Jean-Jacques CORMERAIS1926 - 2007
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 3901
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Identité
Naissance
Décès
Missions
- Pays :
- Birmanie
- Région missionnaire :
- 1951 - 1966 (Yangon [Rangoun])
Biographie
[3901] CORMERAIS Jean est né le 10 juillet 1926 au Pellerin (Loire-Atlantique).
Ordonné prêtre le 28 mai 1950, il part le 4 décembre 1951 pour la mission de Rangoun (Birmanie).
Après l’étude du birman, il est envoyé à Bassein en 1955. Il est nommé vicaire à Maubin, avant d’être expulsé de Birmanie en 1966.
En 1967, il reçoit une nouvelle affectation pour Madagascar. Il apprend le malgache à Mananjary, reste quelques mois à Ifandiana en 1968, puis il est chargé des villages situés sur le canal des Pangalannes. Il est ensuite économe de la mission en 1971.
Il revient définitivement en France en 1972. Il est chargé de la paroisse d’Argentat dans le Corrèze (1973-1979), puis il est nommé à la paroisse Saint-Sernin à Brive-la-Gaillarde (1979-1999). Il se retire ensuite au sanatorium de Montbeton.
Il meurt le 1er juin 2007. Il est inhumé dans le cimetière des MEP à Montbeton.
Nécrologie
Jean-Jacques Cormerais
Lorsque Jean-Jacques Cormerais arriva à l'automne 1945 à la rue du Bac, l'atmosphère était à l'enthousiasme. On venait de gagner la guerre et le séminaire était une ruche bruyante où près de 150 aspirants de 18 à 34 ans arrivant de partout, le Père Paul Destombes, supérieur, s'efforçait de caser son monde, souvent à deux par chambre. Un esprit de corps se créait entre tous, les anciens prisonniers et ceux qui avaient servi dans les différentes armées, avec Leclerc et sa 2e DB, avec Juin en Italie ou avec De Lattre, sans parler de ceux qui avaient été avec les FFI ou les FTP, des anciens des commandos anglais et des Alsaciens de la Wehrmacht. Un seul idéal unissait cette jeunesse bruyante mais rêvant d'un avenir radieux, être en Asie les porteurs de l'Evangile.
Jean-Jacques n'eut aucune peine à entrer dans cet esprit avec une vingtaine de gais lurons de son âge. Il venait comme la plupart d'une famille nombreuse: né le 10 juillet 1926 au Pellerin (Loire Atlantique) de Pierre Cormerais, ouvrier agricole, et d'Eugénie Héry, qui eurent trois filles et deux garçons. Après ses études primaires au Pellerin, il entra en 1937 au petit séminaire de Guérande et passa au petit séminaire des Couëts de la seconde à la terminale et il en sortit en 1945, ayant terminé sans problèmes ses études secondaires, pour passer à la rue du Bac. Il semble que son entourage n'ait pas vraiment favorisé sa vocation, mais il avait demandé à y entrer dès le 30 mai et obtenu la permission de l'évêque de Nantes.
Ce n'est qu'en 1946 que les Américains quittèrent le Séminaire de Bel-Air à Bièvres et Jean-Jacques y continua sa formation, sans faire de service militaire. Il y reçut la tonsure le 21 décembre 1946 et les premiers ordres mineurs le 29 juin 1947. Il passa à la rue Bac en 1948 et y reçut les deux derniers ordres mineurs le 19 juin. Puis il fut sous-diacre le 25 septembre 1949, diacre le 14 décembre et prêtre le 28 mai 1950, jour de la Pentecôte.
Jusque-là tout s'était passé sans anicroche.
Mais quand il fut désigné pour la Birmanie, les difficultés commencèrent. Depuis l'indépendance en 1948, le pays était déchiré par des rivalités diverses, surtout le sud où les Birmans et les Carians se livraient une guerre atroce. Plusieurs prêtres du diocèse de Rangoon avaient été tués, dont le jeune père Robert Maréchal en 1949 et le père Jean Perrin en 1950. Le gouvernement montrait son indépendance en refusant l'entrée aux étrangers. Il fallut prendre patience et on envoya Jean-Jacques Cormerais avec les Pères Loiseau et Kelbert faire un peu d'anglais. En juin 1951, leur visa ne venant toujours pas, on songea même à les envoyer en Inde, mais ils l'obtinrent enfin et partirent par l'André Lebon le 4 décembre 1951.
Quand ils débarquèrent à Rangoon le 3 janvier à 9 heures du soir, l'économe, le Père Rioufreyt, n'avait rien à leur offrir et il les emmena dans une gargote chinoise. La ville était sinistre, les trottoirs encombrés de cabanes de réfugiés, et les traces des bombardements de la guerre japonaise étaient encore partout visibles. Le jeune Père Frappier leur fit visiter les lieux pour les préparer à ce qui les attendait en dehors de la capitale cernée par des rebelles de tout acabit. Les bateaux et les trains circulaient tout de même, au risque de se faire tirer dessus, et Mgr Provost envoya Jean-Jacques étudier le birman à Maubin chez le Père Leo, un prêtre carian. Malgré les troubles cette année-là on célébra plusieurs jubilés dans le diocèse et le Père Jean-Jacques eut l'occasion de rencontrer un témoin de l'histoire de la mission quand il alla avec son curé le 3 juillet à Yandoon à celui d'un vétéran de la mission, le P. Ballenghien: c'était un Jubilé de diamant ! Son jubilé d'or en 42, au moment de l'invasion japonaise, avait passé inaperçu... Les paroissiens étaient venus si nombreux que la police s'était inquiétée et son vicaire, le P. Arulswamy, avait dû aller par trois fois expliquer les raisons de leur venue. La 3e fois, il eut l'idée d'inviter tous les officiels à déjeuner et il n'eut plus d'ennuis ensuite... Les Carians rebelles avaient en effet repris l'attaque dans le nord du district, d'où l'inquiétude des autorités. Il y avait 55 ans que Ballenghien était curé de Yandoon, record de stabilité pour la Birmanie. Il était arrivé en 1892 au temps de Mgr Bigandet... Le plus triste fut en 1950, quand, après la prise de Yandoon par les forces gouvernementales, son poste fut pillé et son assistant le P. Joachim assassiné. La situation était encore instable, toute une partie du district étant en zone rebelle…
En septembre 1952, deux nouveaux sont arrivés, Jeannequin et Etchebéhère, et comme on organise pour eux un cours d'anglais à Rangoon, le P. Cormerais va les rejoindre jusqu'en septembre 1953 ; il sont alors envoyés étudier le birman, et le Père Cormerais va à Kanazogon, où il choisit un village pour pratiquer le langage parlé. Mgr Victor Bazin a succédé à Mgr Provost en 1953 et réussi à ramener la paix dans le clergé carian qui avait connu des troubles depuis une vingtaine d'années et peu à peu il lui confie de grands districts. C'est ainsi que le P. Joseph est nommé curé de Maryland et le P. Cormerais lui est envoyé jusqu'en 1955 où il va retourner à Kanazogon, ayant fait les trois ans de préparation requis désormais, et acquis une large expérience à Rangoon, Maubin, Kanazogon et Maryland.
Fondation du diocèse de Pathein.
En janvier 1955, le Père George U Kyaw est nommé premier évêque du nouveau diocèse de Pathein (Bassein) et les jeunes Mep préparent la cérlébration : Lahitte et Cormerais pour les cérémonies, Jeannequin et Etchebéhère pour les chants. Duhart est grand maître artisan pour faire le trône et agrandir le chœur de la Cathédrale St-Pierre.
A Kanazogon, le Père Cormerais s'arrange très bien avec le P. Mourier qui, bien que retraité, fait le caté, confesse et prêche tout en préparant portes et fenêtres pour l'église de Myetkalay. Le bulletin signale que Cormerais a ramené de Rangoon une cloche Paccard de 150 kilos, qui remplacera l'ancienne, fêlée. Sa santé n'est pas brillante, mais le moral est bon. Et il ajoute : "Si vous voulez un gai congé, allez à Kanazogon..."
A Rangoon, en mars 1956 eut lieu un événement qui frappa la population: à l'occasion du centenaire de l'arrivée des Missions Etrangères en Birmanie, un Congrès eucharistique eut lieu avec 200 prêtres et des délégations de toute la Birmanie: pendant trois jours diverses cérémonies se déroulèrent et le Congrès se conclut par une messe présidée par le Cardinal Gracias, délégué du Pape, où assista le Président U Nu. C'était l'occasion de marquer une étape du développement de l'Eglise et on posa la première pierre d'un grand séminaire national.
En 1957, c'était le centenaire de la fondation de Kanazogon par le Père Lacrampe. Il avait raconté la première messe en février 1857: "Le dimanche, avec deux planches du bateau on fait un autel et on célèbre la Messe devant 25 à 30 hommes et 4 ou 5 femmes, ébahis devant cette cérémonie: deux servants en aube et ceinture rouge, et les six compagnons chantant les prières en Carian, menés par Koshwe, le catéchiste... Les gens veulent se faire chrétiens et acceptent de jeter les fils de leurs bras et les ustensiles de sacrifice. En moins de 4 jours, la plupart savent Pater, Ave et Credo: il y a prière matin et soir, et le chapelet qui dure 3/4 d'heure."
Depuis le nombre de chrétiens s'était multiplié, et, malgré les difficultés Kanazogon comptait un millier de chrétiens lorsque en juillet 1941 le village fut mis à feu et à sang par les soldats de l'armée indépendante birmane, sous la conduite d'un Japonais. 400 personnes furent massacrées et le Père Mourier eut bien du mal à redonner vie aux survivants, et à mettre un toit de chaume sur les murs calcinés de l'église et des autres bâtiments.
Le Père Cormerais est un vicaire ambulant et le meilleur moyen pour visiter les gens dans le Delta c'est le bateau avec lequel il doit aller de temps en temps à Rangoon se ravitailler. Mais il y a des voleurs partout : en mars 1957 il s'y est fait voler ses papiers et 600 roupies ! Mais il ne semble pas avoir vu d'attaques par les rebelles comme son confrère Jeannequin qui a dû une fois plonger dans la boue avec l'équipage du sampan.
Mourier, 80 ans, bâtit à Myetkalay une chapelle en briques avec des fenêtres métalliques et un clocher de 4 rails de 40 pieds... et le tout malgré les difficultés à trouver du ciment et du zinc, rationné par le gouvernement et des ouvriers qui refusent de travailler en brousse. Mgr U Kyaw est allé la bénir, et Narbaitz y a amené ses élèves catéchistes... Ils ont même été voir Kyetsha, dans la brousse alluvionnaire du sud, où le P. Cormerais a préparé tout un groupe à la communion et confirmation. Il les a conduits à Natthat sur la Pyinzalu sur une plage magnifique, où prêtres et catéchistes se sont baignés dans la grande bleue où seuls de rares pêcheurs viennent. Il va acheter un canot à moteur, dit-il. Mais dès le mois de septembre il doit revenir à Rangoon pour faire revoir la magnéto de sa motogodille, et lorsque le Père Foulquier meurt à Maryland le 17 octobre, le P. Cormerais est juste là pour l'assister. Il a encore eu une aventure à Rangoon : il a été attaqué par un chien errant et après s'être bien défendu avec son parapluie, il est arrivé essoufflé chez Danis qui l'a remonté d'un solide cordial. Mais l'armée a pris le pouvoir et d'immenses progrès ont été réalisés. Depuis janvier, aucun train n'a sauté, aucun steamer n'a été mitraillé, les services de nuit ont repris, la ville de Rangoon a fait toilette et quelque 60.000 chiens errants ont été liquidés, dont celui qui a attaqué Cormerais.
Désormais il sillonne les régions du sud et il visite plusieurs postes pour Noël 1959 tandis que le P. Mourier célèbre la fête dans son église de Myetkalay. Le district de Kanazogon compte environ 4.000 chrétiens, dont 1.500 au centre. C'est au P. Cormerais qu'incombe la visite des villages dispersés: les gens sont fervents et assistent nombreux aux offices, même en semaine: il y a de nombreuses confessions et communions pour les dimanches, les fêtes et les premiers vendredis du mois. Une dizaine de religieuses et la Légion de Marie aident le travail des prêtres. Mais il faut parfois faire jusqu'à dix ou douze heures en sampan, sous tous les temps, d'un village à l'autre et ces petites communautés qui n'avaient pu être visitées pendant quelques années accueillent le prêtre avec joie.
Cette vie trépidante le long des canaux vaseux du delta l'a bien fatigué et quand arrive un nouveau, le P. Gaztambide, il s'envole pour Bangkok le 11 avril 1961 et prend son congé en France. Quelques jours plus tard, en son absence, on fête le 21, 22 et 23 avril le jubilé de diamant du P. Mourier, venu là en 1901 y étudier le birman en attendant, disait Mgr Cardot, sa destination définitive, et qui y a passé toute sa vie. Le P. Raphaël a organisé pour cela un triduum : une journée consacrée à la Vierge avec grand-messe en plein air et sermon par Mgr U Kyaw, bénédiction des statues et oratoire de N.D .de Fatima et, le soir, procession du char de la Vierge autour du village. Le 22 fut consacré au jubilaire qui célébra la grand-messe devant Mgr, avec 14 confrères et 11 religieuses carianes originaires du district ( il y en a encore trois aux Chin Hills et une au Siam) et une foule de 4.000 personnes. Il a fallu 20 minutes à 4 prêtres pour distribuer la communion... Quel progrès depuis la fondation !
Pendant son congé, le P. Cormerais fait d'abord une retraite à la Manrèse de Clamart avec d'autres confrères, puis tous viennent suivre trois semaines de session rue du Bac. Il s'agit de se refaire au physique et au moral : en Birmanie l'avenir semble difficile, car l'armée a pris goût au pouvoir.
Quand le P. Cormerais revient, ses courses apostoliques reprennent et le bulletin signale que pour Pâques 1962, il a reçu le renfort des Pères de Mayanchaung, Duhart et Joseph S'Erie. Le Père Raphaël, curé de Kanazogon, était parti faire les fêtes dans les villages du sud et le P. Mourier dans son village de Myetkalay: il songe à y bâtir un dispensaire… Ces trois prêtres de Kanazogon forment une équipe qui s'entend bien.
Le P. Cormerais donne peu de nouvelles, mais d'autres signalent que dans le désordre qui sévit partout, plusieurs se sont fait voler: Cormerais qui était venu à Rangoon chercher des pièces de moteur, Danis et Jeannequin leur projecteur en ont été victimes... Il y a parfois des miracles : Renou avait perdu sa radio chez Gaztambide: les filles ont fait une neuvaine et la radio a été retrouvée et le voleur arrêté...
Mais des évènements secouent le pays: les militaires veulent mettre de l'ordre partout. Pour arrêter les sorties frauduleuses de devises, au début de mai 1964, la radio annonce l'invalidation des billets de 100 et 50, avec remboursement de 500 K... Les collèges et hôpitaux privés sont nationalisés, puis tous les commerces. Le 13 juillet 1963 un rapport avait signalé que le Gouvernement était aux mains d'une junte militaire présidée par le Colonel Ne Win. L'ancien Premier Ministre U Nu et ses Ministres étaient enfermés dans un camp de concentration. On enquête sur tous les étrangers, aucun visa n'est plus accordé et on surveille les transferts de fonds. Même les évêques birmans ont du mal à aller à la troisième session du Concile… et Mgr Bazin est toujours suivi par la police.
Cependant dans la brousse, chacun reste solide à son poste. A Kanazogon, Cormerais est heureux, répondant à tous les appels de malades, tandis que Mourier, 89 ans, continue ses bonnes vieilles blagues. Mais Le P. Jean Bonney, curé de Gyobingauk, est en prison pour aide aux rebelles… Tous ceux qui sont arrivés après l'indépendance savent qu'ils devront partir bientôt, mais font confiance à Dieu.
Enfin le 25 mars 1966 le P. Ogent, régional, écrit : " Le couteau est tombé... Je suis rentré ce matin de Kanazogon pour apprendre la nouvelle... Doivent avoir quitté avant fin avril : Loiseau, Droval, Cormerais, Bareigts, Gaztambide et Kelbert."
Finalement Cormerais et Droval vont en bateau à Singapore, mais la plupart partent par avion directement en France.
Madagascar
Dès le mois de septembre 1966, les PP. Cormerais, Etchebéhère et Ruellen reçoivent leur nouvelle destination, Mananjary sur la côte Est de Madagascar. Le P. Cormerais part dès le 12 janvier 1967 et peu après apprend la mort de sa mère. Dans cette mission confiée aux MEP depuis seulement 6 ans, les trois "birmans" font figure d'anciens. Ils n'ont que 40 ans, mais les autres qui pour la plupart ont combattu en Algérie les jugent dépassés, et l'atmosphère s'en ressent. Après quelques mois d'étude de langue, les trois "birmans" montent en vélomoteur à Fianarantsoa pour une retraite et ils sont tout heureux en arrivant de rencontrer un prêtre malgache, le P. Rémi, qui ressemble tellement à un birman qu'ils s'en sentent tout rajeunis !
Au retour à Mananjary, ils sont mis en poste et naturellement le P. Cormerais se retrouve en charge des villages au bord de mer, au nord de Mananjary.
Ces villages de pêcheurs sont en réalité tournés vers la lagune, les Pangalanes, qui leur sert de voie de communication, car la mer est très dangereuse pour leurs pirogues: les hommes n'y vont pêcher qu'en de très légères pirogues monoplaces capables de basculer vers le large du sommet des rouleaux déferlants pour atteindre les fonds poissonneux au-delà de la barre coralienne. Le P. Cormerais redevient marinier comme en Birmanie à bord d'une barque à moteur. Mais les chrétiens de ces villages ne sont pas aussi fervents que les Carians de Kanazogon, même si certains ont été touchés par le christianisme dès la fin du 19e siècle. Le Père Cormerais peut voir sur les registres qu'au village de Mahela les premiers ont été baptisés vers 1870: un colon venu de l'île Maurice avait alors fait venir un missionnaire jésuite qui avait baptisé plusieurs de ses employés, dont un qui était signalé comme "esclave personnel du Premier Ministre." La chrétienté malgache avait grandi, mais en 1947 un soulèvement contre les colons avait été très brutalement réprimé et vingt ans plus tard, malgré l'indépendance accordée en 1960, les esprits en étaient encore très marqués: pendant les cours de malgache, le professeur, ancien rebelle durement puni, avait bien des fois rappelé à ses élèves combien le cœur des malgaches, même chrétiens, restait marqué par les violences des européens.
Le P. Cormerais savait que les discours les plus éloquents ne pouvaient ouvrir des cœurs fermés: il savait bien aussi qu'il ne pouvait égaler les jeunes Mep dont certains parlaient malgache presque comme des gens du pays, citant force proverbes, imitant les dialectes des diverses tribus devant des auditeurs ébahis. Le Père "Jean-Jacques", comme on disait à Mananjary, était du genre bourru, aux paroles brèves et simples, qui ne rêvait pas de changer le monde par des idées nouvelles. On commençait à célébrer la messe en malgache, on faisait des autels face au peuple, on lançait des paraliturgies et des cantiques nouveaux. Mais le Père Cormerais allait tout simplement visiter ses gens, les laissant diriger eux-mêmes leurs cérémonies, leurs chants et leurs manières d'être chrétiens. Son assiduité, sa présence continue au milieu d'eux, sa régularité à passer d'un village à l'autre sans prendre de vacances étaient la preuve sensible qu'il aimait ses gens. Et les chrétiens appréciaient qu'il reste avec eux, sans prendre part aux fêtes que donnaient ici et là les quelques colons qui restaient encore dans le pays. On sentait bien qu'il n'approuvait pas les jeunes Mep qui ne voyaient pas de raison de refuser ces invitations.
Le travail d'apostolat dans la région de Mananjary est régulièrement affecté par les cyclones et la région où travaillait le P. Cormerais est souvent dévastée. Les gens savent qu'il est inutile de faire du durable et tous logent dans des huttes légères faites à partir du palmier local, le "ravinala": l'écorce aplatie fournit le plancher, les nervures des palmes enfilées sur des lames de bambous fournissent les murs et les palmes le toit ; généralement six petits poteaux et quelques bois en long forment l'armature de ce type de construction; les cases sont presque toujours très proches et parallèles, se protégeant mutuellement. On vit ensemble, généralement dehors car l'espace intérieur est étroit, et on s'entend d'une maison à l'autre: la vie se passe dans un brouhaha de voix, de cris de joie, de pleurs d'enfants, de bruits confus de mortiers pilant le riz, de volaille en goguette et d'abois furieux de chiens chassés des cuisines. C'est le son de la vie et quand à la demande :" Ca va chez vous ?" on vous répond "Mangina be !", "c'est tout silencieux", cela signifie que ça ne va pas du tout…
Dans une demi-douzaine de villages d'importance diverse, sur 15.000 habitants, le rapport de 1969 signale que le district d'Ambohitsara compte 1.500 baptisés et qu'il y a eu cette année-là dix baptêmes d'adultes. On préfère donner des chiffres ronds, car depuis l'indépendance l'administration laisse à désirer et beaucoup de gens préfèrent se soustraire à l'impôt en se faisant oublier du gouvernement. Quand un képi de gendarme est aperçu, bien des hommes disparaissent des villages. Mais quand c'est la barque du Père Jean-Jacques, tout le monde accourt, surtout les enfants. L'avenir du pays est dans cette multitude de marmaille qui est toujours prête à assister à tout rassemblement: on entoure le père, on l'accompagne dans ses visites, et dans la maison de planches qu'il habite, par toutes les fentes on le regarde avec une curiosité amusée. L'église est la maison commune où tous s'entassent et répètent en cœur prières et chants. Un problème nouveau pour le Père Cormerais est la situation familiale de ses ouailles. Les Carians avaient des maisons de bambou, certes, mais la cellule familiale était claire et les couples stables. Sur la côte est de Madagascar la famille est à l'image de la maison qu'elle habite, instable et vite refaite quand un vent mauvais l'a abattue. On vit dans le provisoire, les couples se font et se défont: et comme il faut payer le fisc pour se marier civilement, on préfère être libre. Les enfants ne sont cependant jamais totalement abandonnés, ils appartiennent à la grande famille…
Les chapelles et écoles sont aussi pour la plupart des cabanes sans planchers, ni portes ni fenêtres, avec quelques vieilles nattes sur le sable, mais on y apprend tout de même à lire et à écrire, dans un bruyant enthousiasme juvénile. Le Père Cormerais ne cherche pas, comme certains, à couler ici et là un peu de béton sur ce sable, même si c'est "pour la plus grande gloire de Dieu". Il ne sent pas venu apporter la révolution, ni la civilisation, mais il veut seulement aider ces pauvres gens à se prendre eux-mêmes en charge, au nom de Jésus, sans rien brusquer. C'est sans doute ce qui le met un peu sur la touche, dans cette équipe de jeunes qu'il juge dévoués à la mission, certes, mais qui parlent de faire table rase d'un passé missionnaire qu'ils estiment dépassé.
En décembre 1971, le Père Cormerais part pour prendre quelques mois de congé en France, mais quand il revient en juillet 1972, la situation à bien changé à Madagascar. Le gouvernement a été balayé par des émeutes à Tananarive au mois de mai; certains jeunes missionnaires emportés par l'esprit de 1968 croient à une étape dans la décolonisation : que les Malgaches soient laissés à eux-mêmes, et que l'Eglise de Madagascar se libère des missionnaires… Ce trouble des esprits permet la prise du pouvoir par un officier de Marine, Ratsiraka, qui décide d'appliquer un socialisme militaire. Le Père Cormerais ne peut oublier que c'est ce type de régime qui a abouti à l'expulsion des missionnaires en Birmanie et à l'écrasement des sursauts pour la liberté. Il ne tient pas à assister à une débâcle qu'il désapprouve et, en 1973, il décide donc de retourner en France.
Au diocèse de Tulle.
Les évêques de plusieurs diocèses de France manquent de prêtres et accueillent volontiers les prêtres des Missions Etrangères qui ont dû revenir au pays. Dès le 24 juin 1973, l'évêque de Tulle écrit au Supérieur Général, le Père Léon Roncin, qu'il accepte le Père Cormerais.
"La paroisse d'Argentat s'apprête à accueillir le Père Cormerais. Il sera là avec un doyen de 67 ans et un jeune prêtre de 30 ans…ce sera pour lui une bonne année de recyclage pastoral."
Tout se passe bien en effet et le 22 août suivant, il écrit : "L'acclimatation s'effectue dans de très bonnes conditions… J'ai trouvé un très bon accueil et l'atmosphère est vraiment très bonne." Argentat compte une population de 3.500 habitants qui double presque pendant les vacances, car c'est l'un des plus beaux sites de la Corrèze. Le Père Cormerais a aussi la charge de deux villages, d'où la jeunesse s'en va en ville. Aidé de son curé, il se lance dans les préparations au baptême et au mariage. A la rentrée, il participe à la catéchèse dans un collège de 400 élèves tenu par des religieuses. Il n'est pas désorienté car, dit-il, "le diocèse de Tulle est un tant soit peu traditionaliste… sans être pour cela retardataire. Le travail se fait en douceur et avec continuité. On ne met pas les bouchées doubles…" Cela le change des initiatives brutales des jeunes prêtres de Mananjary, et il a la joie de rencontrer deux Mep, les Pères Dixneuf et Peyrat qui travaillent aussi dans le diocèse.
En 1979, après six ans à Argentat, le Père Cormerais écrit à son évêque qu'il souhaiterait faire une autre expérience pastorale. Il vient alors à la paroisse de Saint Sernin à Brive, pour remplacer le Père Dixneuf que des accidents cardiaques condamnent au repos. C'était une paroisse très importante et il y demeura vingt ans, faisant son ministère à son rythme, sans éclat, en bon serviteur de l'Eglise, même si parfois il y avait quelques éclats avec certains prêtres, car lui-même reconnaissait qu'il n'était pas toujours facile à vivre.
En 1998, il constata que dans l'Ordo diocésain, son statut officiel dans le diocèse avait évolué: après 25 ans de bons et loyaux services comme prêtre "auxiliaire" il avait accédé au titre de "vicaire"... Il acceptait tout avec humour, mais avec l'âge la fatigue se faisait sentir et dès janvier 1998 il avait déjà fait savoir à Mgr le Gal qu'il souhaitait quitter le diocèse. L'évêque aurait voulu le garder et lui proposa d'autres postes, et même de se retirer à maison de retraite des prêtres qui se trouvait sur la paroisse de Saint-Sernin. Mais le Père Cormerais préféra aller prendre un temps de repos à Montbeton au milieu d'anciens missionnaires comme lui.
Quand il célébra la grand-messe du dernier dimanche d'août 1999 à Saint Sernin, ce fut magnifique, écrivit-il. Des paroissiens étaient venus nombreux, beaucoup d'amis, des gens connus et même des inconnus. Il quitta donc Brive avec le sentiment d'avoir bien accompli sa mission et dès le début de Septembre il retrouva à Montbeton l'ambiance chaleureuse des Missions Etrangères et la joie d'échanger des souvenirs avec des confrères qui avaient tous connu l'Asie où ils avaient donné leurs meilleures années.
Il comptait bien reprendre quelque ministère là où ce serait possible, mais il avait préjugé de ses forces. Il avait quitté juste à temps le service actif: dès le mois d'octobre il commença à avoir des problèmes de tension artérielle, et il fallut même réparer les artères coronaires. Puis ce fut rhume, grippe, mal de dos persistant. Trois semaines à l'hôpital brisèrent son moral et le 14 février 2000 il écrivit au Supérieur qu'il était à bout: "En me permettant de venir ici il était bien dit que le séjour serait aussi court que possible, mais maintenant… je ne me vois pas reprendre une activité…" C'est ainsi que, bien malgré lui, il devint résident permanent de la maison Saint-Raphaël.
Il eut encore de bons moments: le 28 mai 2000 il fêta ses 50 ans de sacerdoce en même temps que le Père Olivier Deschamps qui avait été ordonné en même temps que lui. L'atmosphère de piété de la maison l'aidait, disait-il, "à retrouver des gestes que j'avais beaucoup négligés…" La maladie mettait parfois sa patience, et celle des autres, à l'épreuve, mais au long de ses sept dernières années de vie il eut le temps de se préparer avec une relative sérénité à aller rejoindre son Maître le 1er juin 2007.
Ses obsèques le 4 juin furent présidées par l'évêque de Tulle, Mgr Charrier, accompagné par le vicaire général et le curé de Brive. Mais c'est sans doute à Kanazogon, en Birmanie, où il avait laissé son cœur, qu'on célébra le plus solennellement son départ pour le Royaume de Dieu dont il avait été le héraut.