Victor LEROUX1913 - 1969
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 3593
Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Chine
- Région missionnaire :
- 1937 - 1952 (Yibin [Suifu])
- Pays :
- Malaisie - Singapour
- Région missionnaire :
- 1954 - 1962 (Malacca)
Biographie
[3593] LEROUX Victor, André, est né le 20 juillet 1913 à Cabane en Siran, diocèse de Saint Flour (Cantal). Il fit ses études primaires à Siran, et ses études secondaires à Aurillac. Puis, il entra aux Missions Étrangères le 6 septembre 1930. Ordonné prêtre le 4 juillet 1937, il partit pour la mission du Sichang-Kientchang le 14 septembre 1937.
Le voyage jusqu'à Kunming, via Hanoi, et le chemin de fer du Yunnan fut facile, mais il fallut ensuite chevaucher à dos de mulet, en se joignant à des caravanes, pour traverser de profondes vallées et des chaînes de montagnes élevées. Il arriva à Ningyuanfu en novembre 1937.
Après un voyage mouvementé pour aller voir son frère aîné Jules à Lentsi, Victor dut s'installer chez son vicaire apostolique dès le 15 avril pour commencer l'étude du chinois. On l'envoya bientôt continuer cette étude à Hosi et au mois d'août, il fut nommé chef du poste de Hongpouso, à l'extrême Sud de la mission. Là, il eut à souffrir de l'inflation, des impôts nouveaux et de la disette en raison de la guerre sino-japonaise qui affecta indirectement la mission de Kientchang.
En août 1941, M. Leroux fut nommé à Hosi. Les missionnaires pouvaient se déplacer comme ils voulaient, et M. Leroux en profita pour aller visiter ses chrétiens dispersés. À cette époque, les chrétiens eurent à subir de nombreuses vexations : perquisitions, réquisitions de presbytère, et même des tortures. Le Père ne resta pas longtemps dans ce village, car Mgr Baudry le nomma, en 1943, à Fulin, dans l'extrême Nord de la mission. Ce poste venait d'être complètement pillé, mais M. Leroux, profitant d'une accalmie, se mit à relever les ruines.
La fin de la grande guerre de 1945 pouvait laisser espérer un renouveau de l'action missionnaire, mais une autre guerre, locale celle-là, menaça le Kientchang : la lutte entre Chinois et Lolos.
Le 27 mars 1950, l'armée communiste arriva à Sichang. Le Père fut transféré à Yeusi, mais la domination communiste devenait de plus en plus lourde, et rendit la vie du missionnaire très difficile. Il dut travailler de ses mains pour survivre. En juillet 1952, il fut arrêté et expulsé et arriva à Hongkong au mois de septembre.
Le 30 septembre, il monta sur un bateau en partance pour la France, mais s'arrêta et débarqua à Saigon. Après un court séjour, il prit un avion pour la France où il arriva le 4 avril 1953. N'ayant que quarante ans, il rêvait de retourner en mission. Ses supérieurs de la rue du Bac l'affectèrent à la mission de Malacca le 1er avril 1954.
Mgr Olçomendy l'envoya pour quelques mois à Kajang, à 25 km au sud de Kuala Lumpur, pour apprendre le dialecte chinois hakka, sous la direction de M. Mamet. Lors de la division du diocèse en 1955, il fut nommé à la paroisse de la Sainte Famille à Singapore, où il put faire usage de la langue anglaise qu'il avait bien apprise. Il parlait également le mandarin. En février 1959, il fut nommé curé de Segamat, en Malaisie, à 200 km de Singapore. Cette paroisse comprenait environ 700 Chinois et quelques Indiens et Eurasiens. En dehors de la ville, il y avait des villages stratégiques où avaient été regroupés les paysans chinois pendant la guerre japonaise. Ce fut pour l'armée un bon moyen de contrôler la rébellion communiste. Le Père allait souvent visiter ces villages. Puis il fonda la Conférence de St Vincent de Paul et la Légion de Marie. Même avant les décrets de Rome concernant les innovations liturgiques, il se mit à dire la messe face au peuple, et introduisit chinois et anglais dans les textes, en plus du latin.
Il prit un congé pour se rendre en France en 1959, et au bout d'un an, il revint dans sa mission, le 25 octobre 1960. À Singapore, il retrouva sa paroisse de la Sainte Famille, où se trouvaient MM. Munier et Amiotte. Il se mit au travail, mais arrivant à la cinquantaine, sa santé, malgré les apparences, laissait à désirer. Sa colonne vertébrale devint douloureuse et les traitements n'apportèrent guère d'amélioration. Alors il décida de rentrer en France définitivement en août 1962.
On le nomma chapelain des Clarisses de Périgueux, mais le climat de cette région ne lui convenait pas, alors on l'envoya en juin 1965 à St Rémy, dans le diocèse d'Aix en Provence. Puis en avril 1971, il partit pour l'Afrique, où il fut accepté pour trois ans, en Côte d'Ivoire. Il fut nommé à Danané, poste perdu dans la brousse africaine, tout près de la frontière avec le Libéria. Sa santé malheureusement se détériora et il dut quitter l'Afrique le 22 avril 1974 pour revenir en France.
Il passa les dernières années de sa vie, soit chez ses amis près d'Avignon, soit dans son village natal de Siran en Auvergne. Il dut faire plusieurs stages en clinique et en maison de repos, et il mourut à l'hôpital d'Apt, le 1er juillet 1969.
Missionnaire un peu remuant en raison de son esprit d'indépendance, il fut un prêtre très zélé, entreprenant et généreux.
Nécrologie
Le Père Victor LEROUX
1913 - 1989
LEROUX Victor, André
Né le 20 juillet 1913 à Siran, diocèse de Saint-Flour, Cantal
Entré au séminaire des Missions Étrangères le 5 septembre 1930
Ordonné prêtre le 4 juillet 1937
Parti pour le Vicariat apostolique de Ningyuanfu (Kianchang) le 14 septembre 1937
Décédé à l’hôpital d’Apt le 18 juillet 1989
Victor Leroux naquit dans une ferme d’Auvergne au village de Siran, le 20 juillet 1913 (d’après le registre des baptêmes, mais le 28 juillet d’après le registre des naissances), dans une famille très chrétienne. A la mort de son père, qui suivit de peu celle d’une benjamine, la famille fut réduite à la mère et quatre garçons, dont trois seront ordonnés prêtres. Madame Leroux dut travailler très péniblement pour faire valoir le petit domaine familial et élever ses enfants qui l’aidaient aux travaux des champs de tout leur pouvoir. Après des études primaires faites à l’école de Siran, Victor entra à dix ans à l’Institution Saint-Eugène d’Aurillac, le petit séminaire, où il fut estimé un bon élève pieux et obéissant, et où dès l’âge de treize ou quatorze ans, il entendit l’appel du Seigneur à être missionnaire, suivant en cela l’exemple de son frère Jules, l’aîné de la famille, qui venait d’entrer aux Missions Étrangères. Aussi ses études secondaires terminées en 1929 demanda-t-il son admission au même séminaire que son frère. Il y entra effectivement le 5 septembre 1930. Aux séminaires de Bièvres et de Paris, Victor se montra également bon élève, pieux et obéissant, mais très actif, très imaginatif et coutumier de réflexions acerbes. Il dut aller à l’armée d’avril 1934 à juillet 1935, et il fut ordonné prêtre le 4 juillet 1937. Le lendemain, Mgr de Guébriant lui annonça sa destination pour le Kianchang (Kientchang), ce qui était un signe de l’estime qu’avaient pour lui ses supérieurs : on l’envoyait dans la mission préférée du Supérieur général.
La province du Kianchang est un pays montagneux à la frontière du Tibet. De profondes vallées coupent des chaînes de montagnes élevées et rendent difficiles les voyages à travers ce pays sans route jusqu’en 1941. Le Vicariat apostolique de Ningyuenfu (Sichang) avait été créé par démembrement de celui de Yibin en 1910, avec Mgr de Guébriant comme premier Vicaire apostolique. En 1937, au milieu d’une population totale de deux millions d’habitants, vivaient quelque onze mille catholiques, .très disséminés, car on comptait quatre-vingt-sept lieux de culte. Douze missionnaires des Missions Étrangères et dix-sept prêtres chinois, aidés de deux Pères rédemptoristes américains qui prêchaient des retraites, et de trente-six religieuses, tant Européennes que Chinoises, travaillaient sous la houlette de Mgr Baudry. Les conversions n’étaient pas très nombreuses, et pourtant en moins de trente ans le nombre des chrétiens était passé de cinq cents à onze mille. Dans cette province vivaient de nombreux Lolos, ennemis héréditaires des Chinois, qui rendaient dangereux tout déplacement en dehors des villages. Ajoutons que cette mission avait été ruinée deux ans plus tôt par le passage d’une armée communiste commandée par le général Zhutei, de sinistre mémoire.
Après la cérémonie du départ du 14 septembre, Victor Leroux s’embarqua à Marseille en compagnie de dix-huit autres jeunes missionnaires. Le voyage jusqu’à Kunming via Hanoï et le chemin de fer du Yunnan, fut facile. Mais ensuite, il fallut chevaucher à dos de mulet en se joignant à une caravane qui partait pour cette « Sibérie de la Chine », comme le Kianchang était alors appelé. Victor Leroux quitta Kunming le 23 octobre et arriva à Ningyuenfu le 3 novembre, seul membre de la caravane à ne pas parler chinois alors que les autres membres ne parlaient que cette langue.
Depuis sept ans les deux frères Leroux ne s’étaient pas vus, mais maintenant ils n’étaient plus très éloignés l’un de l’autre, aussi Mgr Baudry permit-il à Victor de se rendre à Lentsi où résidait son aîné. Victor partit le 9 mars et arriva le 22, toujours à dos de mulet, après un voyage sans incident. Jules Leroux voulut présenter son cadet à ses confrères, ils quittèrent donc Lentsi pour se rendre à Si-Kang. Le mulet du jeune missionnaire tomba dans un torrent, Victor fut sain et sauf, mais son précieux appareil photographique fut perdu, ainsi que le mulet, ce qui l’obligea à faire le reste du voyage à pied. Le lendemain, les voyageurs furent pillés par des Lolos, mais peu après ils rencontrèrent un chef Lolo connu de Jules et à qui ils exposèrent leur détresse. Le soir même, ce chef leur rendit leur bien, accompagné de la tête sanglante des Lolos pillards. Enfin, après cinq journées assez mouvementées, ils arrivèrent à Si-Kang où ils ne restèrent pas longtemps, car dès le 15 avril, Victor Leroux commençait à étudier le chinois auprès de Mgr Baudry. Au mois de juin suivant, ce dernier l’envoya continuer ses études auprès de M. Arnaud à Hosi, petit village qui voyait sa population augmenter de nombre de réfugiés venus des provinces voisines, victimes de la guerre civile, et au mois d’août, il le nomma chef du poste de Hongpouso, à l’extrême Sud de la mission.
La mission du Kianchang ne fut pas directement affectée par la guerre sino-japonaise, néanmoins la population eut à souffrir de l’inflation, des impôts nouveaux et de la disette. La défaite de la France en 1940 eut pour conséquence un redoublement du mépris pour la religion prêchée par des Français, et surtout la suppression de toute subvention venant d’Europe, ce qui obligea à la fermeture de presque tous les catéchuménats. À Hongpouso, M. Leroux eut à lutter contre toutes ces diffi¬cultés. La construction de la route reliant l’Inde au Si-Chuan se poursuivait et en avril 1941 les habitants de Sichang virent pour la première fois une automobile.
En août 1941, M. Leroux fut nommé à Hosi alors que les chrétiens de la province avaient à subir de nombreuses vexations : perquisitions, réquisition de presbytères, certains même furent torturés. Cependant les missionnaires étaient libres de se déplacer où ils voulaient, mais la population leur était de jour en jour plus hostile. Quoique Hosi ne fut qu’un petit village d’une seule rue, M. Leroux avait à se déplacer continuellement pour rendre visite à ses chrétiens dispersés dans un rayon d’une centaine de kilomètres, afin de les encourager.
Il ne resta pas longtemps dans ce village, car, en 1942, Mgr Baudry l’envoya enseigner au petit séminaire de la mission, la seule école chrétienne encore ouverte, puis l’année suivante le nomma à Fulin, dans l’extrême nord de la Mission. Ce poste venait d’être complètement pillé, et M. Leroux eut pour première tâche de relever les ruines. En 1944, un maréchal de l’armée chinoise passa par Sichang et se montra bienveillant à l’égard de l’évêque et des chrétiens, de sorte que les vexations anti-chrétiennes cessèrent.
La fin de la guerre, en 1945, pouvait faire espérer un renouveau de l’action missionnaire, et Mgr Baudry avait conçu un plan d’action comprenant la création de l’Action catholique des laïcs et le développement des écoles chrétiennes, mais au Kianchang une autre guerre commença : la guerre entre Chinois et Lolos, qui créa un climat de grande insécurité. M. Leroux vivait très proche des endroits les plus chauds. Cependant le manque de maître d’école l’obligea, à partir de 1949, à enseigner les caractères chinois aux petits Chinois, en plus du catéchisme.
Le 27 mars 1950 l’armée communiste entra à Sichang et ne tarda pas à occuper tout le reste du pays peuplé par des Chinois, faute de pouvoir pénétrer partout où vivaient les Lolos. M. Leroux fut nommé à Yueshi au mois de juin de cette année. Comme partout, la domination communiste se fit de plus en plus lourde. Le Vicariat apostolique de Ningyuenfu fut érigé en diocèse de Sichang, le 9 juillet, mais bientôt la famine sévit. Les prêtres catholiques durent payer des taxes exorbitantes ; ne possédant que très peu de biens, ils ne purent s’acquitter. À Yueshi, M. Leroux ouvrit un dispensaire et fit du jardinage pour pouvoir vivre. Bientôt, comme aux autres missionnaires, on lui intima défense de quitter sa résidence. Il semble cependant qu’il fut oublié dans son village, car, en juillet 1952, il était le dernier missionnaire à vivre encore dans sa mission. Il fut pourtant arrêté et expulsé. Il arriva à Hong-Kong au mois de septembre.
Le 30 septembre, il monta sur un bateau qui partait en direction de la France, mais, le 4 octobre, il débarqua à Saïgon et partit visiter les missions du Vietnam, non sans faire des conférences sur l’Église de Chine, là où il trouvait un auditoire suffisant. Les supérieurs furent assez surpris de cet arrêt inattendu, et lui firent prendre un avion qui, après deux jours de voyage, arriva en France le 4 avril 1953. M. Leroux passa une année de repos en France, mais sa pensée ne quittait pas la Chine ni les Chinois, aussi ne fut-il pas question qu’à l’âge de quarante ans il restât en France. Le 1er avril 1954, il fut affecté à la communauté missionnaire de Malacca.
L’archidiocèse de Malacca comprenait alors la Malaisie et l’île de Singapour. L’archevêque, Mgr Olçomendy, envoya pour quelques mois M. Leroux à Kajang, à vingt-cinq kilomètres au sud de Kuala Lumpur, auprès de M. Mamet, ancien missionnaire du Guangsi, afin qu’il se familiarisât avec le dialecte hakka, car les dialectes restaient très importants dans les communautés chinoises, le mandarin étant encore considéré comme le dialecte de Beijin devenu langue des écoles et des gens éduqués. Au bout de quelques mois, le nouveau débutant jugea qu’il en savait assez, d’autant qu’il était persuadé de l’importance croissante du mandarin qui viendrait supplanter les dialectes.
La langue anglaise lui semblait prioritaire, et lors de la division du diocèse en 1955, il se retrouva à Singapour, à la paroisse de la Sainte-Famille, communauté surtout eurasienne à cette époque avec un curé eurasien et un co-vicaire australien. Il ne lui fallut pas longtemps pour bien connaître la langue de Shakespeare. Il savait choisir ses interlocuteurs et s’exprimait non seulement avec aisance, mais aussi avec élégance ; il y mettait son point d’honneur.
Il se fit vite des amis parmi les paroissiens et les non-chrétiens du quartier qu’il étonnait par la qualité de son mandarin. D’ailleurs, il aimait étonner, cela faisait partie de sa personnalité. Il lui était agréable de voir certains s’offusquer de ses propos ou de son style d’action qu’il voulait intelligemment provocateurs, de sorte qu’à côté de ceux qui l’appréciaient et restèrent ses amis au long des ans, bien après son départ de Singapour, d’autres craignaient ses saillies et auraient voulu le voir bien loin. Ces réactions l’amusaient, le réjouissaient, et personne, paroissiens, confrères, archevêque, religieux, religieuses, n’était à l’abri de ses pointes, toutefois plus humoristiques que blessantes. Qui, un jour, n’en fut point la victime ?
Il était temps de l’envoyer vers des horizons plus larges. En février 1958, il fut nommé curé de Segamat. Ce n’étaient pas les montagnes du Kianchang, mais des plantations d’arbres à gomme et de palmiers. Segamat est une petite ville à deux cents kilomètres de Singapour, ou une église en dur venait d’être terminée pour le bénéfice d’une communauté catholique en majorité chinoise d’environ sept cents âmes. Victor Leroux y resta jusqu’en juin 1956. Il y fit de l’excellent travail, avec quelques innovations qui irritèrent certains. Hôte accueillant pour les confrères qui s’arrêtaient chez lui, tout en dégustant un bon café, il « jugeait » les orientations théologiques et existentielles de son visiteur grâce à quelques questions et saillies qui obligeaient celui-ci à se découvrir. Et lui de se réjouir d’en avoir « coincé » un de plus, ainsi qu’il lui arrivait de l’avouer.
Il visitait les villages stratégiques dans lesquels l’armée anglaise avait regroupé les paysans chinois de manière à mieux contrôler la rébellion communiste. Il y portait du riz, denrée alors très rationnée, et intéressait ses paroissiens aux besoins de ces populations regroupées. Il commença une Conférence Saint-Vincent de Paul avec l’aide que lui donnait, depuis Singapour, un groupe dont l’aumônier n’était autre que Mgr Carriquiry, un ancien du Kianchang. Presque chaque soir, il allait prier dans une famille, emmenant avec lui tout un groupe de chrétiens. Il lança aussi une Légion de Marie et fonda une chorale pour chanter en anglais et en mandarin. Il savait rendre l’Église sympathique à des gens qui en étaient fort éloignés, témoin cette famille de planteurs écossais agnostiques et aussi anti-catholiques, dont il devint l’ami. Tout en appréciant l’hospitalité de ces personnes, il préparait auprès d’eux, à sa manière, les voies du Seigneur.
Ses innovations liturgiques — autel face au peuple, usage de l’anglais ou du chinois dans les célébrations liturgiques, partage d’Évangile — alors que les textes conciliaires n’étaient pas encore publiés, lui valurent des visites de l’archevêque qui essaya timidement de remettre les choses dans le droit chemin. Mais tous les deux étaient bien conscients du jeu auquel ils s’adonnaient et, dans le fond, s’estimaient et s’amusaient. « Père Leroux, disait l’archevêque, vous auriez pu quand même me demander la permission de dire la messe face au peuple. » Et Victor Leroux de répondre : « Oh ! Monseigneur, vous avez un tel pouvoir et vous ne nous l’avez pas dit ! Mais c’est très grave ! » La conversation se terminait par des sourires, et la permission n’était ni demandée, ni accordée.
Un congé de plus d’un an en France lui permit de retrouver ses deux frères prêtres, tous deux bien différents de lui par leurs options et leur mode de vie. Mais il fut heureux d’être avec eux, et de les étonner. Amateur de Bible, il profita de son long séjour pour visiter la Terre Sainte, la Grèce, la Turquie, et il entraîna avec lui ses amis de Malaisie et de France sur les pas de saint Paul. Il savait les intéresser, et eux lui rendaient son voyage plus agréable et moins coûteux. En même temps, il regardait autour de lui et enregistrait les dernières innovations des paroisses de France, où l’on en était aux essais d’avant le Concile. Il prit du temps aussi pour visiter les familles des confrères.
Le 25 octobre 1960, il repartit pour sa mission et fut de retour à la Sainte-Famille, où il trouva MM. Munier et Amiotte. Tous les deux avaient une tâche absorbante : le premier bâtissait une nouvelle paroisse, le second lançait et activait des groupes d’Action catholique un peu partout dans l’île. Victor Leroux se tailla facilement une place dans la paroisse, se spécialisant dans la célébration de la messe quotidienne du soir et y introduisant ses découvertes liturgiques. Les gens le trouvaient « spécial », mais appréciaient son bon sens et son dévouement auprès des plus démunis. Il savait émonder une situation de toutes ses complications inutiles, même ecclésiastiques, pour éclairer l’essentiel. Une religieuse, directrice d’école secondaire qui le consultait volontiers, disait : « Il a un bon jugement, en dehors de ses marottes. » Vivre avec lui signifiait savoir se faire surprendre, se faire « coincer », mais il était « gentleman », et si l’on était beau joueur, sa compagnie devenait très agréable, et on le découvrait généreux.
Arrivant à la cinquantaine, il portait beau : grand, carré d’épaules, habillé avec un certain chic. Dans Singapour où la gent cléricale s’enveloppait de soutanes, il se promenait en chemise et pantalon de bonne coupe. Il s’amusait à faire remarquer aux confrères qu’il savait pointilleux sur la question du costume, combien en l’imitant ils gagneraient au change.
Pourtant, malgré les apparences, sa santé laissait à désirer. Il avait la colonne vertébrale douloureuse, et était sujet à de fréquents maux de tête. Des séjours à l’hôpital, des massages et traitements par la chaleur n’améliorèrent guère son état. Par ailleurs, il se sentait de plus en plus étranger et mal à l’aise dans cette Église de Singapour qui ne changeait que fort lentement, alors qu’il devançait les mutations que le Concile apporterait. Fort bien équipé pour le travail pastoral, grâce en particulier à sa bonne connaissance de l’anglais et du chinois, il estima qu’il lui valait mieux rentrer en France, où sans doute il serait plus à l’aise et mieux accepté. C’était ce qu’il espérait. Il quitta discrètement Singapour en août 1962. Il avait alors vingt-cinq années de sacerdoce et de vie missionnaire.
M. Leroux avait à demander son incardination dans un diocèse, il lui fallait d’abord retrouver une santé qui lui permît de travailler, aussi accepta-t-il le poste de chapelain des religieuses clarisses de Périgueux. Il donnait en même temps quelques cours d’anglais dans un pensionnat de la ville. Le climat du Périgord ne lui convenant pas, il demanda un poste dans le diocèse d’Aix et fut nommé à Saint-Rémy de Provence, en juin 1965. Ses saillies, ainsi que son enthousiasme pour les réformes liturgiques, furent très mal appréciées, et en octobre de l’année suivante, il fut remercié, son passage ayant été une occasion de discorde parmi les paroissiens, certains liant avec lui une amitié sincère, d’autres, la majorité, l’exécrant. Il alla alors se reposer à la maison d’accueil de Lauris. En décembre 1966, il reprit du service dans le diocèse d’Avignon. Il s’installa donc à Villars et laissa la bride à son zèle. Là encore, comme en Malaisie, comme à Saint-Rémy, son action fut diversement appréciée, quoique tout le monde reconnût qu’il faisait un excellent animateur de cercles bibliques. Mais ses célébrations dans les églises, ou dans des maisons de fidèles,, ainsi que certains de ses mots, scandalisèrent une grande partie du clergé et des paroissiens, de sorte que le 13 août 1970, il écrivait : « Il faut que je parte d’ici. »
Il partit en effet, sans se presser, car il avait à se soigner et à arranger quelques affaires, tout en se faisant accepter pour trois ans dans le diocèse de Man, en Côte-d’Ivoire. M. Leroux y partit en avril 1971 et fut nommé à Danané, poste perdu dans la brousse africaine, tout près de la frontière avec le Libéria. Il vécut là en compagnie de deux missionnaires des Missions Africaines, s’occupant surtout de la formation des catéchistes, personnes qui connaissaient le français et qui avaient à enseigner la doctrine et la vie chrétiennes aux populations. Il y fut heureux, mais bientôt la vie en communauté lui pesa et sa santé ne s’améliora pas. La Chine lui manquait, de sorte qu’à la fin des trois années, ni lui, ni l’évêque ne proposèrent de renouveler le contrat. Le 22 avril 1974, il quitta Danané pour Abidjan où il prit un bateau pour les Canaries, et de là un autre bateau pour l’Espagne qu’il traversa en chemin de fer, et il arriva à Paris le 20 juin.
Alors commença la dernière partie de sa vie, passée soit chez des amis près d’Avignon, car il s’était fait de nombreux amis, soit dans son village natal de Siran en Auvergne. Il se montra très discret et les curés des lieux où il vivait ne se plaignirent jamais de lui. Mais la Chine l’obsédait, le manque de nouvelles de son ancienne mission lui était très pénible. Il signait toujours ses lettres en caractères chinois et il rêva un moment de retourner dans ce pays comme ingénieur. Cependant sa santé se détériorait, il dut faire plusieurs stages en clinique et en maison de repos. Il mourut à l’hôpital d’Apt le 18 juillet 1989.
Victor Leroux fut certainement un prêtre très zélé, très intelligent, très entreprenant et très généreux. Mais ses mots cinglants et son imagination débordante ne lui rendirent pas la vie facile.
Michel ARRO
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Références
[3593] LEROUX Victor
Références bio-bibliographiques
AME 1937 p. 239. CR 1937 p. 233. 1939 p. 67. 1948 p. 38. 1967 p. 153. BME 1929 p. 704. 1937 p. 674. 720. 817. 868. 894. 1938 p. 45. 110. 331. 465. 466. 608. 752. 839. 1939 p. 194. 1940 p. 486. 610. 1941 p. 755. 1948 p. 86. 88. 310. 1949 p. 178. 378. 1950 p. 501. 562. 1951 p. 439. 1952 p. 495. 644. 646. 704. 1953 p. 294. 414. 1954 p. 492. 598. 809. 1958 p. 270. 728. 729. 1960 p. 1027. MDA 1960 p. 40 (art.). Hir n° 137 - 236. ISG 60.EC1 N° 362. 511. 524. 537. 555. 556. 663. 686. 721. EC2 N° 94/C2. MEM 1989 p. 69.