L’herbier du P. Soulié
À l’occasion de la restauration de l’herbier du P. Soulié, l’IRFA vous propose de redécouvrir la vie de ce missionnaire mort en martyr en 1905.
Cet herbier, constitué en France pendant son temps de séminaire dans le diocèse de Grenoble, témoigne de cet attrait pour la science qu’il manifestera en mission au Tibet auprès de Mgr Biet, en s’adonnant à la botanique et à la géologie. L’apport scientifique de Mgr Biet a d’ailleurs fait l’objet d’une conférence donnée à l’IRFA par Mme Cécile Callou (Muséum national d’Histoire naturelle) que vous pouvez retrouver ici :
1/ Le P. Jean Soulié
Le parcours du P. Soulié a particulièrement été étudié par M. Christian Font dans son ouvrage Un missionnaire botaniste martyr au Tibet.
« Un missionnaire botaniste martyr au Tibet, Jean-André Soulié (1858-1905) », article de M. Christian Font
De l’histoire des hommes oubliés du Sud-Aveyron, celle peu banale d’une personnalité émerge : Jean-André Soulié, missionnaire botaniste, martyr au Tibet, né en 1858 à Saint-Juéry.
Cette modeste commune de moins de mille habitants peut s’enorgueillir du nombre considérable de ses vocations religieuses. En à peine plus d’un siècle, de 1840 à 1950, dans les trois paroisses de cette communauté rurale sont nés 78 prêtres, religieux et nones. Sur les 25 prêtres ou religieux, 4 sont devenus missionnaires dans des pays éloignés. Bien qu’habitant à proximité du hameau natal de Jean-André Soulié, nous avons ignoré longtemps son existence. Ce missionnaire était sorti de l’imaginaire collectif et personne n’avait jamais prononcé son nom en notre présence. Avant que… un jour de l’été 2008, l’épicière du village n’évoque à un groupe de clients médusés, le parcours de Jean-André Soulié : présent au Tibet de 1886 à 1905, ce missionnaire explorateur aurait été un éminent botaniste.
En contact avec des scientifiques, des collectionneurs et des responsables d’instituts de recherche, il aurait étudié la faune et la flore de l’immense territoire qu’il a parcouru, enrichissant de ses récoltes de végétaux et de ses captures ou dépouilles d’oiseaux, d’insectes et de mammifères les collections du Muséum d’histoire naturelle de Paris. Il aurait expédié, en France, 7 000 spécimens de végétaux et de fleurs dont la Rosa Soulieana : la rose du père Soulié. Capturé par les lamas tibétains à Yarégong, il meurt à 47 ans, après douze jours de cruelles tortures, le 14 avril 1905.
Après avoir effectué, de 1871 à 1879, ses apprentissages au Petit séminaire de Belmont, où il a comme condisciple le chanoine Hyppolyte Costes – qui deviendra un des plus grands botanistes de la fin du XIXème siècle-, puis au Grand séminaire de Rodez, il devient prêtre des Missions étrangères de Paris. En octobre 1885, Jean-André Soulié part pour évangéliser les régions inconnues du Tibet. De 1885 à 1905, ses activités, qu’elles soient de nature apostolique ou scientifique, se dérouleront dans un cadre territorial que les géographes désignent sous le nom de Marches tibétaines. Dans cette région, il est tout à la fois, prêtre, médecin, explorateur, naturaliste et botaniste. Bien qu’isolé dans cette immensité- neuf cents kilomètres séparent les points extrêmes de la Mission-, Jean-André Soulié entretient de riches relations intellectuelles.
Correspondant de nombreuses sociétés savantes étrangères et surtout françaises, il collabore à des journaux ou à des revues et échange sur de multiples sujets avec des scientifiques, des explorateurs ou des érudits. Parmi les personnalités de premier plan avec lesquelles Jean-André Soulié entretient une relation épistolaire, on peut citer : le zoologiste Alphonse Milne-Edwards, directeur du Muséum d’histoire naturelle, André René Franchet, responsable de l’herbier du Muséum, Edouard Bureau, botaniste au Muséum et Maurice de Vilmorin, célèbre pépiniériste. Ces experts n’ont de cesse de prodiguer conseils et encouragements au P. Soulié pour qu’il poursuive ses investigations sur la faune et la flore du Tibet.
Sans égaler la production d’Auguste Desgodins, un de ses illustres aînés, Jean-André Soulié apporte une riche contribution à la connaissance du Tibet. Pour le récompenser de ses travaux, les membres de la Société de géographie de Paris lui attribuent une médaille d’argent (prix Alphonse Milne-Edwards) réservée aux pionniers qui ont ouvert, en Asie, de nouvelles routes à la civilisation. Si Jean-André Soulié, autant par goût pour la chasse que par impératifs financiers, a consacré beaucoup de temps à la capture de spécimens de la faune du
Tibet, son domaine de prédilection est resté la botanique. A peine a-t-il posé le pied à Tatsienlou que Mgr Biet, évêque du Tibet, informé des compétences de l’aveyronnais, lui demande de récolter des graines et des plants de rhubarbe qu’on lui réclame depuis longtemps. Il ne faut que quelques mois à Jean-André Soulié pour s’acquitter de sa tâche.
L’évêque prévient aussitôt Jean-Baptiste Martinet, procureur général des missions de Chine à Shanghai : « Je n’ai pas oublié votre demande de plantes de rhubarbe. Le Père Soulié, le savant botaniste, est allé lui-même en chercher à 4 500 mètres d’altitude. J’en ai trois avec racines, tiges, quelques feuilles sèches et graines, il a fallu couper les tiges des trois, car elles ont plus de six pieds de hauteur. La caisse sera légère mais encombrante et je ne sais quand je pourrai vous l’envoyer. […] Il faut donc attendre. »
Encouragé par sa hiérarchie, Jean-André Soulié multiplie ses expéditions : il explore des montagnes et des plateaux d’altitude réputés inaccessibles, faisant, partout où il passe, d’abondantes récoltes. Ses confrères affirment qu’il conserve en permanence, sur sa monture, une paire de sacoches dans lesquelles se trouvent des boites en fer-blanc qu’il remplit de plantes ramassées le long de la route. Rapidement, l’Aveyronnais acquiert quelques notoriétés dans les milieux botaniques parisiens. Pour le travail en direction du Muséum d’histoire naturelle, il suit les instructions à la lettre jusqu’à devenir, avec le temps, « un chasseur de plantes » expérimenté. Année après année, ses techniques se sont améliorées si bien que, pour les savants, « il s’instruit à sa propre école ». Ses herbiers seront classés avec ceux des missionnaires botanistes les plus renommés qui ont œuvré, avant lui, dans les régions de l’Asie occidentale. En 1902, soixante-douze espèces de graines recueillies par Jean-André Soulié, dans la région de Yarégong, seront transmises au Muséum par le docteur Augustine Henry. En 1905, « trois caisses d’herbes sèches » du Tibet marqueront sa dernière participation.
L’analyse des herbiers envoyés par Jean-André Soulié, comme ceux des autres missionnaires botanistes, ont été effectuées par Adrien René Franchet. Pour cela, il a pu bénéficier d’une collaboration des jardins botaniques d’Europe et de l’assistance d’autres botanistes comme Hector Léveillé, ancien missionnaire de Pondichéry et fondateur d’une académie de géographie botanique au Mans. Après sa mort, MM. Finet et Gagnepain, deux botanistes attachés au laboratoire des Hautes études, poursuivent le travail. Les dirigeants du Muséum n’auront plus à craindre que les matériaux rassemblés par Jean-André Soulié restent « inoccupés ». Les milliers d’holotypes de Jean-André Soulié ont permis, à Adrien Franchet, de répertorier de nombreuses espèces jusqu’alors inconnues en Europe : le savant lui dédiera de nombreuses espèces de fleurs et de végétaux. En dehors du Muséum, le nom de l’Aveyronnais figure dans les archives de Maurice de Vilmorin auquel il a envoyé des graines qui ont donné des fleurs dans ses pépinières.
Si, comme pour ses confrères missionnaires botanistes, il est difficile d’évaluer les nouveautés végétales qui doivent être attribuées à Jean-André Soulié, on peut toutefois se référer au cahier d’entrée des graines de l’arborétum des Barres à Nogent-sur-Vernisson dans le Loiret, tenu par Maurice de Vilmorin. Parmi les religieux pourvoyeurs, dix-sept sur vingt-trois sont des prêtres des Missions étrangères de Paris, en poste dans l’Empire de Chine. Figurent en premier François Ducloux et Jean-André Soulié, (douze envois de graines chacun), puis Paul-Guillaume Farges (dix envois) et Edouard Maire (huit envois). Le P.Soulié caractérise ses sachets de graines par des noms chinois ou des noms vernaculaires français, tels que « groseillier rouge » ou « framboisier ». Il lui arrive d’ajouter l’altitude de la récolte et une description sommaire du biotope.
C’est à une altitude de plus de 3 500 mètres que Jean André Soulié repère une espèce de rosier non remontant utilisée, par les Tibétains, pour soigner les affections cardiovasculaires. Cet arbuste au feuillage désordonné gris bleuté, très épineux, de trois à quatre mètres, produit d’abondantes fleurs blanches parfumées qui constituent « un éblouissement pour les yeux ». Jean-André Soulié en envoie un exemplaire au Muséum de Paris. Le rosiériste belge, François Crépin, directeur du jardin botanique de Bruxelles, en soulignera la rareté. Il la dédiera à son découvreur en l’appelant : Rosa Soulieana, la rose du Père Soulié.
En 1907, le botaniste Henri Lecomte, alors qu’il réceptionne deux mille plantes récoltées par Jean-André Soulié, quelques temps avant sa mort, souligne l’action « de ce regretté missionnaire, qui fut un collecteur à la fois sagace et heureux […] dont nous avons reçu, en dix années, principalement au Tibet et parfois à des altitudes considérables, plus de sept mille plantes. » Bien que l’Aveyronnais, soit moins connu ou reconnu que d’autres, Adrien Franchet, responsable des collections végétales du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, avait beaucoup de considération pour son œuvre scientifique. Aussi, c’est sans hésitation, qu’il a désigné Jean-André Soulié, comme un des « quatre mousquetaires de la botanique », aux côtés des Pères David, Delavay et Farges.
2/ Le chantier de restauration
Découvrez dès à présent les différentes étapes de restauration de l’herbier, d’après le rapport de Madame Philomène Thomine de l’atelier Polypus. Mme Thomine est relieuse, restauratrice de documents graphiques et imprimés depuis 8 ans, spécialisée en restauration du cuir, parchemin, papier, ainsi que des herbiers. Elle bénéficie en effet d’une expérience de 5 ans dans l’atelier de restauration des documents au sein du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris .
L’herbier est un don de la famille du P. Soulié, qui le conservait dans un grenier. Il n’a été redécouvert dans nos archives que récemment, et, après identification de son contenu un processus de restauration a immédiatement été mis en place.
État de l’herbier
Ce carnet du XIXe siècle est recouvert d’une demi-toile noire et de papier caillouté.
Visuellement, l’herbier a perdu son aspect de livre et ressemble davantage à un éventail. Les plats, normalement présents pour protéger les pages, sont déformés. Les pages sont très abîmées, cornées et il y a de nombreuses déchirures. Les manquements sont dus à un parasite du livre bien connu, le poisson d’argent, que l’on retrouve en grande quantité, séché entre les pages. Le papier, très acide du fait des techniques de l’époque, a également subi des variations de température. À cela s’ajoute l’extrême fragilité des plantes séchées contenues à l’intérieur.
Certaines pages présentent des traces noires semblables à de la fumée ainsi que des auréoles qui témoignent d’un fort taux d’humidité. Etant donné sa forme singulière, il est possible que l’herbier ait survécu à un incendie, éteint avec de l’eau, avant de sécher sur le dos par la suite.
Le projet de restauration
La restauration a comme but l’accès et la numérisation du contenu ainsi que la stabilisation du document. Après analyse de la structure globale du document et de son contenu il a été décidé, d’un commun accord entre Mme Philomène Thomine et Mme Marie-Alpais Dumoulin, directrice de l’IRFA, de démonter l’herbier.
Afin de récupérer chaque élément du document, Mme Thomine a opté pour un nettoyage aqueux, consistant à faire tremper la couverture dans de l’eau déminéralisée pendant quelques minutes. Ce processus permet aux colles et aux acides solubles de se diluer dans l’eau. Il désacidifie en partie le document mais permet également de récupérer les papiers contrecollés plus délicatement.
Une nouvelle couverture apparaît sous le papier décollé, comportant les mots « Petit séminaire » et « Belmont ». Le P. Soulié a potentiellement réutilisé les couvertures d’un ancien carnet de l’époque de son petit séminaire pour se fabriquer celui-ci.
Une fois l’herbier démonté, il est maintenant possible de procéder à la restauration des pages.
Mme Thomine a pour finir réalisé une boîte sur mesure en carton neutre et toile de coton, afin de faciliter le transport, la conservation et la numérisation de l’herbier. La question se pose encore de l’utilité de remonter l’herbier ou non, ce qui lui rendrait sa forme d’origine et faciliterait la consultation, mais risque de fragiliser les planches.