Joseph JEANNEQUIN1926 - 2019
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 3942
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Identité
Naissance
Décès
Missions
- Pays :
- Birmanie
- Région missionnaire :
- 1952 - 1966 (Yangon [Rangoun])
- Pays :
- Cambodge
- Région missionnaire :
- 1968 - 1969
- Pays :
- Taïwan
- Région missionnaire :
- 1969 - 1972
- Pays :
- Malaisie - Singapour
- Région missionnaire :
- 1972 - 2019 (Malacca)
Biographie
Joseph Pierre Gérard JEANNEQUIN est né à Baccarat, en Meurthe-et-Moselle, dans le diocèse de Nancy, le 2 juillet 1926. Son père, Joseph Jeannequin, était chef de service à la Taillerie-Cristallerie de Baccarat; sa mère, Adrienne Flavenot, était femme au foyer. Joseph était le troisième enfant d’une fratrie de 5 frères et sœurs (3 garçons et 2 filles). Il fut baptisé le 10 juillet 1926 en l’église de Baccarat. Il fit son école primaire à l’école privée de la Cristallerie de Baccarat. Dès cette époque il pensait déjà à devenir prêtre, mais pas comme missionnaire à l’étranger. Alors il passa deux ans au petit séminaire de Nancy (1938-1940) avant de rejoindre le petit séminaire de Ménil-Flin où il passa aussi deux ans (1940-1941). Ce séjour accidentel dans ce séminaire de Ménil-Flin (les autres petits séminaires de la région étaient occupés par les Allemands) et sa rencontre là avec des missionnaires MEP lui ouvrit de nouveaux horizons. C’est là qu’il fut confirmé le 19 mai 1941 en l’église de Flin. Puis il poursuivit ses études secondaires au collège Saint-Joseph d’Epinal jusqu’au Bac, de 1941 à 1945.
Il entra au grand séminaire des Missions Etrangères de la Rue du Bac le 14 septembre 1945 où il y passa un an (1945-1946). Ensuite il fit un court séjour au séminaire de Bièvres et partit effectuer son service militaire au Maroc (1947). Il retourna ensuite à Bièvres pour y poursuivre son séminaire (1947-1949). Puis il termina son séminaire à la Rue du Bac où il fut ordonné prêtre à la veille de Noël, le 22 décembre 1951, après avoir reçu sa destination pour Rangoon en Birmanie.
Il partit pour sa mission le 21 juillet 1952 et fit d’abord un an d’étude de l’anglais à Rangoon, tout en séjournant à l’évêché de cette ville. Puis il fit deux ans (1953-1955) d’étude du Birman à Bassein. Ensuite il fit une expérience d’un an en paroisse à Pyapon, d’abord 6 mois comme vicaire, puis 6 mois comme curé (1955-1956). Ensuite il est nommé au petit séminaire de Rangoon où il y enseigne le latin (1956-1962). Il est l’assistant du Père Louis Loiseau. Puis il devient curé de la paroisse chinoise de Rangoon, la paroisse Sainte Thérèse, où il y restera jusqu’à son expulsion de Birmanie le 23 septembre 1966. Ce fut pour lui un déchirement de cœur, comme pour tous ceux qui ont dû subir le même sort.
Il revint alors en France et devint professeur d’Anglais dans deux petits séminaires des Vosges, d’abord à Autrey, puis temporairement au petit séminaire de Martigny-les-Bains pour remplacer le Père Moreau, accidenté. (1966-1967). Ensuite il reçoit une nouvelles destination, Phnom Penh au Cambodge, pour laquelle il partit fin décembre 1967 sur un cargo qui fit le tour de l’Afrique et arriva à Sihanoukville six semaines plus tard. Il est au Cambodge de février 1968 à juillet 1969 à la paroisse du Sacré-Cœur, paroisse chinoise de Phnom Penh avec le Père Louis Desruelle. Il y apprend le dialecte chinois de Swatow, le Teochew. En juillet 1969 il part pour Taïwan afin d’étudier le mandarin à l’école de langue de Hsin Chu où il y passera deux ans. Puis il fait un peu de pratique du mandarin en faisant des remplacements dans divers postes missionnaires du district de Yuli, dans le diocèse de Hualien, tout en attendant son visa pour Singapour. Entre temps il avait en effet demandé une nouvelle destination pour Singapour.
Il arrive à Singapour le 1er mai 1972. De 1972 à 1974, il est vicaire à la paroisse du Christ Ressuscité (Risen Christ) à Toa Payoh. Puis, de 1974 à 2002, il est vicaire à la paroisse de la Nativité de la bienheureuse Vierge Marie (Nativity of blessed Virgin Mary) où il passa 27 ans avec deux prêtres chinois de Chine continentale. Depuis 1998 il était aussi aumônier de la Communauté catholique birmane de Singapour. Enfin, de 2002 à 2015 il est vicaire à la paroisse du Cœur Immaculé de Marie. En septembre 2015, il se retire à Bethany Home. Puis en janvier 2019 il est transféré à la nouvelle maison de retraite des prêtres de Bethany East où il décède à la vielle de Noël, le 24 décembre 2019.
Nécrologie
Joseph JEANNEQUIN
1926-2019
Son emploi du temps bien précis, des rendez-vous qu’il ne faut pas changer – oui, mais les enterrements peuvent déranger – même s’il s’agit d’un supérieur de Paris qui vient nous visiter. Il aura à patienter jusqu’à ce qu’il ait un créneau de libre. Ponctualité et ordre.
Les pays où il a servi ont changé – Birmanie, Cambodge, Taïwan, Singapour – mais Joseph Jeannequin reste le même : le Lorrain solide, qui va de son pas sans se presser et garde son calme. Suivant l’étiquette ecclésiastique, il porte toujours chaussettes et souliers noirs bien cirés, alors que beaucoup d’autres sont pieds nus dans des sandales… Il fait chaud près de l’équateur. Et il précisait « En Birmanie, j’amenais mon couvert lorsque je visitais les villages du delta ! »
Il écoute plus qu’il ne parle, à moins qu’il ne s’agisse de ses sujets préférés : la Birmanie et Baccarat : « on m’a offert un calice de Baccarat pour mon jubilé. »
Il aime rencontrer les gens, les accueille avec un sourire, sait les mettre à l’aise, mais il ne s’éloigne pas trop de son bureau, si ce n’est pour visiter les malades. Vingt-sept ans dans la même paroisse lui ont donné un cadre où il se sent bien. Il y serait resté volontiers plus longtemps, mais il est appelé à passer dix-sept ans dans une autre communauté. Après un temps de recherche, il y imprime ses marques. Et pourtant après quarante-sept ans à Singapour où il est apprécié et très entouré, c’est toujours : « A Sainte-Thérèse, la paroisse chinoise de Rangoon… »
Joseph Jeannequin, missionnaire classique et zélé, vraiment « ad exteros » et « ad vitam » – après la Birmanie, il aurait pu rester en France – le catéchiste, le baptiseur, la Légion de Marie – une semaine avant son décès, il nous disait sa joie, car on l’avait approché pour accompagner un catéchumène. Il avait passé les quatre-vingt-treize ans…
En famille et au séminaire
Joseph Jeannequin – Father J comme il aimera se faire appeler – est né à Baccarat le 2 juillet 1926. Son père travaille à la cristallerie comme chef de service à la taillerie. Sa mère, qui venait d’un milieu paysan, avait reçu une bonne éducation chez les sœurs du Saint-Cœur de Marie. Ayant passé son brevet élémentaire à l’âge de seize ans, elle aurait pu être enseignante, mais elle voulut être femme et mère au foyer. Cinq enfants naissent de ce mariage, trois garçons et deux filles. Deux des garçons meurent, un le jour de sa naissance, l’autre à neuf mois. Il y a donc la sœur aînée, Anne-Marie, Joseph et la sœur cadette Thérèse, toujours bien vivante, religieuse à Nancy. Mme Jeannequin est douée pour la couture et la broderie.
Joseph commence ses études au jardin d’enfants de la cristallerie et les continue dans cette école libre, obtenant son certificat d’étude à douze ans. Enfant de chœur à la paroisse, il voyait de près la manière de vivre des prêtres et il se sent appelé au sacerdoce – mais pas question d’être missionnaire. Il veut rester prêtre près des siens. Son curé lui donne des leçons de latin, « l’initiant aux mystères des déclinaisons » et le voilà au petit séminaire de Nancy pour deux ans, « deux années désastreuses » 1938-1940. Une note générale adressée à ses parents à la fin de l’année dit simplement : « Votre fils est un rossard ! »
Le curé de Baccarat prend sa défense et ses parents cherchent un autre établissement. Finalement, il est accepté au collège petit séminaire des Missions Étrangères, à Mesnil-Flin, l’école apostolique Augustin Schœffler. Ouf…
« Le regard noir du P. Prouvost fait fondre dans mes larmes toute velléité de résistance aux lettres et aux sciences. Avec le goût pour les études, nait alors en moi le goût pour la vie missionnaire. » Après un mois, « essai réussi, dit le P. Prouvost, nous le gardons pour l’année. »
Ménil-Flin n’allait pas plus loin que la quatrième. Pour que sa vocation mûrisse, on lui conseille de continuer ses études à l’institution Saint-Joseph à Épinal. Ses carnets scolaires le montrent comme un élève brillant de la troisième à la philosophe. « Élève des plus méritants – travail excellent. » Il termine son baccalauréat section A, souvent premier en grec, latin et même mathématiques. Joseph le rossard !!
Il va à Paris rencontrer le P. Prouvost et, en septembre 1945 ,il est aspirant à la rue du Bac.
Séminaire MEP et service militaire
La rue du Bac : avec le retour des prisonniers et la fin de la guerre, la maison déborde de monde. Les aspirants sont souvent deux par chambre : « J’étais le co-chambriste d’André Volle » disait Joseph. En 1946, Bièvres est rouvert. Il y passe un an, puis c’est le service militaire, qu’il demande de faire au Maroc « pour me préparer à la vie missionnaire » ; le Maroc dans un régiment de zouaves à Casablanca. Il s’y trouve très à l’aise, et apprend même un peu d’arabe pour communiquer avec les soldats du pays. Puis c’est le retour à Paris pour trois années de théologie, qu’il fait en particulier en « cours pour extravagants » – ceux qui ne peuvent suivre les cours réguliers. Il est ordonné prêtre à la rue du Bac le 22 décembre 1951. Il termine son séminaire en février 1952 et reçoit sa destination pour Rangoon. Oui, mais il faut attendre le visa !! Il fait un peu d’anglais par lui-même – il avait étudié l’allemand en secondaire – et en juin, il reçoit le permis espéré. Il embarque sur le Félix Roussel le 21 juillet 1952, en compagnie de Joseph Ruellen et de Michel Etchebéhère. Arrêt d’une semaine à Singapour et sur un cargo, le Bradeverett, ils arrivent à Rangoon fin août après escales à Port Sweethenam et Penang en Malaisie.
En Birmanie, les débuts : 1952-1956
Ils sont accueillis par l’évêque, Mgr Provost, un Angevin à la longue barbe blanche et au respectable embonpoint. Ils le connaissent à peine, car il meurt un mois après leur arrivée. Le Père Victor Bazin, Supérieur régional, décide que Joseph et Michel Etchebéhère resteront à Rangoon pour apprendre l’anglais et commencer à connaître la vie du pays. Joseph Ruellen rejoint Mandalay. Après huit à neuf mois, on est satisfait de leurs progrès et Joseph est envoyé à Bassein, importante ville à l’ouest de la capitale, port fluvial du delta de l’Irrawaddy. Il s’y rend en deux jours de bateau. C’est un centre catholique bien enraciné, avec une paroisse et deux communautés religieuses. « C’est à Bassein que j’allais pénétrer plus profondément dans la vraie Birmanie. » Le petit séminaire se trouve à quatre milles de la ville et les Pères Victor Lahitte, Maurice Duhart et Louis Loiseau y enseignent avec deux jeunes prêtres carians qui deviendront évêques.
« C’est à une sœur cariane qu’on demande de m’enseigner le birman, sœur Chantal, qui tous les jours, pendant deux ans, fut pour moi une enseignante patiente. » Il est vicaire d’un prêtre goanais, le Père Sequeira. « La langue birmane est une langue monosyllabique avec quatre tons. Il faut apprendre à les distinguer ! et puis la construction de la phrase est le contraire du français ! Heureusement la grammaire est simplifiée. – Merci, sœur Chantal pour ces deux années de dévouement. »
Bassein, un pays de rizières fertilisées par le limon de l’Irrawaddy et inondées par la mousson. On ne voyage qu’en barque (années 1950-1970). « Avec les pluies, les serpents sortent de leurs cachettes et se réfugient même dans les maisons. »
Le week-end, Joseph, dès qu’il peut se débrouiller en birman, va aider dans les villages. Ce sont des voyages à travers le delta et il lui arrive de passer la nuit en barque. La rébellion se fait sentir par des coups de main et, tout en naviguant, il entend des coups de feu.
Après deux ans, stage à la paroisse tamoule de Paypon, « N’apprenez pas le tamoul », lui dit Mgr Bazin, devenu évêque, « birmanisez » la paroisse !! » Il y reste six mois comme vicaire et six mois comme curé.
Rangoon : le petit séminaire et paroisse Sainte-Thérèse : 1956-1966
Le Père Louis Loiseau, recteur du petit séminaire, récemment bâti dans la cour de l’évêché, y est le seul prêtre. Il réclame professeurs et directeur spirituel. Le Père Jeannequin est le premier choisi et sera rapidement suivi du Père Jean Mottin et de jeunes prêtres birmans. Et le voilà pour huit ans guide spirituel et enseignant le latin. Le grand séminaire pour toute la Birmanie vient d’ouvrir à Rangoon, confié aux Pères jésuites américains. Les week-ends sont une bonne occasion pour aider dans les paroisses de la ville et, en 1964, Joseph devient curé de Sainte-Thérèse, communauté plutôt chinoise d’environ 1500 fidèles. Il succède au Père Danis, qui se retire sur place, et ici aussi la consigne, c’est « birmaniser », car on n’utilisait guère que l’anglais. Le Concile vient juste de se terminer et la liturgie nationale prend racine. Il s’initie au dialecte teochew parlé par les plus âgés. Il est aussi choisi comme vice-supérieur régional, ce qui lui vaut de visiter les confrères de Mandalay.
Bref, deux années « les plus passionnantes de ma vie missionnaire ! » Le Père Pierre Courtot est son voisin, curé de la paroisse universitaire de Saint-Augustin. Mais on sent venir l’orage. Le gouvernement, qui verse vers la dictature de gauche, voit mal la présence des étrangers et, en 1966, comme deux cent trente-quatre autres missionnaires – prêtres, religieuses, frères – Joseph doit quitter le pays. C’est le drame et le retour à Paris après quinze ans de présence sans interruption. Aussi entendrons-nous souvent : « Chez nous, en Birmanie… » Oui la mission du premier amour.
En recherche : 1966-1972
Joseph a quarante ans, quelle va être la suite ? La connaissance du birman ne lui ouvre pas une réinsertion dans d’autres pays d’Asie ou de l’océan Indien. Après quelques mois de congé, il remplace le Père Georges Moreau, victime d’un accident de voiture, comme professeur d’anglais à l’école de Ménil-Flin et au petit séminaire d’Autray dans les Vosges. Mais c’est pour un temps. Restera-t-il en France dans un service de Société ? non. On le destine à la mission du Cambodge, plus spécialement pour aider le Père Desruelles, un ancien de Swatow, pasteur de la communauté chinoise à la paroisse du Sacré-Cœur, à Phnom-Penh. Mais il ne fait qu’y passer de février 1968 jusqu’en juillet 1969, améliorant son teochew. Il se rend compte qu’il serait bon d’apprendre le mandarin. Il demande d’aller suivre le cours de l’école de langue, tenue par les Jésuites à Hsinchu, Taïwan. Il y passe deux ans et continue la pratique de l’apostolat en milieu chinois dans plusieurs paroisses de la mission de Hwalien, pour un an. Mais où aller ? Vu la situation politique, il n’est plus question de revenir au Cambodge. Il demande aux supérieurs de l’envoyer à Singapour. Il pourra y travailler en anglais et en chinois et surtout il y retrouvera son ami du séminaire et de Rangoon, le Père Louis Loiseau. Il arrive dans sa nouvelle terre promise le 1er mai 1972. Il y restera 48 ans…
Singapour : Toapayoh et la paroisse de la Nativité : 1974-2002
C’est à l’église du Christ-Ressuscité, au cœur des grands ensembles de Taopayoh qu’il commence. Paroisse bâtie par le Père Abrial, ouverte en 1971. On y a vu grand : une église climatisée – une première à l’époque – qui peut accueillir plus de 2000 personnes et où souvent certains doivent rester debout. Le curé, un ancien du Sichuan, mène ça de main de maître, et Joseph lui est un précieux auxiliaire pour l’apostolat en mandarin. Deux ans à Taopayoh – le grand marécage, c’est le nom du quartier – qui était un immense jardin chinois et maintenant une ville satellite dernier cri. Le rodage est terminé.
Joseph va comme vicaire à la vieille paroisse de la Nativité-de-la-Vierge, fondée en 1852. Il y restera 28 ans. Paroisse rurale, des petits fermiers et des pêcheurs, de langue et de tradition teochew, fortement marqué par ses curés successifs, en particulier les Pères Édouard Bécheras et Hippolyte Berthold, elle se transforme très vite avec un afflux de paroissiens venus de divers milieux et la construction de nombreux HLM. Le curé est un prêtre chinois originaire du Sichuan, formé à Penang, et l’autre vicaire vient du Shandong. Ils seront ensemble jusqu’en 2002. Le mandarin devient de plus en plus important avec les jeunes générations. Joseph travaille son chinois et bientôt peut célébrer dans cette langue les messes quotidiennes du soir.
Paroisse à haute pratique sacramentelle – 4000 personnes ou plus pour les messes du week-end – bien structurée avec Légion de Marie, société de Saint-Vincent-de-Paul, et confraternité pour les funérailles, un service très apprécié en milieu chinois. Doucement, on implémente Vatican II, et la Nativité, qui était un peu « prélature nullius » avec sa langue, ses traditions, ses écoles, ses organisations, s’ouvre à ce qui se passe à côté.
Joseph s’y trouve à l’aise : en plus des services liturgiques, la Légion de Marie, qu’il avait appris à connaître en Birmanie, quelques groupes de jeunes et des heures au service des adultes qu’il prépare au baptême, le plus souvent individuellement – avec le catéchuménat structuré il se trouve mal à l’aise. Il aime le contact personnel, un groupe lui paraît trop anonyme, mais petit à petit, il découvre le mérite d’être ensemble.
Joseph s’investit dans les mouvements de renouveau paroissial et prend part aux missions animées par les Rédemptoristes, visitant de nombreuses familles. C’est surtout dans son bureau et au confessionnal qu’on le trouve. Il est très apprécié et a besoin d’avoir des gens autour de lui. C’est avant tout un pasteur et il laisse volontiers l’administration et les buildings à son curé. L’équipe des prêtres s’entend bien et l’archevêque ne tient pas à les transférer. C’est Mgr N. Chia qui, dès sa prise en charge, fait les changements nécessaires. Il envoie Joseph, comme vicaire, à la paroisse voisine. Il y a bien des ressemblances, mais c’est dur d’aller ailleurs et d’avoir à nouer de nouveaux liens. En 2002, Joseph a 76 ans…
Paroisse du Cœur-Immaculé-de-Marie : 2002-2019
Il n’est qu’à vingt minutes de voiture de la Nativité dans une paroisse ouverte en 1953 et magnifiquement développée par le Père Hippolyte Berthold, Louis Loiseau et Pierre Barthoulot. Communauté de milieu aisé, beaucoup de maisons individuelles, et la langue y est surtout l’anglais. Pas de messe en chinois ! Ça manquera à Joseph. Oui, mais le Seigneur a une surprise pour lui. En plus de la Légion de Marie – cinq ou six praesidia, la curie, le senatus et des catéchumènes – voici que la Birmanie l’appelle. Autour des années 2000, des Birmans et Birmanes de plus en plus nombreux viennent travailler à Singapour, et parmi eux il y a des catholiques. Ils ont vite fait de découvrir les Pères Loiseau et Jeannequin. Ce dernier deviendra leur aumônier et se retrouvera à l’aise dans « sa langue première » : une messe le dimanche après-midi. Le groupe s’organise et maintenant il y a un prêtre birman à Singapour. Expulsés de Birmanie, la Birmanie vient rejoindre nos deux confrères. Le Seigneur a des surprises…
Du coup, Joseph, qui a souvent été invité à faire un « voyage aux sources », se laisse convaincre par son curé, qui l’accompagne pendant quinze jours : Rangoon, Pathein, l’Irrawaddy. Il revoit des amis, concélèbre une messe à Sainte-Thérèse, admire la manière dont le pays se développe et la vitalité de l’Église. Il y avait 85 prêtres locaux lorsqu’il fut expulsé en 1966, ils sont maintenant plus de 600. Un voyage qui rajeunit en novembre 2005.
Le temps de la retraite
Les années passent – 80 ans et plus ; de vicaire, il devient prêtre en résidence. Il continue sa routine, mais ses jambes ne le tiennent plus. Un déambulateur à la maison et un fauteuil roulant pour sortir. Il devient dépendant, mais il aime sortir, partager un repas avec des amis. Il est fidèle à nos réunions du groupe MEP tous les lundis. S’il entend toujours les confessions, il ne peut plus célébrer seul. Il concélèbre mais se plaint de s’endormir pendant l’homélie et il est toujours présent pour les réunions de la Légion de Marie.
Un nouveau curé est nommé. Joseph c’est le grand-père que l’on vénère, mais il se pose des questions. Est-il temps de rejoindre la maison pour les prêtres âgés ? Un autre Lorrain plus jeune que lui y est déjà. Oui, mais il se sentira bien seul. Il lui faut des gens pour l’aider, il a besoin d’être entouré… est-il un poids pour la paroisse ??
Il se décide brusquement fin 2015, et le voilà à Bethany, un bungalow de quatre chambres bâties dans les années 1970 dans l’enclos de Sainte-Thérèse, un home pour personnes âgées ou handicapées. Il s’y installe tant bien que mal, mais reste très entouré, reçoit de nombreux visiteurs, confesse et célèbre la messe dans son bureau avec deux ou trois personnes qui y participent et l’assistent. Les soirées sont longues et la nourriture souvent fade… Ah ! la cuisine de sa maman à Baccarat…
Bethany East : 2019
Des projets de construction, qui éventuellement détruiraient la maison de Bethany, amènent le diocèse à ouvrir dans l’est de l’île, à côté de la paroisse de Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours et de notre maison Missions Étrangères, une nouvelle résidence pour prêtres âgés avec toutes les commodités voulues : Bethany East.
On offre à Joseph de s’y rendre. Il hésite, puis il dit oui, car il va y rencontrer d’autres prêtres à la retraite. Ses fidèles le suivent-ils ? Il s’installe le 7 janvier 2019, et s’y trouve avec un prêtre indien, un prêtre chinois et moi-même, Michel Arro, très entouré et aidé jour et nuit. Il accepte d’être l’aumônier d’un groupe de Légion de Marie à la paroisse et d’accompagner deux catéchumènes. Tous les soirs, sur sa chaise roulante, il concélèbre la messe à la paroisse. Il aime rencontrer les gens. Il arrive à 93 ans… il grogne toujours un peu et s’en excuse en disant : « Je suis lorrain. » « Allons Joseph, compte les bienfaits du Seigneur ! » L’appétit reste bon, il sort volontiers pour un repas, disant ensuite « C’était excellent ! » Mais il sent ses forces diminuer et souvent il s’endort. – « Je suis foutu » dit-il alors. Ses poumons fonctionnent au ralenti. Il a besoin d’oxygène. En décembre, un séjour à l’hôpital s’impose et au bout d’une semaine, il revient à Bethany et s’y éteint le 24 décembre au petit matin.
Son corps reste pour deux jours à la chapelle de la résidence, puis est exposé dans l’église paroissiale jusqu’aux funérailles le 27 décembre. Nombreux sont les gens qui viennent prier. L’archevêque préside la messe entouré d’une soixantaine de prêtres. Selon son désir, ses cendres reposent au columbarium de l’église Sainte-Thérèse, à côté du Père Loiseau.
« Father J »
Comme il aimait se faire appeler.
- Le Lorrain. Oui, les racines sont profondes et bien vivantes. Il y a dans son bureau une broderie faite par sa maman avant son départ en mission, et sur sa table de nuit une cloche en cristal, spécialement travaillée par son papa à partir d’un verre.
Il lit le bulletin du diocèse de Nancy et a nombre de livres sur la Lorraine et les Vosges. Ses congés, il les passe à Gelacourt, petit village à trois kilomètres de Baccarat. Son père y avait acheté une maison entourée d’un beau jardin.
Les communications téléphoniques étant faciles et bon marché, tous les jours il appelle sa sœur, religieuse à Nancy. Pour ses cinquante ans de sacerdoce, en plus de ses parents proches, il invitera le curé de Baccarat. Il aime lire les aventures du Petit Nicolas, une figure bien lorraine.
- Le Birman. La souche lorraine a bien reçu la greffe birmane et il a toujours un amour de prédilection pour sa première mission. Jusqu’à la fin, il a sous la main son dictionnaire birman et se réjouit de pouvoir parler dans cette langue avec une des aides-soignantes. Mal entendant, s’il attrape le mot « Birmanie », il veut savoir ce qui se dit. « Peux-tu répéter ? » Et ce voyage en 2005… Il a admiré les cocotiers qu’il avait plantés en 1965… Il rencontre ses anciens élèves – deux sont devenus évêques – il admire une église « birmanisée » qui a grandi : six nouveaux diocèses. Il est fier de se sentir birman.
- Father J. Jeannequin est bien difficile à prononcer pour des asiatiques – oui Father J, le pasteur. Il n’est pas un théologien, il ne se spécialise pas dans l’enseignement ou l’action catholique, il n’a pas de discours sur l’inculturation, il est le prêtre à tout faire, le généraliste, au ras des pâquerettes, selon les besoins des gens. A l’aise en anglais, birman, mandarin, se débrouillant en teochew, il est au service de tous. Il accueille avec un bon sourire, écoute, prend du temps, se fait expliquer les situations, il est de bon conseil et trouve les mots pour apaiser et retrouver l’espérance. Pas d’éclats de voix, pas de grands gestes, mais on peut compter sur lui et beaucoup en ont fait leur confesseur. Ce qu’il aime partager avec nous, ses confrères, c’est : « J’ai eu des baptêmes ce week-end, j’ai de nouveaux catéchumènes. » C’est « Father J at his best ! » Il se laisse inviter volontiers, et tout en se régalant de la cuisine chinoise, il peut ainsi mieux connaître ses gens. Sa présence est tonique : un missionnaire en tenue de service. Il n’hésite pas à se faire conduire en fauteuil roulant à l’hôpital pour réconforter un malade.
Merci, Joseph, pour ton amitié et ton ministère, ta présence « ad exteros - ad vitam », 93 ans d’âge, quelques 65 ans en Asie et maintenant tu découvres comment Baccarat, la Birmanie, le Cambodge, Taiwan, Singapour ne font qu’un, le champ que le Seigneur t’a donné.
Michel Arro.