L’évangélisation du Japon commence bien avant l’arrivée des MEP. Le 15 août 1549, Saint François Xavier, missionnaire jésuite, atteint le port de Kagoshima, sur l’île de Kyūshū au sud du Japon. L’évangélisation y est difficile, entravée par un bouddhisme et un confucianisme diffus au sein de la société japonaise. Pourtant, le morcellement politique du pays joue en faveur de la Compagnie de Jésus pour y faire progresser l’évangélisation. Ainsi, des années 1590 à 1610, l’Église connait une période de forte croissance au Japon. Le catholicisme s’impose comme religion officielle dans plusieurs fiefs, comme à Omura, près de Nagasaki. Face à ce phénomène inédit, en 1587 le gouvernement de Toyotomi Hideyoshi lance un premier avertissement aux chrétiens en promulguant deux édits. L’un annonce l’expulsion des missionnaires et l’autre exige le contrôle des conversions. La religion chrétienne étant comprise comme une force politico-religieuse aux yeux des Japonais, la répression s’intensifie progressivement. En 1597, 26 missionnaires et laïcs sont exécutés à Nagasaki. Par plusieurs édits, Tokugawa Ieyasu fait proscrire en 1612 le catholicisme dans le territoire qu’il contrôle, puis dans l’ensemble du Japon en 1614.
L’édit de 1614 déclenche le repli de l’Église et entraîne sa « disparition « institutionnelle » totale » . Progressivement, se met en place une répression du catholicisme par l’État, amplifiée par la révolte des paysans catholiques de Shimabara-Amakusa entre 1637 et 1638. A mesure que l’étau se resserre, que les prêtres et missionnaires cachés et dispersés à travers le pays disparaissent et que le shogunat parvient à supprimer définitivement la religion des milieux urbains, la religion catholique s’efface peu à peu, sans pour autant disparaître complètement. En effet, dans les campagnes de Kyūshū, subsistent des « crypto-villages chrétiens » , des villages de chrétiens cachés ayant conservé une certaine pratique de la religion, sans pour autant avoir de clergé ni d’église. Progressivement, entre 1650 et 1842, le Japon de Iemitsu Tokugawa se ferme dans le contexte de la politique isolationniste du Sakoku qui cherche à renforcer le contrôle du shogunat sur le commerce extérieur.
La tentative de faire pénétrer à nouveau des missionnaires étrangers dans l’archipel nippon est lente et laborieuse. En 1831, le pape Grégoire XVI confie la Corée à la Société des missions étrangères, et y rattache le Japon et les îles Ryūkyū, un royaume indépendant au sud de l’archipel, mais payant un tribut aux Japonais et aux Chinois. Le Japon étant fermé aux étrangers, ces îles sont considérées comme une porte d’entrée privilégiée dans l’archipel nippon. En 1832, le P. Barthélemy Bruguière devient le premier vicaire apostolique de la nouvelle mission de Corée ; il est chargé de reprendre contact avec les chrétiens du Japon. Toutefois, il meurt au cours du voyage avant d’avoir pu atteindre le Pays du Matin calme. En 1844 seulement, un missionnaire, le P. Théodore Forcade, est envoyé à Naha, située sur l’actuelle île d’Okinawa dans l’archipel des Ryūkyū, afin de tenter d’entrer au Japon malgré les interdits. A son arrivée, il est assigné à résidence et interdit d’entrer en contact avec la population par les autorités, inquiètes de le voir tenter de pénétrer dans l’archipel. Après quelques mois infructueux, il est rappelé à Hongkong et reçoit sa nomination à la tête du vicariat du Japon, nouvellement créé. En mai 1855, le P. Louis Furet est invité à se joindre à l’expédition commandée par Simonet de Maisonneuve pour se rendre à Ezo (Hokkaidō) vers le nord de l’archipel. En effet, profitant d’une convention signée en 1854 entre le gouvernement shogunal et l’Angleterre, la marine française s’allie à la marine britannique pour pouvoir se rendre à Hakodate. Si cette expédition ne constitue pas une installation missionnaire au Japon, il s’agit bien d’une première visite d’un territoire japonais par un père des MEP. Jusqu’en 1862, sept prêtres se rendent sur l’archipel ryūkyūan mais ne parviennent ni à pénétrer durablement au Japon, ni à convertir ses habitants. Lassé de ces échecs, Mgr Forcade accepte une autre mission en Guadeloupe, puis revient en France où il finit ses jours : « Le premier vicaire apostolique du Japon devait mourir sans avoir pu jamais entrer au Japon » .
Faute de pouvoir œuvrer, les missionnaires mettent à profit leur temps aux îles Ryūkyū en s’initiant à la langue japonaise. Il faut attendre l’ouverture progressive du Japon au commerce et à la diplomatie avec l’Occident, pour pouvoir entamer sa lente évangélisation. En 1853, le commodore américain Matthew Calbraith Perry se présente avec quelques navires dans la baie de Tōkyō et à Hakodate, sur l’île de Hokkaido. Le 9 octobre 1858, la France conclut un traité comportant une clause garantissant la liberté de l’exercice de culte, donnant ainsi la possibilité de bâtir des églises et des chapelles sur les territoires concédés. Les étrangers ne peuvent toutefois sortir d’un périmètre de plus de dix lieues autour des cinq ports dans lesquels ils résident (Hakodate, Yokohama, Nagasaki, Niigata et Kobe). Le P. Eugène Mermet-Cachon est le premier missionnaire catholique à s’installer au Japon post-sakoku, en tant qu’interprète du baron Jean-Baptiste Louis Gros, négociateur français à la tête d’une délégation devant établirun traité d’amitié et de commerce avec les autorités shogunales. En 1859, il fonde à Hakodate la mission dont il devient le supérieur général. Chargé par les autorités japonaises de s’occuper des chrétiens étrangers de Yokohama, il fonde la première église catholique du pays en 1862. Il est rejoint par d’autres pères MEP, dont les PP. Monicou, Furet et Petitjean.
Lors de la cérémonie d’ouverture de l’église de Yokohama, de nombreux visiteurs japonais s’y rendent par curiosité. Le P. Girard prêche en langue locale, ce qui vaut à 55 Japonais d’être arrêtés à la sortie de la cérémonie, puis relâchés sur engagement du P. Girard de ne plus jamais prêcher en japonais. Rapidement, le centre de gravité de la mission se déplace au sud du pays, à Nagasaki, où se rend le P. Furet, rejoint par le P. Petitjean qui devient en mai 1866 le premier vicaire apostolique du Japon. Le 19 février 1865, est inaugurée l’église d’Ôura, qui sera au cœur du renouveau catholique japonais.
Près d’un mois après l’inauguration de l’église d’Ôura, c’est à la grande stupéfaction des missionnaires des MEP que des villageois du village voisin d’Urakami viennent se
présenter auprès d’eux comme les descendants des martyrs japonais du XVIème siècle. Voici le récit que le P. Petitjean fait de cette rencontre :
Notre cœur à nous tous qui sommes ici ne diffère point du vôtre. » « Vraiment leur dis-je mais d’où êtes-vous donc ? » « Nous sommes d’Ourakami, dans notre village presque tout le monde nous ressemble. » Soyez béni ô mon Dieu pour tout le bonheur dont mon âme fut inondée à ces paroles ! Quelle ample compensation des 5 années de ministère stérile passées au Japon.
Ainsi débute l’évangélisation des « crypto-chrétiens » par les missionnaires. En entretenant une relation ambiguë tant avec le pouvoir central qu’avec les pouvoirs locaux, les missionnaires mènent une action discrète pour pouvoir contribuer à l’évangélisation des populations de Nagasaki.
Face à l’attentisme des pouvoirs locaux, les paysans rejettent progressivement les moyens de médiation avec le pouvoir pour exprimer librement leur foi. Les autorités sont conscientes de ce regain du catholicisme dans la région de Nagasaki, comme en témoigne l’affluence de fidèles dans l’église d’Ôura.
Les officiers n’ignorent pas la condition de nos chrétiens, mais voyant qu’ils sont tranquilles, ils se soucient peu de les molester, et ne veulent pas être forcés d’en venir à cette extrémité.
Entre 1866-1867, certains chrétiens de Nagasaki décident de célébrer des funérailles sans le déclarer au clergé bouddhique. Cette démarche revient à se reconnaître adepte d’une religion interdite depuis des siècles. Cette affaire pousse les pouvoirs centraux à passer à l’action. Après plusieurs convocations par le préfet de Nagasaki, un groupe de chrétiens est arrêté puis torturé jusqu’à devoir confesser leurs regrets pour leur faute. Ils sont alors relâchés sur intervention des consuls d’Espagne et de France. A la suite de cet événement, l’État japonais procède au démantèlement des chapelles provisoires aux alentours du village.
Malgré la fin du shogunat marquant la restauration impériale le 3 janvier 1868, la question chrétienne n’est toujours pas résolue. Le régime impérial perpétue l’interdiction du christianisme et met en place le shinto, religion d’État faisant de l’empereur le chef du culte.. Dans ce contexte, les anciennes lois antichrétiennes ne sont absolument pas remises en cause. Malgré la première vague de persécutions, les convertis ne renoncent pas.
En avril 1868, un rescrit impérial interdisant « la détestable secte des chrétiens » est publié. Les gouverneurs ont pour ordre d’afficher dans toutes les provinces une interdiction de s’associer à cette religion. La même année, sur les 3 750 catholiques recensés à Urakami, 3 400 sont contraints de partir en exil à Kyūshū. Les conditions déplorables de détention, les travaux forcés et la torture mènent 562 d’entre eux à la mort. Une fois encore, la pression diplomatique exercée par les puissances occidentales s’accentue et le gouvernement finit par libérer les catholiques en exil.
A partir de 1873, la situation commence lentement à s’améliorer. Le 24 février, le gouvernement de Meiji retire les affiches exprimant clairement l’interdiction du christianisme, sans pour autant l’autoriser. La même année, quinze nouveaux missionnaires sont envoyés au Japon. Si entre 1873 et 1889, plusieurs décrets restreignent la liberté de culte et la diffusion du catholicisme, l’enjeu pour le gouvernement n’est plus de contrôler les croyances. Les décrets n’étant pas respecté dans leur entièreté par les Japonais, une liberté religieuse leur est progressivement donnée. En 1889, la constitution inscrit cette liberté religieuse partielle à condition qu’elle s’accorde avec le respect de la figure de l’empereur au centre du shinto.
En parallèle, les PP. Pierre Monicou et Henri Armbruster tentent de renforcer l’activité missionnaire à l’extrême opposé du pays, à Hakodate. Ils construisent un presbytère dans le quartier de Motomachi. Cependant, la mission est rapidement compliquée par les évènements politiques suivant la restauration impériale. Parmi les derniers survivants du shogunat, les hommes du Shinsen Gumi, un groupe de samouraïs formé à la fin du shogunat, se joignent à Enomoto Takeaki, et nourrissent le projet de fonder une République indépendante d’Ezo à Hokkaido. Soutenus par les Français, ils sont toutefois contraints de se rendre en 1869. Les missionnaires subissent les conséquences de cette prise de position française, et les PP. Monicou et Armbruster sont contraints de quitter Hokkaido. A partir de 1873, l’action des MEP au Japon gagne en efficacité. A Nagasaki, un petit séminaire ouvre la même année qu’une imprimerie pour les livres nécessaires à l’étude et à la formation. En 1874, la première église de Tōkyō, l’église de Tsukiji, est édifiée dans la concession étrangère. En 1876, jugé trop vaste, le Japon est divisé en deux vicariats apostoliques :
– Le Japon septentrional, sous la direction de Mgr Pierre Osouf, résident à Yokohama puis à Tokyo ;
– Le Japon méridional, confié à Mgr Petitjean, dont le siège épiscopal se trouve à Osaka.
Ne jouissant pas du droit d’annoncer l’Évangile, les missionnaires ont besoin d’un passeport avec un motif solide s’ils veulent se déplacer dans le pays. Nombre de prêtres décident alors de donner des cours de français, suscitant au sein de la population une curiosité à l’égard des choses venant d’Occident tout en conservant une grande méfiance envers tout ce qui porte l’étiquette chrétienne. Le poids de la vie religieuse et des rites bouddhistes et shintoïstes sur le quotidien des Japonais, et les interdictions faites par les bonzes aux villageois d’écouter les étrangers ou de leur offrir l’hospitalité, rendent l’évangélisation difficile.
Malgré ces obstacles, les MEP connaissent des succès : en 1870, Mgr Petitjean fait venir un premier groupe de Dames de Saint-Maur à Yokohama, pour qu’elles fondent une école de filles ; le 31 décembre 1882 il ordonne les trois premiers prêtres japonais. Le 1er février 1885, le pape Léon XIII adresse une lettre à l’empereur de Chine dans laquelle il recommande les chrétiens de Chine à sa bienveillance. L’empereur du Japon reçoit ensuite un message du même ordre, et l’accueille avec bienveillance :
L’accueil par l’empereur d’une délégation de l’Église catholique équivalait pour les chrétiens, comme pour les missionnaires, à une quasi-reconnaissance de l’existence de l’Église catholique au Japon.
En 1888, le découpage administratif du Japon se poursuit, avec la division du vicariat du Japon méridional : d’un côté, le vicariat apostolique d’Osaka est établi sous la direction de Mgr Félix Midon tandis que celui de Nagasaki est confié à Mgr Cousin, successeur de Mgr Petitjean. En somme, l’attitude des catholiques entre 1687 et 1889 n’a pas changé : ils s’opposent aux lois allant à l’encontre de leur religion. Cependant, le rapport des autorités aux communautés chrétiennes a changé : sous le shogunat, la loi est appliquée de force pour conserver l’obéissance des catholiques, tandis que sous le régime impérial, il est attendu des catholiques qu’ils respectent le nouveau credo d’État.
En 1889, la Constitution impériale du Grand Japon confère à l’empereur les pouvoirs civils et militaires ainsi qu’une autorité religieuse qualifiée d’« absolue ». Elle reconnaît également la liberté religieuse. Cependant, le culte de l’empereur et la pratique du shinto sont prescrits comme un devoir pour tous. L’empereur est venu sur terre en tant que dieu, dans une enveloppe temporaire.
En mars 1890 a lieu le premier synode de l’Église du Japon. La revue catholique Koé, (« La voix »), est créée dans le but de renforcer les liens entre les différentes communautés en parlant de l’Église universelle et en traitant des problèmes auxquels sont confrontés les chrétiens japonais.
Dans le même temps, la Congrégation pour la propagation de la Foi (Propagande) érige quatre diocèses qui remplacent les trois vicariats apostoliques. L’ensemble de la mission du Japon est confié aux MEP.
Diocèses Évêques
Tōkyō Mgr Osouf
Hakodate Mgr Berlioz
Nagasaki Mgr Cousin
Osaka Mgr Midon
Pour faciliter la diffusion de l’Évangile au sein d’une société qui reste difficile à convertir, les missionnaires entreprennent divers travaux. En 1897, le P. Michel Steichen, aidé par l’auteur japonais Gorô Takahashi, publie une traduction en style parlé du Nouveau Testament. En 1904, il écrit le « Daimyo chrétien », une histoire du catholicisme au Japon. En 1910, le P. Émile Raguet publie à son tour une nouvelle traduction du Nouveau Testament à partir de la version grecque, qui devient la version officielle utilisée par l’Église catholique du Japon. Son style en japonais littéraire fait son succès.
Dans un XXème siècle agité, le catholicisme au Japon évolue de pair avec la montée de l’absolutisme et du nationalisme, et se trouve entraîné dans un cycle de violence jusqu’à la défaite finale de 1945.
Dès 1894, alors que la situation se tend avec la Chine dans le contexte de la guerre sino-japonaise (1894-1895) pour le contrôle de la Corée, quelques paroisses expriment leur patriotisme et l’attachement des chrétiens à la chose publique en célébrant des messes d’action de grâces pour la victoire militaire du Japon. Pourtant, en 1899, le ministère de l’Éducation nationale interdit l’enseignement religieux et toutes les cérémonies religieuses dans les écoles de l’empire. L’enjeu est l’élimination de l’influence du bouddhisme et du christianisme dans les écoles privées. De telles mesures sont perçues avec beaucoup d’inquiétude par les missionnaires :
Le corps enseignant a reçu ordre d’insuffler à la jeunesse le culte des ancêtres et des héros de la patrie ; chaque jour, des processions d’écoliers se rendent aux temples shintoïstes sous la conduite de leurs maîtres. Nous assistons à une réaction d’un chauvinisme que l’on pouvait croire mort. Puissions-nous n’en être que de simples spectateurs ! Certaines brèches à la liberté de conscience seraient de nature à provoquer des difficultés sérieuses. Quant aux esprits égarés, l’usage exclusif de la force, loin de les convaincre, leur ferait plutôt croire qu’il suffit de pouvoir user du même argument pour avoir raison.
A la fin de la Grande guerre, après avoir contribué à la victoire de la Triple-Entente, le Japon se voit reconnaître son nouveau rôle de puissance asiatique et obtient un siège permanent à la Société des nations. Le Saint-Siège nomme Mgr Fumasoni-Biondi premier délégué apostolique du Japon. Le 30 octobre 1927, le pape Pie XI ordonne le premier évêque japonais de Nagasaki, Mgr Hayasaka Kyunosuke. L’année suivante, Hirohito devient empereur. Le jour de son intronisation, dans chaque église, le curé est sommé de lire devant la communauté une lettre pastorale intitulée « Annonce à tous les croyants à l’occasion des importantes cérémonies », signée par les douze évêques et préfets apostoliques du Japon dont ceux des MEP. Mais malgré cette bonne volonté, le ministre de l’Éducation nationale ordonne que dans toutes les écoles, selon la tradition, une célébration soit organisée pour célébrer le sacre de l’empereur. Les vingt-huit écoles catholiques refusent de participer à ce rite.
En 1929, le diocèse de Sapporo est créé et Mgr Chambon, archevêque de Tōkyō, inaugure le grand séminaire de Musashino, à l’ouest de la préfecture. En mai 1932, le colonel Kitahara Isshi conduit un groupe d’étudiants de l’université catholique de Jôchi à une visite du temple de Yasukuni et à une exposition du nouveau matériel militaire moderne. Deux étudiants catholiques refusent de visiter le temple. Cet incident déclenche une campagne antichrétienne virulente. L’université de Jôchi est retirée du Bureau des affectations et le ministre des Armées déclare que le christianisme est une hérésie incompatible avec le régime, et que les croyants chrétiens sont des traîtres et des espions.
Le place de l’Église au Japon devient donc de plus en plus fragile. A partir des années 1930, le Japon resserre l’étau sur la Mandchourie au nord de la Chine. Redoutant une réunification de la Chine sous l’autorité du parti nationaliste du Kuomintang, les Japonais planifient un attentat sur l’une de ses lignes de chemins de fer pour créer un casus belli justifiant l’invasion du sud de la Mandchourie. En 1933, le rapport Lytton reconnait les droits de la Chine sur la Mandchourie ; le Japon quitte alors la Société des nations. Le 20 février 1934, Mgr Auguste Aspais, évêque de Kirin, devient délégué apostolique de Mandchourie. A sa nomination, il présente ses lettres de créances au nouveau gouvernement, impliquant ainsi une reconnaissance officielle par le Vatican de l’État factice du Mandchoukouo. Pour le P. Dunoyer, le Vatican est soucieux de protéger l’indépendance religieuse des communautés chrétiennes locales.
Face à l’évolution dangereuse de la situation, les évêques et les responsables des diocèses du Japon, désireux de préserver leurs communautés, publient une lettre pastorale le 25 avril 1935. Les missionnaires étrangers, une fois l’Église catholique en capacité de devenir indépendante, sont résolus à se retirer et à confier leur tâche aux prêtres japonais. Pour prouver leur dévouement pour la nation, ils demandent la collaboration des prêtres, religieuses et fidèles. En 1936, la Propagande envoie de nouvelles directives. S’incliner devant un sanctuaire shintô n’est plus qu’un simple signe de patriotisme.
Lorsque le Japon entre en guerre et se lance dans l’invasion de la Chine, toutes les religions doivent participer à l’effort de guerre. Le ministre de l’Éducation nationale suggère que dans le livre de prière de l’Église catholique, figurent deux prières singulières : l’une où le croyant promet fidélité à l’empereur, l’autre à l’armée. L’État va même jusqu’à réquisitionner les catholiques dans l’effort de guerre bien au-delà de la simple conscription. Il exige l’organisation de brigade catholiques ayant pour tâche de faire connaître à la population catholique des Philippines les bonnes intentions du Japon. Malgré leurs efforts, les évêques étrangers perdent leur autorité sur les diocèses japonais, et la passation des pouvoirs dans les mains d’un clergé japonais s’accélère. Une législation du 1er avril 1940 établit que désormais, aucun sujet étranger ne peut avoir d’autorité sur des Japonais. En conséquence, aucun chef des diocèses, vicariats et préfectures apostoliques, missions, séminaires et collèges, ne peut être d’origine étrangère. Les évêques missionnaires sont donc contraints de démissionner, même si nombre d’entre eux continuent de servir leurs successeurs, notamment à Osaka, Fukuoka, Yokohama, Hiroshima et Sapporo. Dans un rapport couvrant l’exercice 1941-1947, quelques lignes suffisent à décrire l’ensemble de l’action des MEP dans l’entièreté du Japon pendant ses années de guerre :
Nos missions du Japon étant passées sous la juridiction ecclésiastique des évêques japonais depuis 1940, le compte rendu des travaux de nos confrères ne comportera désormais que leur activité propre sans entrer dans les détails de l’administration générale de ces trois diocèses. Des accords ratifiés par la S.C. de la Propagande entre la Société et les Ordinaires japonais sont déjà conclus ou en voie de l’être. Nos confrères placés sous la juridiction des évêques sont groupés sous la conduite d’un Supérieur de Société nommé par Mgr le Supérieur général.
En 1941, Mgr Breton, évêque de Fukuoka, est emprisonné, puis libéré 4 mois plus tard. Entre temps, Mgr Fukahori Senyemon a pris sa place. Le 17 février 1943, le P. Sylvain Bousquet, curé de la paroisse de Kitano à Osaka, est arrêté par la police militaire pour blasphème et propos défaitistes, et meurt trois semaines plus tard d’une pneumonie contractée en prison. En 1944, de très nombreux couvents et églises sont détruits par les bombardements. Nombre de prêtres MEP perdent la vie entre 1940 et 1945 – dix-sept- de mort naturelle ou violente. Les 6 et 9 août 1945, les bombes américaines larguées sur Hiroshima et Nagasaki font définitivement capituler le Japon.
Les bombardements atomiques touchent durement la communauté catholique de Nagasaki. La bombe Fat Man explose dans la verticale du quartier d’Urakami où se trouve la cathédrale. Un article de Philippe Pons pour le quotidien Le Monde fait état de la disparition de la moitié de la communauté catholique de la ville (14 000 chrétiens sont tués en août 1945). Le 1er janvier 1946, l’empereur proclame le caractère non divin de la personne impériale, et la nouvelle Constitution prévoie la séparation de la religion et de l’État. Par la suite, les évêques japonais demandent aux instituts missionnaire et religieux d’aider le Japon à ressusciter son Église, requête à laquelle le Vatican et la Propagande s’empressent de répondre par la mobilisation d’importants moyens. De nombreux missionnaires et religieuses sont envoyés, ce qui génère un important mouvement de conversions.
Le chiffre de la population catholique s’élève à environ 200 000 ; il est encore minime assurément et semble perdu dans la masse de 85 millions d’habitants. Cependant, il atteste une augmentation de 25 à 30 pour cent sur le chiffre de l’année précédente, et surtout, il représente un ferment plein de dynamisme et en activité sur tous les points géographiques, dans tous les milieux sociaux.
A mesure que ses effectifs augmentent, l’Église se réorganise en créant de nouveaux diocèses ; elle met en place un système de districts conférant à un évêque la capacité de confier des circonscriptions à des instituts religieux ou missionnaires. En 1952, est créé un Comité central des œuvres chargé de coordonner les efforts des missionnaires, de leur fournir les moyens d’action et d’éditer des manuels scolaires d’inspiration catholique. Cette organisation jouit d’un statut juridique officialisé par la législation du pays, marquant une rupture avec la période précédant la guerre. En 1963, on compte 16 diocèses.
En 1960, Mgr Doï, archevêque de Tōkyō, est nommé cardinal par le Pape Jean XXIII. Après le concile Vatican II, de nouvelles perspectives d’évangélisation s’ouvrent. Tandis que le souci d’éducation des enfants se manifeste par la création de nombreux jardins d’enfants dans les paroisses, certains missionnaires mettent l’accent sur la formation des laïcs, en vue de porter un témoignage dans leur milieu de vie. En 1962, le P. Jean Murgue fonde un Centre d’études sociales pour faire connaître la doctrine sociale de l’Église.
A partir de 1976-1977, l’arrivée au Japon de réfugiés d’Indochine marque une ouverture humanitaire impulsée par l’Église et la création de « Caritas-Japon », organisme qui se charge d’organiser les structures d’accueil et de sensibiliser la communauté catholique à la situation des réfugiés. L’Église du Japon développe progressivement une conscience asiatique ainsi qu’une solidarité avec d’autres Églises d’Asie. En 1979, après plusieurs tentatives, le Centre de recherches missionnaires de l’épiscopat publie un document intitulé « Pour l’évangélisation de la société japonaise ». Ce texte traite de l’évangélisation de la société japonaise, et insiste sur l’aspect communautaire de l’évangélisation et l’importance de l’inculturation.
En 1980, lors d’une Assemblée générale de la Société des Missions Étrangères, les priorités missionnaires sont redéfinies, la principale étant de poursuivre l’évangélisation. Cependant, l’Assemblée insiste fortement sur le devoir « d’être avec et dans l’Église locale » en acceptant avec sérénité la diminution du nombre de ses propres membres. La priorité est donc de travailler avec les chrétiens locaux pour accélérer le transfert aux Japonais des responsabilités de districts ou de secteurs de diocèses. En outre, une prise de conscience naît quant à l’évolution du rôle des missionnaires dans l’évangélisation de l’archipel nippon au cours des siècles :
On est bien loin de la mission d’il y a cent ans, de la période que certains caractérisent comme celle de « la grande illusion », cette phase de la résurrection de l’Église du Japon inaugurée, après une longue attente, par la reconnaissance de la liberté religieuse dans la Constitution. Les missionnaires de l’époque, tous MEP, s’attendaient à une sorte d’âge d’or, à une période de grand développement. En fait, il n’a pas eu lieu.