Il y a un an, l’IRFA reçut un message de la Bibliothèque patrimoniale de Saint-Dié-des-Vosges : « En débarrassant un placard que personne n’avait ouvert depuis 20 ans, j’ai trouvé une photo avec cette légende au dos : André SAGARD était ici en 1921, n’est resté qu’un an ici parce qu’il s’estimait appelé à être missionnaire plutôt que de se rouiller. On estimait au séminaire des Missions étrangères qu’il avait l’étoffe pour devenir évêque en Mandchourie à l’extrémité de la Sibérie russe. Est-ce un prêtre connu aux MEP ? Est-ce une légende « ironique » ? ». La légende de 1921 n’avait rien d’ironique, André Sagard ayant bien été missionnaire en Mandchourie de 1924 à sa mort en 1946.
Poussé par la curiosité, l’IRFA a alors exhumé de ses collections un autre portrait du P. Sagard. Il y porte fièrement au cou une médaille peu commune, celle de commandeur l’ordre des Piliers de l’État du Mandchoukouo. Cette médaille lui avait remise le 22 décembre 1937 des mains de l’empereur du Mandchoukouo, Puyi.
Voici comment les Annales des Missions étrangères relatent la cérémonie [AME, Paris : mars 1938, p.85] : « Pour répondre au geste du Saint-Siège qui, l’an dernier, accordait des décorations aux membres du gouvernement de Hsinking, S.M. l’Empereur du Mandchoukouo a conféré aux hauts dignitaires de la Cour Pontificale les distinctions de l’ordre du Nuage précieux (…) et du Soutien national ».
Outre le P. Sagard, les distinctions accordées par l’Empereur sont en effet destinées avant tout au cardinal Pacelli (futur Pie XII), alors secrétaire d’État de Pie XI et de facto chef de la diplomatie vaticane, et à ses conseillers. Il s’agit en fait d’un échange de bons procédés : quelques mois auparavant, le 16 janvier 1937, Mgr Gaspais, vicaire apostolique MEP de Mandchourie septentrionale, avait remis au Président du Conseil du Mandchoukouo une décoration pontificale accordée par le Saint-Siège.
Pourquoi cette politique vaticane envers l’éphémère état du Mandchoukouo ?
Champ de luttes d’influence entre la Russie et le Japon, la Mandchourie est envahie par ce-dernier en 1931. En 1932, le Japon la déclare indépendante de la République de Chine, et lui donnent le nom de Mandchoukouo, « Grand Empire mandchou ». Puyi, empereur de Chine déchu et dernier héritier de la dynastie des Qing, y est sacré empereur. Le jeune état du Mandchoukouo, sorte de protectorat japonais, n’est pas reconnu par la communauté internationale. Mais en 1934 et alors seul à mener cette politique, le Vatican fait un pas vers une reconnaissance de facto de l’empire de Puyi. Il faut savoir que dans les années 1930, le Mandchoukouo abrite environ 120 missionnaires, 800 catéchistes et 120 000 baptisés. Avec l’invasion japonaise de 1931, cette communauté catholique en expansion s’est retrouvée brutalement coupée de sa base arrière, la Délégation apostolique de Pékin. Aucun contact ni transfert de fonds n’est plus possible entre la Chine et la Mandchourie. Poussé par la nécessité de soutenir la mission, le cardinal Pacelli confie le 20 mars 1934 à Mgr Gaspais « le soin d’entrer en relations avec les autorités gouvernementales du Mandchoukouo, pour traiter avec elles des intérêts de l’Église au nom et place des Ordinaires situés sur le territoire ».
Voilà comment fut nommé un ambassadeur du Saint-Siège au Mandchoukouo… et comment notre P. Sagard se retrouva médaillé !
- P. André Sagard portant la médaille des Piliers de l’État, Mandchoukouo, vers 1937 [IRFA, iconothèque, fonds Sagard]
- Ferme au sud de la Mandchourie, vers 1890 [IRFA, iconothèque, boîte Chine 32]
- Pagode au sud de la Mandchourie, vers 1890 [IRFA, iconothèque, boîte Chine 32]
- Pères MEP et écoliers mandchous, vers 1925 [IRFA, iconothèque, boîte Chine 32]
- Exemplaires du bulletin « Le Trait d’Union » édité par le P. Sagard pour la mission de Mandchourie, 1938 [IRFA, archives, boîte Chine Mandchourie 01]
- Evocation du bulletin « Le Trait d’Union » dans le tapuscrit du P. Lucien Gibert « L’Évangile sur les bords du Soungari », 1939 [IRFA, archives, boîte Chine Mandchourie 03]