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Missions et cinéma : l’œuvre du père Edmond Becker

Publié le 08/12/2022

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Missions et cinéma

L’œuvre du père Edmond Becker

Article de Madeleine Dory

Depuis janvier 2022, l’équipe de l’IRFA mène l’inventaire de l’intégralité des archives audiovisuelles des MEP. La découverte de bobines anciennes a permis de se plonger dans l’histoire missionnaire au XXe siècle et les évolutions de l’évangélisation avec le développement de l’audiovisuel. C’est l’occasion de revenir sur l’œuvre du père Becker, figure emblématique du cinéma missionnaire en Inde.

Missionnaire MEP dans le diocèse de Pondichéry de 1948 à 1968, le P. Edmond Becker est pionnier dans l’utilisation des moyens audiovisuels pour évangéliser les peuples en Inde. Ayant rapidement compris l’importance de l’image et du son, il consacrera toute sa vie au développement du cinéma dans sa mission en Inde, puis à l’international avec l’OCIC.

Envoi en Inde et découverte du cinéma

Peu après son arrivée dans le diocèse de Pondichéry en 1948, le père Becker est envoyé en tant qu’enseignant au Centre catéchétique de Tindivanam, école fondée en 1919 par le P. Thomas Gavan-Duffy, pour la formation des futurs instituteurs des écoles de villages. Deux ans plus tard, il en devient le directeur, et le restera jusqu’à son retour en Europe en 1968.

N’étant pas rattaché à une paroisse en particulier, il place tous ses efforts dans l’aspect évangélisateur du Centre en formant des instituteurs qui seront aussi catéchistes.

A cette époque, l’Inde est rurale sur plus de 80% de son territoire, et la communication entre la campagne et la ville n’est pas très développée. Le P. Becker entreprend donc des tournées dans les villages les plus reculés de la région. En motocyclette, il sillonne les paroisses et découvre un peu mieux les villages, la misère et surtout l’ignorance des populations qu’il visite.

Le P.Becker et des enfants en 1953

A la fin de l’année 1950, encouragé par Mgr Colas, archevêque de Pondichéry, il organise à travers le diocèse une « mission-pèlerinage » en faisant voyager dans toutes les paroisses une statue de Notre-Dame de Fatima sur une charrette à bœufs. Équipé d’un petit générateur électrique pour films fixes et d’un micro, il en profite pour montrer des projections sur les apparitions de Fatima. La tournée est un succès : en l’espace de quelques mois, plus de deux-cents représentations sont données dans tout le diocèse.

Le P. Becker comprend alors l’importance de l’audiovisuel pour annoncer et répandre le message évangélique. Il voit avant tout les effets qu’engendre l’ignorance sur les conditions de vie des Indiens, comme la méconnaissance des dangers de l’eau non potable, cause de tant de décès. Constatant que plus de 80% de la population est analphabète, il se rend compte de l’urgence éducative dans le pays et prend la mesure de l’attraction qu’exercent ces projections sur ces foules avides de sons et d’images. Pourquoi alors, ne pas développer le cinéma au service de l’éducation sociale et spirituelle de ces peuples ?

Cette première expérience est le point de départ de toute une vie consacrée à l’apostolat par l’audiovisuel.

La création des « unités mobiles »

Le P. Becker élabore alors un plan nouveau et structuré pour ses représentations cinématographiques, en lien avec les tournées réalisées par les instructeurs et catéchistes du Centre de Tindivanam. Il crée ainsi les « unités mobiles ». Le principe : charger une jeep qui pourra se déplacer sur tous types de terrains, avec un écran de cinéma, un générateur (230 volts, 1 500 watts) pour donner des séances dans les villages dépourvus d’électricité, un projecteur de films en 16 mm, un autre pour films fixes ou diapositives, et un magnétophone. Ainsi équipée, l’unité mobile part sillonner les villages les plus reculés et donner des représentations partout où elle passe. Le déroulement des séances se codifie rapidement. D’abord, on montre un comique pour détendre les spectateurs et leur faire oublier, le temps de quelques gags, la misère dans laquelle ils se trouvent. Ensuite, un film de portée sociale et culturelle est projeté, pour prodiguer des conseils d’hygiène ou techniques. Il est suivi d’un dernier film à caractère strictement religieux, qui ouvre les esprits des spectateurs au message des Évangiles.

Cinéma dans un village, vers 1960.

Ces séances sont toujours un franc succès. Rapidement, la célèbre jeep devient familière aux villageois de toute la région qui la reconnaissent immédiatement lorsqu’elle apparaît sur les chemins cahoteux et courent prévenir les environs que le cinéma est en chemin. Ce sont plusieurs milliers d’Indiens de tous âges qui se pressent alors sur les places des villages pour assister aux projections. A la fin de l’année 1960, le père Becker rend compte de la réussite de ces tournées dans une lettre à un de ses confrères :

« L’année dernière j’ai donné ainsi 273 séances dans les villages, la plupart du temps en plein air, groupant chaque fois des milliers de personnes dont bon nombre de païens. Je montre à chaque fois un film religieux, au moins un court métrage et pour le restant des documentaires prêtés gratuitement par les ambassades ou le ministère de l’éducation, sans oublier un ou deux comiques qui sont fort goutés. »

Puis d’ajouter : « Il y aurait tout un apostolat audio-visuel à faire. Un des seuls qui porte de ce jour, surtout dans les pays neufs. Un des seuls qui est encore faisable, car il attire les gens, mais nous manquons de personnel et de ressources. » (AMEP 3815, lettre du 16 novembre 1960)

Le père Becker et son matériel audiovisuel.

La réorganisation du Centre de Tindivanam

En réalité, le père Becker doit constamment faire appel aux aides financières, faute de moyens sur place. Ayant commencé à réaliser lui-même des petits films amateurs, il se rend rapidement compte des limites de son travail et presse ses supérieurs de lui donner les moyens de se professionnaliser en organisant des levées de fonds.

Au Centre, il se lance dans la rénovation des méthodes catéchétiques pour les adapter à son programme audiovisuel. Mais pour qu’il y ait du « visuel », il faut avoir quelque chose à montrer. Le directeur se procure alors des films et des diapositives en Europe. Très vite cependant, il prend la mesure des limites de ces réalisations destinées à des publics occidentaux et pousse le Centre à produire lui-même des films qui seront adaptés à un public oriental :

« Nous devrions avoir des films créés par des artistes du pays et conformes à sa mentalité. Quant aux œuvres étrangères de valeur, il faudrait les adapter à l’esprit oriental en coupant certaines scènes auxquelles notre public n’est pas préparé, en raccourcissant les conversations qui ne peuvent faire l’objet d’une traduction adéquate. » (AMEP 3815, « Une expérience d’apostolat par le film », P. Edmond Becker)

Le Centre se lance donc dans la production de ses propres films religieux : adaptations de l’Évangile, documentaires sur les martyrs ou encore psaumes en son et lumière : « Au lieu de mettre un commentaire, parlé ou chanté, sur des images, pourquoi ne pas faire l’inverse et mettre l’image au service du texte sacré ? » (ibid.).

Une équipe de musiciens est formée pour composer les bandes-son en tamoul : chants et commentaires sont ainsi ajoutés à l’image.

Les musiciens du père Becker.

Au service de l’OCIC puis du CREC

Parallèlement à son activité en Inde, le père Becker est, à partir des années 1960, en relation avec l’Office Catholique International du Cinéma (OCIC), structure internationale ayant vocation à rassembler des catholiques professionnels du cinéma, dans le but de développer l’action de l’Église par l’audiovisuel. Tout en restant officiellement chargé du Centre, il est engagé au compte de l’OCIC pour laquelle il effectue des voyages et des sessions en Europe et dans le monde. En 1961, il participe au concile Vatican II et en profite pour œuvrer pendant des semaines auprès des évêques du pays tamoul réunis à Rome. Il leur propose un grand projet d’apostolat en matière d’audiovisuel dans toute l’Inde, avec la création à Tindivanam d’un centre spécifiquement destiné à l’audiovisuel.

Le père Becker au Concile à Rome, vers 1962.

Durant ces années, il multiplie les déplacements pour participer à des séminaires et à des journées d’étude ou pour produire des films pour l’OCIC. Si cette organisation fonctionne un temps, le père Becker est amené à s’absenter de plus en plus. En 1968, il est donc libéré de sa charge de directeur de Tindivanam pour se consacrer entièrement à son travail pour l’OCIC, tout en restant membre du clergé de Pondichéry. Il laisse la direction du Centre entre les mains des catéchistes qu’il a formés, tous locaux. Pour l’OCIC, il produit des films destinés aux missionnaires d’Amérique latine et d’Afrique et d’Asie.

Tous ces efforts déployés pour la nouvelle évangélisation, le P. Becker en mesure la réussite lorsqu’ en 1965, à la fin du concile, le pape Paul VI lui offre un chèque substantiel pour acheter une jeep avec tout son équipement, témoignant publiquement de son soutien pour l’œuvre réalisée d’apostolat moderne.

 

Paul VI et le père Becker à la fin du Concile (1965).

En 1975, le P. Becker rejoint à Lyon le Centre religieux d’enseignement catéchétique (CREC) dirigé par le P. Pierre Babin (OMI). Dans cette école il s’emploie à former des groupes du Tiers-monde venus s’initier à la technique de l’audiovisuel, pour leur permettre de devenir à leur tour, des acteurs de l’apostolat par le cinéma dans leurs pays.

En débutant avec des moyens modestes et un matériel d’amateur, le P. Becker a ainsi consacré toute sa vie et son énergie à l’évangélisation par le cinéma. Il a su saisir avec clairvoyance les enjeux nouveaux auxquels l’Église du XXe siècle se trouvait confrontée. En mêlant ingéniosité et créativité, il n’a cessé de s’appuyer sur les nouvelles techniques du son et de l’image au service de l’évangélisation des peuples d’Inde puis du monde.

Pourtant, lorsque l’on demande au Père Becker de mesurer l’influence de son travail sur les conversions en Inde, il répond :

« Sans doute aucune, mais ces séances auront contribué à rendre les hommes plus hommes. Ils ont ri comme des gens heureux, ils ont entrevu un monde meilleur. Ils ont appris que leur sort pouvait être amélioré. Il ne faut pas attendre des résultats immédiats. Une idée met beaucoup de temps à germer. Un jour, elle germera et ils la croiront leur. » (cité in « Cinéaste en Inde », Peuples du Monde, mai 1969).

 

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