Jean CHARBONNIER1932 - 2023
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 4054
- Bibliographie : Consulter le catalogue
Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Malaisie - Singapour
- Région missionnaire :
- 1959 - 1970 (Malacca)
- 1979 - 1988 (Malacca)
Biographie
[4054] CHARBONNIER Jean est né le 3 janvier 1932 à Paris.
Ordonné prêtre le 21 décembre 1957, il part le 1er décembre 1959 pour la mission de Malacca (Malaisie).
Après l’étude du malais, il est nommé vicaire à l’église du Bon Pasteur (1960). Il étudie ensuite le chinois à Kuala Lumpur (1961), avant d’être affecté à l’église Sainte-Bernadette (1962-1970).
Il est alors rappelé en France pour être professeur au séminaire de Bièvres et au CERM (1970-1974). Pendant deux ans, il poursuit des études et fait des recherches à Taipei (Taiwan), puis il revient à Paris terminer une thèse d’état.
En 1980, chargé du «Service Chine», il crée un centre dans l’enclos de la cathédrale avec salle de documentation. Il est également chapelain des CJC à Singapour (1979-1988), aumônier de la communauté francophone (1979-1983).
Entre 1980 et 1988, il est directeur de « China Catholic Communication » à Zhonglian, aumônier de la JOC chinoise et professeur d’histoire au grand séminaire.
En 1996, il est rappelé à Paris pour y diriger et organiser rue du Bac le « Service Chine ».
Nécrologie
Jean CHARBONNIER
« Le vieux Sha nous a quitté » : Ainsi nous fut annoncé le décès du Père Jean Charbonnier. SHA est son nom Chinois par lequel il aime se faire appeler. Sinologue et sinophile, il choisit de se spécialiser sur la Chine, son histoire et sa culture, la place qui y a l’Église. On le taquinait : « La seule encre dont tu te sers pour écrire, c’est l’encre de Chine !... » Et il riait. Installé depuis des années à la Rue du Bac, à Paris, il était davantage au courant de ce qui se passait dans l’Empire du Milieu que dans sa propre maison. Tous les jours, dès la fin de la messe du matin, il allait écouter les nouvelles en mandarin.
Son enfance
Jean Pierre Charbonnier est né le 3 janvier 1932 à Versailles en Seine-et-Oise (aujourd’hui les Yvelines). Il est le fils de Georges Charbonnier, comptable, et de Madeleine Manceau. Jean est le deuxième d’une tribu de cinq enfants, deux garçons et trois filles. Ses parents, bons chrétiens, le font baptiser le 31 janvier 1932 à Bécon-les-Bruyères. Il est confirmé à l’âge de 11 ans à Chatou, dans le diocèse de Versailles, où ses parents se sont installés.
Il semble que son père était autoritaire et pouvait être dur avec ses enfants, au point que Jean n’ose guère s’exprimer devant son père de peur d’être rabroué. C’est en tout cas le souvenir que Jean en garde et dit que pour cette raison « J’ai pris très tôt l’habitude de me taire et de me réfugier dans le monde des rêves. »
Sa jeunesse
Jean fait ses études secondaires au petit séminaire de Versailles de 1943 à 1950 et ensuite au Grand Séminaire de Versailles de 1950 à 1954. Ses études sont interrompues par son service militaire de 1952 à 1953. Ensuite il envisage d’entrer aux Missions Étrangères, mais son évêque exige qu’il fasse auparavant un stage comme professeur au petit séminaire de Versailles, ce qu’il fait pendant un an, de 1954 à 1955. Il demande alors à entrer aux Missions Étrangères où il est accueilli comme aspirant à la rue du Bac le 19 septembre 1955. Ses études sont à nouveau interrompues par un rappel en Algérie d’avril à novembre 1956. Il est finalement ordonné diacre le 3 décembre 1957 à la rue du Bac et prêtre par Mgr Lemaire (MEP) le 21 décembre de la même année à Chatou où vivent ses parents. Entretemps il reçoit sa destination pour le diocèse de Malacca le 15 décembre 1957. Avant de s’embarquer pour sa mission le 1er décembre 1959, il effectue une licence d’Enseignement de la Philosophie à la Sorbonne.
Arrivé à Singapour par bateau, il se met à l’étude du malais et est nommé vicaire à l’église du Bon Pasteur de Singapour en 1960. Il étudie ensuite le chinois à Kuala Lumpur, en 1961, tout en résidant à la paroisse chinoise du Rosaire. Puis il est affecté à l’église Sainte-Bernadette à Singapour de 1962 à 1970. N’oublions pas qu’à cette époque Singapour n’était pas encore diocèse et dépendait de Malacca. Ce n’est qu’en 1972 que Singapour devient archidiocèse.
Belles années à Singapour : 1960-1970
Jeune prêtre, Jean semble s’épanouir dans le contexte multiculturel du Singapour de l’époque. Il découvre tout un univers qu’il décrit en ces termes :
« Dans le Singapour que je découvre en 1960, la vie est simple et la population accueillante. Il y a diversité extrême de races et de langues, mais chacun semble à l’aise dans son milieu culturel d’origine et les gens se côtoient sans heurts, chacun reconnaissant aux autres le droit de vivre suivant sa coutume.
Le seul clivage qui se dessine dans la population est dû au système d’éducation. La moitié de la population chinoise est éduquée dans des écoles chinoises de langue mandarine, l’autre moitié dans des écoles anglaises dont beaucoup sont catholiques ou protestantes. Les écoles chinoises revendiquent la supériorité de leur tradition morale mais elles sont minées par l’idéologie maoïste.
J’apprécie personnellement les qualités de ces deux types d’éducation, mais j’éprouve un penchant pour les jeunes de formation chinoise. J’ai la joie d’en compter un certain nombre parmi mes catéchumènes.
Posté à l’église de Sainte Bernadette, bâtie en 1959 par le Père Pierre Abrial (Mep), ancien missionnaire en Chine, je suis encouragé par son dynamisme. L’instruction chrétienne s’accompagne d’une formation continue dans divers groupes et associations. Je commence par guider des groupes d’étudiants ou, surtout, de jeunes travailleurs de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne. (J.O.C.) Puis je suis vite conduit à accompagner des adultes dans des groupes familiaux qui se forment dans les nouveaux immeubles. Je fonde un nouveau mouvement inspiré par l’Action Catholique Ouvrière de France : « Familles chrétiennes et mouvement social » ( Christian Family and Social Mouvement). Il convient bien à l’animation spirituelle des Chrétiens dans le nouvel environnement d’un Singapour en reconstruction. »
Une anecdote mérite d’être mentionnée ici : il existe dans le monde chinois de Singapour une tradition d’échange d’oranges à l’occasion du Nouvel An chinois. Jean Charbonnier a l’idée de christianiser ce rite : il bénit les oranges à la fin de la messe et en distribue deux à chaque paroissien. Au bout d’un moment ce rite a été adopté par toutes les églises de Singapour. Tous, chinois ou non, continuent à venir recevoir ces oranges, symbole de partage et de richesse, à l’occasion du Nouvel An, sans savoir que Jean Charbonnier est à l’origine de ce rite.
Enseignant en France et études : 1970-1978
En 1970, Jean est rappelé en France pour enseigner au Consortium d’Études et de Recherches Missionnaires (CERM) de Chevilly-la-Rue. Jean réside au Séminaire de Bièvres avec les séminaristes MEP qu’il accompagne. Il y enseigne jusqu’en 1974. Jean profite alors de son séjour en France pour poursuivre des études. En 1972 il fait un doctorat de 3ème Cycle et une licence de Théologie à l’Institut Catholique de Paris, en 1973 un doctorat de 3ème cycle en Théologie et Sciences Religieuses. Puis, de 1974 à 1976 Jean s’installe à Taipei pour faire d’autres études et commencer la rédaction de sa thèse d’état (Interprétation de l’Histoire en Chine) qu’il poursuit de 1976 à 1978 à Paris.
A la différence de son séjour à Singapour, ses années en France ne semblent pas l’avoir enthousiasmé. Mais ses recherches sur la Chine sont par contre décisives pour son avenir missionnaire. Voici ce qu’il exprime à ce sujet :
« A l’inverse de mon expérience positive et enthousiaste vécue à Singapour, j’ai l’impression quelque peu réfrigérante de me trouver parmi des chrétiens français désabusés, sans vision d’avenir. Le souci de bien remplir la tâche d’enseignement qui m’est confiée me fait reprendre les études de théologie à l’Institut catholique. Je les trouve désordonnées et peu convaincantes. Je suis par contre beaucoup plus motivé par les études de sinologie à la Sorbonne. Elles me permettent d’approfondir ma connaissance pratique de la langue et de mieux percevoir les sources du renouveau chinois.
Le programme d’enseignement au Centre d’études et de recherche missionnaire (CERM), prenant fin au bout de trois ans, je ne suis pas mécontent de poursuivre la recherche en sinologie pendant deux ans à Taïwan. Mais une nouvelle perspective s’est ouverte à ma vocation missionnaire. La Chine reprend place dans les préoccupations de bien des chrétiens. Le colloque de Louvain en septembre 1974 marquera un tournant décisif ».
En effet, en septembre 1974, avec deux prêtres étrangers, le Père Angelo Lazzarato (P.I.M.E) et le Père Jeroom Heyndrickx (C.I.M.C.), Jean participe à l’organisation d’un colloque à Louvain. Ce colloque marque un tournant décisif dans l’attitude de l’Église envers la Chine.
Mission Chine, base Singapour : 1979-1993
Après ce temps d’études, Jean retourne à Singapour. Il devient prêtre résident à la cathédrale du bon Pasteur, chargé de tâches extra-paroissiales : conseiller éthique au Catholic Junior College, donnant un cours d’Histoire de la philosophie au grand séminaire, aumônier des francophones et des groupes de jeunes de langue chinoise.
Peu de temps après, l’Assemblée Générale des Missions Étrangère de 1980 décide de créer le service France-Chine, car la Chine s’ouvre au monde et il devient de plus en plus facile de s’y rendre. Alors Jean devient le coordinateur de l’apostolat avec les confrères de Chine et Taïwan. Jean est attentif à tout ce qui se passe en Chine et prêt à saisir toute occasion de créer des liens avec l’Église en Chine. Et comme il l’explique lui-même, l’occasion ne tarde pas à se présenter :
« L’occasion se présente grâce à une offre du Père Paul Tong. Il m’invite à assurer la direction spirituelle d’un groupe de jeunes universitaires de langue chinoise formés par la Jeunesse Étudiante Chrétienne (J.E.C.). Je leur propose la mission de renouer avec les chrétiens de Chine qui ont été isolés de la vie de l’Église universelle pendant près de 30 ans. Ces jeunes forment dans ce but une équipe spéciale qui prend le nom de « Zhong lian » (Lien- Chine)
« Leur apport est providentiel, car le Supérieur des Missions Étrangères me nomme la même année responsable du Service Chine créé par les Missions Étrangères à l’Assemblée Générale de 1980. De nombreuses visites en Chine deviennent possibles depuis Singapour. En lien avec Hongkong et Taïwan, nous fournissons en Chine les documents d’Église publiés en chinois depuis le 2ème Concile du Vatican. Nous publions un Guide bilingue anglais-chinois des églises en Chine. Le magazine illustré « Zhonglian » fait connaître aux jeunes de Chine la vie de l’Église dans le monde, le sens de la foi chrétienne et l’histoire de l’Évangile en Chine. La coopération d’un jésuite chinois nous permet d’accueillir de nombreux prêtres et religieuses de Chine pour des retraites spirituelles. »
A partir de 1980, Jean effectue plus de 40 voyages en Chine pour rédiger l’annuaire de l’Église de Chine et rencontrer les membres du clergé chinois encore vivants. Il veut faciliter la réconciliation entre eux. Jean constate que depuis la prise du pouvoir en Chine par Mao Zedong en 1949, le Saint-Siège n’a eu envers la Chine communiste et l’Église qui s’était rangée derrière lui que des paroles de condamnation et d’exclusion. Alors il collabore régulièrement avec le Centre du Saint-Esprit de Hong-Kong qui a les mêmes objectifs (Le directeur était le futur Cardinal Tang Hon et Pierre Jeanne le secondait comme directeur adjoint). De plus Jean soutient les confrères qui enseignent discrètement dans des universités chinoises (dont Georges Colomb, Pierre Jeanne et Xavier Demolliens).
Il publie le premier annuaire de l’Église de Chine en 1986 à Singapour. Cet annuaire mélange les membres de l’Église officielle et ceux de l’Église souterraine. Puis vient une conférence chrétienne internationale qui eut lieu à Montréal au Canada. 160 participants, protestants et catholiques, prennent part aux débats du 2 au 7 octobre 1981, dont dix évêques chinois nommés par Pékin. Ces derniers, qui parlent librement pour la première fois, réaffirment solennellement leur foi catholique.
Cette politique des petits pas est finalement accueillie par le Saint-Siège et engendre une certaine détente entre ce dernier et Pékin. Plusieurs cardinaux, dont le Cardinal Etchegaray, font un voyage en Chine qui inclut une étape à Pékin et une rencontre avec un haut fonctionnaire. Un délégué du Saint Siège (tel un consul) s’installe à Hong-Kong et peut, de son poste, suivre de plus près l’évolution des diocèses et des paroisses sur le Continent. A partir de cette date les évêques illégitimes, car nommés par l’Association Patriotique, courroie de transmission du Parti Communiste, demandent au Siège-Siège de leur pardonner leur faute et de les légitimer. C’est ainsi que toute la conférence épiscopale chinoise redevint légitime. (Pierre Jeanne a porté en Chine ce genre de courrier qui annonçait le pardon et la réconciliation de certains évêques).
Jean écrit trois livres en français : « La Chine sans muraille » en 1988, « La forêt des stèles » en 1989 et « Histoire des chrétiens de Chine » en 1992, et publie des dizaines d’articles. Son but est toujours d’encourager le dialogue et le respect mutuel. Le Saint-Siège qui avait nommé à Hong-Kong un délégué, sorte de relais, se permet de préciser son rôle par rapport à l’Association Patriotique. C’est ainsi que le pape Benoît XVI écrit une lettre aux catholiques chinois le 27 mai 2007, fait inédit dans l’Histoire de l’Église (jamais un pape ne s’était adressé à une Église particulière).
Directeur du Relais France-Chine à Paris (1996-2006)
A partir d’octobre 1993 et jusqu’en 2006 Jean est directeur du Relais France-Chine, périodique du Service Chine. Il réside principalement à Paris, mais aussi à Singapour selon qu’il estime qu’il aurait des relations intéressantes dans l’une ou l’autre place. En effet il se rend compte que résider à Paris n’éloigne pas forcément de la Chine et que cela permet de nouveaux échanges grâce à l’ouverture de la Chine. Ainsi écrit-il :
« L’afflux en France d’étudiants de Chine inclut, à partir de 1994, la venue de séminaristes, prêtres et religieuses qui viennent mettre à jour et approfondir leur théologie et leur vie spirituelle. Les autres pays européens faisant face au même développement, nous, quatre prêtres de diverses congrégations, organisons une coopération européenne. Notre accueil européen comporte des orientations communes, culturelles et spirituelles. On nous appelle « la Bande des 4 », bien que nous n’ayons aucun lien avec les extrémistes maoïstes de la Révolution culturelle. »
« La Chine s’ouvre à pas de géant au tourisme international. Les Français sont de plus en plus tentés par une découverte de la Chine et beaucoup d’entre eux souhaitent y faire des rencontres chrétiennes tout en s’initiant aussi aux traditions bouddhistes et taoïstes du pays. Prenant la relève du Père Paul Richard (Mep) à la direction de l’Association Relais France-Chine, j’ai l’occasion d’organiser quelques voyages, puis d’accompagner des groupes organisés avec une agence de voyage. Il s’agit de faire comprendre l’évolution historique de la Chine et de faire tomber les préjugés. Trompés par la presse occidentale, les Français croient souvent qu’il y a deux Églises en Chine, l’une fidèle à Rome et l’autre à la traîne du Parti communiste. Je souligne qu’il n’y a qu’une seule Église en Chine avec deux prises de positions complémentaires plutôt que divergentes. »
Dernières années
Jean prend de l’âge, mais il reste toujours ouvert au monde chinois et actif. Il se passionne pour les nouvelles relations qui s’établissent entre la Chine et le Vatican, même si ces relations sont encore bien limitées et ambiguës.
Les relations d’affaires jouent aussi un rôle important dans les hautes sphères du monde chinois. Jean le sait et compte bien faire partie de ces relations. Il travaille à l’unité de l’Église dans l’empire du Milieu, ce qui lui vaut le surnom de « bienfaiteur » auprès de la population catholique chinoise. Théologien et sinologue, Jean Charbonnier mène une carrière universitaire de renom en parallèle de sa vie de découverte et de relation avec le clergé chinois. Il est décoré de la Légion d’honneur en 2012.
En fin d’année 2022 Jean est fatigué. Alors, sur les conseils de son entourage il rejoint la maison de Lauris le 24 décembre pour s’y faire soigner. Finalement il décide d’y rester pour sa retraite et y décède le 27 Juin 2023.
Ainsi Jean a fait un travail extrêmement précieux pour faire découvrir la Chine au monde extérieur et aussi pour aider l’Église de Chine à sortir de son isolement. Il a aussi sans doute aidé le Saint-Siège à mieux comprendre la situation de l’Église en Chine et à établir une nouvelle approche à son égard. En quelque sorte Jean a joué un rôle de médiateur.
Au début, Jean a fait des études de philosophie pour enseigner cette discipline. Mais visiblement Jean n’était fait ni pour enseigner ni pour animer un débat. Ses cours étaient ennuyeux et il n’était pas pédagogue. Il était beaucoup plus doué pour la recherche et l’établissement de contacts avec des personnes influentes. Ses recherches sur la Chine et ses rencontres dans le monde chinois lui ont permis de réaliser une œuvre missionnaire remarquable et originale.
Pour terminer, une anecdote : Jean, tête froide et bien faite, qui analyse et sait conclure, n’est pas l’homme des états d’âme. Au cours d’une session où l’on abordait le sujet de la foi, aux questions personnelles qu’on lui posait, lui répondit simplement : « Je vais peut-être vous décevoir mais, sans faire de jeu de mots, j’ai la foi d’un charbonnier. » Une belle esquive à la chinoise.