Roger RAGAZZI1917 - 2002
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 3819
Identité
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Biographie
[3819] RAGAZZI Roger est né le 21 novembre 1917 à Gray (Haute-Saône).
Ordonné prêtre le 20 décembre 1947, il part le 3 avril 1948 pour Kunming (Chine). Il a juste le temps d’apprendre le chinois avant d’être expulsé de Chine en 1953.
Il reçoit alors une nouvelle affectation pour la Thaïlande. Il est nommé successivement aux postes de Ban Na Bua (1958), Ban Uot (1960-1969), Ban Thap Thai (1969-1971), Ban Nong Khu (1971-1973), Ban Khok Kinak (1973-1981), Ban Nong Rung (1981-1988) et Ban Bua Tha (1988-1993). Il se retire ensuite à la maison de communauté d’Ubon.
En 2002, il revient à Montbeton, et meurt le 29 décembre de cette année. Il est inhumé dans le cimetière des MEP.
Nécrologie
ROGER RAGAZZI
Roger, Clément, Jean Ragazzi est né le 21 novembre 1917 à Gray (Haute Saône), diocèse de Besançon, au foyer de Georges Ragazzi, agent SNCF, et Germaine Pastrie, dans une fratrie de six enfants dont quatre garçons et deux filles. Sa famille, nous disait-il, était d’origine piémontaise. Que son troisième prénom soit Joannet ou Johannet importe sans doute peu, car si on l’avait laissé libre de choisir ses prénoms, il aurait aimé s’appeler Pierre Fourier ; il avait une dévotion spéciale pour ce saint né à Mirecourt.
Roger fait ses études primaires à Gray et ses études secondaires au petit séminaire de Besançon où il obtient sa maîtrise. Il commence ses études supérieures à Favernay (Haute Saône) avant d’entrer à Bièvres le 15 février 1939. Il fait son service militaire à Auxerre et au cours de la « drôle de guerre », il est prisonnier et sera de 1940 à 1945 en Prusse orientale.
Un prêtre des Côtes d’Armor, l’abbé Roger Duverger, l’a bien connu à cette époque car il était, lui aussi, séminariste et, comme lui, prisonnier. Il raconte : « Nous nous sommes retrouvés tout un groupe de séminaristes de tous les coins de France de 20 et quelques années en « vacances » forcées de cinq ans sur les bords de la Baltique. Avec lui nous avons passé des moments qui nous faisaient oublier quelques instants notre situation et notre condition… Nous avions un autre camarade des Missions Etrangères, François Dufay ». Deux photos montrent l’une un groupe de onze séminaristes au début de la captivité au camp Stalag 1A et l’autre, prise en l’été 1944, « en Kommando à quelques kilomètres de la Russie, un groupe de vingt séminaristes avec l’aumônier, prisonnier lui aussi, venu leur célébrer la messe un dimanche après-midi, quelque temps après le débarquement qui pour nous était loin ». Plusieurs prêtres, prisonniers eux aussi et aumôniers, l’ont connu. Leurs témoignages sont identiques : « Il a toujours été un excellent séminariste, très régulier dans ses exercices de piété et montrant très bien le bon exemple aux autres séminaristes et édifiant les prisonniers de son entourage », écrit l’un d’entre eux. « Au camp et dans les kommandos il a cherché à avoir une bonne influence sur ses camarades », écrit un second. « A toujours eu une conduite digne et montré les signes d’une piété constante, » écrit un troisième.
Quand il parlait de cette période, c’était toujours sans animosité ; son humour a du lui sauvé sans doute bien des tracas. Il nous rappelait la bonhomie d’un vieux gardien qui fermait les yeux sur leurs rapines, le travail à la ferme avec le vieux cheval Fuchs et les amitiés locales. D’Allemagne il avait ramené son prénom Rudiger. Rentré en France, Roger continue ses études Rue du Bac. Diacre le 28 mai 1947 ; il est agrégé définitif le 26 juin et puis ordonné prêtre le 20 décembre de cette même année 1947.
Destiné à la mission de Kunming (Chine), il part en mission le 3 avril 1948. Son évêque était alors Mgr. Derouineau. Il semble en avoir apprécié le franc-parler !. Il se met à l’étude de la langue tout d’abord à Kunming même puis à l’école que Mgr Larrart ouvre à Kweiyang pour les jeunes venant de France, celle que l’on a appelée « l’école des maréchaux ». Il quitte donc Kunming le 7 septembre 1948 et met cinq jours pour franchir les 867 kms qui le séparaient de cette ville. On signale qu’à deux reprises les voyageurs ont du effectuer un sauve-qui-peut par la portière ; une première fois pour échapper aux flammes (la voiture ayant pris feu) ; une seconde fois pour éviter un saut dans l’abîme (les freins ayant laché en pleine côte). A son retour de Kweiyang, il va s’installer chez le Père Guilbaud pour continuer l’étude de la langue tout en s’initiant au ministère apostolique.
Il est ensuite nommé vicaire du Père Rossillon dans le district de Hai Y où il s’est mis tout de suite à l’étude de la langue Sa gui et son professeur annonce qu’en six mois il sera assez fort pour se faire comprendre et prêcher. Il semble que ses efforts aient payé car, selon le compte-rendu suivant, il converse comme un vrai ‘natif’ et les variations de cette langue sonore n’ont presque plus de secrets pour lui. Il se trouve si bien au milieu de ces enfants de la montagne qu’on ne le voit presque plus à Kunming. Mais la Chine est devenue communiste et le 1er Octobre 1949 Mao Zedong proclame la naissance de la République Populaire de Chine. Le compte-rendu de 1951 signale que les PP. Duccoterd et Ragazzi ont été invités à se présenter devant les autorités ; les formalités d’enregistrement ont duré une semaine. Le 15 février 1952 le Père Ragazzi et sept autres confrères des MEP et plusieurs Chanoines du Grand Saint-Bernard étaient à Kunming. « Plusieurs d’entre eux ont eu des démêlés avec les autorités et il est probable que leur sortie de Chine n’est pas trop lointaine. » Et, en effet, le 12 mars 1952 (et non pas 1953 comme il est dit en plusieurs endroits) le Père Ragazzi arrive à Hongkong avec quatre autres confrères de Kunming et d’autres de Kangting et de Sichang.
Quelque temps après, Roger est nommé à Tharè. Il quitte Hongkong le 25 avril et courant mai « rejoint la dite ‘équipe des J 3’ qui, si elle vieillit, veut quand même rester jeune ! »
Et là ce sera le même menu qu’en Chine : étude de la langue ou plutôt des langues car, outre le thai, il devra aussi se faire au lao-isan, la langue parlée au nord-est de la Thaïlande. De mai à novembre 1952, il étudie la langue à Tharae et on signale que le dimanche il va de paroisse en paroisse. Il peut se faire comprendre et mettre en pratique les leçons de son professeur. De novembre 1952 à juin 1954, il est curé de Na Bua, puis descend au diocèse d’Ubon qui a été séparé de Tharae-Nong Saeng le 7 mai 1953.
Il est nommé curé de Ban Uet Noi en novembre 1954. Le séjour qu’il y fait est entrecoupé d’un congé en France de mars à décembre 1958. Roger va rester à Ban Uet jusqu’à fin 1966. Il est dit que Roger a eu de très bonnes relations avec les apostats mais ils n’ont jamais voulu revenir. Ban Uet a aussi deux petites dessertes : Na Sam Kha et Non Phek, et pas seulement ! En effet peu après son arrivée, « il a appris qu’il y avait des chrétiens à Song Khon, au district de Pho Sai, originaires de Ban Uet. Il a nourri l’espoir d’en faire une chrétienté. En 1955 il est allé plusieurs fois à Song Khon et en revenant il couchait quelquefois à Ban Dong où il y avait trois chrétiens non pratiquants, à savoir Nai Ka et sa sœur Nang Ngao, tous deux baptisés et confirmés à Ban Uet et Nang Khammi, baptisée à l’orphelinat d’Ubon mais sans instruction religieuse. En 1956, le Père Mabboux est venu à Ban Uet pour aider le Père Ragazzi. Il y est resté un an. Les deux Pères se remplaçaient pour faire des séjours d’une semaine chaque fois à Song Khon et en revenant ils couchaient quelquefois à Ban Dong. » A l’époque ils faisaient leurs déplacements à cheval. « Au début le Père Ragazzi ne fondait que peu d’espoir à Ban Dong. Mais petit à petit un commencement de chrétienté prenait forme. Nai Ka était bien disposé ; des chrétiens de Ban Uet sont venus s’installer à Ban Dong, ce qui étouffait un peu ce groupe de chrétiens. Cela a donné l’idée aux Pères Ragazzi et Mabboux de provoquer un ‘événement choc’. Comme Nai Ka et d’autres étaient assez proches parents du catéchiste Phon Asasuk de Ban Uet, les Pères ont donc emmené toute sa famille à Ban Dong pour exhorter leurs parents à se convertir et cela a produit un bon résultat. Le Père Ragazzi a acheté une maison 300 baht avec l’aide de la mission et l’a plantée sur un terrain que Nai Ka a donné à l’église. La maison a été aménagée pour servir de chapelle et de logement pour le Père ». Voilà comment Mgr Bayet relate le travail de ces deux missionnaires. Ainsi donc de 1954 à 1966 Roger va s’occuper aussi de Ban Dong tout en résidant à Ban Uet et dès l’année 1955, il assurera aussi le service de Song Khon également jusqu’en 1966.
Roger est ensuite à ThapThai où son séjour sera là aussi entrecoupé d’un congé de mars à décembre 1967. On le trouve après cela à Nong Rung de 1969 à 1974. Du 15 mars au 12 novembre, un congé l’emmènera avec son compère Yves le Bézu jusqu’en Haïti. Pour Yves c’est l’occasion de revoir son frère Jean, prêtre de Saint-Jacques là-bas. Et pour nos deux confrères, l’occasion de se rendre compte sur place du travail et des conditions de ce travail des Pères d’Haïti. Au retour, c’est à Nong Khu qu’il passe quelques temps avant d’aller à Khokkhinak aussi appelé Non Mali : il y sera de1976 à avril 1985.
Dans ses notes pour l’historique des postes de la mission d’Ubon, Mgr Bayet écrit à propos de Roger à Non Mali : « Les gens l’avaient en haute considération parce que, quoique âgé, il avait beaucoup de patience et d’endurance. Il allait en moto et s’occupait de trois autres villages en dehors de Non Mali, à savoir Nong Seng, Na Chan et Khok Klang. A Khok Klang les chrétiens se sont entraidés pour faire une chapelle en bois. Le Père Ragazzi a soutenu leur effort et a acheté les clous, les boulons, le zinc pour couvrir le toit. Enfin il a construit une maison pour les Sœurs. En décembre 1984 le Père a fait le recensement de la chrétienté de Non Mali : il a trouvé 700 chrétiens. Il a pris congé des chrétiens de Non Mali en avril 1985. »
C’est pendant qu’il était à Khokkhinak que je me suis trouvé à Ban Lao pendant à peine plus d’un an. A l’époque notre groupe du Nord ne se réunissait pas très souvent. Roger est donc venu plusieurs fois à Ban Lao et nous faisions notre petite réunion à deux avant de prendre le repas ensemble. Cela nous permettait de dire quelque chose quand même le jour de la réunion du presbyterium à l’évêché.
Que ce soit là ou ailleurs, c’est toujours en moto qu’il faisait ses déplacements, ce qui à la saison des pluies n’était pas toujours agréable et il lui et arrivé d’être bloqué chez lui ou à Ubon.
Roger était le bout-en-train de notre groupe. Il était toujours intéressant de l’écouter raconter ses dernières aventures, ou celles des autres d’ailleurs, cela importait peu ! Fou rire garanti !
A ce propos, dans l’homélie qu’il a prononcée lors des obsèques de notre confrère, le Père Georges Mansuy, ancien de la mission d’Ubon, fait une observation qui me semble juste : « Ces manifestations d’humour joyeux lors des rencontres avec les confrères étaient peut-être aussi pour lui l’occasion de se défouler, de faire disparaître les idées noires qui avaient pu naître en lui lors des longs moments d’isolement dans les villages de brousse. Car il faut dire que la vie en brousse dans le Nord-est de la Thaïlande et au Laos, il y a quelques années du moins, n’était pas des plus faciles et il fallait une certaine force de caractère pour tenir. Si Roger était plutôt exubérant lors des réunions, il devait certainement aussi rencontrer des difficultés quand il se retrouvait seul, avoir des déceptions dans son ministère, faire face à bien des épreuves. »
Quand j’ai repris les chroniques d’Ubon en 1983, je lui avais proposé de mettre son coup de crayon à contribution et de présenter la chronique en bande dessinées. « Ce n’est pas mon style », m’a-t-il répondu. Dommage ! Car on aurait bien ri. Son style c’était plutôt la caricature où il excellait. Dit encore le Père Mansuy : « Il savait, de quelques traits de crayon, croquer les petits travers de ceux qui l’entouraient, à commencer par l’évêque, Mgr Bayet, au plus grand plaisir de tous, car c’était fait d’une façon amusante, gentiment irrespectueuse mais sans méchanceté. » Ce qui ne l’empêchait pas de dessiner des albums sur la vie de telle bienheureuse Amédée – fictive bien sûr, et d’autres. Ses dessins étaient souvent drôles, toujours comiques, troupiers parfois mais jamais méchants ni vulgaires. Son dernier dessin que j’ai sous les yeux représente « Bangkok 2000 : Pèlerinage sur les pas de nos valeureux pionniers, barbus, moustachus, pipe au bec et bréviaire sous le bras, soutanes noires à rabat ou pantalon et bretelles, coiffés qui d’un chapeau ecclésiastique, qui d’un béret ou d’une casquette, souffrant de la chaleur et sans doute de la soif. L’un d’entre eux, exténué, s’est assis a bord de la route, un autre se penche vers lui comme s’il voulait le consoler ou lui proposer l’extrême onction, pendant qu’un autre s’essouffle à pédaler sur la route sablonneuse et malaisée. En arrière plan, suivant un curé en soutane blanche une voiture avec haut-parleur et un groupe de gens qui chantant à qui mieux mieux les louanges du Seigneur, ou discutant entre eux, et portant des bannières disant : « Nous vous aimons », « Nous pensons à vous »…
Au cours de l’année 1985, il a fait, toujours avec Yves le Bézu, un voyage en Indonésie : Bali : il en est revenu convaincu que le Paradis terrestre est bien là-bas et pas ailleurs !. Il s’est également émerveillé devant les bas-reliefs du temple de Boroboudour à Java, comme naguère devant ceux d’Angkor Wat, au Cambodge. Ah ! L’art ! Eclectique s’il en est – sa bibliothèque de livres d’art le prouve – Roger avait un faible pour l’art africain et l’art naïf des peintres haïtiens ou indonésiens. A 68 ans, il sent le poids des ans et devient, dit-il, « de plus en plus oublieux et ses nerfs ne supportent plus les décibels braillés par les haut-parleurs près de son presbytère lors des manifestations sportives, entre autres. Il a donc présenté sa démission. Et prenant son congé, il a laissé ses paroissiens aux bons soins d’un confrère local, le Père Bubpha. L’un des paroissiens, le Père Arak Srithat, a été ordonné le 9 mais 1985.
Roger avait été officiellement nommé à Bungkatheo mais à son retour de congé, c’est à Ban Bua Tha qu’il va remplacer Mgr. Berthold, démissionnaire. Il avait demandé un délai de réflexion pendant lequel il est allé rendre visite à son ami le Père Jubin. Plus habitué à la brousse et à ses villages qu’à la vie en ville, il a finalement accepté et pris officiellement possession de son nouveau poste le 1er Décembre 1985, commençant ainsi son nouvel apostolat par une nouvelle année liturgique. Il semble qu’il ne regrette rien. Il se trouve heureux à Ban Bua Tha : des jeunes auxquels il peut parler et trouve dociles, des gens qui ont su garder le sens de la fête même si généralement la fête est un peu arrosée. On le savait depuis longtemps dessinateur et sculpteur – sa chambre est en fait un petit musée -, et voici qu’on lui découvre un nouveau violon d’Ingres, en l’occurrence la cithare : je ne sais d’où il l’a ramenée mais il en tire déjà des sons mélodieux. J’ai même écrit à l’époque que sa Paimpolaise n’écorchait pas les oreilles d’un Breton !
Pendant le congé de Mgr Berthold qui, entre temps, été nommé aumônier du couvent des Amantes de la Croix, Roger va y écouter les confessions tous les vendredis après-midi… Tous les matins des jours scolaires, il assure une leçon de catéchisme à l’école de Bungmai où étudient ses jeunes paroissiens. Ces leçons de catéchisme, il ne pourrait pas vivre sans, aime-t-il répéter. Il y puise des forces nouvelles pour son apostolat.
Le 9 mai 1986 un de ses paroissiens a été ordonné prêtre : le Père Somkert Prachuabdi.
Le dimanche 14 septembre 1986, il est victime d’un accident de circulation heureusement sans gravité ; il en été quitte pour soigner les égratignures au genou et autres petites contusions. Profitant de la mission prêchée chez lui par les Pères Rédemptoristes, il a fait avec le Père Le Bézu un peu de tourisme dans les environs de Phibun et ses rapides de la rivière Moun : Keng Sa Pheu et Keng Tana ; Pha Chalieng avec ses colonnes de pierres en forme de champignons et puis la falaise de Pha Taem avec ses peintures rupestres préhistoriques dans le district de Kong Chiam. Ces peintures seraient dit-on et selon les auteurs, vieilles de 3000 à plus de 5000 ans. Ce que Roger voudrait contester !
En se rendant à son catéchisme à Bungmai le 22 juin 1987, il est à nouveau victime d’un accident de moto : un pneu éclaté, culbute, foulure de la cheville et diverses ecchymoses. Début décembre de cette même année il fait avec le Père Tenaud une petite escapade du côté de Korat et au parc national de Khao Yai.
Le samedi 16 janvier 1988 il présente tous les symptômes d’une crise d’appendicite aiguë qui, à l’hôpital, s’avérera être un simple spasme. Pendant les congés du Père Tenaud, Roger assure une présence à Bungmai quelques jours par semaine. En juillet 1988 il est victime d’une attaque d’hémiplégie dont il s’est assez vite remis, ce qui lui a permis de continuer son travail à Ban Bua Tha comme au séminaire pour les confessions et la direction de conscience et au couvent pour les confessions.
C’est un peu grâce à la présence de Roger à Bua Tha que nous avons eu le plaisir d’une visite du groupe choral : « les Enfants de l’Espoir. » Depuis plusieurs années un courant d’échanges s’est établi entre ces chanteurs et les jeunes de Ban Bua Tha. Roger est l’interprète des uns et des autres, le trait d’union entre les deux pays. Ce groupe vient en effet de Saint-Martin-des-Chaprais, diocèse de Besançon. Le Noël 1988 a été très joyeux à Bua Tha ! Car ces gamins et gamines que les chanteurs parrainent depuis plusieurs années, ils ont enfin pu les voir en chair et en os !
Avant qu’il quitte Ban Bua Tha, Roger y a célébré les 100 ans du village et de la paroisse avec une belle assistance venue d’un peu partout du diocèse d’Ubon et même de Bangkok. Il profite ensuite d’un congé bien mérité du 7 mai au 30 novembre 1990. A son retour il se retrouve presque tout de suite « vicaire » à Varin les dimanches où le P. Guillemin est pris par les réunions et les sessions pour la promotion de la vie de famille. Pendant les congés des confrères en 1991, c’est à Nongtham et Sithan qu’il est appelé à missionner. Et qu’il fait l’émerveillement de l’évêque : « Faire de la moto à 74 ans, ce n’est pas croyable ». Et pourtant !..
En 1993, Roger rejoint Mgr Berthold à la maison MEP. Le nouveau bâtiment a été béni le 31 janvier 1991 lors de notre retraite commune. Roger continue de remplacer les confrères pris par des sessions ou en congé et il le fait de bon cœur.
Il décrit lui-même l’atmosphère de la maison dans le C.-R. 1992-1997 : « La vie y est douce et sereine, la maison accueillante avec son parc à la paix bucolique. » Et puis parlant de son confrère le Père Brillant qui l’a rejoint, « ils vont ensemble tous deux entendre les confessions et faire de la direction spirituelle au petit séminaire qu’il faudrait plutôt appeler le probatorium. Le supérieur ne se fait guère d’illusions sur les motifs des entrées ou les résultats ». Et parlant de lui-même : « On fait souvent appel au P. Ragazzi pour les remplacements. Il ne les refuse pas convaincu que cela lui donne une raison de vivre et lui évite peut-être de devenir trop grincheux avec l’âge ».
Parmi les séminaristes prisonniers au Stalag A, il t avait un futur prêtre des Missions Africaines de Lyon qui a fait son ministère en Côte d’Ivoire. L’abbé Roger Duverger avait fait part à notre confrère du décès de ce missionnaire. Dans une lettre datée du 21 novembre 2000, il lui répondait : « Ainsi vont les jours… on voit les anciens tomber au fur et à mesure jusqu’au jour où viendra notre tour, Justement aujourd’hui même le 21 novembre est le jour de mon anniversaire (84 ans), je n’ai pas à me plaindre. Les confrères qui m’entourent disparaissent ou rentrent en France achever leur vieillesse. Je ne connais pas encore la maladie et bien que je sois en semi-retraite, on a encore recours à moi pour faire des remplacements. Actuellement je remplace un confrère en congé. J’ai ainsi le plaisir d’aller rejoindre ce poste en moto à 7 kilomètres d’ici : Ça me fait prendre l’air. »
« L’année dernière je suis allé passer 3 mois en France. J’en suis revenu déçu : je préfère être en Thaïlande où j’ai pris racine depuis le temps que j’y réside. Evidemment nous n’avons pas beaucoup de succès ; le Bouddhisme fait partie de la culture ; enfin il y a quand même notre présence, c’est l’essentiel ». Et Roger fait part à son correspondant d’une lettre reçue de Côte d’Ivoire d’un prêtre curé là où était le missionnaire. Le curé le remercie de son apostolat dans cette paroisse. « Je n’y comprends rien car jamais je ne suis allé là-bas ; je me demande si je n’aurais pas, par hasard, le charisme de bilocation. Finalement ce mystère est rigolo. » Et Roger d’ajouter : « Enfin je lui ai répondu, sensible quand même à sa bonne intention. »
C’est vrai que Roger ne connaissait pas la maladie. Certes il était oublieux mais ça ne datait pas d’hier. Et vint l’accident du 3 mai 2001. C’était le jour de la réunion presbyterium à l’évêché comme tous les deux mois. Ce jour-là la voiture de la maison était au garage et le Père Droval décide de partir en touk-touk. Roger préfère prendre sa moto. C’est en rentrant à la maison après le repas de midi qu’il a été bousculé par un car sans se rendre compte de rien du tout. Il s’est réveillé à l’hôpital… la clavicule droite cassée, des hématomes plein le visage, une blessure profonde à la main droite et tout le bras droit éraflé. » Telle était la nouvelle que le Père Guillemin envoyait à Paris le jour même. Le lendemain, Roger est « bien agité et tient des propos pas très coordonnés » ; cependant, après un scanner de la tête « il est sûr qu’il n’a pas d’hématome sous la boite crânienne ni aucune lésion. Les spécialistes pensent qu’il s’agirait probablement d’un choc émotionnel dû à l’accident. »
Bernard Guillemin passera beaucoup de temps avec lui et les Sœurs Amantes de la Croix resteront avec lui pour la nuit. Après dix jours d’hôpital Roger est rentré à la maison en assez bonne forme et ne souffrant pas trop de l’épaule. Le moral aussi était revenu et avec lui, l’appétit. Roger a donc pris la décision de vendre sa moto ; « C’est un signe que Dieu veut que j’abandonne la moto », disait-il à l’évêque. Et pourtant, Dieu sait s’il aimait sa moto, sa « chère moitié », comme il disait.
Entre temps, le Père Brillant qui nous avait annoncé son départ pour la France dès le 17 février, quitte la maison le 8 mai en même temps que le Père Lamoureux venu nous faire ses adieux. Il sera remplacé peu de temps après par le Père Maurice Brisson.
Dès le mois de septembre 2002, Roger ne préside plus la messe ni ne lit les lectures : il s’embrouille. La seule médecine qu’on lui ait prescrite est pour améliorer la circulation sanguine… Dans la semaine du 22 au 29 septembre, sa maladie se manifeste assez brusquement. Le lundi 23, il se dit fatigué, n’arrive plus à lire et se plaint d’insomnies. Le 27 au soir il accepte mais difficilement d’aller consulter un docteur. Celui-ci ne pense qu’à un peu de fatigue et de tension et le traite en conséquence. Mais dès le lendemain Roger ne parle que difficilement et, peu à peu, ne peut plus se lever seul et surtout refuse de s’alimenter. Le 29, il entre à l’hôpital mais les docteurs ne peuvent pas grand chose : ce qui fait défaut, c’est l’irrigation du cerveau. Il rentre à la maison le 7 octobre au soir mais son état va rester préoccupant : ni fièvre ni tension ni douleur. Il est conscient : il y a par moment un léger mieux et il semble pouvoir commencer à parler. Il n’a pas eu d’attaque cérébrale mais l’appétit n’est toujours pas au rendez-vous. L’aide des Sœurs Amantes de la Croix a été remarquable car Roger était dans un état de dépendance totale. Un kiné est venu plusieurs fois sans qu’on voie beaucoup d’amélioration. Le 15 octobre après-midi, le pouls et la tension ne sont plus réguliers. Roger est donc emmené à l’hôpital privé Ubonraks. Après quelques jours de soins et d’alimentation par perfusion, il pouvait commencer à manger et même à parler un peu. Il rentre à la fin du mois. Mais les Sœurs ne peuvent continuer leur garde car l’école a repris. Dès lors le dévouement de notre femme de chambre a été admirable. Mais cela devenait trop lourd car il n’est pas facile de trouver des gardes-malades et, ici, les 35 heures, ce n’est pas connu ! La décision a été prise de son retour en France à la maison médicalisée de Montbeton. Dès qu’il a accepté ce retour, Roger a semblé retrouver un nouveau souffle. Le 12 décembre il quitte Ubon accompagné du Père Aballain et il est à Montbeton dès le lendemain. En retrouvant des amis de Thaïlande et d’autres connaissances, il a semblé reprendre vie. Puis, après une semaine passée en clinique pour des examens, il est rentré à la maison. Il est parti brusquement dans la soirée du 29 décembre 2002.
Après avoir parlé des difficultés, des déceptions et des épreuves que Roger avait pu rencontrer dans sa vie missionnaire, le Père Mansuy disait : « Mais grâce à la force qu’il puisait dans le don qu’il avait fait de lui-même au Seigneur, il tint bon et fut fidèle jusqu’au bout. Il ne s’appartenait plus, il appartenait au Seigneur, ce Seigneur qu’il rencontrait d’une façon spéciale dans la célébration quotidienne de l’Eucharistie. »
Rudiger, quand tu étais parmi nous, tu sais combien tu nous as fait rire ; maintenant, c’est à nous de te dire un grand merci et puis, comme le maître au serviteur bon et fidèle : « Entre dans la joie de ton maître », et là, tu ne pourras pas être décu !
Marcel Laouénan