à faire des remarques à son évêque. Ce n’est guère la manière de bien commencer la journée. Mais un petit déjeuner ensemble, avec le fameux jambon du cru, les remet de bonne humeur ! Pour un temps, en 1937, il remplacera le P. Paul Ducotterd, parti en congé, au probatorium de Tsin Chan Keou.
Professeur en France (1938-1946)
La Société, qui avait ouvert des établissements en France pour aider de jeunes postulants à se préparer aux missions, avait besoin de professeurs. C’est en Lorraine, à Ménil-Flin, que le P. Magnin, rappelé du Yunnan, enseigne le français, le latin et les mathématiques, dès octobre 1938, après un bref passage à Beaupréau. Il y a une trentaine d’élèves, et il a avec lui les PP. Henri Prouvost, René Josset, Alphonse Colin et Edmond-Marie Durieu comme supérieur et collègues. Mobilisé dans l’armée des Alpes, il est, au retour, recruteur à plein temps, puis à mi-temps avec le P. André Beaudeaux, enfin de nouveau professeur à plein temps, jusqu’au 3 octobre 1944. « Libération plutôt mouvementée, commentera-t-il, j’y perds toutes mes affaires… » Et c’est un ancien de Ménil-Flin qui nous permet de « goûter » notre confrère et ses dons d’éducateur. « Nous étions cinq élèves auxquels le P. Magnin enseignait le latin et le grec en quatrième. Sa personnalité m’inquiétait et me fascinait. Il pouvait être charmant et tout d’un coup se mettre en colère, frappant son bureau du poing. Mystérieux professeur dont nous comprenions mal le caractère et les principes pédagogiques. Il ne fallait pas trop remuer en classe, sinon c’était la porte ! Mais pour s’assurer d’avoir assez d’élèves en classe notre professeur avait décidé de n’en mettre dehors que deux à la fois. Il commençait la classe en disant :« Aujourd’hui, pour changer … ». Et tous de conclure en choeur : « Interrogation écrite’ ! » Quand il était content des résultats, nous avions droit à une page de Chapuzot … Vif, bouillant – attention sur le terrain de football où il était à la fois joueur et arbitre -, mais aussi droit et juste. Pas de préférés parmi ses élèves. En le regardant vivre, ainsi que les autres pères du séminaire, je me suis pris à admirer cet homme original mais si généreux, qui voulait repartir prêcher l’évangile en Asie. Pour le reste, nous avions une explication lumineuse : « Il a été en Chine !… » Et ça en disait long ».
La Chine reste bien sûr sa mission. Il demande en janvier 1945 à y repartir dès que possible. Après un an comme aumônier des chanoinesses de Saint-Augustin à Brunoy, il s’embarque sur le « Maréchal Joffre le 23 mars 1946. C’est le premier départ après la guerre.
Second séjour en Chine (1946-1951)
Ils sont dix-huit Mep à bord, surtout des jeunes – les PP. François Dufay, François Le Dû, Jean Guennou, René Sylvestre, Jean-Paul Novion, André Lesouëf – avec le P. Signoret et lui-même, qui en sont à leur deuxième départ. Patience … Le « Maréchal Joffre’» étant un transport de troupes, ils font un détour par Tamatave, ce qui leur vaut le baptême de la ligne. À Haïphong, puis à Hanoï, ordres et contrordres, un départ sur un avion qui rebrousse chemin, et finalement c’est l’atterrissage à Kunming le 21 juin en compagnie du P. Le Dû.
Kunming, qui va devenir archevêché, ça veut dire douze milliçons d’habitants dans un p)ays de montagne : la ville est à 1900 mètres d’altitude, sans bonnes routes ni moyens modernes de communication. C’est aussi un pot-pourri de races : à côté des Chinois, il y a les Lolos, les Miaos, les Longieus, les Chas, les Poulas, les Lissous, et d’autres. Dans cette masse, quelques milliers de chrétiens servis par Mgr Alexandre Derouineau et 70 prêtres dont la moitié sont chinois.
L’ami Louis se trouve bientôt chargé de la paroisse de Haiyi en pays lolo, à deux jours de marche au sud de la capitale : 300 chrétiens chinois et lolos. Sans hésiter, il s’initie à la langue locale et prêche, avec l’aide de traducteurs, en chinois et en lolo. Il y a alors beaucoup d’espoirs et de projets dans la mission. Six jeunes missionnaires viennent d’y arriver. Mais c’est bientôt la mise en place du régime communiste. La lutte des classes, la réforme agraire sont les ingrédients de base du nouveau système, et on n’est pas autorisé à circuler à plus de 5 km de sa résidence.
C’est en 1949, dans cette atmosphère de turbulence, que le P. Magnin passe par un moment de découragement. Il veut quitter la Chine et devenir trappiste en Savoie, à Tamié. Un Savoyard haut en couleurs, un ancien du Kwangsi, le P. Jean Bibollet, et le P. abbé de Tamié, lui-même un camarade de cours, l’en dissuadent. Le billet de retour est pourtant pris. Quand il a quelque chose dans la tête… Finalement, il accepte d’aller à Yi Ho Fong – le nid de guêpes ! – avec le P. Édouard Haane sur la route carrossable de Kunming à Kweiyang. Fin 1949, la prise de pouvoir par les communistes l’oblige à se replier sur la capitale où il sert comme aumônier de l’orphelinat tenu par les Sœurs de Saint-Paul de Chartres. Expulsé le 2 novembre 1951, il est envoyé à Chongking, fait la descente du fleuve et arrive à Hongkong à la fin du mois.
Le diocèse de Malacca sera son nouveau champ d’apostolat. Il veut s’y retrouver avec plusieurs anciens de Chine qu’il connaît.
Les années de Malaisie-Singapour (1952-1994)
À son arrivée, Mgr Michel Olçomendy l’envoie à Klang, 30 kilomètres à l’ouest de Kuala Lumpur. Auprès d’un prêtre tamoul avec lequel il sympathise vite, le P. Edmund, il s’initie à l’anglais et commence à apprécier les romans de cow-boys dont il restera friand jusqu’à ses derniers jours . Son passé d’éducateur le fait désigner, en 1954, comme aumônier de l’école technique des Frères de Saint-Gabriel, Boys’ Town, à Singapour, où il restera jusqu’en 1966.
Il y a là, au milieu de 200 garçons tous pensionnaires, venant le plus souvent de familles touchées par la pauvreté, le divorce, ou :la mort des parents, des jeunes qui ne peuvent pas suivre le cours normal des études. Ils ont besoin de se sentir acceptés, appréciés, et on essaie de les équiper ave une bonne formation technique. Ils seront électriciens, mécaniciens, imprimeurs, charpentiers, et gagneront bien leur vie … des jeunes, responsables les uns des autres, sous a conduite d’enseignants laïcs et d’une dizaine de Frères, tant canadiens que singapouriens. L’aumônier est le catéchiste et le confident de ces adolescents, non catholiques pour la plupart. Il en prépare un bon nombre au baptême, et devient l’ami des religieux, partageant leur prière et leur vie de communauté. Pour le week-end, il va aider dans les paroisses de Bukit Timah, Mandai et Sembawang, célébrant des messes et y entendant les confessions. Il est de bon conseil, proche des gens, disponible.
A l’occasion d’un congé en France, il lui est demandé d’enseigner pour un an à Ménil-Flin, un service qui lui fait perdre son statut de résident permanent à Singapour ! De 1966 à 1968, il est l’aumônier des Petites Sœurs des Pauvres, tout en résidant à la paroisse Sainte-Bernadette. De 1968 à 1975, vicaire à la Sainte-Famille, il y prend la succession du P. Louis Danion, avec les PP. Jean Bourcart et Pierre Barthoulot comme curés. En 1975, il va à Saint-François Xavier auprès des PP. Louis Amiotte, Félix Brygier, Pierre Abrial, John Sim, y devenant prêtre en résidence, sans responsabilité pastorale officielle lorsqu’il accomplit ses 80 ans. Ses noces de diamant y seront fêtées dignement en 1991 par toute la communauté catholique, et un album souvenir publié pour garder mémoire de cette occasion.
Durant ces 26 années de ministère paroissial, il se donne à plein, tant dans la célébration des sacrements que dans l’intendance quotidienne. Les comptes, qu’il tient avec minutie, les troncs de l’église qu’il vide régulièrement pour décourager les voleurs, sont une occasion d’exercer ses dons de gestionnaire. Il servira même quelques mois comme procureur de Société à Siglap ! Sa bonté, sa patience, ses éclats de voix accompagnés d’éclats de rire, en font un confesseur recherché et apprécié. « Humble et doux comme un agneau, écrivent ses pénitents. C’est au confessionnal que vous êtes vraiment vous-même. Pas de raison d’avoir peur avec vous, aucun risque de se faire gronder. Ce que vous dites, c’est simple, ça nous touche, c’est pourquoi nous tenons à vous ». Quel compliment pour celui s’enflamme comme du phosphore et ensuite regrette ses colères ! C’est le P. Magnin confesseur, dont on se rappellera le plus longtemps à Singapour, le prêtre miséricordieux, proche des petits et des malades.
A Saint-François Xavier où il passe les dernières années de sa vie, il sait être présent et discret. Lui, enraciné dans le passé, apprécie les prêtres les plus jeunes avec lesquels il vit : il est leur ami. Aussi longtemps qu’il le peut, il prêche, il baptise, il prépare des adultes au baptême ; si on vient le chercher, il va volontiers bénir des maisons. Comme il ne peut plus voyager en autobus, il a trouvé une paroissienne, plus jeune que lui de quelques années, qui le conduit chez le docteur, ou à Siglap pour nos réunions du lundi, et ce sans excès de vitesse … Les PP.John Sim et Peter Tan tiennent à le garder avec eux au presbytère. D’autres l’auraient invité à prendre sa retraite chez les Petites Sœurs des Pauvres, ce qu’il ne veut pas envisager. Ils arrangent un lit dans son bureau, il n’a plus besoin de monter dans sa chambre. Ils l’entourent plus spécialement à l’occasion de ses soixante ans de sacerdoce : « Il est plein d’humour, disent-ils, bon, généreux, et volontiers il nous encourage. C’est une source d’inspiration pour notre ministère de prêtre
Une personnalité à l’image de ses montagnes
Mais, à travers tous les événements de sa vie, qui est le P. Magnin ? Difficile à dire, et fascinant à la fois. Il y a tant d’aspects contrastés dans sa personnalité, tant d’imprévu, de surprenant, comme dans les montagnes de sa Savoie natale : sommets et vallées, ruisseaux qui deviennent rivières, côtés d’ombre et versants ensoleillés .. Le jour de ses obsèques, le P. Barthoulot le compare à un fleuve ayant sa source en Savoie et son estuaire à Singapour. Oui, un de ces longs fleuves d’Asie, tumultueux et puissant, qui creuse des défilés, force un passage, se grossit d’affluents venus de vallées différentes, puis se calme, devient majestueux, et offre un cours assagi et un lit profond facilement navigable.
Un homme de décision, sans compromis concernant sa foi, aussi bien que les traditions de l’Eglise. Parfois, il a tendance à les mettre sur le même plan ! Un homme de cœur, délicat, partageant les peines et les joies des autres, un ami fidèle et tonifiant. « A seize ans, lorsque j’exprimais mon désir d’aller en Chine, ma mère a éclaté en pleurs. J’ai alors décidé d’attendre deux ans de plus. Mon premier départ tenait de l’aventure et je partis sans effort, mais après chaque congé, ma famille et moi nous quittions dans les larmes ». Et il en fut ainsi en 1993, lors de son dernier retour à Singapour.
Il est très près des prêtres de sa famille et apprécie l’accueil que lui réservent ses frères et sœurs, neveux, nièces, ses amis. Sans s’en douter, il touche bien des vies : « Mes filles, qui ont maintenant 24 et 26 ans, ont gardé l’amitié et la confiance qu’elles avaient pour lui lors de notre séjour à Singapour, des années plus tôt ». Des cousins écrivent : « Les deux ou trois jours qu’il passait avec nous lors de ses séjours en France nous ont marqué de manière indélébile. Nous lui écrivions tous les ans, et il nous répondait lors du Nouvel An chinois, le tout accompagné de photos. Il adorait les enfants qui le lui rendaient bien, subjugués par ses récits, sa jovialité, sa pédagogie, sa sérénité et sa foi ». Et lui qui disait : « Il ne faut pas hésiter à gronder les enfants ! Mais n’employez pas de mots qui blessent. Aucun enfant n’est parfait! » Il savait aussi distribuer des bonbons.
Missionnaire en Chine, il a toujours gardé un attrait pour la vie contemplative ; les trappistes de Tamié ! Cela pouvait bien être la raison profonde de son goût pour la prière liturgique, les cérémonies bien faites et l’exactitude. Il a depuis longtemps une montre qui ne varie pas plus de dix secondes en un an. Lors de nos repas en commun, nous l’entendons dire : « A table, messieurs, il est midi et trois minutes !» Il n’hésite pas à rappeler l’importance de la ponctualité, et les détails des rubriques, aux évêques ou cardinaux qu’il assiste comme cérémoniaire.
Allant de pair avec les contemplatifs, les martyrs de la Société lui sont une source de courage et de persévérance. Saint François Jaccard, un Savoyard est premier de liste, et comme diacre des martyrs, l’ami Louis est un guide passionné et vivant. Dans la vie de tous les jours, il reste un homme aux goûts simples. Il se détend en lisant des romans de cow-boys, et suit les matches de football à la télévision. Il s’enthousiasme, et il lui est arrivé de se retrouver sur le sol de sa chambre avec un pied endolori. Dans son rêve, il avait marqué un but, et pour cela donné un coup de pied dans le mur ! Il se déplace par autobus, connaît bien le réseau, et a le sourire lorsque quelqu’un qui le reconnaît lui paie son ticket : « Voyagez par bus, dit-il, et vous économiserez ! »
Il est généreux et discret avec les pauvres. Il s’émerveille de ce que les paroissiens lui donnent, et avec une simplicité dont on pourrait sourire, il tient un compte exact des « ang pows » (1) pour Noël, le Nouvel An chinois ou son anniversaire. « Tu parles ! Plus je vais, moins je dépense et plus on me donne ! » Avec la même minutie qu’il comptabilise les dons reçus, généreusement il en fait profiter les autres. A-t-il des goûts artistiques ? En tout cas, il se plaît à réparer et repeindre les statues, et comme il est à peu près le seul à faire cela , il ne chôme pas. Il fait des heureux, pourvu qu’on ne soit pas trop exigeant sur les couleurs car l’harmonie des tons ‘est souvent inédite !
Il sait vieillir avec sérénité et vivre dans les limites imposées par l’âge et la maladie. Il participe au pèlerinage en Terre Sainte en 1990 et n’est nullement une gêne comme certains le craignaient. Il égare bien sa canne, ou; cherche son portefeuille, mais il sait rire de ces petites misères. D’ailleurs, avec le P. Magnin il ne faut pas discuter : il faut plaisanter. Ce qui aurait pu être un argument déplaisant n’est plus alors qu’un grand éclat de rire.
Oui, un diamant de bonne qualité que l’expérience de tous les jours a arrondi et fait briller. Un missionnaire fidèle, qui a su durer et rester vivant jusqu’au bout.
Louis Magnin nous quitte avant l’an 2000 !
Trouvé paralysé le lundi 31 janvier, il s’en allait vers le Seigneur le dimanche suivant, ayant passé ces quelques jours dans un état semi-comateux à l’hôpital catholique. Au début, lui, le fervent de Notre-Dame de la Salette pouvait encore tenir son chapelet, puis peu à peu il s’affaiblit.
Les PP. Sim et Tan, qui avaient entouré son vieil âge de tant d’attentions, lui donnent avec les paroissiens des funérailles « à la Singapour » : veillée de prières – en anglais et en chinois – autour du corps exposé dans l’église jusque tard dans la nuit. Et le jour des funérailles, il y avait plus de mille personnes entourant notre archevêque et soixante prêtres concélébrant l’eucharistie de sa Pâque. L’église, décorée par le Nouvel An chinois a une note de fête, et quelques pétards – pourtant officiellement interdits – se font entendre dans le lointain. Tout cela réjouit sans nul doute le cœur de celui qui fut notre doyen : un bel enterrement, et qui plus est la veille du Nouvel An, alors que se prépare le traditionnel repas de famille, et lui-même invité au repas du Seigneur.
Le P. Magnin avait plusieurs fois exprimé le rêve de tenir jusque l’an 2000 : « On vit vieux dans la famille.. » Le Seigneur en a décidé autrement, et comme il l’a dit si souvent dans sa vie, une dernière fois il se sera exclamé « Marchons ! » Après tout, il n’a plus de jubilés à célébrer et le Seigneur lui offre le plus généreux « ang pow » qu’il peut désirer : la plénitude de la vie et de l’amour ! Alors, pourquoi attendre ?
Michel ARRO
(1) somme d’argent offerte dans une enveloppe rouge à l’occasion du Nouvel An chinois ou de célébrations familiales.
Références
[3432] MAGNPIN Félix (1906-1994)
Références bio-bibliographiques
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