Célestin CHICARD1834 - 1887
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 0721
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Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Chine
- Région missionnaire :
- 1859 - 1887
Biographie
[721]. CHICARD, Pierre-Célestin (Godefroy), dont on a écrit la vie sous le titre : Un chevalier apôtre, vit le jour à Paizay-le-Sec (Vienne) le 27 décembre 1834 ; il appartenait à une famille française revenue du Canada. Elève du petit séminaire de Montmorillon et du grand séminaire de Poitiers, il entra sous-diacre au Séminaire des M.-E. le 8 janvier 1857, et y reçut l'ordination sacerdotale le 29 mai 1858. Le 29 août suivant, il partait pour le Yun-nan, et après deux tentatives infructueuses, finissait par arriver à sa destination. Il passa cinq mois à Long-ki, et en 1860 il fut envoyé dans la chrétienté de Ta-chou-tsen-keou. L'année suivante, Mgr Ponsot le chargea de fonder une station dans la ville de Tchao-tong ; les mandarins l'en empêchèrent, et au mois de mai il dut se retirer à Ta-kouan.
En 1863, il administra le district de Pou-eul-hao et ne tarda pas à le rendre florissant. Il y fonda un orphelinat ainsi qu'une colonie agricole pour les veuves et les femmes dont les maris avaient été pris par les Man-tse. A plusieurs reprises, il dut défendre, les armes à la main, sa chrétienté et celles des environs contre les sauvages pillards. Il le fit avec une bravoure extraordinaire : on le vit un jour marcher seul au-devant de trois à quatre cents Man-tse qui venaient l'attaquer. Il négocia heureusement avec les sauvages le rachat des captifs. En 1873, Mgr Ponsot lui ayant confié le district de Ko-koui et Tchao-tong, il installa sa résidence dans ce dernier poste où bientôt son influence fut grande. Il détermina d'assez nombreuses conversions parmi les indigènes, et, pour les protéger contre les pillards, il organisa une garde nationale.
En 1879, il quitta Tchao-tong et s'installa à Taouan-tse, district de Ko-koui, dont il avait fortifié la résidence et où il était très populaire. Il fonda, en 1881, la chrétienté de San-chan et y ouvrit deux écoles ; en 1884, il revint à Tchao-tong et bientôt y commença un asile pour les vieillards. Il obtenait d'excellents résultats, lorsqu'en 1887, il fut atteint de la fièvre typhoïde et en mourut le 17 juillet, à Tchao-tong.
Par son énergie, sa bravoure, son dévouement, sa bonne humeur, il gagnait aisément les cœurs et conquérait souvent l'estime des païens. Ses lettres d'allure martiale, spirituelle, originale, de forme assez souvent moyenâgeuse, l'ont rendu presque célèbre dans le monde religieux ; mais elles révèlent incomplètement sa piété vive et tendre, sa mortification proverbiale parmi les missionnaires, et si grande, que la pauvreté de ses vêtements et la grossièreté de sa nourriture auraient, a-t-on écrit, surpris un trappiste.
Nécrologie
[0721] CHICARD Célestin (1834-1887)
Notice nécrologique
Célestin Chicard (1834-1887) missionnaire au Yun-nan
Le 28 août 1858, dix-huit jeunes missionnaires s’arrêtaient avec le train à Poitiers, où les parents de l'un des partants venaient dire adieu à leur aîné qui allait partir pour la Chine d’où il ne devait jamais revenir. "Le train ne s'arrêtait que douze minutes, nous raconte son frère, et les instants s'envolaient rapides. Nous regar- dions notre frère à travers nos larmes. Chacun cherchait à fixer dans son coeur pour jamais les traits de cette mâle figure, que nous ne devions plus revoir ici-bas. Soudain la cloche retentit. Il se fit un grand silence. Mon frère s'agenouilla. "ô mon père ezt ma mère, bénissez votre fils pour la dernière fois!".
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Alors au milieu de leurs larmes, mes parents étendirent la main. Nous tombâmes aussi à genoux, et lui, les yeux au ciel, se releva, faisant descendre sur son père, sur sa mère et sur nous une suprême bénédiction. Il partit aussitôt... sans verser une larme, il reprit sa place dans le wagon... A toutes les portières se montraient des figures émus et presque tous les employés pleuraient d'attendrissement".
Le jeune missionnaire, Célestin CHICARD, qui avait vu le jour à Paizay-le-Sec (Vienne) le 27 décembre 1834, appartenait à une vieille famille française qui avait émigré au Canada puis était revenue se fixer dans le Poitou. Depuis son enfance, il avait eu un culte pour les hommes à cheval et pour les chasseurs : "Je veux bien être un saint, dira-t-il plus tard, mais à cheval ; comme à saint Georges, saint Maurice ou saint Hubert, il me faut un palefroy". Trop petit pour monter à cheval, il enfourchait déjà les ânons, au désespoir des bonnes femmes qui ne cessaient de se plaindre à ses parents. Les jeux bruyants avaient sa préférence ; il en était le boute-en-train et se plaisait surtout à jouer aux gendarmes et aux brigands, se réservant toujours le rôle de chef des brigands.
Alors qu'il était encore écolier, il se faisait aussi l’avocat et le défenseur des faibles comme les vrais cheva- liers. Souvent, il ramenait au foyer paternel quelque vagabond trouvé sur le chemin et demandait pour lui asile et vêtement. Sa mère ne savait pas lui refuser et le pauvre était admis ce soir-là à dormir avec les enfants. Les histoires de la vieille Chevalerie excitaient son imagination ; il voulut s’appeler Godefroy, car batailler pour Dieu c’était son ambition. Le petit chevalier revenait de ses expéditions de vacances, les poches vides, et parfois dépourvu de ses habits qu'il avait donnés à quelque mendiant.
Le cardinal Pie pensait qu'il était taillé sur le modèle des héros antiques et le supérieur du séminaire de Poitiers disait de lui que "si l'on écrit son histoire, les femmes la liront comme on lit un roman et les hommes de guerre demanderont que l'on canonise le héros".
Après ses premières études à l'école du village et au collège de Saint-Savin, il fut reçu comme élève au petit séminaire de Montmorillon. La vie monotone, le règlement, les exercices n'étaient guère en accord avec sa nature indépendante et il ne retrouvait vie que les jours de promenade. Sa vaillance, sa force musculaire et sa supériorité dans les exercices corporels suscitèrent une certaine admiration chez ses camarades, qui se mirent à imiter son style et ses allures, mais les prouesses de Godefroy commencèrent à inquiéter ses professeurs, qui se demandaient si le jeune séminariste avait vraiemnt la vocation d'un curé de campagne. En vérité, il ne voulait être ni curé de campagne ni encore moins curé de ville, mais pasteur des âmes à la manière des conquérants et des apôtres :
"Je veux bien être un saint, écrivait-il à sa mère ; pour cela je suis décidé, je vous l'avoue, à tous les sacri- fices. J'irai si loin, que si Dieu me disait de quitter mon père et ma mère et tout, je le ferais coûte que coûte ! Le soir, ma bonne mère, quand vous récitez votre chapelet, demandez que la volonté de Dieu se fasse en moi. Ne dîtes pas au bon Dieu : faîtes que mon fils soit heureux un jour dans une bonne cure ! Oh ! ma mère ! n'allez pas demander cela ! mas dîtes : Jésus donnez à mon Célestin une vie laborieuse comme la vôtre. Ah ! malheur ! je ne suis pas fait pour "meler" (me dessécher) dans une cure."
Un jour, il eut l'occasion de lire un numéro des Annales de la Propagation de la Foi, qui racontaient les aven- tures extraordinaires des missionnaires dans les pays d'Asie. Il en fut émerveillé et confia ses sentiments d'ad- miration à son cousin, qui était son confident : "Quels hommes que ces missionnaires ! Oh ! qu'il y a de che- valerie de ce côté : j'y vais, c'est décidé ! Je tiens à mourir martyr et il n'y a de martyrs qu'en Chine. C'est en Chine que j'irai, cousin !"
En dépit des appréhensions de ses supérieurs, Godefroy Chicard arriva à terminer ses études au séminaire de Montmorillon et fut autorisé à se présenter au grand séminaire de Poitiers au mois d'octobre 1852. Mais de nouvelles épreuves l'attendaient. En revêtant la soutane, on lui demanda de renoncer à l'escrime et aux exercices violents, qui ne convenaient pas à un clerc revêtu de l'ha- bit ecclesiastique. Pour répondre à son besoin d'exer- cices physiques, les supérieurs lui permirent cependant de macada-miser les allées du jardin pendant les récréa- tions et de construire une grotte qui devint une chapelle de la Sainte Vierge.
Pour être fort dans l'épreuve, il voulut alors s'exercer à la mortification. Dans la perspective de sa future vie mis- sionnaire, il ne couchait plus que rarement dans un lit. Au fond de sa cellule, il avait jeté quelques sarments, qui pendant trois ans lui servirent de couchette. "Il avait expressément demandé, raconte un de ses amis, une cel- lule au nord, sans cheminée, et sur le carreau ; il n'en voulut jamais changer. Chaque matin, par les froids les plus rigoureux, il était sur pied dès quatre heures ; et
tandis que la plupart des séminaristes goûtaient encore les douceurs de leur sommeil, lui s'enivrait de dou- ceurs d'un autre genre. Armé d'une discipline, il châtiait, comme Saint Paul, son corps très rudement..."
Sa mortification s'étendait aussi à son vêtement. "Choisissez-moi, écrivait-il alors à ses parents, ce qu'il y a de plus rude et de plus fort pour me faire une soutane". Plus tard, il écrira à son frère Jules, qui à son tour était entré au séminaire de Poitiers : "Il y a quelques mois que tu portes la soutane. Il paraît même que tu la portes avec une certaine distinction. C'est bien ! mais, vive Dieu ! je me figure que si tu laisses les femmes t'en tirer dorénavant les plans, elles te feront tomber en quenouille. Les femmes, vois-tu, n'ont pas bon goût, quand il s'agit d'une vêture d'homme, encore moins s'il s'agit d'un prêtre. Elles voudraient lui pincer la taille comme s'il s'agissait de bailler l'uniforme à un sous-officier. Je n'approuve pas que tu fasses rembourrer ta soutane : ça forme, dit-on, la poitrine. Mais frère, les gens de notre lignée n'ont pas besoin, j'imagine, d'avoir recours à cet artifice. Au reste, cette poitrine de charpie est fort peu honorable"...
Simple et pauvre dans son vêtement, il était aussi austère dans sa nourriture. Souvent, il ne faisait qu'un seul repas par jour, jeûnait tous les carêmes et ne cessait de dompter ses passion pour mieux servir son maître.
La vie monotone du séminaire lui pesait cependant. "Le règlement du séminaire, confiait-il à ses parents, n'offre guère ces aventures que j'aime tant... Deux heures à passer dans ma sombre cellule ! c'est long ! huit pieds de terrain pour prendre mes ébats ! Ah ! vive Dieu ! Qu'est-ce cela ?... Mon visage pâlit et mes muscles se fanent dans l'ombre. Qu'on me rende mon soleil, mes courses vagabondes, ma liberté et mon coeur se sen- tira revivre... Oh ! si Dieu ne m'eût placé lui-même dans cette cellule étroite, quel bras d'homme pourrait m'y retenir ? Nul, je vous assure. Mais Dieu le veut. Vive Jésus-Christ !"
L'année 1856 fut décisive pour sa vocation. le temps approchait où il allait être sous-diacre et aussitôt après il envisageait d'entrer au séminaire des Missions Étrangères. Pendant les vacances d'été, il annonça à sa famille sa décision d'être missionnaire. "Quand même je verrais tous les bonheurs et dignités planer sur ma tête,je n'abandonnerais pas ma vocation ; car je suis sûr que Dieu m'appelle ; j'en suis sûr !"
Le 10 décembre, il fut appelé au sous-diaconat et l'ordination eut lieu le 19 décembre. Revêtu de sa nouvel- le armure, sous-diacre pour l'éternité, Godefroy quitta le grand séminaire de Poitiers après son ordination, passa les fêtes de Noël dans son pays natal et fit ses adieux à sa famille. Le lendemain, le 8 janvier 1857, il arrivait au séminaire des Missions Étrangères.
Sa courtoisie chevaleresque impressionna aussitôt son entourage : "mes confrères m'appellent le chevalier, l'intrépide, écrit-il à son cousin ; et de fait, je leur ai baillé en toute encontre des marques d'une valeur notable. Mes directeurs aiment mon caractère décidé et mon allure hardie, et M. le Supérieur me prend pour un fier montagnard. A la rescousse ! mon cousin. Le temps des choses sérieuses est advenu. Entrons fermement dans la lice du Seigneur".
Mais il gardait cependant une profonde nostalgie de sa campagne natale et des moments heureux qu'il y avait vécus. En témoigne cette lettre qu'il écrivit alors à son frère, Jules, récemment entré au séminaire de Poitiers.
"... Ils sont déjà loin de nous, ces jours où nous partagions la même couche et dormions ensemble dans la grande herbe de la prairie; plus le soleil, plus la liberté de nos campagnes, plus nos bois, plus nos juments rustiques, plus nos courses communes, plus de lances, plus de fusils, plus de chasses, plus de pêches, plus l’air parfumé de nos plaines, plus le sifflement des vents dans nos grands arbres, à bref dire, plus le sein de notre mère et la table de notre père, plus ensemble... Mais qu’est-ce tout cela ? Vive Dieu ! pour l’amour du Seigneur Jésus, penses-tu qu’il soit en peine de nous rendre avec lar- gesse pour tous ces plaisirs de notre enfance, pour tous ces jeux que nous aimions tant...
".Va, petit frère, le Seigneur Jésus dont nous sommes les escuyers, nous aura merci des plus petits sacrifices. Il nous donnera donc dès là pour notre pôvre campagne, toute l’étendue du désert ; pour nos prairies, de vastes savanes ; pour nos collines, de hautes montagnes ; pour les petits oiseaux de nos bosquets, des aigles au vol superbe ;
pour nos juments pacifiques, un cheval fier et sauvage ; pour la poussière de nos champs, une arène glo- rieuse, et la poudre de la lice et des missions ; pour nos taillis, des forêts immenses ; pour le fusil de notre père, l’arc et le carquois des Indiens et des Thibétains ; pour nos promenades, le Seigneur nous prépare des courses lointaines, des excursions périlleuses sur les mers, dans les déserts et les montagnes. Et s’il plaît à Notre-Dame de bénir nos labeurs, nous ne paraîtrons point sur les rives du Paradis, sans entraîner avec nous quelques âmes ravies aux filets du diable.
"... Sus, sus, petit frère ! Nous ferons merveille. Gloire donc à Nostre Dieu et à Nostre Dame ! Combattons les combats du Seigneur, je te le répète, souviens-toi que noblesse oblige, sois vaillant comme les poussins des aigles... En avant, laisse rugir le diable, rire les hommes, pleurer les femmes. Dieu le veut, Dieu Li Volt... Adieu, je t’embrasse fort tendrement. Ton frère... C. Chicard (Missions-Étrangères, 2 mars 1857)
Godefroy Chicard devait être ordonné diacre à Noël, mais l'ordination fut retardée de quelques jours, une épi- démie de typhoïde sévissant alors sur le séminaire. Plusieurs séminaristes furent gravement atteints et l'un d'eux mourut. L'épidémie passée, l'ordination eut lieu le 10 janvier 1858.
L'heure du sacerdoce sonna enfin. Un petit billet, trouvé dans ses lettres, manifeste alors ses sentiments : "L'amour de Dieu voilà ma fin ; la mortification, qui est encore l'amour, tel sera le moyen. Ma première messe sera dite pour obtenir de Jésus cette double grâce". Il fut ordonné prêtre le samedi des Quatre-temps de laTrinité, au mois de juin 1858.
Le lendemain, il recevait sa destination pour la mission du Yun-nan. Il manifesta aussitôt son immense joie à ses parents : "Yun-nan ! j'ai dit le nom de ma fiancée ! La moitié de mes confrères s'est emparée des Indes, l'autre s'est partagée la Chine, et le Yun-nan est à moi ! C'est la dame de mon coeur, c'est pour jamais mon épouse ! Dieu m'a traité comme un prince, la part de mon héritage est des plus belles... Parole de gentil- homme ! Dieu m'a traité en fils aîné ! Hosanna ! Chantons victoire ; le Yun-nan est à moi !"
Godefroy Chicard ainsi que ses compagnons qui partaient pour la Chine et le Tonkin, quittèrent Bordeaux le 2 septembre suivant, sur un navire à voiles, le Syngapor mais, faute de vents favorables, ils ne purent dépas- ser Pauillac, à l'embouchure de la Gironde que quelques jours plus tard. La bonne brise arriva le 10 sep- tembre, on leva l'ancre et le navire put enfin prendre le large... La vie à bord, à cette époque, n'était pas d'un grand confort. Les passagers étaient couchés dans des hamacs et pendant la nuit, ils avaient la visite des can- crelats. Dans une lettre à ses parents, Godefroy dit qu'ils " ... rodent toute la nuit ; ils viennent dans nos cabines, nous passent sur les jambes, s'empêtrent dans la barbe et les cheveux, rongent les ongles et la peau morte.."
Il raconte aussi son voyage. Le navire passe près des Iles Canaries "qui paraissent de loin comme une chaî- ne de montagnes perdues à l'horizon", aux Iles du Cap-Vert, où on rencontre les vents alizés. La "nef est sou- mise aux caprices des vents", tantôt "flagellée par des pluies torrentielles", tantôt soumis à de "fortes bour- rasques de vent à briser les mâts". Une nuit, la tempête fait rage. "L'esquif est agité comme la cîme des pins et souvent la bise, s'alliant au reflux d'une vague qui s'enfuit, creuse l'océan sous nos pas et lui fait ouvrir ses abîmes, comme pour nous engloutir. Mais soudain le flot revient en furie, nous reprend sur son dos et nous élève bien au-dessus du niveau des mers."
Ils fêtèrent Noël à bord. "Notre fête de Noël n'eut point sa couleur rustique, mais elle fut bien joyeuses cepen- dant... Les nôtres s'empressèrent beaucoup pour recevoir le petit Jésus. Nous célébrâmes trois messes. Tous les matelots y assistèrent pieusement. C'était merveille de les voir. Tous se tiennent fort dévotement sur deux genoux : nous pensâmes que notre galère avait été convertie en une église".
Le jour de l'Épiphanie, le navire se rapproche de l'Ile de Jawa.
"Un coup de canon avertit les insulaires de notre présence. Bientôt une barque légère de la rive et six noirs s'excitent à pous- ser la rame... Je ne pouvais me passer de les voir... Le 15 janvier un grand navire descendait à pleines voiles dans le détroit de Banca. Nous aperçûmes avec plaisir flotter le drapeau français... Le 22, fête de Saint Vincent, nous fûmes lancés par une forte brise ; nous doublâmes sur ses ailes les quatre pointes de Sumatra, et notre ne rassurée mouillait au coucher du soleil sur les frontières de Banca... Le 25 janvier, après une belle marche, nous jetions l'ancre par le travers de Lingin. Cette île est un repaire de pirates audacieux et redoutés des navigateurs. Nous nous préparâmes à la guerre... Les brigands n'eurent pas bruit de notre présence et le lendemain, de bonne heure, nous quittions avec empressement ces côtes redoutables". Le jour de la Présentation de Notre-Dame, après cinq mois de mer et après avoir parcouru plus de cinq mille lieues, ils arrivèrent à Syngapour, où ils furent accueillis par leur confrère, Pierre Osouf.
Les missionnaires, à peine reposés, quittèrent Syngapore au début d'avril. Ils passèrent au large de la côte du Cambodge, près de l'enceinte sablonneuse de la Cochinchine et de l'Ile de Hai-Nan. et découvrirent enfin Hong-Kong, "assise au fond de la rade, sur la croupe d'une montagne", le mardi de l'octave pascale. Ils furent accueillis par le procureur des Missions Étrangères, le Père Libois, qui veilla aussitôt à faire parvenir Godefroy dans sa mission du Yun-nan.
On le revêtit d'abord de l'habit chinois : "Quel dommage, écrit-il à ses parents, que vous ne puissiez jouir de ce coup d'oeil; Voyons ! est-il permis de se regarder dans un miroir ? Cette tête rasée ne vous convient-elle pas ?...Et cette belle robe de soie bleue ! Dîtes, mes soeurs, avez-vous quelque chose de mieux en vos toi- lettes ? Mes hauts-de-chausses et mes bas blancs me transportent au moyen âge. On prétend que la queue, entée sur mon épaisse chevelure, est de fort bonne grâce. Ne vous scandalisez pas de ma longue pipe. Mais qu'allez-vous dire, en pensant que nous n'emportons point notre bréviaire et qu'il faudra, pendant deux ou trois mois, ne réciter son chapelet que sur ses doigts?".
Après un voyage semé d'embuches et de mille dangers, Godefroy arriva le 14 décembre 1859 à Chen-tien-tseu, dans le Su-tchuen. Le lendemain, 15 décembre, il montait en chaise et se dirigeait à petites journées vers le Yun-nan, à travers ce pays, maintes fois pillé et brûlé par les rebelles. Après deux tentatives infructueuses, il finit par arriver à sa destination dans les premiers jours de l'année 1860. Il passa d'abord cinq mois à Long- ki, s'initiant avec une certaine facilité à la langue chinoise, puis fut envoyé dans le poste de Ta-chou-tsen-keou. L'année suivante, Mgr Ponsot le chargea de fonder une station dans la ville de Tchao-tong ; les man- darins l'en empêchèrent, et au mois de mai il dut se retirer à Ta-kouan.
En 1863, il fut chargé d'administrer le district de Pou-eul-hao et ne tarda pas à le rendre florissant. Il y fonda un orphelinat ainsi qu'une colonie agricole pour les veuves et les femmes dont les maris avaient été pris par les rebelles Man-tsé. A plusieurs reprises, il dut défendre, les armes à la main, sa chrétienté et celles des envi- rons contre les pillards. Il le fit avec une bravoure extraordinaire : on le vit même un jour marcher seul au- devant de trois à quatre cents Man-tsé qui venaient l'attaquer. Il surprit les attaquants par son courage et négo- cia heureusement avec les pirates le rachat des captifs.
En 1864, il reprit contact avec son cousin et ami, qui venait de faire un pélerinage en Terre Sainte : "Vive Dieu, cher cousin : je t'ai bien reconnu tout de suite sous ton costume de pélerin ! C'est bien toi, mon frère d'armes, mon compagnon d'études et de jeux ! Ensemble aux bois, ensemble aux prairies, ensemble à pied, ensemble à cheval, ensemble à genoux devant les saints autels, et maintenant séparés par l'abîme des mers !
Séparés de corps mais non de coeur ! Il me semble que j'étais à tes côtés en ton pélerinage ; avec toi à Bethléem, à Nazareth, au Calvaire et au Saint-Sépulcre, puisque partout tu priais pour moi et que mon coeur te suivait partout"
"J'ai eu longtemps la fièvre, mais elle vient de me quitter. Mes besognes vont bien. j'ai deux ou trois stations où j'es- père une moisson abondante de chrétiens.. J'ai établi une nouvelle école dans un village. je suis bien décidé à tout entreprendre pour le salut des âmes, dussé-je vendre mon cheval et mes armes. je n'en serais pas moins terrible au diable avec un bâton"...
Un évêque de Chine qui l'avait autrefois connu et qui le rencontra vers 1868 disait de lui : "Tout ce qu'il y avait d'original, d'exagéré pour quelques-uns, dans le P. Chicard, a disparu. Il ne reste plus que l'apôtre et le saint". Un autre missionnaire poitevin confirmait ce jugement en 1872 : "le P. Chicard, dit-il, n'est plus ce que je l'avais connu en France. Son visage est ascétique, son regard est tout à tour contemplatif et bienveillant. On se sent en présence d'un apôtre au coeur droit, s'émerveillant volontiers au récit des belles actions des autres".
En 1873, Mgr Ponsot lui ayant confié le district de Ko-kouy . "Monseigneur m'a confié un nouveau district, écrit-il à sa soeur carmélite, le fameux poste de Ko-Kouy. C'est le Chablais du Yun-nan. Puissé-je en être le François de Sales ! Il y a beaucoup d'ouvrage et je me trouve en bonne volonté de bien faire, mais j'ai abso- lument besoin de mes chères Carmélites pour mieux paître ce troupeau, l'augmenter et devenir un saint... Ce district n'est éloigné de la résidence épiscopale que de quarante lieues. C'est l'affaire de deux jours sur mon cheval"...
Il laissa ensuite le poste de Ko-Kouy à un vicaire chinois, puis alla s'établir dans le poste avancé de Tchao- Tong. il installa sa résidence dans ce dernier poste où bientôt son influence fut grande. Il détermina d'assez nombreuses conversions parmi les indigènes et, pour les protéger contre les pillards, il organisa une garde pour protéger sa communauté des attaques des pirates, qui chaque année faisait une ou deux irruptions dans les districts du bas Yun-nan, pillant et incendiant toutes les habitations, avant d'emmener de nombreux cap- tifs... Pour se protéger contre les attaques des pillards, Godefroy Chicard opéra des prodiges de vaillance pour repousser les agresseurs. "Les barbares, écrit le P. Bourgeois, durent alors compter avec nous, et fina- lement, voyant qu’ils avaient plus à perdre qu’à gagner, ils restèrent dans leurs montagnes". Pendant toutes ces années de trouble, le P. Chicard sauva une foule de chrétiens et de païens. Plusieurs fois il fut même char- gé de négocier avec les barbares pour racheter les captifs, personne d'autre que lui n’osant s'approcher de ces terribles brigands et parlementer avec eux.
En 1879, il quitta Tchao-tong et s'installa à Taouan-tse, district de Ko-koui, dont il avait fortifié la résidence et où il était très populaire puis, en 1881, fonda une chrétienté à San-chan, où il ouvrit deux écoles. En 1884, il revint à Tchao-tong et bientôt y commença un asile pour les vieillards qu'il n'eut pas le temps d'achever. Il fut emporté par une fièvre typhoïde le 17 juillet 1887.
La mort ne le surprit pas, car il était toujours prêt mais ses confrères, qui lui étaient très attachés, furent dans la consternation en apprenant son décès prématuré car, pour eux "il était une des colonnes de la mission, par son dévouement sans bornes, par sa science rare de la langue chinoise, et par une longue expérience des voies de Dieu qui le rendait apte à toucher et convertir le cœur des païens".
Références
[0721] CHICARD Célestin (1834-1887)
Bibliographie. - Lettres du Père Chicard, missionnaire, à sa famille [publiées par l'abbé Boislabeilles]. - Henri Oudin, imprimeur-libraire, 4, rue de l'Eperon, Poitiers, 1861, in-16, pp. 46.
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1877, p. 18 ; 1881, p. 45 ; 1882, p. 40 ; 1890, p. 255 ; 1905, p. 82.
Sem. rel. Poitiers, 1864, p. 510 ; 1865, p. 537 ; 1866, p. 270 ; 1867, pp. 183, 200 ; 1868, p. 325 ; 1872, pp. 497, 617 ; 1877, p. 467 ; 1882, p. 499 ; 1884, p. 526 ; 1887. Sa mort, pp. 711, 755 ; 1888, p. 772. - Sem. rel. Cambrai, 1899, 2e part., p. 348. - La Croix [Paris], 1887, n° du 13 oct. ; Ib., 1888, n° du 11 fév. - Le Pèlerin, 1888, Poésie, n° du 9 juill.
Huit ans au Yun-nan, p. 136. - Hist. gén. Soc. M.-E., Tab. alph.
Biographie. - Un chevalier apôtre [avec gravures. Par le P. Drochon, des Augustins de l'Assomption]. - Typographie augustinienne, 8, rue François 1er, Paris, [1890], gr. in-16 carré, 3 ff. n. ch. + pp. iv-738.
Comp.-rend. : Sem. rel. Poitiers, 1890, p. 39.
Cet ouvrage a eu de nombreuses éditions. La dernière est de 1909, 5, rue Bayard, Paris, 2 vol. in-16, pp. xi-240, 357.
Godefroy Chicard (Un chevalier apôtre) [avec portrait], par H. Monchovant. Les Contemporains, n° 100. - 5, rue Bayard, Paris, in-4, pp. 16.
Notice nécrologique. - C.-R., 1887, p. 270.
Portrait. - Voir Biographie.