André MABBOUX1918 - 1978
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 3760
Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Biographie
[3760] André Mabboux a été missionnaire en R. P. de Chine, avant d’œuvrer durant vingt-six années en Thaïlande, dans la région d’Ubon.
Il naît le 14 juin 1918 à Saint-Roch-Sallanches, au diocèse d'Annecy (Haute-Savoie). Il fait ses études secondaires au petit séminaire de la Roche-sur-Foron. Après son service militaire, il fait sa demande d'admission au Séminaire des Missions Etrangères où il entre le 14 septembre 1941. Ordonné prêtre le 21 décembre 1946, il reçoit sa destination pour la Mission de Chengdu (Sichuan) dans la Chine de l'Ouest. Il part pour sa mission le 29 avril 1947, en compagnie du Père Jacquemin, son inséparable ami.
R. P. de Chine (1947-1952)
André étudie le chinois chez le P. Pinault puis dans un petit poste de montagne pendant un an, avant de remplacer le P. Pinault devenu évêque de Chengdu (Tcheng-Ton). En compagnie du P. Jacquemin, ils restent deux ans. Arrêtés, incarcérés, les deux Pères sont jugés le 29 décembre 1951 et arrivent à Hong Kong le 13 janvier 1952.
Thaïlande (1952-1978)
Ils sont envoyés ensemble en Thaïlande d'abord, au diocèse de Tharé. Le P. Mabboux se remet à une autre langue, le thaï puis le lao. Il commence son ministère à Thungmone de décembre 1952 à décembre 1955. Affecté au diocèse d'Ubon, il missionne à Ban Uet de décembre 1955 à décembre 1957. Après un congé en 1958, il est nommé aumônier du couvent d'Ubon : il y restera six ans. En juillet 1964, il est nommé à Thabthaï, une des dessertes de Payang et Paksi. Entre temps, il a été élu supérieur local en 1962. Il le restera jusqu'en 1968.
En janvier 1968, il est nommé à Bung Mai avec les dessertes de Ban Bua, Paksé Noi et Phibun. Il y reste vingt-trois mois et est nommé à Ban Lao le 18 décembre 1969 : pasteur, photographe, infirmier, agent de développement. Mais une maladie de cœur le guette et le P. Mabboux décède à l'hôpital d'Ubon le 7 avril 1978.
Nécrologie
Le Père André MABBOUX
Missionnaire de Ubon (Thaïlande)
1918 - 1978
Né le 14 juin 1918 à Saint-Roch — Sallanches
(Haute-Savoie) diocèse d’Annecy
Entré aux Missions Etrangères le 14 septembre 1941
Prêtre le 21 décembre 1946
Parti pour la mission de Cheng-Tu (Chine)
le 29 avril 1947
En Chine de 1947 à 1952
En Thaïlande : mission de Ubon : 1952 à 1978
Décédé à Ubon le 7 avril 1978
Enfance et jeunesse
André MABBOUX naquit à Saint-Roch, paroisse de Sallanches au diocèse d’Annecy, le 14 1918. Après ses études primaires, il entra au petit séminaire de La Roche-sous-Foron pour y faire ses études secondaires. Son service militaire terminé, il fit sa demande d’entrée aux Missions Etrangères où il arriva le 14 septembre 1941. Ordonné prêtre le 21 décembre 1946, il reçut sa destination pour la Mission de Cheng-Tu (Setchoan) dans la Chine de l’Ouest. C’est le 29 avril 1947 qu’il partit pour cette mission en compagnie du P. Jacquemin. Dans leur apostolat aussi bien en Chine qu’en Thaïlande, les deux amis se sont toujours suivis. Seule la mort prématurée d’André Mabboux les a séparés. Le P. Jacquemin a retracé la vie apostolique du P. Mabboux. Laissons-lui la parole :
André a été ordonné prêtre en même temps que moi et depuis ce temps-là nous nous sommes toujours suivis : en Chine, à Tchengtou ; puis en Thaïlande, d’abord à Tharé et par la suite à Ubon.
Après avoir appris la langue chinoise chez le P. Pinault, André avait fait un an dans un petit poste de montagne dans le nord de la mission. Puis, après le sacre du P. Pinault, devenu évêque de Tchengtou, celui-ci nous avait envoyés tous les deux le remplacer à Tsong-Kin-Tcheou. Les armées de Mao Tsé Tong arrivaient et il valait mieux être deux pour se soutenir. De fait, André m’a beaucoup aidé pendant les deux ans que nous avons passés ensemble dans ce poste. Et tous les deux nous ayons pu aider, bien des chrétiens et des prêtres chinois à rester fidèles à l’Eglise du Christ.
André avait pris, en plus du service paroissial ordinaire, le travail humble et régulier de la visite et des soins pastoraux dans les villages environnants. Il allait régulièrement les visiter, leur enseigner le catéchisme, les confesser et contrôler le travail des catéchistes. C’est ainsi qu’un jour il se rendit compte que la doctrine et les rites de baptême utilisés par l’un d’entre eux étaient très loin de l’orthodoxie, au point de n’être plus un baptême. Il fallut rebaptiser et même reconfirmer. Comme le catéchiste et les gens du hameau étaient incapables de précise la date à laquelle la déviation avait commencé, il fallut beaucoup de recherches et de constance à André pour mettre les choses au point. Il lui fallut beaucoup de persévérance pour éclairer les chrétiens sur le baptême, la confirmation et leur engagement chrétien. Le gouvernement communiste était déjà en place et la tâche en fut compliquée d’autant, mais avec ténacité André a pu tout terminer dans des limites de temps assez réduites. Trois jours avant l’arrivée des armées de Mao, le 24 décembre 1949, il lui arriva une aventure désagréable. Sur le chemin de retour, entre un hameau chrétien et la ville, au milieu des champs, dans un boqueteau ordinairement calme, André fit la rencontre de brigands d’occasion qui, sous la menace du revolver, lui prirent toutes ses affaires, assez peu de choses en définitive, mais l’expérience était désagréable.
C’est vers cette époque, au début de notre collaboration et d’une amitié profonde, que je lui fis une promesse que j’espère avoir tenue. André, en effet, était droit, incapable d’imaginer quoi que ce soit de tordu ; nous le pensions naïf, alors qu’il était bon jusqu’au plus profond de lui-même. Souvent nous l’avons taquiné sans penser à mal, pour rire, mais lui ne riait pas au début. Plus tard il a appris à rire de ces manières qui le dépassaient. C’est alors que je lui ai promis de ne plus me joindre à ces taquineries et de le prévenir lorsqu’il le faudrait.
L’amitié qui s’est développée à partir de là nous fut précieuse au début, pendant les deux ans que nous avons passés ensemble sous le régime de Mao Tse Tong. Chacun à notre tour nous avons plus ou moins craqué nerveusement : l’autre a aidé celui qui était à bout et lui a permis de surmonter la crise. J’ai craqué le premier : après une discussion longue et harassante avec un cadre communiste pour sauver ce qui pouvait l’être dans notre chrétienté, le cadre, à bout d’arguments, a sorti son revolver et m’en a menacé. De mon côté je me suis mis à le maudire, très poliment, mais dans une colère qui fait passer les bornes, en lui lançant à la face toutes les horreurs que lui et ses semblables faisaient. Ce jour-là c’est André qui m’a remis sur les rails. Quelques mois plus tard les rôles furent inversés. André, touché au fond de son cœur par les exactions et les persécutions perpétrées contre les chrétiens, s’était mis dans la tête de dire leur fait aux coupables. Il l’a fait et a perdu tout contrôle de lui-même. En cette occasion ce fut à mon tour de l’aider.
Lorsque nous avons été définitivement arrêtés, un prêtre chinois voisin avait déjà été emprisonné et emmené sans laisser de traces. Plusieurs autres, plus éloignés, avaient été fusillés ou emprisonnés. Des chrétiens de chez nous, catéchistes ou autres, avaient eux aussi été arrêtés, dépossédés de tout, condamnés en jugements populaires et même fusillés ou acculés au suicide, certains sans autre raison que leur foi. Dans la matinée, la police est venue nous chercher : c’était le 25 juillet, le jour de la fête de saint Philippe et saint Jacques, chère aux habitants de Sallanches. Nous sommes partis pour ce qui nous semblait être l’antichambre du martyre. En chemin, nous nous sommes donnés l’absolution et nous avons offert ce qui pouvait arriver, comme Dieu, et les communistes, le jugeraient bon. Pour André, puisque les hommes ne voulaient pas de lui, il se donnait en offrande à Dieu. — Je pense que cette offrande faite sur le chemin entre notre église et la prison explique en partie sa volonté d’aller jusqu’au bout de ses forces sans se faire soigner plus qu’il ne le pensait nécessaire, afin d’être fidèle sans gêner les gens. Depuis longtemps il ne s’appartenait plus. Il appartenait à Dieu, qui a accepté son offrande le vendredi 7 avril 1978, à 14 h 40.
Malgré le déploiement de police disproportionné par rapport à nous, des hommes fusil en main, baïonnette au canon, devant, derrière et sur les côtés, nous fûmes simplement enfermés à la maison ; puis, quatre mois après, conduits en prison, par laquelle le gouvernement voulait changer les œuvres et les cœurs des prisonniers. Il y avait parmi nous des détenus de droit-commun, trafiquants ou fumeurs d’opium, bandits de grand chemin, petits voleurs à la tire. Il y avait aussi des gens coupables de continuer à suivre les vieilles coutumes, tel ce père de famille coupable d’avoir châtié sa fille adultère et son complice, selon la vieille coutume familière, sans en référer au gouvernement. Il fut fusillé. Il y avait des riches, ou des fils de riches dont l’ancienne richesse de leurs parents était le crime. Il y avait des membres, ou des fonctionnaires, de l’ancien gouvernement. Il y avait aussi des membres fautifs du gouvernement communiste. Il y avait enfin des hommes dont le crime, plus grave que celui des simples voleurs ou des brigands, était le refus d’accuser des innocents dont le gouvernement voulait se débarrasser. Nos cellules étaient exiguës par rapport au nombre des détenus, la nourriture à peine suffisante pour ne pas mourir de faim. Tout cela, André l’a supporté, mais les séances d’endoctrinement lui étaient odieuses. Il aurait fallu parler contre sa pensée ou accuser ses voisins. Cela, André ne pouvait le faire et son séjour en prison lui fut très pénible.
Enfin, le 29 décembre 1951, nous fûmes jugés. Selon l’estimation du juge d’instruction nous aurions dû mériter plusieurs condamnations à mort et plus de cent ans de travaux forcés. Nous fûmes simplement condamnés « à l’expulsion du paradis rouge pour souffrir dans l’enfer capitaliste ». Tout aussi impénitent que moi, André revit avec un certain plaisir « l’enfer » de Hong Kong. C’était le 13 janvier 1952. Cependant les amis très chers que nous laissions dans ce drame, nous restaient collés au cœur. Ceux qui nous avaient sauvés au risque de leur liberté ou même de leur vie, ceux que nous avions aidés à tenir dans la persécution. Tous ceux-là étaient devenus une partie de nous-mêmes. Le temps a effacé les traits de leurs visages de notre mémoire, mais n’a rien changé à notre attachement pour eux. Souvent André me rappelait l’un ou l’autre. C’était entre nous un secret. Il est parti les retrouver, ceux pour qui il s’est dévoué, ceux qui se sont sacrifiés pour nous et pour le Christ. A leurs yeux nous ne faisions qu’un avec lui. Lorsque nous reparlions des policiers ou de ceux qui nous ont fait du mal, André n’avait aucune parole amère, il les aimait aussi et les plaignait : il les savait broyés eux aussi par le même système aveugle et anti-humain.
A notre sortie de Chine, Hong Kong et nos maisons de Nazareth ou de Béthanie ont été pour nous une halte dans une sorte de paradis. Les Pères réunis dans ces maisons sortaient tous de prison, les souffrances avaient laissé des traces profondes en chacun d’eux, mais elles étaient passées et entre nous régnait une amitié sans arrière-pensée. Avant de repartir pour une nouvelle mission, ce séjour nous a aidés à reprendre ou à garder notre équilibre avant de recommencer. André et moi avons été envoyés en Thaïlande dans la même mission, à Tharé. Il nous a fallu apprendre une nouvelle langue. André avait trente-quatre ans et peu de facilité mais il s’y est mis. Les livres étaient en Thaï, la langue parlée était le Lao. Il a commencé son ministère près de Tharé, dans un poste appelé « Thoungmone », où les mots, les tons et les expressions sont particulières. Puis, après une division de la mission, André a dû descendre à Ubon, au sud du plateau du Nord-Est, tandis que je restais sur place dans le centre. A Ubon, la langue a aussi sa couleur, ses tons et ses expressions propres. André a eu de la difficulté à s’y mettre. Mais son dévouement, son bon cœur et sa simplicité ont permis aux gens qui l’abordaient d’apprendre sa langue à lui. Cette langue a été pour lui une grosse difficulté mais n’a jamais été un obstacle ; et vers la fin c’était devenu pour lui et les gens comme un lien connu d’eux tous, c’était la langue de l’amitié. Lors de son enterrement, les gens, moitié souriant, moitié pleurant, parlaient entre eux le « laotien d’André ».
Dans la mission d’Ubon, André a travaillé dans plusieurs postes. Ban Uet, perdu dans la campagne à une journée du centre, a été son premier poste : bateau, cheval, vélo étaient avec la marche les seuls moyens de communication. La nourriture y était celle des gens : riz laotien, piment, poisson fermenté, et ce qu’il avait pu ramener de la ville. Pendant un an il a travaillé en compagnie du P. Roger Ragazzi. Il desservaient l’un et l’autre plusieurs villages dispersés sur des dizaines de kilomètres.
En 1958, après son premier congé, André a travaillé au couvent des Amantes de la Croix. Il en a été l’aumônier pendant six ans. Il a formé un grand nombre de religieuses qu’il a enseignées depuis le juvénat jusqu’à leur sortie du noviciat. La Mère Justinia avait été maîtresse des novices pendant le même temps qu’il était aumônier. Elle avait une dévotion particulière à tout ce qu’il disait et faisait. Si bien que plus tard la supérieure générale l’a nommée supérieure de la mai¬son des religieuses de Ban Lao pour leur faire plaisir à l’un et à l’autre. Vers 1974 elle est devenue paralysée. Elle a dû rentrer à la maison mère, où elle a longtemps souffert ; puis elle est morte quelques mois avant André. Une religieuse qui était au noviciat lorsque André était aumônier disait après sa mort : « Mè lut (Mère Justinia, en langue du pays) a fait comme lorsqu’elle était au noviciat. S’il y avait quelque chose de bon, elle nous le faisait partager avec lui. Elle a trouvé que le Paradis c’était bien bon, alors elle est venue le chercher... pour lui faire goûter.»
A cette époque, Rome avait demandé aux différentes congrégations religieuses de réformer leurs constitutions pour les mettre en accord avec le droit-canon et les directives romaines. Le concile Vatican II n’avait pas encore donné ses nouvelles directives. Pendant des mois, André étudia la question, puis il rédigea les nouvelles constitutions, qui furent promulguées en 1961.
Au couvent il a aussi réformé l’orphelinat. Tout y a passé de ce qu’il pouvait et devait changer. Bâtiments, formation du personnel, hygiène, nourriture. Cela n’a pas été sans quelques colères, mais elles étaient toujours très raisonnables. Enfin il s’est beaucoup occupé des orphelins et orphelines restés dans la région. Jusqu’à la fin, il continua à aller les voir chez elles alors qu’elles étaient devenues de vénérables mères de famille. Elles ne sont pas toutes devenues des saintes, mais il ne les a jamais abandonnées. Il était « leur père ». Elles étaient là le jour de son enterrement.
A sa sortie du couvent en l964, André qui était supérieur local depuis 1962 et devait, à ce titre, s’occuper de notre maison d’Ubon, a été nommé dans un poste proche de cette maison. Il est resté là, à Thapthai, une île sur la Nam Mun, avec ses deux dessertes Payang et Paksi, jusqu’en 1968. Il y a eu deux soucis, le développement pastoral et le développement humain et matériel. Il a monté dans ce village de pêcheurs une sorte de coopérative de pêche, avec prêts pour acheter moteurs de bateaux et filets. Certains, parmi vous qui me lisez, ont été partie prenante dans cette œuvre.
En janvier 1968 André a émigré vers l’amont de la Nam Mun, grand affluent du Mékong qui traverse notre mission d’ouest en est. Il a été nommé au vieux district de Bungmai. Ban Bua, Paksé, Phimun. Il n’est resté là que vingt-trois mois, pas même deux ans. Il a cependant pris le temps d’y faire du bon travail puisqu’en 1969, il a pu baptiser plusieurs adultes qu’il avait catéchisés. Une plantation de teck témoigne aussi de son action en faveur du développement matériel, et une cantine pour les écoliers des villages voisins rappelle son souci de développer l’homme en même temps que les choses.
Enfin, le 18 décembre 1969, il quittait les bords de la rivière pour une terre plus élevée. Ban Lao, son nouveau poste, est un village de rizières traditionnelles et de champs pris sur la forêt. Sans être le moins du monde des collines, les terres ne sont cependant pas de niveau égal et dans bien des endroits il est impossible de faire de vraies rizières. André s’est beaucoup plu dans ce nouveau village. Cela tient particulièrement aux chrétiens très coopératifs, aux contacts qu’il a eus avec les non-chrétiens et au travail de développement mené à bien par tout le village.
André a pu faire, avec l’aide d’autres Pères et de religieuses, de nombreuses sessions de formation chrétienne. Elles étaient bien organisées par lui et les chrétiens et très suivies par ceux-ci. Le catéchisme aux enfants, aux jeunes, marchait lui aussi régulièrement. Il s’en chargeait en collaboration avec les religieuses de l’école. Les préparations au mariage se faisaient régulièrement elles aussi. C’est lui qui s’en chargeait. Tous les dimanches, il y avait réunion de la Légion de Marie. C’était un fidèle de la Légion depuis le temps où, en Chine, elle nous avait aidés à rassembler les chrétiens et à les lancer dans l’apostolat direct et indirect. J’ai retrouvé dans son bréviaire la feuille des prières légionnaires qu’il disait quotidiennement depuis trente ans.
André était photographe ; il faisait de belles photos. il était devenu le photographe attitré des gens du village et des non-chrétiens, jeunes ou non, des environs. Il souriait des poses d’acteurs prises par le plus grand nombre, mais il les prenait en photo tels qu’ils s’aimaient... « puisque ça leur plaît comme ça! » disait-il. Ces photos ne lui ont apporté aucun bénéfice pécuniaire, il s’en faut même de beaucoup, mais une certaine amitié est née entre lui et ses clients. Pour lui, l’amitié est le chemin de Dieu.
Pendant son service militaire, il avait été infirmier et par la suite il avait aussi suivi des sessions en Thaïlande et en France, ce qui lui permettait de venir en aide aux malades, de façon très prudente mais efficace. En même temps qu’une aspirine ou un comprimé de vitamines, André dirigeait les malades vers les hôpitaux ou les dispensaires dont relevaient les maladies. Nombreux sont les tuberculeux ou les lépreux qui ont été guéris, non pas grâce à ses soins, mais grâce à ses avis et à ses conseils, ainsi qu’à son aide. Les lépreux étaient un de ses soucis et il avait une sorte de dévotion envers Raoul Follereau dont j’ai trouvé une feuille de prière assez usagée dans son bréviaire.
Conscient de son devoir missionnaire, André a poussé ses chrétiens, surtout les légionnaires, à faire de l’apostolat direct. Mais il se rendait compte que les gens des villages environnants «ne marchaient pas ». Il disait : « Ils sont vaccinés.» En effet, entre voisins on se connaît ; et les non-chrétiens connaissent très bien les beaux côtés et les petits travers des chrétiens. Il se consolait du peu de succès de cette activité en disant : « De toute façon Dieu est un Père pour eux aussi. Il ne leur demandera que ce qu’ils peuvent donner. »
A côté de ces difficultés, il y a eu les « gloires » d’André. Le développement matériel qui permet le développement humain a été un de ses succès. En collaboration avec les autorités locales, les chrétiens du village et les chrétiens de France, André a fait faire près du village une belle retenue d’eau : le « Lac Mabboux ». S’il n’avait pas été présent, le travail n’aurait sans doute pas été entrepris, encore moins achevé. Le nom du lac n’est pas usurpé ; c’est bien « son » lac. Mais c’est aussi le fruit d’une certaine union entre tous les villageois, qui ont fourni là un travail commun important. Ce « lac » donne poisson, légumes, et eau pour tous les usages du village. Le village et lui, ont aussi creusé des puits ; ils ont monté un « Crédit Union », des banques de buffles et de riz. André recevait beaucoup de dons, faits souvent de petites sommes qui finissaient par faire un joli total. Cet argent lui a servi à aider les plus pauvres, les lépreux, les veuves et les orphelins, les malades, les désarmés que toute société rejette. Lorsque les gens étaient capables de travailler, il leur procurait lui-même de l’ouvrage, afin qu’ils gardent leur dignité d’homme et puissent nourrir leur famille ; il les payait bien, mais cependant de façon proportionnée à la tâche accomplie.
C’est au milieu de tout ce travail que la maladie est venue. A vrai dire, André se savait faible, sinon malade, du cœur depuis longtemps. Avant son second congé, en 1966, lorsqu’il a passé la visite médicale régulière, le médecin de l’hôpital Saint-Louis, le docteur Girod, l’avait prévenu qu’il avait un souffle au cœur. Arrivé en France, il a consulté des spécialistes qui lui ont déconseillé formellement de retourner en mission. Lorsqu’il en parlait, il en était encore tout ému : quitter les missions était pour lui une aberration. Alors il les a laissé dire, puis il est revenu et a travaillé « dans le champ du Père » pendant douze autres années. En 1973, à l’occasion de son dernier voyage en France, il n’a rien dit, il n’a consulté personne, puis il est revenu. Tout le monde le croyait fort et capable de n’importe quel effort physique, mais en 76 et surtout en 77 le mal s’est précisé. Un médecin d’Ubon a diagnostiqué la même maladie de cœur que le docteur Girod avait découverte. Descendu à Bangkok pour consultation, un autre médecin a parlé d’allergie. A ce moment-là André s’est bouché les yeux sur l’évidence et a recherché ce à quoi il pouvait être allergique. Mais bientôt les Pères Camilliens de Bangkok, consultés à leur tour, car les forces l’abandonnaient, confirmèrent les premiers diagnostics. Une opération faite en 1977 aurait encore pu prolonger sa vie, mais une vie au ralenti, à la charge des autres. Le spécialiste la lui a proposée ? il a refusé et n’en a parlé à aucun de ceux qui auraient pu influencer sa décision. De retour à Ubon et Ban Lao, il s’est régulièrement soigné mais sans excès. Et il a continué à travailler, même à faire le travail manuel que les médecins lui avaient interdit. Mais ce travail était une partie intégrante de sa vie. Sans lui il se sentait paresseux. Enfin, dans les dernières semaines, après une dernière session de formation et de préparations au mariage terminée, il est descendu pour la dernière fois à Ubon pour consulter le médecin et chercher des médicaments. Depuis plusieurs semaines, il ne dormait qu’assis, il ne mangeait presque plus rien.
Enfin, le lundi 3 avril, après avoir mis ses comptes en ordre et préparé le travail qui restait à faire, il est arrivé à l’évêché d’Ubon vers midi en disant à l’évêque, Mgr Bunluen : « Je viens mourir ici. » Mardi il a consulté une dernière fois le docteur Vipada, qui n’a pu que lui donner des médicaments pour le soulager. Il est encore allé voir l’une ou l’autre personne qu’il connaissait à Ubon. Mercredi 5, il est entré à l’hôpital ; bientôt le médecin a dû ordonner de lui donner du sérum et de le mettre sous oxygène. Infirmières, prêtres et religieuses se sont relayés à son chevet. Jeudi dans la journée, le P. Costet lui donnait le sacrement des malades. Il l’a reçu en pleine connaissance. Dans la nuit du jeudi au vendredi, le P. Mansuy, appelé d’urgence vers 2 ou 3 heures du matin, l’a préparé à la mort. André s’est associé aux prières. Lorsque je suis arrivé de Bangkok le vendredi matin, il avait toujours sa connaissance. Sous l’effet des médicaments, il passait de la somnolence à l’éveil, puis retombait dans le sommeil. Nous avons pu causer un peu. Vers midi il a ouvert les yeux et m’a demandé, du ton qu’il prenait pour me parler des problèmes graves : « Je suis mort ? » — Je lui ai répondu sur ce même ton : « Pas encore », et j’ai ajouté : « C’est sans doute pour bientôt » ; puis j’ai posé la question : « Es-tu prêt ? » — Il m’a répondu tranquillement : « Je pense », en ajoutant un peu après : « Dieu est un Père.»
Cette confiance en Dieu qui est notre Père l’a guidé durant toute sa vie. Elle lui a donné le calme lors du passage. Il savait ce qui l’attendait après la mort et surtout il savait Qui l’attendait.
C’est le 7 avril 1978 que s’éteignit le P. Mabboux. Ses obsèques eurent lieu le 11, au milieu d’une grande affluence : confrères de la Mission de Ubon et des Missions voisines, congrégations religieuses, chrétiens de Ban-Lao venus par cars entiers. La messe concélébrée fut présidée par Mgr Bun Luen, évêque d’Ubon.
Références
[3760] MABBOUX André (1918-1978)
Notice biographique
Références biographiques
CR 1947 p. 127. 1950 p. 21. 1951 p. 23. 1953 p. 62. 1956 p. 67. 1960 p. 64. 1961 p. 68. 1962 p. 79. 1963 p. 92. 1964 p. 53. 1965 p. 107. 1967 p. 98. 99. 1969 p. 104. 105. AG80-81 p. 108. BME 1949 p. 211. 221. 227. 230. 295. 427. 582. 700. photo p. 745. 1950 p. 58. 387. 388. 685. 1951 p. 118. 119. 575. 642. 1952 p. 50. 129. 276. 483. 636. 1953 p. 109. 999. 1954 p. 578. 1955 p. 244. 1956 p. 716. 898. 1957 p. 372. 476. 868. 973. 1958 p. 183. 365. 470. 866. 1959 p. 175. Epi 1962 p. 403. 934. 1964 p. 866. 1965 p. 708. APP 1957 p. 70. 1958 p. 69. 1964 p. 56. R. MEP. 1962 p. N° 121 p. 51. EC RBac N° 404. 410. 451. 452. 453. 510. 511. 617. 632. 765. 772. NS 1P21. - 2P51. - 5P145. 146. - 7P209. - 9P281. - 11P321. - 13P413. - 15P25. - 65/C2. - 72/C2. - 77P228. - 114/C3. - 119/C2.
Biographie
R.P. André Mabboux", par le Père Jean Jacquemin. Plaquette de 14 pages.
Notice nécrologique
Mémorial 1978 pp. 7. 16.